COUR D'APPEL DE COLMAR
Chambre 6 (Etrangers)
N° RG 23/02053 - N° Portalis DBVW-V-B7H-ICSH
N° de minute : 164/2023
ORDONNANCE
Nous, Catherine DAYRE, Conseiller à la Cour d'Appel de Colmar, agissant par délégation de la première présidente, assisté de Laura BONEF, greffier ;
Dans l'affaire concernant :
M. [T] [K]
né le 13 Juin 1976 à [Localité 1] (ROUMANIE)
de nationalité roumaine
Actuellement retenu au centre de rétention de [Localité 2]
VU l'arrêté pris le 02 juin 2023 par LE PREFET DE [Localité 3] faisant obligation à M. [T] [K] de quitter le territoire français ;
VU la décision de placement en rétention administrative prise le 02 juin 2023 par LE PREFET DE [Localité 3] à l'encontre de M. [T] [K], notifiée à l'intéressé le même jour à 20h05 ;
VU le recours de M. [T] [K] daté du 03 juin 2023, reçu et enregistré le même jour à 17h49 au greffe du tribunal, par lequel il demande au tribunal d'annuler la décision de placement en rétention administrative pris à son encontre ;
VU la requête de M. LE PREFET DE [Localité 3] datée du 04 juin 2023, reçue et enregistrée le même jour à 13h40 au greffe du tribunal, tendant à la prolongation de la rétention administrative pour une durée de 28 jours de M. [T] [K] ;
VU l'ordonnance rendue le 05 juin 2023 à 10h53 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, rejetant le recours de M. [T] [K], déclarant la requête de M. LE PREFET DE [Localité 3] recevable et la procédure régulière, et ordonnant la prolongation de la rétention de M. [T] [K] au centre de rétention de Geispolsheim, ou dans tout autre centre ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de 28 jours à compter du 04 juin 2023 ;
VU l'appel de cette ordonnance interjeté par M. [T] [K] par par voie électronique reçue au greffe de la Cour le 06 Juin 2023 à 10h07 ;
VU les avis d'audience délivrés le 06 juin 2023 à l'intéressé, à Maître Ahlem RAMOUL-BENKHODJA, avocat de permanence, à M. [H] [M], interprète en langue roumaine assermenté, à M. LE PREFET DE [Localité 3] et à M. Le Procureur Général ;
VU le renvoi ordonné à l'audience du 06 juin 2023 ;
Le représentant de M. LE PREFET DE [Localité 3], intimé, dûment informé de l'heure de l'audience par courrier électronique du 06 juin 2023, n'a pas comparu, mais a fait parvenir des conclusions en date du 06 juin 2023, qui ont été communiquées au conseil de la personne retenue.
Après avoir entendu M. [T] [K] en ses déclarations par visioconférence et par l'intermédiaire de M. [H] [M], interprète en langue roumaine assermenté, Maître Ahlem RAMOUL-BENKHODJA, avocat au barreau de COLMAR, commise d'office, en ses observations pour le retenu, et à nouveau l'appelant qui a eu la parole en dernier.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Le juge des libertés et de la détention de Strasbourg, par ordonnance du 5 juin 2023, dont appel, a constaté le désistement par Monsieur [T] [K] de son recours contre la décision de placement en rétention administrative prise par le préfet de [Localité 3] et ordonné la prolongation de sa rétention administrative.
Pour statuer ainsi, le premier juge a constaté que l'éloignement n'avait pu être mis à exécution dans le délai de 48 heures ; que l'administration avait effectué les diligences utiles ; que Monsieur [T] [K] ne remplissait pas les conditions d'une assignation à résidence.
Aux termes de sa déclaration d'appel Monsieur [T] [K] a sollicité l'infirmation de 'la décision de confirmation du placement en rétention administrative' et l'infirmation de la décision ordonnant la prolongation de la rétention administrative.
A l'appui de son appel, il a invoqué divers moyens au soutien de sa demande d'annulation de la décision de placement en rétention administrative.
S'agissant de la décision de prolongation de la rétention administrative , faisant valoir que les nouveaux moyens soulevés étaient recevables en application des articles 563 et 564 du code de procédure civile, Monsieur [T] [K] a soulevé l'irrégularité de la requête en prolongation de sa rétention administrative, rappelant que le juge doit vérifier la compétence du signataire de la requête en prolongation mais également qu'il est effectivement fait mention des éventuels empêchements des délégataires de signature.
Il a également soutenu qu'il avait été privé d'un procès équitable, son avocat s'étant désisté de son recours et ne l'en ayant pas informé avant l'audience.
Enfin, il a soulevé le caractère disproportionné de la prolongation de rétention administrative, du fait de sa situation personnelle, ayant toutes ses attaches en Espagne.
A l'audience, Monsieur [T] [K], assisté de son conseil a indiqué qu'il souhaitait repartir en Espagne où il a toute sa famille.
Sur l'irrecevabilité, soulevé d'office, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, de sa demande concernant la décision de placement en rétention administrative, Monsieur [T] [K], par la voie de son conseil, a fait valoir qu'il n'était pas d'accord avec le désistement.
Son conseil a indiqué reprendre les moyens développés dans la déclaration d'appel. Il a fait observer que M. [K] n'avait pas pu s'entretenir avec le conseil l'assistant en première instance ; qu'il n'avait pas l'intention de se maintenir en France ; qu'une prolongation de sa rétention administrative était disproportionnée par rapport à sa situation.
Le préfet de [Localité 3], non comparant, a conclu à la confirmation de l'ordonnance déférée.
Il a rappelé que par décision n°15-28795 du 13 juillet 2016, la Cour de cassation a pu constater que la présentation des parties est facultative et que le préfet peut utilement faire valoir son argumentation par un jeu d'écritures.
Il fait valoir que les nouveaux moyens ne peuvent être soulevés que dans le délai d'appel et que les exceptions de procédure ne sont recevables qu'en tant qu'elles ont été soulevées in limine litis devant le premier juge.
Sur l'irrégularité, tirée de l'incompétence du signataire de la requête, il a indiqué que ce moyen n'a pas été soulevé devant le premier juge; qu'en application des articles 74 et 117 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, aucune exception de nullité de fond (pouvoir du signataire) ne peut être soulevée après toute défense au fond ou fin de non-recevoir; que le moyen est donc irrecevable en appel ; qu'au surplus la délégation de signature avait pourtant été produite devant le juge des libertés et de la détention et permettait d'établir que le signataire avait compétence pour saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation de la rétention ; que la question de l'empêchement du Préfet et des personnes placées sous son autorité était inopérante ; que la signature du délégataire emporte preuve d'indisponibilité des signataires de premier rang.
S'agissant du caractère disproportionné du placement en rétention administrative il a observé que l'intéressé ne disposait pas de garanties de représentation propres à prévenir un risque de soustraction à la mesure d'éloignement et n'avait pas remis de passeport, en cours de validité, préalablement à l'audience.
Relativement au déroulement de l'audience devant le premier juge, l'intimé a rappelé que l'intéressé avait été assisté d'un avocat choisi.
Sur quoi
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel de Monsieur [T] [K], à l'encontre de l'ordonnance rendue le 5 juin 2023 à 10h53 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, interjeté le 6 juin 2023 à 10h07, est recevable pour avoir été formé dans le délai prévu a l'article R 743-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision de placement en rétention administrative
La cour ne peut que constater que, devant le premier juge, Monsieur [T] [K] s'est désisté de son recours à l'encontre de la décision de placement en rétention administrative, de sorte que son désistement a été constaté.
C'est à tort que le rédacteur de la déclaration d'appel a pu demander à la cour 'l'infirmation de la décision de confirmation du placement en rétention administrative', alors même que le premier juge n'a pas statué sur cette décision de placement en rétention administrative et ne peut donc l'avoir confirmée.
La demande, qui vise de fait à l'annulation de la décision de placement en rétention administrative, constitue donc une demande nouvelle, irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile.
Sur la régularité de la requête en prolongation de la rétention administrative
Aux termes de l' article 117 du code de procédure civile, constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte, le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice et, en vertu de l'article 118 du même code, elle peut être proposée en tout état de cause, y compris à hauteur d'appel.
Il sera relevé que, conformément à l'article 74 du code de procédure civile, l'irrégularité a bien été soulevé in limine litis.
Il convient donc d'examiner cette demande, même si elle n'a pas été invoquée devant le premier juge.
En application de l'article R743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le juge a l'obligation de vérifier la compétence du signataire de la requête.
En l'espèce, la requête en prolongation de la rétention administrative a été signée par Monsieur [S] [X], secrétaire général de la préfecture, lequel est expressément déléguée pour présenter les requêtes en prolongation de rétention administrative, aux termes de l'arrêté préfectoral portant délégation, en date du 15 février 2023.
La preuve, par le préfet , de l'indisponibilité des signataires de premier rang n'est pas exigée par le texte et la signature du délégataire emporte preuve de leur empêchement.
Il s'ensuit que l'irrégularité soulevée n'est pas fondée.
Sur le bien fondé de la prolongation
Le moyen tiré du fait que l'appelant n'aurait pas eu droit à un procès équitable, sera écarté en raison de son caractère inopérant, puisque Monsieur [T] [K] n'en tire pas la conclusion juridique qui s'impose en demandant l'annulation de la décision déférée.
Aux termes de l'article L742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le maintien en rétention au-delà de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision de placement initiale peut être autorisé, pour une durée de vingt-huit jours par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par l'autorité administrative.
Le texte n'impose aucune condition à cette prolongation, si ce n'est que, conformément à l'article L. 741-3 du code susvisé, l'administration effectue toutes les diligences nécessaires à l'éloignement de l'intéressé, en temps utile.
Il sera observé, d'une part, que la prolongation de la mesure de rétention administrative n'est pas un acte administratif mais un acte judiciaire, or le "caractère disproportionné " ne peut être invoqué qu'à l'encontre d'un acte administratif et d'autre part, que cette prolongation est fondée sur les dispositions de l'article L742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne prévoit pas comme condition d'octroi de la prolongation , l'examen d'une quelconque proportionnalité, mais qui exige que l'administration justifie avoir effectué toutes les "diligences utiles" suffisantes pour réduire au maximum la période de rétention de l'étranger, ce qui a été accompli par l'administration, dès lors que l'administration est dans l'attente d'un routing à destination de la Roumanie, demandé le 3 juin 2023.
Pour le surplus, la cour considère que c'est par une analyse circonstanciée et des motifs particulièrement pertinents, qu'il convient d'adopter, que le premier juge a considéré que Monsieur [T] [K] ne remplissait pas les conditions d'une assignation à résidence.
C'est donc à bon droit, que le premier juge a prolongé sa rétention administrative.
L'ordonnance déférée sera par conséquent confirmée.
PAR CES MOTIFS
DÉCLARONS l'appel de Monsieur [T] [K] recevable en la forme,
Le rejetant,
DÉCLARONS irrecevable la demande visant à l'annulation de la décision de placement en rétention administrative,
CONFIRMONS l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 5 juin 2023.
RAPPELONS à l'intéressé les droits qui lui sont reconnus pendant la rétention :
- il peut demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil ainsi que d'un médecin,
- il peut communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix ;
DISONS avoir informé M. [T] [K] des possibilités et délais de recours contre les décisions le concernant.
Prononcé à Colmar, en audience publique, le 07 Juin 2023 à 14h43, en présence de
- l'intéressé par visio-conférence
- Maître Ahlem RAMOUL-BENKHODJA, conseil de M. [T] [K]
- de l'interprète, lequel a traduit la présente décision à l'intéressé lors de sa remise/son prononcé.
Le greffier, Le président,
reçu notification et copie de la présente,
le 07 Juin 2023 à 14h43
l'avocat de l'intéressé
Maître Ahlem RAMOUL-BENKHODJA
Comparant
l'intéressé
M. [T] [K]
né le 13 Juin 1976 à [Localité 1] (ROUMANIE)
Comparant par visioconférence
l'interprète
M. [H] [M]
Comparant
l'avocat de la préfecture
La SELARL CENTAURE
Non comparante
EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
- pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition,
- le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou en rétention et au ministère public,
- le délai du pourvoi en cassation est de deux mois à compter du jour de la notification de la décision, ce délai étant augmenté de deux mois lorsque l'auteur du pourvoi demeure à l'étranger,
- le pourvoi en cassation doit être formé par déclaration au Greffe de la Cour de cassation qui doit être obligatoirement faite par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
- l'auteur d'un pourvoi abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile,
- ledit pourvoi n'est pas suspensif.
La présente ordonnance a été, ce jour, communiquée :
- au CRA de [Localité 2] pour notification à M. [T] [K]
- à Maître Ahlem RAMOUL-BENKHODJA
- à M. LE PREFET DE [Localité 3]
- à la SELARL CENTAURE AVOCATS
- à M. Le Procureur Général près la Cour de ce siège.
Le Greffier
M. [T] [K] reconnaît avoir reçu notification de la présente ordonnance
le À heures
Signature de l'intéressé