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MINUTE N° 24/207
Copie exécutoire
aux avocats
Copie à Pôle emploi
Grand Est
le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 12 MARS 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/01182 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HZRC
Décision déférée à la Cour : 24 Février 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE MULHOUSE
APPELANT :
Monsieur [S] [H]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean-luc ROSSELOT, avocat au barreau de MULHOUSE
INTIMEE :
Fondation [5] Prise en la personne de son représentant légal.
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Julie HOHMATTER, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. ROBIN, Président de chambre, chargé du rapport,
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées,
- signé par M. ROBIN, Président de chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
[5] a embauché M. [S] [H] en qualité d'infirmier à compter d'août 2013 ; à la suite d'une formation d'une année, M. [S] [H] a accédé aux fonctions d'infirmier anesthésiste. Le 28 mai 2019, M. [S] [H] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a été mis à pied à titre conservatoire ; par lettre du 24 juin 2019, il a été licencié pour faute grave, l'employeur lui reprochant des pratiques professionnelles à risques, un défaut de respect des obligations en matière de comptabilisation des heures de travail, des comportements contribuant à générer des risques psychosociaux ainsi que des dénigrements, des humiliations, des intimidations et des propos vexatoires.
M. [S] [H] a contesté ce licenciement.
Par jugement du 24 février 2022, le conseil de prud'hommes de Mulhouse, a dit que le licenciement de M. [S] [H] ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse et a condamné [5] à lui payer la somme de 3 269,50 euros au titre de la rémunération durant la période de mise à pied conservatoire, celles de 9 040,68 euros et 904 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et celle de 6 592,16 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, outre une indemnité de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'essentiel, le conseil de prud'hommes a considéré que les faits reprochés à M. [S] [H] suite au signalement des médecins étaient établis et constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement mais qu'en revanche le défaut de respect des horaires de travail n'était démontré par aucun élément probant ; il a également relevé que plusieurs témoins dénonçaient le caractère nocif du comportement du salarié, mais que d'autres collègues de travail faisaient état d'un comportement respectueux et d'une attitude positive ; il a estimé que les faits suffisamment démontrés étaient cependant insuffisants pour caractériser une faute grave susceptible de justifier une rupture immédiate du contrat de travail.
Le 22 mars 2022, M. [S] [H] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes concernant le caractère infondé du licenciement et l'indemnisation de son préjudice de ce chef.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 4 octobre 2023, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 16 janvier 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu'à ce jour.
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Par ses conclusions déposées le 16 décembre 2022, M. [S] [H] demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement déféré, de dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner [5] à lui payer la somme de 27 122 euros à titre de dommages et intérêts ; il sollicite la confirmation du jugement pour le surplus et l'octroi d'une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [S] [H] relève que les manquements professionnels dénoncés par des médecins ne sont ni précis ni circonstanciés et qu'ils sont imputés indifféremment à deux infirmiers travaillant dans des salles d'opération différentes, de sorte qu'il n'est pas possible
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de les lui reprocher ; il ajoute que la lettre censée émaner d'un collectif de médecins a été signée par un seul d'entre eux, dont l'identité est au demeurant ignorée. M. [S] [H] conteste également chacun des reproches, en relevant que certains étaient trop anciens pour pouvoir donner lieu à une sanction disciplinaire. Par ailleurs, il invoque le témoignage de collègues de travail attestant de son professionnalisme et de son engagement professionnel. Il conteste tout manquement à ses obligations au titre de la comptabilisation de son temps de travail, ainsi que l'existence de propos vexatoires et de dénigrements.
Par conclusions déposées le 18 juillet 2022, [5] demande à la cour de rejeter l'appel principal et, interjetant appel incident, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave et en ce qu'il l'a condamnée au paiement de diverses sommes, de débouter M. [S] [H] de toutes ses demandes et de le condamner au paiement d'une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
[5] soutient que la matérialité des faits reprochés à M. [S] [H] est suffisamment démontrée, notamment par la démarche inhabituelle d'un collectif de médecins-réanimateurs dont la lettre est corroborée par des attestations concordantes. Elle conteste par ailleurs le montant des dommages et intérêts réclamés par M. [S] [H] au titre de l'indemnisation de son licenciement, en soulignant que le salarié a retrouvé rapidement du travail.
SUR QUOI
Sur le licenciement
Le motif du licenciement
Conformément à l'article L. 1235-1 alinéas 3 du code du travail, en cas de litige, et à défaut d'accord entre les parties, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; selon l'alinéa 5 du même article, si un doute subsiste il profite au salarié.
Pour justifier des griefs invoqués au soutien du licenciement de M. [S] [H], [5] se réfère principalement à une lettre du 5 juin 2019 mentionnant en objet « comportement de 2 membres de l'équipe d'IADES ».
Si cette lettre à l'en-tête « Clinique du [5] » affirme qu'elle est écrite pour « les médecins anesthésistes exerçant au sein de l'établissement », elle porte cependant une signature unique d'une personne qui n'est pas identifiée par la lettre et qui agirait pour « la SELARL des ANESTHESISTES ». Cette lettre, qui a été rédigée après l'engagement de la procédure disciplinaire le 28 mai 2019, ne revêt pas la forme des attestations destinées à être produites en justice. Si elle peut démontrer que [5] a été alertée sur un « dysfonctionnement important au sein de l'équipe d'infirmiers anesthésistes et de la salle de réveil », en revanche elle est en elle-même dépourvue de force probante quant aux faits qu'elle relate.
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En outre, le contenu de la lettre ne fait pas état de faits précis que M. [S] [H] aurait commis personnellement, mais mentionne seulement que « les infirmiers anesthésistes concernés par ces dysfonctionnements sont [S] [H] et [D] [K] » sans préciser en quoi chacun d'eux serait concerné.
Cette lettre ne permet donc pas de démontrer les faits reprochés à M. [S] [H] au soutien d'un licenciement pour motif disciplinaire.
[5], qui, dès le 28 mai 2019, avait convoqué M. [S] [H] à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, ne démontre pas avoir mené des investigations pour vérifier la réalité des faits portés à sa connaissance, tels que décrits par la lettre ci-dessus, et en identifier les auteurs.
Elle produit une attestation établie par un salarié, M. [J] [U], dont il résulte qu'il existait un « mal être général dans l'équipe d'anesthésie » ainsi qu'une « détérioration de l'ambiance et de la solidarité », que le témoin impute à « de l'attitude hautaine, des dérives et sarcasmes de 3 collègues : Mme [V], MM [K] et [H] » ; cependant, le seul fait précis imputé à M. [S] [H] est d'avoir été l'auteur d'une « blague de mauvais goût » en plaçant un chariot d'urgence et de défibrillation dans la salle où un collègue atteint de troubles cardiaques devait intervenir, avec un mot à l'attention de ce collègue. Si l'attestation ne précise pas la date de ces faits, il résulte en revanche de celle établie par Mme [Y] [Z] que celle-ci les a constatés « début d'année 2016 » et que les deux auteurs s'en sont eux-mêmes vantés « le lendemain ». Ils ne peuvent donc être utilement invoqués au soutien d'un licenciement disciplinaire intervenu plus de trois ans après.
[5] ne rapporte ainsi aucune preuve d'un fait matériel précis susceptible de caractériser une faute disciplinaire commise par M. [S] [H] et dont elle aurait eu connaissance moins de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire, alors que le salarié produit de son côté des attestations de plusieurs collègues de travail démontrant qu'il était apprécié pour ses qualités professionnelles et humaines.
En conséquence, il convient de juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Les conséquences du licenciement
Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, à défaut de réintégration dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article.
En l'espèce, à la date de son licenciement, M. [S] [H] avait une ancienneté de cinq années complètes. Son salaire brut s'était élevé à 49 164,94 euros au cours de l'année 2018, soit 4 097,08 euros par mois, et à 20 394,55 euros hors mise à pied conservatoire pour les cinq premiers mois de l'année 2019, soit 4 078,91 euros par mois.
M. [S] [H] ne justifie pas d'avoir connu une période de chômage à la suite de son licenciement ; en tout état de cause, il a retrouvé du travail moins de quatre mois plus tard, puisqu'il a été intégré dans la fonction publique hospitalière à compter du 1er octobre 2019 ; le revenu qu'il a perçu au cours de la première année dans la fonction publique hospitalière est cependant sensiblement inférieur à celui qu'il percevait précédemment.
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Il convient également de tenir compte des motifs vexatoires de la lettre de licenciement, celui-ci ayant été prononcé à titre disciplinaire sans qu'aucun des nombreux faits invoqués par l'employeur ait été établi à l'encontre du salarié licencié, ainsi que de la brutalité de la rupture du contrat de travail.
Il convient, en conséquence, d'allouer à M. [S] [H] une indemnité de 18 000 euros.
Selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date du licenciement, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ; ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Il y a lieu de faire application de ces dispositions et de condamner, en conséquence, [5] à rembourser à Pôle emploi, aujourd'hui devenu France travail, les indemnités de chômage versées à M. [S] [H] dans la limite de six mois.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
[5], qui succombe, a été à juste titre condamnée aux dépens de première instance. Elle sera également condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions ; les circonstances de l'espèce justifient de condamner [5] à payer à M. [S] [H] une indemnité de 2 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
jugé que le licenciement de M. [S] [H] par [5] ne reposait pas sur une faute grave,
condamné [5] à payer à M. [S] [H] des indemnités au titre du préavis, l'indemnité de licenciement ainsi que le salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire et les congés payés afférents,
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condamné [5] aux dépens et au paiement d'une indemnité de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
jugé que le licenciement de M. [S] [H] par [5] reposait sur une cause réelle et sérieuse,
débouté M. [S] [H] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Et, statuant à nouveau de ces chefs,
DIT que le licenciement de M. [S] [H] par [5] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE [5] à payer à M. [S] [H] une indemnité de 18 000 euros ;
Ajoutant au jugement déféré,
CONDAMNE [5] à rembourser à Pôle emploi, aujourd'hui devenu France Travail, les indemnités de chômage versées à M. [S] [H] dans la limite de six mois ;
CONDAMNE [5] aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [S] [H] une indemnité de 2 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition le 12 Mars 2024 signé par Monsieur Emmanuel ROBIN, Président de Chambre et Madame Martine THOMAS, Greffier.
Le Greffier Le Président