n° minute : 16/2023
Copie exécutoire à :
- Me Noémie BRUNNER
- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY
Le 22 février 2023
La Greffière,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE DES URGENCES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
N° RG 22/00098 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H55L
mise à disposition le 22 Février 2023
Dans l'affaire opposant :
M. [K] [P]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour
plaidant : Me Laurent FREUDL, avocat au barreau de Strasbourg
- partie demanderesse au référé -
S.A. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour
- partie défenderesse au référé -
Nous, Pascale BLIND, présidente de chambre à la cour d'appel de Colmar, agissant sur délégation de Madame la première présidente, assistée lors des débats et de la mise à disposition de la décision de Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, après avoir entendu, en notre audience publique de référé du 18 Janvier 2023, les avocats des parties en leurs conclusions et observations et avoir indiqué qu'une décision serait rendue ce jour, statuons publiquement, par mise à disposition d'une ordonnance contradictoire, comme suit :
Par jugement du 27 juin 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a condamné Monsieur [K] [P] à verser à la SA Société Générale, en sa qualité de caution des engagements de la SAS ZH, la somme de 90 419,22 euros, augmentée des intérêts de retard calculés au taux contractuel du prêt majoré de quatre points, soit 6 % à compter du 25 septembre 2019 et ce, avec capitalisation annuelle des intérêts. Par ailleurs, Monsieur [P] a été condamné aux dépens ainsi qu'au versement d'un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et l'exécution provisoire de la décision a été ordonnée.
Monsieur [P] a interjeté appel de ce jugement, par déclaration du 5 juillet 2022.
Par acte du 3 octobre 2022, il a fait assigner en référé devant le premier président de la cour d'appel de Colmar la SA Société Générale aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article 514-3 du code de procédure civile, l'arrêt de l'exécution provisoire.
Aux termes de son assignation et de ses conclusions du 16 janvier 2023, soutenues à l'audience du 18 janvier 2023, Monsieur [P] fait valoir, d'une part que les moyens présentés à l'appui de son appel sont de nature à entraîner la réformation du jugement, d'autre part que l'exécution provisoire entraînerait pour lui des conséquences manifestement excessives.
A cet égard, il expose que s'il exerce la profession de pharmacien et détient la moitié du capital social de la pharmacie HK, celle-ci était jusqu'il y a peu en état de cessation des paiements et bénéficie actuellement d'un plan d'apurement portant sur un passif d'1,3 million d'euros.
Il explique avoir été dans l'obligation d'injecter dans son entreprise une somme de 294 000 euros qu'il a empruntée et qu'il ne dispose plus d'aucune somme disponible, ayant par ailleurs hypothéqué sa maison au titre de cet emprunt personnel.
Il fait valoir qu'il supporte de nombreuses charges personnelles et familiales, notamment en sa qualité de père de deux enfants poursuivant des études supérieures.
Il ajoute qu'il dispose d'une garantie à première demande d'un tiers qu'il n'a pu mobiliser devant le premier juge et qu'il se voit, en raison de l'exécution provisoire, contraint de régler une dette particulièrement élevée qui ne lui incombe pas, ce qui est constitutif de conséquences manifestement excessives pour lui.
A l'audience, Monsieur [P] a invoqué les dispositions de l'article 524 du code de procédure civile, au soutien de sa demande.
Il a précisé que sa rémunération varie d'un mois à l'autre entre 7 000 et 10 000 euros, et que le bilan 2021 de la pharmacie n'a pas encore été arrêté.
Aux termes de ses écritures du 2 décembre 2022, reprises à l'audience, la SA Société Générale conclut à l'irrecevabilité de la requête, à son rejet et à la condamnation de Monsieur [P] aux entiers frais et dépens.
La SA Société Générale fait valoir que la requête est irrecevable comme étant fondée sur l'article 514-3 du code de procédure civile qui est inapplicable, s'agissant d'une procédure introduite devant le tribunal le 28 octobre 2019, et que de plus, il y aurait lieu de constater que Monsieur [P] n'a formulé aucune observation en première instance sur l'exécution provisoire.
Sur le fond, la défenderesse expose que le demandeur, qui se contente de procéder par affirmations, ne justifie ni de sa situation financière, ni de celle de la pharmacie.
SUR CE
L'instance devant le tribunal ayant été introduite antérieurement au 1er janvier 2020, il convient d'appliquer au présent litige non pas les dispositions de l'article 514 -3 du code de procédure civile mais celles de l'article 524 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret du 11 décembre 2019.
A l'audience, Monsieur [P] a fondé expressément sa demande sur les dispositions de l'article 524 précitées.
Sa requête est donc recevable.
Aux termes de l'article 524, lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, que par le premier président, et dans les cas suivants :
1° si elle est interdite par la loi ;
2° si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;
En l'espèce, l'exécution provisoire n'est pas interdite par la loi.
Le caractère manifestement excessif des conséquences de l'exécution provisoire ordonnée doit être apprécié, par rapport à la situation du débiteur, compte tenu de ses facultés de paiement ou des facultés de remboursement du créancier, sans qu'il y ait lieu d'analyser la régularité ou le bien-fondé du jugement frappé d'appel.
Les arguments développés par Monsieur [P] pour démontrer l'existence de moyens sérieux de réformation de la décision sont donc inopérants.
Par ailleurs, le caractère manifestement excessif des conséquences de l'exécution provisoire est caractérisé lorsque les facultés du débiteur ne lui permettent pas d'exécuter le jugement sans encourir de graves conséquences, susceptibles de rompre de manière irréversible son équilibre financier.
Il n'est pas contesté que la SELARL Pharmacie HK est en redressement judiciaire depuis un jugement du 23 septembre 2019.
Monsieur [P] a indiqué dans ses conclusions que sa rémunération a été arrêtée par Monsieur le juge-commissaire à 5 000 euros.
Il n'a cependant versé aucun justificatif de revenus, et à l'audience, il a convenu que sa rémunération variait d'un mois à l'autre entre 7 000 et 10 000 euros.
La production d'un avis d'imposition ou d'une déclaration de revenus s'imposait d'autant plus qu'elle aurait pu permettre de vérifier l'existence de revenus autres que professionnels.
Il est rappelé que Monsieur [P] avait en 2016, dans la fiche patrimoniale établie au moment de son engagement de caution, déclaré des salaires annuels de 133 868 euros, être propriétaire d'une maison individuelle d'une valeur estimée à 700 000 euros, sur laquelle il restait à rembourser un capital de 97 200 euros et évalué la pharmacie, exploitée sous la forme d'une SELARL dont il détient 51 % des parts, ainsi qu'il résulte des statuts du 3 mai 2001, à 3 600 000 euros.
Il fait état aujourd'hui d'une perte de valeur de la pharmacie, ce que révèle l'existence de la procédure de redressement judiciaire.
Toutefois, aucune pièce relative au plan de redressement n'est produite, ni aucune pièce permettant de connaître la situation financière actuelle de la SELARL pharmacie HK, le seul élément versé au dossier étant un bilan établi au titre de l'exercice 2019 et ce, alors même que la partie adverse lui en a fait reproche dans ses conclusions du 2 décembre 2022.
Par ailleurs, si Monsieur [P] justifie avoir souscrit à titre personnel un prêt dont les échéances mensuelles sont de 2 928 euros pour apporter en compte courant à la SELARL Pharmacie HK en difficultés la somme de 294 000 euros le 22 août 2019, créance qu'il a déclarée au passif auprès du mandataire judiciaire de la société pharmacie HK, le justificatif fourni concernant l'emprunt contracté pour le financement de sa maison d'habitation est insuffisant. En effet, plutôt que de verser aux débats le contrat de prêt et/ou le tableau d'amortissement, il ne produit qu'une capture d'écran mentionnant un prélèvement de 1 231,98 euros, au titre d'une échéance de prêt, mais rien dans ce document ne permet de relier cette dette au demandeur. Monsieur [P] ne justifie pas plus qu'une hypothèque serait actuellement inscrite sur sa maison comme il l'affirme et, selon le décompte qu'il produit, le montant total de ses charges avoisine 9 300 euros, hors frais d'alimentation, de vêture, etc, ce qui n'est pas compatible avec le niveau de revenus allégué.
Par conséquent, Monsieur [P] n'établit pas qu'il ne serait pas en mesure de trouver un financement pour s'acquitter de la condamnation avoisinant 100 000 euros.
Enfin, la circonstance selon laquelle il serait amené à régler une dette incombant in fine à un tiers ne permet pas de caractériser des conséquences manifestement excessives, au sens de l'article 524 précité.
A défaut pour lui de prouver que ses facultés ne lui permettent pas d'exécuter le jugement sans que son équilibre financier soit rompu de manière irréversible, sa demande sera rejetée.
Ayant succombé en sa demande, il supportera les dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire, après débats en audience publique,
Rejetons la demande de Monsieur [K] [P] tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 27 juin 2022 ;
Condamnons Monsieur [K] [P] aux dépens de la présente procédure.
La greffière, La présidente,