GLQ/KG
MINUTE N° 23/347
Copie exécutoire
aux avocats
le 14 avril 2023
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 14 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02204
N° Portalis DBVW-V-B7F-HSJX
Décision déférée à la Cour : 08 Mars 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG
APPELANTE :
Madame [E] [F]
[Localité 2]
Représentée par Me Christine BOUDET, Avocat à la Cour
INTIMÉE :
S.A.R.L. PRODUNET
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 451 575 096
[Adresse 1]
Représentée par Me Laurie TECHEL, Avocat au barreau
de Strasbourg
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre, et Mme ARMSPACH-SENGLE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par un contrat à durée déterminée du 22 juillet 2011, la S.A.R.L. PRODUNET a embauché Mme [E] [F] en qualité d'agent de service en contrat à durée déterminée à temps partiel jusqu'au 25 août 2011. Le contrat de travail a fait l'objet d'avenants successifs qui ont prolongé sa durée et modifié le temps de travail de Mme [E] [F].
Par un avenant du 31 août 2012, le contrat à durée déterminée a été transformé en contrat à durée indéterminée.
Par courrier du 20 octobre 2017, la S.A.R.L. PRODUNET a notifié à Mme [E] [F] une mise en garde pour un retard dans la prise de poste.
Par courrier du 27 octobre 2017, la S.A.R.L. PRODUNET a adressé à Mme [E] [F] un avertissement pour avoir cherché à dissimuler deux retards successifs constatés le 26 octobre et le 27 octobre 2017 et pour ne pas avoir correctement rangé son matériel.
Par courrier du 04 novembre 2017, la S.A.R.L. PRODUNET a adressé à Mme [E] [F] un second avertissement pour ne pas avoir réalisé toutes les tâches prévues, ne pas avoir effectué correctement son travail et avoir laissé les lumières allumées en quittant les locaux.
Par courrier du 14 novembre 2017, Mme [E] [F] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 24 novembre 2017.
Par courrier du 29 novembre 2017, la S.A.R.L. PRODUNET a notifié à Mme [E] [F] son licenciement pour des retards, pour son mauvais comportement et pour avoir laissé les lumières allumées en quittant les locaux. Le licenciement a pris effet à l'issue d'un préavis de deux mois.
Le 09 juillet 2018, Mme [E] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg.
Par jugement du 08 mars 2021, le conseil de prud'hommes a :
- rejeté la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein,
- dit que le comportement de Mme [E] [F] constitue un motif légitime de licenciement,
- débouté Mme [E] [F] de ses demandes d'indemnité pour licenciement nul, licenciement abusif et licenciement irrégulier,
- condamné la S.A.R.L. PRODUNET à payer à Mme [E] [F] la somme de 327,45 euros, outre 32,75 euros pour les congés payés afférents, au titre du maintien de salaire pour la période d'absence pour maladie du
1er septembre au 08 octobre 2017,
- débouté Mme [E] [F] pour le surplus,
- débouté la S.A.R.L. PRODUNET de sa demande reconventionnelle,
- condamné la S.A.R.L. PRODUNET aux dépens.
Mme [E] [F] a interjeté appel le 23 avril 2021.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 décembre 2021, Mme [E] [F] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la S.A.R.L. PRODUNET à payer les sommes de 327,45 euros bruts et 32,75 euros bruts au titre du maintien de salaire du 1er septembre au 08 octobre 2017. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, de :
- dire que les avertissements du 27 octobre et du 04 novembre 2017 sont nuls,
- dire que le licenciement est nul,
- condamner la S.A.R.L. PRODUNET à payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- à titre subsidiaire, dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner la S.A.R.L. PRODUNET à payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- à titre subsidiaire, en cas de requalification du contrat en temps plein, condamner la S.A.R.L. PRODUNET à payer la somme de 9 109,32 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou la somme de 2 863,08 euros en l'absence de requalification en temps plein,
-condamner la S.A.R.L. PRODUNET à payer à Mme [E] [F] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier ou la somme de 450 euros en l'absence de requalification en temps plein,
- condamner la S.A.R.L. PRODUNET à payer la somme de 37 501,58 euros bruts, outre 3 750,15 euros bruts pour les congés payés afférents, au titre des rappels de salaire pour la requalification du contrat en temps plein,
- condamner la S.A.R.L. PRODUNET à payer la somme de 1 637,47 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- ordonner la rectification des bulletins de paie et des documents de fin de contrat dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision puis sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
- condamner la S.A.R.L. PRODUNET au paiement de la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
- débouter la S.A.R.L. PRODUNET de ses demandes,
- condamner la S.A.R.L. PRODUNET aux dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2021, la S.A.R.L. PRODUNET demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu le caractère irrecevable des demandes formées par Mme [E] [F] au titre de l'exécution du contrat de travail et en ce qu'il n'a pas déclaré prescrite la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein. En conséquence, elle demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes formées au titre de l'exécution du contrat de travail et prescrite la demande de requalification du contrat.
Elle demande par ailleurs à la cour de confirmer le jugement pour le surplus, de débouter Mme [E] [F] de toutes ses demandes et de la condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 31 mai 2022. L'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 10 février 2023 et mise en délibéré au 14 avril 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes additionnelles
Aux termes de l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Il résulte par ailleurs de l'article 70 du même code que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, dans la requête introductive d'instance déposée le 09 juillet 2018, Mme [E] [F] sollicitait la condamnation de l'employeur au paiement d'absences pour maladie non rémunérées et contestait le licenciement prononcé à son encontre.
La S.A.R.L. PRODUNET soulève l'irrecevabilité des demandes additionnelles relatives à l'annulation de deux avertissements et à la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, demandes formulées pour la première fois dans des conclusions du 11 juin 2019.
La demande d'annulation des avertissements prononcés le 27 octobre 2017 et le 04 novembre 2017 présente toutefois un lien suffisant avec la contestation du licenciement dès lors que ces deux demandes portent sur l'exercice de son pouvoir disciplinaire par l'employeur et que surtout la lettre de licenciement fait expressément référence à ces avertissements. Il convient donc de déclarer cette demande recevable.
Il apparaît en revanche qu'en sollicitant la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein, Mme [E] [F] remet en cause la qualification du contrat de travail et qu'une telle demande ne présente pas de lien suffisant avec les demandes initiales de paiement de jours d'absence et de contestation du licenciement. Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [E] [F] de cette demande qui sera déclarée irrecevable.
Sur la demande d'annulation des avertissements
Aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
Mme [E] [F] sollicite l'annulation des avertissements notifiés le 27 octobre et le 04 novembre 2017.
Dans le courrier du 27 octobre 2017, la S.A.R.L. PRODUNET reproche à la salariée d'être arrivée avec un retard de dix minutes le 26 octobre 2017, sans prévenir l'employeur, d'avoir tenté de masquer ce retard en passant par le portail arrière du bâtiment. Elle lui reproche également d'être de nouveau arrivée en retard le lendemain et d'être passée par le même chemin pour masquer ce retard alors qu'il lui avait été demandé de ne plus procéder ainsi. L'employeur reproche également à la salariée sa négligence dans le rangement du matériel, ce qui oblige son collègue de travail à reprendre son travail, et qualifie l'attitude de la salariée de 'je m'en foutisme'.
Dans le courrier du 04 novembre 2017, l'employeur reproche à la salariée de persister dans son attitude, d'avoir quitté le bureau le 02 novembre 2017 sans nettoyer les sanitaires extérieurs alors que cela faisait partie de ses tâches et en laissant allumés les néons dans le hall alors qu'elle était la dernière personne présente. L'employeur reproche également à Mme [E] [F] de ne pas avoir effectué correctement son travail.
La S.A.R.L. PRODUNET justifie de la réalité des retards en produisant deux attestations établies par M. [P] [S] et Mme [B] [Z], salariés de l'entreprise. Elle produit en outre un courrier de mise en garde adressé le 20 octobre 2017 à la salariée arrivée en retard ce jour-là sans prévenir l'employeur.
Si Mme [E] [F] sollicite l'annulation de ces avertissements, elle ne produit aucun élément susceptible de démontrer qu'elle n'était pas en retard ces jours-là. Ce grief apparaît donc établi pour chacun des avertissements contestés. Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les avertissements étaient justifiés et de débouter Mme [E] [F] de sa demande d'annulation de ces avertissements.
Sur le licenciement
Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail,
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
Dans la lettre de licenciement du 29 novembre 2017, l'employeur reproche à la salariée, malgré une mise en garde et deux avertissements, d'être arrivé en retard le 16 et le 17 novembre 2017 et d'avoir laissé les lumières allumées en étant la dernière à quitter les lieux le 17 novembre. La S.A.R.L. PRODUNET justifie de ces éléments en produisant les attestations établies par M. [P] [S] et Mme [B] [Z] qui témoignent du retard de leur collègue de travail ces jour-là.
Mme [E] [F] soulève la nullité du licenciement, soutenant qu'elle aurait fait l'objet d'une discrimination en raison de son état de santé. Elle considère que le licenciement était motivé par le fait qu'elle avait été placée en arrêt maladie du 1er septembre au 8 octobre 2017. Il apparaît toutefois que l'employeur justifie de la réalité des griefs invoqués tant à l'appui des deux avertissements que du licenciement et démontre ainsi que ce licenciement est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Mme [E] [F] explique par ailleurs que la modification des horaires de travail, dont elle a été informée par courrier du 28 septembre 2017, ne lui serait pas opposable. Il apparaît toutefois que l'avenant du 18 avril 2013, signé par la salariée, prévoit que Mme [E] [F] débute sa journée de travail le jeudi et le vendredi à 8h30, horaire identique à celui indiqué dans le courrier du 28 septembre 2017. Il en résulte que l'employeur pouvait légitimement lui reprocher ses retards des 26 octobre, 27 octobre, 16 novembre et 17 novembre 2017.
Par ailleurs, la persistance des retards de la salariée malgré deux avertissements permet de considérer que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande fondée sur la nullité du licenciement, dit que le comportement de la salariée constituait un motif légitime de licenciement et a débouté Mme [E] [F] de ses demandes d'indemnités pour licenciement nul et pour licenciement abusif.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier
Vu l'article L. 1235-2 du code du travail,
A l'appui de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier, Mme [E] [F] fait valoir que, pour la consultation de la liste des conseillers, la lettre de convocation mentionne l'adresse de la mairie de [Localité 3] alors que son domicile est situé à [Localité 2]. Elle soutient qu'elle n'a dès lors pas été en mesure d'être accompagnée lors de l'entretien préalable et qu'elle s'est retrouvée seule face à son employeur. Elle reproche également à l'employeur de ne pas avoir fait intervenir un interprète alors qu'elle est originaire du Ghana et qu'elle ne parle pas couramment le français.
Mme [E] [F] ne produit toutefois aucun élément permettant d'établir qu'elle ne parlerait pas couramment la langue française, ce qui est contesté par l'employeur qui relève que Mme [E] [F] est présente en France depuis 1999 et que les parties ont toujours échangé en langue française sans que cela pose difficulté et sans que Mme [E] [F] demande à être accompagnée lors d'un entretien.
S'agissant de la mention de la mairie de [Localité 3] sur la lettre de convocation, Mme [E] [F] ne démontre pas que cette irrégularité ne lui aurait pas permis de se faire assister d'un conseiller lors de l'entretien préalable. Elle ne démontre pas non plus que l'absence d'un conseiller lors de cet entretien lui aurait causé un préjudice. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [E] [F] de sa demande d'indemnité pour licenciement irrégulier.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail
Mme [E] [F] ne justifiant ni d'une faute imputable à l'employeur ni d'un préjudice en résultant, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de cette demande.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la S.A.R.L. PRODUNET aux dépens.
Compte tenu de l'issue du litige, il convient de laisser à chacune des parties la charge des dépens qu'elle aura exposés au titre de la procédure d'appel et de débouter la S.A.R.L. PRODUNET de la demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Strasbourg du 08 mars 2021 en ce qu'il a débouté Mme [E] [F] de sa demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ;
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
DÉCLARE irrecevable la demande additionnelle de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ;
LAISSE les dépens de la procédure d'appel à la charge de la partie qui les aura exposés ;
REJETTE la demande formée par la S.A.R.L. PRODUNET au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 14 avril 2023, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre, et Madame Corinne Armspach-Sengle, Greffier.
Le Greffier, Le Président,