GLQ/KG
MINUTE N° 23/201
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 24 Février 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/03634
N° Portalis DBVW-V-B7F-HU2D
Décision déférée à la Cour : 02 Juillet 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SAVERNE
APPELANT :
Monsieur [F] [G]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Corinne ZIMMERMANN, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMEE :
FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT DE MULHOUSE Prise en la personne de son représentant légal.
N° SIRET : 778 95 0 5 50
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Julie HOHMATTER, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Décembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. PALLIERES, Conseiller rapporteur, et M. LE QUINQUIS, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par un contrat à durée indéterminée du 19 janvier 2012, la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT a embauché M. [F] [G] à compter du 19 mars 2012 en qualité de médecin spécialiste pour exercer au sein de l'hôpital [5] situé à [Localité 4].
Le 11 mars 2020, la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT a convoqué M. [F] [G] à un entretien préalable en vue d'une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, avec mise à pied conservatoire.
Par courrier du 14 avril 2020, la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT a notifié à M. [F] [G] son licenciement pour faute grave, reprochant au salarié la mise en danger volontaire de la santé et de la vie d'autrui ainsi que l'insubordination envers la hiérarchie dans le contexte de la crise sanitaire due au COVID 19. L'employeur reproche notamment à M. [F] [G] :
- de pas avoir respecté les consignes de la direction visant à restreindre les visites pour limiter la propagation du CORONAVIRUS en enlevant des affiches apposées par la direction visant à restreindre les visites ainsi qu'en donnant à la cadre de santé du service et à l'agent d'accueil des consignes contredisant celles de la direction sur la limitation des visites,
- de ne pas avoir participer aux réunions du comité de direction au mois de février 2020 et aux réunions de crise des 10 et 11 mars 2020 sans se faire représenter par un collaborateur médecin,
- d'avoir tenu des propos agressifs et humiliants à l'égard de la directrice des soins lors de réunions de direction et à l'égard d'une cadre-infirmière,
- d'avoir tenu des propos dénigrants à l'égard de la direction dans un message adressé à ses collègues médecins.
Le 10 juillet 2020, M. [F] [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Saverne pour contester le licenciement et obtenir la condamnation de la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT au paiement de différentes indemnités et d'un arriéré de primes.
Par jugement du 02 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Saverne a :
- dit que le licenciement repose sur une cause grave,
- débouté M. [F] [G] de ses demandes au titre du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- débouté M. [F] [G] de sa demande d'arriéré de prime 2019,
- débouté M. [F] [G] de ses autres demandes,
- condamné M. [F] [G] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [F] [G] a interjeté appel le 02 août 2021.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 05 avril 2022, M. [F] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement du 02 juillet 2021 et de :
- dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, a fortiori de cause grave,
- en conséquence, condamner la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT au paiement des sommes suivantes :
* 125 606,53 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, augmentés des intérêts légaux à compter de la décision à intervenir,
* 31 401,62 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, augmentés des intérêts légaux à compter de la réception par l'employeur de la convocation par le greffe,
* 94 204,86 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, augmentés des intérêts légaux à compter de la réception par l'emp1oyeur de la convocation par le greffe,
* 9 420,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, augmentés des intérêts légaux à compter de la réception par l'employeur de la convocation par le greffe,
* 9 011,65 euros à titre de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, augmentés des intérêts légaux à compter de la réception par l'employeur de la convocation par le greffe,
* 901,16 euros à titre de congés payés sur salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, augmentés des intérêts légaux à compter de la réception par l'employeur de la convocation par le greffe,
* 40 000 euros brut à titre d'arriéré de primes 2019, augmentés des intérêts légaux à compter de la réception par l'employeur de la convocation par le greffe,
- condamner la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT aux dépens, y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de la décision à intervenir par voie d'huissier et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement sans exclusion du droit de recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 juillet 2022, la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saverne en toutes ses dispositions, de débouter M. [F] [G] de ses demandes de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, d'indemnité de préavis, de congés payés sur préavis, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'arriéré de prime 2019 et de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sollicite en outre la condamnation de M. [F] [G] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 04 novembre 2022. L'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 09 décembre 2022 et mise en délibéré au 24 février 2023.
MOTIFS
Sur le licenciement
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les limites du litige et il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave d'en rapporter la preuve.
Dans la lettre de licenciement du 14 avril 2020, l'employeur invoque à l'encontre du salarié de multiples manquements qu'il rattache, d'une part, à une mise en danger volontaire de la santé et de la vie d'autrui et, d'autre part, à de l'insubordination envers la hiérarchie.
La FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT reproche tout d'abord au salarié d'avoir volontairement arraché dans son service les affiches apposées par la direction le 09 mars 2020, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de SRAS-COV 2, qui informaient les visiteurs de la mise en place d'une mesure d'interdiction des visites (pièce n°22 du demandeur). M. [F] [G] reconnaît avoir enlevé l'une de ces affiches dans son service, ce qui résulte également d'un message qu'il a adressé le même jour à l'un de ses collègues et auquel il déclare qu'il vient d'avoir une explication de texte avec le directeur après avoir 'arraché une grande affiche rouge sur laquelle était marquée VISITES INTERDITES' en ajoutant 'en vertu de quoi ' Ben dernières consignes de [Localité 6]...' (pièce n°27 de l'appelant).
M. [F] [G] fait valoir divers éléments pour contester le bien-fondé de l'interdiction des visites, reprochant en outre la direction de l'établissement d'avoir pris cette initiative sans respecter la résolution qui avait été prise selon lui en réunion le matin même et sans le consulter en qualité de chef de service. Il ne lui est toutefois pas reproché d'avoir exprimé son désaccord face à une décision de la direction qui est intervenue dans le contexte de la crise sanitaire dont il n'avait semble-t-il pas mesuré l'ampleur. Aucun élément ne l'autorisait en revanche à remettre en cause cette décision en prenant l'initiative d'arracher les consignes affichées par la direction.
La FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT justifie par ailleurs que, le lendemain 10 mars 2020, M. [F] [G] a pris l'initiative de communiquer ses propres consignes en autorisant les visites de la famille dans son service par des courriels ou des consignes adressées oralement à différents interlocuteurs de l'établissement (pièces n°7 et 9 de l'intimée). M. [F] [G] reconnaît pourtant dans ses conclusions (page 9) qu'il avait été informé par l'un de ses collègues, le docteur [W], de la décision prise lors de la réunion du 09 mars 2020 de limiter les visites à une personne par patient et par jour, ce qui résulte également du compte-rendu de l'entretien préalable qu'il produit (pièce n°39). Il apparaît toutefois que les consignes données par M. [F] [G] sont manifestement beaucoup plus souples et plus floues que celles décidées en réunion le 09 mars au matin et sur lesquelles il savait également que la direction était revenue au cours de la même journée en interdisant toute visite. En effet, le 10 mars 2020 par deux courriels adressés à 11h48 et 11h52, il informe la cadre-infirmière de son service que l'ensemble des patients du secteur ont droit par principe aux visites de la famille (sauf fièvre ou signe respiratoire) avec une limite d'une seule personne par visite mais sans limitation du nombre de visite (pièce n°7 de l'intimée). Le médecin adresse en outre un peu plus tard un nouveau message dans lequel il demande de transmettre à l'accueil que 'la possibilité de visites est à géométrie variable selon les secteurs'. La FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT justifie également que le 11 mars 2020, M. [F] [G] a autorisé une visite pour une personne qui n'était pas inscrite sur la liste des visiteurs autorisés (pièce n°8).
L'employeur reproche également à M. [F] [G] son absence et celle de ses collaborateurs lors des réunions de crise organisées en urgence le 10 et le 11 mars 2020. M. [F] [G] soutient qu'il n'aurait pas été informé et convié à la réunion du 10 mars. Lors de l'entretien préalable, il précisait pourtant qu'il avait reçu une invitation par téléphone le 9 mars lui annonçant de manière erronée le déclenchement du plan blanc. Plutôt que de participer de manière constructive à cette réunion en prenant en compte le contexte sanitaire, M. [F] [G] a préféré se retrancher derrière une erreur sur l'objet de la réunion et manifester son désaccord à l'égard des mesures proposées en adressant des consignes contraires par courriel le matin même de la réunion puis en critiquant de manière ironique dans un courriel une affiche d'information sur le coronavirus (pièce n°15 de l'intimée). Il s'est également dispensé de participer à la réunion du lendemain 11 mars 2020, déclarant pour s'en expliquer lors de l'entretien préalable que 'ce qui aurait été inexcusable aurait été de ne pas être au chevet des patients' (pièce n°39).
La FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT fait également mention d'une réunion du comité de direction et des médecins (CODIMED) du 17 janvier 2020 au cours de laquelle M. [F] [G] aurait adopté une attitude humiliante et agressive à l'égard de la directrice des soins devant les autres participants, la traitant d'incompétente notoire, affirmant qu'elle n'avait pas sa place dans l'établissement. M. [F] [G] conteste cet élément qui est en revanche confirmé par l'intéressée qui explique (pièce n°10 de l'intimée) que M. [F] [G] aurait clos la discussion en criant 'ça suffit maintenant, je refuse de discuter davantage avec vous, vous êtes une incompétente notoire, vous ne comprenez rien et vous n'avez rien à faire ici'. Cette attitude du médecin est également confirmée par cinq participants à la réunion (pièce n°21) et le grief apparaît dès lors établi par l'employeur. La réaction inadaptée de M. [F] [G] à l'égard d'un cadre infirmier lors d'une présentation le 06 mars 2020 est également confirmée par un médecin de l'établissement, le Dr [H] [S] (pièce n°14 de l'intimée) et doit également être considéré comme établie.
Le Dr [X] [W] confirme également dans un courrier du 11 mai 2020, les tensions entre l'administration et M. [F] [G], son chef de service qui l'ont amené à devenir l'interlocuteur privilégié de la direction de l'établissement (pièce n° 16). Il considère que, dans le cadre de la pandémie de COVID-19, certains écrits et agissements de M. [F] [G] ont potentiellement généré un risque pour les patients de l'unité qu'il gérait.
Au vu de ces éléments, l'employeur démontre que, dans un contexte de relations manifestement difficiles entre M. [F] [G] et les autres intervenants au sein de l'établissement, le médecin a adopté une attitude d'opposition systématique à l'occasion de la crise sanitaire du COVID-19, en ne participant pas aux réunions de crise tout en s'opposant à l'application des mesures prises par la direction et en transmettant des consignes contraires. Cette attitude, de la part d'un médecin qui exerçait les fonctions de chef du service de médecine, est constitutive d'une faute et rendait en outre impossible le maintien du salarié dans l'établissement pendant la durée du préavis. Il convient en conséquence de confirmer le jugement du 02 juillet 2021 en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une faute grave et débouté M. [F] [G] de ses demandes incidentes.
Sur la demande d'arriéré de prime
M. [F] [G] sollicite le paiement d'une prime exceptionnelle pour l'année 2019. Il résulte des bulletins de salaire qu'il produit qu'il a perçu certains mois une somme sous l'intitulé 'prime exceptionnelle'. Son montant varie toutefois de manière importante d'une année sur l'autre :
- 12 000 euros bruts au mois d'avril 2013,
- 3 000 euros bruts au mois de juin 2013,
- 25 340 euros bruts au mois d'avril 2014,
- 5 000 euros bruts au mois de mars 2015,
- 25 189 euros bruts au mois d'avril 2015,
- 5 000 euros bruts au mois de février 2016,
- 27 766 euros bruts au mois d'avril 2016,
- 35 000 euros bruts au mois de février 2017,
- 5 000 euros bruts au mois de mars 2017,
- 35 000 euros bruts au mois de février 2018,
- 40 000 euros bruts au mois de mars 2019.
Il ne justifie pas toutefois que le montant de cette prime était déterminé à l'avance, selon des règles précises, ni qu'elle bénéficiait à l'ensemble d'une même catégorie de personnel. Il n'est dès lors pas démontré que le versement de cette prime constituait un usage susceptible d'être opposé à l'employeur. Il convient donc de confirmer le jugement du 02 juillet 2021 en ce qu'il a débouté M. [F] [G] de cette demande.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [F] [G] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de l'issue du litige, il convient de condamner M. [F] [G] aux dépens de l'appel. Par équité, il sera en outre condamné à payer à la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera débouté de la demande présentée sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Saverne du 02 juillet 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [F] [G] aux dépens de la procédure d'appel ;
CONDAMNE M. [F] [G] à payer à la FONDATION DE LA MAISON DU DIACONAT la somme de 2 000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE M. [F] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 24 février 2023, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.
Le Greffier Le Président