n° minute : 12/2023
Copie exécutoire à :
- Me Laurence FRICK
- Me Marion POLIDORI
Le 1er février 2023
La Greffière,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE DES URGENCES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
N° RG 22/00091 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H5U4
mise à disposition le 30 Janvier 2023
Dans l'affaire opposant :
La Commune de [Localité 4],
prise en la personne de son Maire en exercice
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Laurence FRICK, Avocate à la cour
plaidant : Me Olivier NAHON, Avocat au barreau de Mulhouse
- partie demanderesse au référé -
Mme [K] [L] épouse [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Marion POLIDORI, Avocate à la cour
plaidant : Me Eric GRUNENBERGER, Avocat au barreau de Colmar
- partie défenderesse au référé -
Nous, Pascale BLIND, présidente de chambre à la cour d'appel de Colmar, agissant sur délégation de Madame la première présidente, assistée lors des débats et de la mise à disposition de la décision de Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, après avoir entendu, en notre audience publique de référé du 4 Janvier 2023, les avocats des parties en leurs conclusions et observations et avoir indiqué qu'une décision serait rendue ce jour, statuons publiquement, par mise à disposition d'une ordonnance contradictoire, comme suit :
Par jugement définitif du 23 mars 2018, le tribunal de grande instance de Mulhouse a ordonné à la commune de [Localité 4] de faire cesser la voie de fait résultant d'une circulation qui s'était créée sur des parcelles appartenant à Madame [K] [R] née [L] et a dit n'y avoir lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Par jugement en date du 31 août 2018, le juge de l'exécution du tribunal d'instance de Mulhouse a condamné la commune de [Localité 4] à faire cesser le trouble sous astreinte, jugement infirmé par arrêt de la cour du 17 juin 2019 qui a rejeté la demande tendant à voir fixer une astreinte.
Invoquant l'absence en mai 2020 d'exécution par la commune du jugement du 23 mars 2018, Madame [L] a saisi à nouveau le juge de l'exécution aux fins d'obtenir le prononcé d'une astreinte.
Par jugement contradictoire du 6 septembre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mulhouse a :
- déclaré recevable la demande de Madame [K] [R] née [L]
- condamné la commune de [Localité 4] sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision et pendant 365 jours, à faire cesser la voie de fait constatée par le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse le 23 mars 2018
- dit que la cession de la voie de fait sera matérialisée par la suppression de tous les ouvrages réalisés sur les parcelles appartenant à Madame [K] [R]
- condamné la commune de [Localité 4] à verser la somme de 2 000 euros à Madame [K] [R] née [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- rappelé l'exécution provisoire de plein droit de la décision.
La commune de [Localité 4] a interjeté appel de ce jugement, par déclaration du 21 septembre 2022.
Par acte du 3 octobre 2022, elle a fait assigner Madame [K] [R] née [L] aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article 514-3 du code de procédure civile, la suspension de l'exécution provisoire du jugement du 6 septembre 2022 et voir statuer ce que de droit sur les dépens.
Aux termes de son assignation soutenue à l'audience du 4 janvier 2023, la demanderesse fait valoir que le juge de l'exécution n'a pas tenu compte des démarches faites par elle pour régulariser la situation, notamment l'établissement d'un document d'arpentage, préalable nécessaire pour mettre en 'uvre la procédure d'expropriation préconisée par le tribunal, document que Madame [L] a refusé de signer et qui a dû être signé par le géomètre ainsi qu'il résulte du courriel du directeur général des services en date du 7 juillet 2022.
Elle ajoute que conformément aux différents arrêts rendus par la cour, Madame [R] a pu jouir de sa propriété.
La commune invoque par ailleurs les conséquences manifestement excessives de l'exécution provisoire de la décision dès lors que le juge de l'exécution a ordonné la suppression de tous les ouvrages sur la parcelle de la défenderesse, alors que celle-ci, en conformité avec l'ensemble des décisions de justice rendues, sera préemptée par la commune. Elle en déduit une atteinte aux finances publiques et à l'intérêt général.
En réplique, selon des conclusions récapitulatives du 8 décembre 2022, reprises à l'audience, Madame [R] née [L] demande de :
- déclarer l'assignation de la commune de [Localité 4] irrecevable et la commune de [Localité 4] infondée en ses demandes, notamment au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile
En conséquence,
- constater l'absence de moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour
- débouter la commune de [Localité 4] de sa demande de suspension de l'exécution provisoire,
- condamner la commune de [Localité 4] à une amende civile de 3 000 euros
- condamner la commune de [Localité 4] à payer à Madame [K] [R] née [L] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive
En tout état de cause,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la commune de [Localité 4]
- condamner la commune de [Localité 4] à payer à Madame [K] [R] née [L] la somme de 3 500 euros d'article 700 du code de procédure civile
- condamner la commune de [Localité 4] aux entiers dépens de la présente procédure.
La défenderesse soutient que l'assignation est irrecevable en tant qu'elle est fondée sur les dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile qui sont inapplicables, s'agissant d'un jugement rendu par le juge de l'exécution qui relève exclusivement des dispositions de l'article R 121-22 du code des procédures civiles d'exécution.
Sur le fond, elle fait valoir que la demande de référé sursis ne tend qu'à obtenir de manière indirecte le sursis à l'exécution du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mulhouse le 23 mars 2018, jugement dont la commune n'a jamais interjeté appel.
Elle affirme que la commune n'apporte aucunement la preuve de la suppression de l'intégralité des éléments constitutifs de la voie de fait, alors que le jugement date de plus de quatre ans, et relève que la défenderesse n'a toujours pas déposé de dossier de demande de déclaration d'utilité publique à la préfecture, dans le cadre de sa démarche annoncée d'expropriation.
Madame [R] conteste par ailleurs pouvoir jouir de la totalité de sa propriété dès lors que les habitants continuent à passer sur sa propriété quand ce n'est pas le directeur des services de la commune lui-même. Elle invoque notamment un constat d'huissier en date du 6 octobre 2022 et un arrêt de la cour d'appel en date du 25 novembre 2022, constatant que la voie de fait est toujours d'actualité.
SUR CE
L'appel portant sur une décision rendue par le juge de l'exécution, l'article 514-3 du code de procédure civile invoqué par la commune de [Localité 4] est inapplicable.
La demande relève en revanche des dispositions spécifiques de l'article R 121-22 du code des procédures civiles d'exécution qui prévoient :
En cas d'appel, un sursis à l'exécution des décisions prises par le juge de l'exécution peut être demandé au premier président de la cour d'appel. La demande est formée par assignation en référé délivrée à la partie adverse et dénoncée, s'il y a lieu, au tiers entre les mains de qui la saisie a été pratiquée.
Jusqu'au jour du prononcé de l'ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n'a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure.
Le sursis à exécution n'est accordé que s'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.
L'auteur d'une demande de sursis à exécution manifestement abusive peut être condamné par le premier président à une amende civile d'un montant maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient être réclamés.
La décision du premier président n'est pas susceptible de pourvoi.
En l'espèce, la demande de sursis à exécution porte sur la fixation d'une astreinte provisoire.
Or, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (en ce sens notamment 2e Civ., 10 février 2011, pourvoi n° 10-14.424), les dispositions de l'article R 121-22 précitées ne sont pas applicables lorsque le juge de l'exécution statue en matière d'astreinte, soit pour assortir une décision d'une astreinte, soit pour liquider une astreinte précédemment ordonnée, dès lors que l'astreinte n'est qu'une mesure de contrainte destinée à vaincre la résistance du débiteur, qui se présente comme un simple accessoire de la décision sur laquelle elle se greffe et que n'étant pas une mesure autonome, elle ne peut faire seule l'objet d'un sursis à exécution et ne peut que suivre le sort de la mesure qu'elle assortit.
En tout état de cause, à supposer que les dispositions de l'article R 121-22 soient applicables en l'espèce, il convient de constater que les moyens développés par la demanderesse n'apparaissent pas suffisamment sérieux, pour justifier de la suspension de l'exécution provisoire.
En effet, par jugement définitif du 23 mars 2018, le tribunal de grande instance de Mulhouse, a ordonné à la commune de [Localité 4] de faire cesser la voie de fait constituée de la réalisation d'une voie de circulation publique sur les parcelles appartenant à Madame [L]. Le tribunal avait retenu que la commune de [Localité 4] se comportait comme si elle était propriétaire de la totalité de la [Adresse 5] notamment en organisant la circulation sur la totalité du tronçon, sans mentionner qu'une partie appartenant à Madame [L] échappait à sa compétence, et en entretenant la totalité de la rue, soit revêtement, éclairage, alimentation en eau, gaz, électricité, et considéré que la commune commettait une voie de fait à l'égard de Madame [L], alors qu'elle « aurait dû, depuis des années, mettre en 'uvre la procédure d'expropriation, afin de se rendre officiellement propriétaire de cette partie de la rue, si tel était l'intérêt de la commune, à savoir permettre une circulation plus aisée au sein du village ».
La commune de [Localité 4] n'établit pas que depuis cette décision qui date d'il y a plus de quatre années, la voie de fait a cessé, ou même qu'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique a été mise en 'uvre alors que Madame [L] produit plusieurs courriers du Préfet, dont le dernier en date du 27 octobre 2022, attestant qu'aucun dossier relatif à une procédure d'expropriation des parcelles concernées n'a été reçu par ses services et qu'aucun arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique n'a été rendu pour un projet d'aménagement de la [Adresse 5] à [Localité 4], et que par ailleurs, la cour d'appel de Colmar a statué le 25 novembre 2022 en retenant la persistance des troubles.
Saisie d'un appel d'une ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Mulhouse, la cour a en effet, par cet arrêt du 25 novembre 2022, condamné la commune de [Localité 4] à payer à Madame [L] la somme de 3 840 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'occupation due pour la période allant du mois de mars 2018 au mois de mars 2022, après avoir constaté que la voie de fait retenue par le tribunal de Mulhouse le 23 mars 2018 est toujours d'actualité, que Madame [L] subit toujours la présence des éléments d'entretien installés par la commune et visés par le jugement du 23 mars 2018 à savoir le revêtement, l'éclairage, l'alimentation en eau, en gaz et en électricité.
En outre, s'agissant de l'opposition de Madame [L] à l'établissement du procès-verbal d'arpentage, document préalable essentiel à l'obtention de l'arrêté de cessibilité dans le cadre de la procédure d'expropriation, il convient de relever que le procès-verbal d'arpentage a été signé par le géomètre en mai 2022, et qu'il n'est pas justifié à ce jour de la transmission du dossier de déclaration d'utilité publique à la Préfecture.
Dès lors, la demande de sursis à l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 septembre 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mulhouse sera rejetée.
Il n'apparaît pas que la commune de [Localité 4], agissant dans l'intérêt de la collectivité, ait fait dégénérer en abus son droit de saisir le premier président aux fins de suspension d'une décision la condamnant au paiement d'une astreinte. La demande de dommages et intérêt pour procédure abusive de Madame [L] sera donc rejetée.
Il n'y a pas plus lieu de prononcer une amende civile et Madame [L] sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
La commune qui a succombé en sa demande sera condamnée aux dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Rejetons la demande de la commune de [Localité 4] de suspension de l'exécution provisoire du jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 6 septembre 2022 ;
Rejetons les demandes de dommages et intérêts et d'indemnité au titre des frais irrépétibles de Madame [L] épouse [R] ;
Disons n'y avoir lieu de prononcer une amende civile ;
Condamnons la commune de [Localité 4] aux dépens de la présente instance.
La greffière, La présidente,