MINUTE N° 133/23
Copie exécutoire à
- Me Claus WIESEL
- Me Sophie BEN AISSA-ELCHINGER
Le 15.03.2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 15 Mars 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/01845 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HRWH
Décision déférée à la Cour : 18 Mars 2021 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 3ème chambre civile
APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :
S.A.R.L. [T] [D]
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Claus WIESEL, avocat à la Cour
INTIMEE - APPELANTE INCIDEMMENT :
S.N.C. LIDL
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Sophie BEN AISSA-ELCHINGER, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société LIDL est une chaîne de supermarchés. La société [T] [D] exerce une activité de boulangerie-pâtisserie, et dans le cadre de leurs activités, la société LIDL a conclu avec la société [T] [D] un bail de sous-location dans sa galerie marchande, bail signé le 13 août 2001 à effet du 05 Septembre 2001, moyennant un loyer annuel de 6 402.36 € pour l'exploitation d'une activité de boulangerie-pâtisserie.
A la fin de l'année 2017, la société [T] [D] a appris que société LIDL allait quitter les lieux et elle a décidé d'en faire de même le 28 Février 2018.
La société [T] [D] a estimé avoir subi un préjudice de 196 363.80 € HT, qu'elle impute à la société LIDL au titre d'une indemnité d'éviction suite à la fin du bail décidée par la société LIDL.
Par acte d'huissier de justice en date du 11 mars 2019, la société [T] [D] a assigné la société LIDL devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour que la juridiction saisie, à titre principal, prononce la résiliation judiciaire du bail de sous-location aux torts exclusifs de la société LIDL, condamne la société LIDL à lui payer la somme de 252 000 € TTC à titre d'indemnisation, à titre subsidiaire, dise et juge que le contrat de sous-location a été rompu de manière anticipée et condamne la société LIDL à payer à la société [T] [D] 252 000 € TTC, condamne la société LIDL à payer à la société [T] [D] la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du CPC, condamne la société LIDL à payer tous les frais et dépens de la procédure, et ordonne l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
La société LIDL a conclu à la prescription de l'action en requalification du contrat, à l'absence de bien fondé d'une demande d'indemnité d'éviction de la part de la société [T] [D]. La société LIDL a estimé ne pas avoir donné congé à la société [T] [D] ni d'avoir décidé de reprendre les locaux, et a affirmé qu'elle avait simplement accepté la rupture anticipée du bail. Elle a demandé au Tribunal de ne retenir aucune faute à son égard et à ce que lui soit versé 10 000 € pour les frais de procédure.
Par jugement du 18 mars 2021, le Tribunal judiciaire de STRASBOURG a :
- déclaré la demande recevable,
- débouté la SARL [T] de ses demandes,
- débouté la SNC LIDL de sa demande fondée sur l'article 700 du CPC,
- condamné la SARL [T] aux dépens de l'instance
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration faite au greffe le 1er avril 2021, la société [T] [D] a fait appel de cette décision.
Par déclaration faite au greffe le 4 juin 2021, la société LIDL s'est constituée intimée.
Par ses dernières conclusions du 10 mai 2021 auxquelles était joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la société [T] [D] demande à la Cour de :
Dire et juger les prétentions de la société SARL [T] [D] recevables et bien fondées.
Débouter la société LIDL de l'intégralité de ses demandes.
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG le 18 mars 2021.
En conséquence,
A titre principal :
Constater l'existence du bail commercial ayant uni la société LIDL à la société [T] [D] pour ce qui concerne les locaux sis [Adresse 5],
Ordonner une expertise judiciaire permettant le calcul de l'indemnité d'éviction due par la société LIDL au profit de [T] [D],
A titre infiniment subsidiaire :
Prononcer la résiliation judiciaire du bail de sous-location du 13 août 2001 à la date du 28 février 2018 et ce aux torts exclusifs de la société LIDL,
Condamner la société LIDL à payer à la société [T] [D] la somme de 196.363,80 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2019,
En tout état de cause :
Condamner la société LIDL à payer à la société [T] [D] la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du CPC,
Condamner la société LIDL à payer tous les frais et dépens de la procédure.
Par ses dernières conclusions datées du 17 août 2021 auxquelles était joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la société LIDL demande à la Cour de :
A titre principal,
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société [T] [D] recevable en sa demande de requalification en bail commercial du contrat de sous-location du 13 août 2013,
Recevoir la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société LIDL en application des dispositions de l'article L 145-60 du code de commerce,
Juger irrecevable la demande formée par la société [T] [D] en reconnaissance d'un bail commercial pour ce qui concerne les locaux sous-loués et l'en débouter,
A titre subsidiaire,
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société [T] [D] de ses demandes, fins et prétentions,
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande de la société LIDL au titre des frais irrépétibles
Statuant à nouveau,
Condamner la société [T] [D] à payer à société LIDL la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du CPC au titre des frais irrépétibles de première instance.
Y ajoutant,
Condamner la société [T] [D] à payer à la société LIDL la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du CPC au titre des frais irrépétibles d'appel,
Condamner la société [T] [D] aux dépens d'appel.
La Cour se référera aux dernières conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 janvier 2022.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 21 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande formulée à titre principal :
- Sur la nature du contrat liant les parties :
L'article L. 145-1 du code de commerce précise à son I. : 'Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat immatriculée au registre national des entreprises, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :
1° Aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe ;
2° Aux baux des terrains nus sur lesquels ont été édifiées - soit avant, soit après le bail - des constructions à usage commercial, industriel ou artisanal, à condition que ces constructions aient été élevées ou exploitées avec le consentement exprès du propriétaire.'
Il est rappelé que le statut des baux commerciaux peut également être appliqué à un contrat de sous-location.
Il est relevé que le contrat, versé en pièce annexe n°2 par l'appelante, liant les parties est dénommé 'bail de sous-location sous condition suspensive', que la société LIDL donne à location les lieux situés à [Adresse 5] à l'usage exclusif d'une activité de boulangerie-pâtisserie. Ce bail, conclu le 13 août 2001, a pris effet le 5 septembre 2001 pour une durée de neuf années, soit jusqu'au 4 septembre 2010. Le contrat prévoit également : 'les lieux loués devront être garnis en tout temps de marchandises, d'agencements et de mobiliers en quantité et valeur suffisantes pour répondre du paiement du loyer et de l'exécution de toutes les conditions du bail'. Il ressort clairement du texte du contrat que l'exploitation du fonds de commerce du preneur dans les locaux est une condition essentielle du bail puisqu'il prévoit une résiliation de plein droit en cas de fermeture du fonds ou d'arrêt d'exploitation. Le contrat prévoit un loyer annuel en contrepartie de la mise à disposition du bien.
Comme l'a retenu à juste titre le premier juge, le contrat a été conclu dans le but de mettre à disposition un local commercial contre paiement d'un loyer et dans le but d'exploiter un fonds de commerce. Ainsi, qu'importe que les parties aient conclu un contrat de location ou de sous-location, elles étaient liées par un bail commercial.
Il ressort des déclarations mêmes des parties que la SARL [T] [D] s'est maintenue dans les lieux après la date de fin du bail. Les parties n'ayant pas fourni de pièces permettant d'affirmer que ce maintien dans les lieux s'est fait sous de nouvelles conditions, le bail commercial a été reconduit tacitement par les parties après le 4 septembre 2010.
- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action :
Aux termes de l'article L. 145-60 du Code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
L'action de la SARL [T] [D] porte principalement sur les conditions dans lesquelles le bail a pris fin et sur la demande en paiement d'une indemnité d'éviction et non sur la requalification juridique du contrat. En tout état de cause, l'application des dispositions relatives au bail commercial à un contrat de sous-location de locaux commerciaux pour l'exploitation d'un fonds de commerce, n'implique pas de requalification juridique du contrat.
L'appelante fait valoir que son départ le 28 février 2018 des locaux objet du bail commercial, l'a été en raison de la fermeture du supermarché exploité par la société LIDL le même jour et que cette circonstance lui ouvre droit au paiement d'une indemnité d'éviction. Aucun congé n'ayant été délivré, il convient de se placer au départ effectif des lieux de la SARL [T] [D] pour faire courir la prescription de l'action.
Il est admis par les parties et il ressort des échanges entre elles, que la SARL [T] [D] a quitté les lieux le 28 février 2018. Ainsi, la prescription a commencé à courir à compter du 1er mars 2018 tel que l'a retenu le premier juge. La société [T] [D] ayant assigné la société LIDL le 11 mars 2019, son action n'était pas prescrite.
Il convient de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 18 mars 2021 en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir de la société LIDL tirée de la prescription de l'action.
- Sur la demande en indemnité d'éviction :
Au sujet de l'indemnité d'éviction, l'article L. 145-14 du code de commerce prévoit, que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Il est relevé que l'appelante ne produit aucun courrier de refus de renouvellement du bail ou de congés lui ayant été adressé par la société LIDL. Elle ne justifie pas non plus qu'il lui a été refusé de se maintenir dans les lieux jusqu'à l'échéance du bail ou après celle-ci.
En revanche, sont produits des échanges de mails dans lesquels Monsieur [T] [D] demande, à plusieurs reprises, à la société LIDL la possibilité de résilier le bail de manière anticipée pour que sa société puisse quitter les lieux à la date de fermeture du magasin LIDL, le 28 février 2018. Dans un courrier en date du 18 décembre 2017, produit par l'appelante et portant la mention 'lettre recommandée + accusé de réception', Monsieur [T] [D] indique : 'nous avons pris bonne note que vous quittez les lieux à compter du 28 février 2018. Par la présente, nous vous confirmons que nous quitterons les lieux au 28 février 2018'. Un second courrier en date du 2 janvier 2018 précise 'suite à notre courrier du 19 décembre dernier, nous vous remercions d'accepter notre résiliation amiable du bail'.
La potentielle perte de clientèle qu'aurait subi la SARL [T] [D] si elle était restée dans les lieux après la fermeture du supermarché de la société LIDL, ne peut pas être interprétée comme un défaut de renouvellement du bail commercial ouvrant droit au bénéfice de l'indemnité d'éviction.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la SARL [T] [D] n'a pas été privée du bail commercial qui lui avait été consenti par la société LIDL en raison d'un défaut de renouvellement.
Dans ces conditions, elle ne justifie pas pouvoir bénéficier du droit au paiement d'une indemnité d'éviction.
Il convient de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en ce qu'il a rejeté la demande de la SARL [T] [D] en paiement d'une indemnité d'éviction.
La demande en désignation d'un expert intervenant dans le cadre de la fixation du montant de l'indemnité d'éviction est également rejetée, comme étant devenue sans objet.
Sur la demande en résiliation judiciaire :
L'article 1224 du code civil prévoit, notamment, la possibilité d'une résiliation judiciaire en cas d'inexécution suffisamment grave du contrat.
Tel qu'il l'a été exposé dans les précédents développements, la SARL [T] [D] a elle-même admis avoir résilié de manière anticipée le bail qui devait prendre fin en août 2018.
En conséquence, elle ne peut pas reprocher à la société LIDL, d'une part, de ne pas lui avoir donné congé et, d'autre part, de ne pas lui avoir délivré la chose louée conformément à la destination stipulée au bail postérieurement à son départ volontaire.
Par ailleurs, la solution retenue dans l'arrêt de la Cour de cassation (Cass. Civ. 3ème, 19 décembre 2012, n°11-23.541) dont se prévaut l'appelante ne peut pas être transposée aux faits d'espèce puisqu'ils concernent le cas d'un preneur, demeuré seul commerçant dans une ancienne galerie commerciale, qui a subi un préjudice du fait du dépérissement de ce centre. La SARL [T] [D] n'étant pas demeurée dans le local commercial, elle ne peut se prévaloir d'aucun préjudice.
Enfin, la seule fermeture du supermarché exploité par la société LIDL ne suffit pas à caractériser une inexécution du contrat de bail liant les parties. Effectivement, l'ouverture de ce supermarché n'est ni une condition suspensive du bail commercial, ni un élément essentiel de ce dernier. Le bail ayant été conclu dans le but de mettre à disposition un local commercial contre le paiement d'un loyer afin que la SARL [T] [D] exploite son fonds de commerce et non pas dans le but de mettre à disposition une clientèle pour cette exploitation, il ne peut pas être reproché à la société LIDL une perte hypothétique de clientèle en raison de son départ des lieux.
Il convient de confirmer le jugement en date du 18 mars 2021 du tribunal judiciaire de Strasbourg en ce qu'il a rejeté la demande de la SARL [T] [D] en résiliation judiciaire du bail et ses demandes en dommages et intérêts.
Sur les frais et dépens :
Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les frais et dépens et sur la somme octroyée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL [T] [D] succombant, il convient de la condamner aux frais et dépens d'appel.
L'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.
P A R C E S M O T I F S
LA COUR,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 18 mars 2021,
Et y ajoutant,
REJETTE, la demande de la SARL [T] [D] en désignation d'un expert judiciaire,
CONDAMNE la SARL [T] [D] aux entiers dépens d'appel,
REJETTE la demande présentée par la S.N.C. LIDL sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande présentée par la SARL [T] [D] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière : la Présidente :