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12/03/2024 | FRANCE | N°22/01459

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 12 mars 2024, 22/01459


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MINUTE N° 24/209





















































Copie exécutoire

aux avocats



Copie à Pôle emploi

Grand Est



le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 12 MARS 2024



Numéro d'inscrip

tion au répertoire général : 4 A N° RG 22/01459 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2AS



Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG



APPELANTE :



Madame [J] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-pierre GUICHARD, avocat au barreau de STRASBOURG





INTIME...

ER

MINUTE N° 24/209

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 12 MARS 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/01459 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2AS

Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG

APPELANTE :

Madame [J] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-pierre GUICHARD, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE :

S.A.S. GROUPE SYNERLAB

N° SIRET : 798 745 535

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean SCHACHERER, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. ROBIN, Président de chambre, chargé du rapport,

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées,

- signé par M. ROBIN, Président de chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Synerlab a embauché Mme [J] [Y], à compter du 24 septembre 2018, en qualité de responsable contrôle de gestion groupe, moyennant une rémunération forfaitaire annuelle de 60 000 euros assortie d'une prime d'objectif d'un montant maximal de 6 000 euros.

Par lettre du 20 novembre 2019, la société Synerlab a licencié Mme [J] [Y] en invoquant des carences de recrutement, une absence d'accompagnement des contrôleurs de gestion des différentes sociétés du groupe, une absence de mise en place de process, une dérive de la masse salariale d'une société du groupe et un manque d'animation du « processus de forecast 2019 »

Mme [J] [Y] a contesté ce licenciement, en soutenant notamment qu'il était consécutif à la dénonciation par ses soins d'une inégalité de rémunération entre les hommes et les femmes, et en contestant sa régularité ainsi que la réalité des motifs invoqués ; elle a également dénoncé les conditions de mise en 'uvre du régime du forfait jours, faute d'organisation d'un entretien annuel spécifique et a réclamé le paiement d'un reliquat de prime d'objectif et d'indemnité de congés payés.

Par jugement du 15 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Strasbourg, a débouté Mme [J] [Y] de ses demandes au titre du licenciement, tant en ce qui concerne la nullité invoquée que l'absence de cause réelle et sérieuse, de sa demande de dommages et intérêts pour violation du principe d'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes et de sa demande de prime sur objectifs, mais a condamné la société Synerlab à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement, celle de 700,51 euros au titre des congés payés, a déclaré nulle la convention de forfait en jours et a condamné la société Synerlab au paiement de la somme de 9 664,80 euros au titre des heures supplémentaires ; le conseil de prud'hommes a également alloué à Mme [J] [Y] une indemnité de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 11 avril 2022, Mme [J] [Y] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de la nullité du licenciement, de ses demandes au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse à ce licenciement, de ses demandes au titre de la violation du principe d'égalité hommes-femmes et de sa demande de prime d'objectifs, ainsi qu'en ce qui concerne le montant alloué au titre du rappel de rémunération.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 4 janvier 2023, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 16 janvier 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu'à ce jour.

*

* *

Par conclusions déposées le 25 avril 2022, Mme [J] [Y] demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement déféré, de dire que son licenciement est nul ou, subsidiairement, dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner la société Synerlab à lui payer la somme de 33 000 euros, ou, subsidiairement celle de 10 120 euros, au titre des conséquences de ce licenciement, ainsi que celles de 15 000 euros au titre de la violation du principe d'égalité homme-femme, 14 502 euros au titre du forfait jour invalide, et 6 000 euros au titre de la prime d'objectif 2019, outre une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [J] [Y] expose qu'elle s'est investie pleinement dans son travail et que, lorsqu'elle a sollicité une revalorisation de sa rémunération, en soulignant notamment l'existence d'écarts de salaires hommes/femmes, l'employeur lui a proposé une rupture conventionnelle avant d'engager la procédure de licenciement.

Pour caractériser la rupture du principe d'égalité, Mme [J] [Y] invoque la situation d'un salarié de niveau hiérarchique équivalent dont la rémunération était plus élevée que la sienne, alors même que son expérience professionnelle était inférieure ; elle reproche à l'employeur de ne pas produire des éléments de comparaison pertinents. La dénonciation de la rupture du principe d'égalité serait directement à l'origine du licenciement, dont les motifs seraient fallacieux, d'autant que l'activité professionnelle de la salariée n'aurait donné lieu à aucun reproche auparavant. Il importerait peu que Mme [J] [Y] n'ait pas engagé, avant le licenciement, d'action en justice pour faire sanctionner le manquement de l'employeur.

Au soutien de sa contestation de la convention de forfait en jours, Mme [J] [Y] relève que la société Synerlab n'a jamais rien planifié concernant la charge de travail et que l'entretien annuel obligatoire concernant la mise en 'uvre du forfait n'a jamais été organisé ; elle-même apporterait des éléments précis concernant son temps de travail effectif, alors que l'employeur ne produirait aucun élément probant.

Enfin, Mme [J] [Y] affirme avoir parfaitement rempli les objectifs qui lui avaient été fixés pour l'année 2019.

Par conclusions déposées le 8 juillet 2022, la société Synerlab demande à la cour de rejeter l'appel principal et, interjetant appel incident, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé des condamnations à son encontre et de débouter Mme [J] [Y] de toutes ses demandes ; subsidiairement elle demande de limiter le montant des dommages et intérêts qui seraient alloués au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de déduire la somme de 4 523,03 euros de la réclamation de Mme [J] [Y] au titre des heures supplémentaires et de condamner la salariée au remboursement de la somme de 2 335,20 euros correspondant à un paiement indu de jours de réduction du temps de travail ; enfin, elle réclame une indemnité de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Synerlab affirme que le licenciement de Mme [J] [Y] repose sur des causes réelles et sérieuses ; ainsi, les carences de la salariée dans les procédures de recrutement seraient démontrées par le renvoi sans remplacement d'un salarié en alternance placé sous son autorité, et par l'absence de choix d'un contrôleur de gestion pour une filiale malgré trois propositions faites par des cabinets de recrutement ; le défaut d'accompagnement des contrôleurs de gestion des différentes filiales serait établi pour ce qui concerne les sociétés Pharmaster et Sophartex ; l'absence de mise en place de process solides dans les filiales serait démontrée par les remarques faites concernant la fiabilité des chiffres et l'existence d'informations manquantes, ainsi que par une situation de « non-contrôle des cutoff en fin de mois » découverte à la fin du mois d'octobre 2019 dans la société Sophartex ; une dérive de la masse salariale aurait été constatée au sein de la société Laboratoires BTT ; enfin, malgré plusieurs relances, Mme [J] [Y] n'aurait pas animé le processus de forecast 2019.

Mme [J] [Y], qui n'aurait subi aucune discrimination ni aucune violation du principe d'égalité, serait mal fondée à soutenir que son licenciement ferait suite à une action en justice destinée à contester une telle situation.

En ce qui concerne la convention de forfait en jours, la société Synerlab fait valoir que la procédure de licenciement a été engagée un an et un mois après l'embauche de Mme [J] [Y] de sorte que l'entretien annuel n'aurait pu avoir lieu ; en outre, la salariée et son supérieur hiérarchique auraient discuté à plusieurs reprises de la charge de travail ; dès lors, cette convention ne pourrait être privée d'effets. En tout état de cause, Mme [J] [Y] n'apporterait pas d'éléments suffisamment précis permettant de faire la preuve du temps de travail qu'elle revendique ; au contraire, elle comptabiliserait notamment deux fois certaines heures de travail, elle commettrait des erreurs dans le calcul des durées journalières mises en compte et elle comptabiliserait à tort du temps de trajet comme du temps de travail effectif. Dans le cas d'annulation de la convention de forfait, il conviendrait de surcroît de condamner Mme [J] [Y] à rembourser les sommes indûment perçues au titre de la réduction du temps de travail.

Par ailleurs, la société Synerlab conteste avoir déduit à tort trois jours de congés du temps de préavis et affirme que Mme [J] [Y] n'avait pas atteint les objectifs impartis pour l'année 2019.

SUR QUOI

Sur l'exécution du contrat de travail

L'application de la convention de forfait

Le contrat de travail conclu entre la société Synerlab et Mme [J] [Y] prévoyait un forfait de 216 jours de travail par an, après déduction des congés, des jours fériés, des dimanches et d'un jour de repos hebdomadaire autre que le dimanche.

Ainsi que l'a relevé à juste titre le conseil de prud'hommes, par des motifs que la cour adopte, l'employeur était tenu d'organiser, au moins une fois par an, un entretien destiné à évaluer la charge de travail. Par ses conclusions d'appel, la société Synerlab reconnaît qu'elle n'a pas organisé cet entretien annuel au cours de la période d'une année et un mois qui s'est écoulée entre l'embauche de Mme [J] [Y] et la mise en 'uvre de la procédure de licenciement ; elle n'invoque aucune circonstance de fait ou de droit qui l'aurait exonérée de son obligation, alors que, comme l'a relevé à juste titre le premier juge, il importe peu que le directeur administratif et financier se soit enquis ponctuellement de la charge de travail de la salariée.

Dès lors, le conseil de prud'hommes a considéré à juste titre que la convention de forfait en jours était inopposable à la salariée et que celle-ci pouvait réclamer le paiement d'heures supplémentaires.

Il convient en revanche d'infirmer la disposition du jugement ayant déclaré nulle la convention de forfait et de la déclarer seulement privée d'effet pour toute la durée de la relation de travail.

La rémunération complémentaire

Pour étayer sa demande en paiement de salaire, Mme [J] [Y] produit en pièce n°17 un tableau détaillé récapitulant, jour par jour à compter du 24 septembre 2018 et jusqu'au 18 novembre 2019, les horaires de travail qu'elle affirme avoir réalisés ; ce tableau précise non seulement la durée journalière de travail mais également les horaires d'arrivée et de départ pour chaque demie journée ; il mentionne également lorsque la salariée était en déplacement, et le lieu de ce déplacement, ainsi que le temps de déplacement supplémentaire comptabilisé à ces occasions.

Mme [J] [Y] fournit ainsi des éléments suffisants permettant à la société Synerlab de débattre du temps de travail effectif de sa salariée au cours de la période considérée.

La société Synerlab ne fournit aucun élément permettant de contredire les indications données par Mme [J] [Y] concernant les horaires de travail effectif.

En revanche, elle fait valoir à juste titre que ce tableau comptabilise deux fois les heures de « travail matin, soir et we » en ce qu'il ajoute à la durée totale journalière de travail le temps mentionné dans cette colonne. Dans ses conclusions d'appel, Mme [J] [Y], qui se contente d'affirmer inexactement qu'« aucun doublon ne figure dans ce tableau », n'explique pas pourquoi les heures effectuées le soir et le week-end devraient être comptabilisées deux fois et s'ajouter au temps total passé sur le lieu de travail.

La société Synerlab est donc fondée à demander de retrancher 47,42 heures du total mis en compte par Mme [J] [Y].

La société Synerlab fait également valoir à bon droit que, conformément à l'article L. 3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif, que, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière, et que la part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.

Mme [J] [Y] est ainsi mal fondée à réclamer que le temps de trajet pour se rendre en des lieux différents de son lieu de travail habituel soit rémunéré au titre d'un temps de travail effectif.

Néanmoins, la société Synerlab, qui reconnaît que les déplacements effectués par Mme [J] [Y] dépassaient le temps normal de trajet entre son domicile et son lieu habituel de travail, n'invoque aucune compensation accordée à la salariée ; dès lors, en considération de la nécessité d'allouer une compensation financière, le conseil de prud'hommes a fait une juste évaluation de la somme totale due à Mme [J] [Y].

La discrimination

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, en raison de son sexe.

En l'espèce, au soutien de son affirmation selon laquelle elle aurait été victime d'une différence de rémunération avec ses collègues masculins occupant des fonctions comparables à la sienne, Mme [J] [Y] invoque la situation de M. [O] [E], embauché le 4 juillet 2016 et classé au même niveau hiérarchique qu'elle, en précisant que « leur niveau était identique dans l'organigramme », qu'elle-même supervisait cinq salariés et son collègue seulement deux.

Cependant, ni la classification des emplois ni l'organigramme de l'entreprise ne permettent de comparer utilement le travail effectivement fourni par les salariés ; il n'est pas contesté que M. [O] [E], responsable comptable de la société mère d'un groupe, exerçait des missions différentes de Mme [J] [Y], responsable contrôle de gestion groupe ; contrairement à ce que soutient Mme [J] [Y], celle-ci supervisait le travail de cinq contrôleurs de gestion salariés de filiale, mais ne dirigeait pas un service comportant plusieurs subordonnés, alors que M. [O] [E] était le supérieur hiérarchique direct de deux salariés ; enfin, il résulte des propres explications de Mme [J] [Y] que M. [O] [E] avait une ancienneté dans l'entreprise supérieure à la sienne et elle n'apporte aucun élément permettant de démontrer qu'elle aurait acquis, antérieurement à son embauche, une expérience professionnelle au moins équivalente.

Par ailleurs, Mme [J] [Y] produit des éléments concernant un salarié d'une autre société, sans développer aucun moyen de fait sur ce point.

En conséquence, Mme [J] [Y] n'apporte pas d'éléments suffisants permettant de laisser présumer qu'elle aurait été victime d'une différence de rémunération en raison de son sexe.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

La prime sur objectifs

Conformément à l'article 7 du contrat de travail, la rémunération de Mme [J] [Y] comprenait une partie variable d'un montant maximum de 6 000 euros « dont l'obtention à 100% sera basée sur la performance individuelle et du Groupe Synerlab (toutes entités formant le Groupe Synerlab) au 31 décembre, dont les critères seront définis annuellement par le supérieur hiérarchique, et au plus tard le 31 janvier ».

Le 25 janvier 2019, la société Synerlab a fixé comme suit les objectifs de Mme [J] [Y] pour l'année 2019 :

1) BTT/LYO : accompagner et faire grandir les jeunes contrôleurs de gestion, fixer un plan d'actions S1 en accord avec les patrons de sites et en suivre le déroulement,

2) Synergy : maîtriser l'outil et accompagner les contrôleurs dans leur utilisation d'X3,

3) Fiabilisation des Forecasts,

4) Reporting : disposer d'analyses d'écarts systématiques et suivi des plans d'actions,

5) Analyse des marges clients/produits 2018 pour fin février.

Pour contester l'atteinte par Mme [J] [Y] des objectifs ainsi fixés, la société Synerlab ne produit aucun élément objectif mais se réfère uniquement à des courriels du supérieur hiérarchique de Mme [J] [Y] adressés à celle-ci au mois d'octobre 2019, dont le premier évoque des échanges antérieurs.

En ce qui concerne l'accompagnement des jeunes contrôleurs de gestion, la société Synerlab soutient à tort que Mme [J] [Y] n'aurait fixé aucun plan d'action alors qu'un remplacement du salarié de la société BTT avait été envisagé et qu'aucun reproche précis n'a été formulé concernant les autres sociétés du groupe durant l'année 2019 ; par ailleurs, les propres courriels du supérieur hiérarchique de Mme [J] [Y] démontrent qu'un accompagnement a été assuré par celle-ci.

Sur le second point, la société Synerlab affirme que Mme [J] [Y] n'a « atteint aucun des objectifs Synergy n'ayant pas avancé en 2019 sur ces sujets » ; cependant, si la maîtrise attendue n'était pas atteinte, le courriel du 16 octobre 2019 auquel la société Synerlab se réfère démontre que la salariée avait assuré un accompagnement au moins jusqu'à l'été mais qu'elle manquait de temps.

Le courriel du 16 octobre 2019 admet également, au 30 août 2019, l'existence d'un avancement concernant la « fiabilisation des Forecasts Capex » ; à la date du 16 octobre, il relevait l'existence d'un « gros travail chez SPX » et une « projection difficile chez BTT et SPX » seulement ; il ne peut donc être soutenu que l'objectif concernant les « forecasts » n'a été atteint pour aucune des sociétés du groupe.

En ce qui concerne le reporting, il n'est pas démontré que Mme [J] [Y] n'aurait pas produit les « analyses d'écarts systématiques » qui lui étaient demandés et les observations de son supérieur hiérarchique démontrent qu'il existait un « suivi des plans d'action ».

Enfin, par son courriel du 16 octobre 2019, le supérieur hiérarchique de Mme [J] [Y] a admis que l'analyse des marges clients avait été effectuée au plus tard en avril, à l'exception de la seule société BTT.

En l'état de ces éléments, il est justifié d'octroyer à Mme [J] [Y] les deux tiers de la rémunération variable convenue.

La société Synerlab sera donc condamnée à payer à Mme [J] [Y] une somme de 4 000 euros au titre de la partie variable de sa rémunération.

Sur la rupture du contrat de travail

Le motif du licenciement

La société Synerlab a licencié Mme [J] [Y] en raison d'une insuffisance professionnelle caractérisée par les éléments suivants :

le congédiement sans remplacement d'un alternant, et l'absence de suite donnée à une procédure de recrutement d'un contrôleur de gestion pour le site BBT, alors qu'elle avait fait valoir un manque de moyens pour exercer ses missions ;

une absence d'accompagnement des contrôleurs de gestion des sites Pharmaster et Sophartex ;

une absence de contrôle des process de la société Sophartex ;

une dérive importante de la masse salariale chez BTT ;

un manque flagrant de l'animation du processus de forecast 2019.

Cependant, aucun élément ne permet de contester le bien fondé du congédiement d'un alternant durant sa période d'essai, alors qu'il résulte au contraire des pièces produites par la société Synerlab que cet alternant était davantage intéressé par un autre service que celui de Mme [J] [Y]. L'attestation de Mme [L] [I], directrice de la communication, ne relate aucun fait matériel précis et circonstancié commis par Mme [J] [Y], et que ce témoin aurait personnellement constaté, permettant d'étayer le manque d'accompagnement qu'elle allègue pour expliquer que l'alternant avait, de fait, changé de service.

S'agissant du recrutement d'un contrôleur de gestion pour le site BBT, la société Synerlab ne produit aucun élément démontrant que l'échec de la procédure est imputable à une quelconque carence de Mme [J] [Y] ; la société Synerlab affirme, sans en rapporter aucune preuve que Mme [J] [Y] aurait été relancée à plusieurs reprises concernant ce recrutement. Au contraire, il résulte des pièces produites par celle-ci qu'elle avait alerté son supérieur hiérarchique sur les carences du salarié alors en poste dans la société BBT, que le remplacement de ce salarié avait été décidé en mai 2019 et que le recrutement a été géré par M. [M] [F], supérieur hiérarchique de Mme [J] [Y] ; à la fin du mois de juin 2019, M. [M] [F] a lui-même constaté l'échec du recrutement qu'il avait confié à une société spécialisée, en relevant que très peu des candidatures sélectionnées correspondaient aux besoins de la société BBT. Il ne peut être raisonnablement reproché à Mme [J] [Y] de ne pas avoir mené à bien la relance du recrutement, faite par courriel du 4 novembre 2019, soit postérieurement à la convocation à l'entretien préalable à son licenciement.

Le grief tiré d'une carence dans le recrutement de moyens humains ne repose donc pas sur des faits réels.

En ce qui concerne l'absence d'accompagnement des contrôleurs de gestion des sociétés Pharmaster et Sophartex, la société Synerlab ne produit aucun élément concret permettant de caractériser une défaillance de Mme [J] [Y]. Le courriel du 16 octobre 2019 se contente d'une consigne générale mentionnant « tous sites : faire le point avec les patrons de sites pour organiser entretien/objectifs », ce qui ne concerne pas directement l'accompagnement des contrôleurs de gestion de deux sites particuliers ; la mention spécifique aux contrôleurs de gestion, « se rapprocher des DG sites pour prévoir une participation systématique aux entretiens annuels », ne permet pas de caractériser une quelconque défaillance concernant les sociétés Pharmaster et Sophartex ; de même, le courriel du 22 octobre 2019, ne révèle aucune carence dans l'accompagnement des contrôleurs de gestion de ces deux sites, mais contient des appréciations générales sur le « Forecast 2019 » en suggérant « peut-être faut-il aller jusqu'à faire un point contrôleur par contrôleur, et faire les modifications en direct avec eux », sans pointer de défaillance de Mme [J] [Y]. Celle-ci démontre au contraire avoir, en septembre 2019, fourni au directeur administratif et financier de la société Sophartex un process de clôture à mettre en place dans cette société.

Le grief tiré d'un défaut d'accompagnement des contrôleurs de gestion de deux sites ne repose donc pas sur des faits réels.

Pour caractériser l'absence de mise en place de process, la société Synerlab produit aux débats divers courriels adressés par M. [M] [F], directeur administratif et financier, à Mme [J] [Y]. Ces courriels, qui relèvent des échanges courants concernant les missions de Mme [J] [Y], ne formulent aucun reproche à Mme [J] [Y] concernant son travail ; au surplus leur contenu n'est corroboré par aucun élément objectif. La société Synerlab invoque également une attestation de Mme [X] [P], directrice du site de Pharmaster, qui se contente d'affirmer que le témoin « n'a pas eu de réunions régulières avec Mme [J] [Y] dans le cadre de son activité de responsable du contrôle de gestion groupe » et que « les points de contrôle de gestion étaient vus directement avec la personne en charge du contrôle de gestion chez Pharmaster » ; cette attestation, outre qu'elle confirme l'implication de Mme [J] [Y] dans son travail auprès du contrôleur de gestion de la société Pharmaster, ne permet pas d'étayer un quelconque grief relatif au travail de contrôle de gestion ni une absence de mise en place de process.

Si la société Synerlab affirme avoir constaté, après le départ de Mme [J] [Y], une surestimation de l'excédent brut d'exploitation par la société Sophartex, aucun élément ne permet d'imputer cet écart à une carence de la salariée dans la mise en place de process.

Le grief tiré d'une absence de contrôle des process de la société Sophartex ne repose donc sur aucun fait réel.

La société Synerlab ne produit aucun élément au soutien du grief tiré d'une dérive de la masse salariale dans la société BBT. Mme [J] [Y] fait au contraire valoir à juste titre que, dès le mois d'octobre 2018, elle s'est préoccupée du contrôle de l'évolution de la masse salariale de cette société.

Ce motif est donc manifestement erroné.

En ce qui concerne le « forecast 2019 », la société Synerlab se contente d'invoquer deux courriels de M. [M] [F], d'avril et octobre 2019 ; le premier relève des incohérences entre « ce que nous avons annoncé » et ce qui se « trouve dans Viareport », en rappelant que Viareport doit contenir les chiffres définitifs ; le second concerne uniquement la société BTT pour laquelle « les données du bilan du forecast » n'étaient pas dans Viareport. Ces éléments ne permettent pas de démontrer une défaillance de Mme [J] [Y] dans « l'animation du processus de forecast » ; en outre, il en ressort que la seule difficulté relevée à la fin d'octobre 2019 concernait la société BTT dont le contrôleur de gestion présentait des carences dénoncées par Mme [J] [Y] et qui avaient justifié d'envisager son remplacement dès le premier semestre de l'année.

Ce grief n'est donc pas réel et sérieux.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

La nullité du licenciement

Mme [J] [Y] soutient de son côté que le motif réel de son licenciement aurait été d'avoir dénoncé la discrimination dont elle était victime.

Notamment, selon l'article L. 1132-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis par l'article ci-dessus ou pour les avoir relatés ; en outre, conformément à l'article L. 1132-4, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des articles L. 1132-1 et suivants est nul.

Cependant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, Mme [J] [Y] n'apporte pas d'éléments suffisants laissant présumer qu'elle aurait effectivement été victime d'une discrimination.

En outre, si le licenciement, dépourvu de cause réelle et sérieuse, a fait suite à un courriel du 22 septembre 2022 par lequel Mme [J] [Y] réclamait une augmentation de sa rémunération en déclarant à son supérieur hiérarchique qu'elle n'était « pas en phase » avec ce qu'il avait proposé l'avant-veille « ni en terme de timing, ni en terme de conditions d'application », la circonstance que Mme [J] [Y] a également mentionné l'existence d'« écarts de salaire homme/femme » ne suffit pas à faire présumer l'existence d'un lien entre cette mention et le licenciement.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [J] [Y] de sa demande de nullité du licenciement

L'indemnisation du licenciement

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, à défaut de réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article.

En l'espèce, à la date de son licenciement l'ancienneté de Mme [J] [Y] auprès de la société Synerlab était comprise entre un et deux ans ; son salaire mensuel s'élevait à 5 060 euros.

Mme [J] [Y] ne justifie pas de sa situation postérieurement à la rupture du contrat de travail, ni même d'avoir connu une période de chômage. En revanche, il convient d'indemniser le préjudice résultant des répercussions de ce licenciement sur la vie personnelle de la salariée ainsi que celui causé par l'invocation de griefs qui n'étaient pas réels.

En conséquence, l'indemnité due par la société Synerlab à Mme [J] [Y] sera fixée à 8 000 euros.

La procédure de licenciement

Conformément à l'article L. 1235-2 alinéa 4 du code du travail, lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire si le licenciement a été prononcé pour une cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, le licenciement de Mme [J] [Y] par la société Synerlab est sans cause réelle et sérieuse et a été indemnisé à ce titre ; dès lors, Mme [J] [Y] ne peut réclamer le paiement d'une indemnité supplémentaire au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement.

Il convient donc d'infirmer le jugement ayant condamné la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement et de débouter Mme [J] [Y] de cette demande.

Les congés payés durant le préavis

Ainsi que l'a relevé à juste titre le conseil de prud'hommes, Mme [J] [Y] a été licenciée le 20 novembre 2019 avec dispense d'effectuer la période de préavis, ce qui lui a été confirmé par courriel du 15 novembre 2019 ; dès lors, la société Synerlab était tenue de rémunérer sa salariée pour la durée du préavis sans pouvoir exiger de travail en contrepartie et, en imputant trois jours de congés sur cette rémunération, elle a réduit à tort la somme due à Mme [J] [Y].

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] la somme de 700,51 euros.

Sur les dépens et les autres frais de procédure

La société Synerlab, qui succombe à titre principal, a été à juste titre condamnée aux dépens de première instance. Elle sera également condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions ; les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] une indemnité de 2 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

1) débouté Mme [J] [Y] de sa demande de nullité du licenciement,

2) débouté Mme [J] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour violation du principe d'égalité homme-femme,

3) condamné la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] la somme de 700,51 euros au titre des congés payés déduits à tort,

4) condamné la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] la somme de 9 664,80 euros au titre des heures supplémentaires,

5) condamné la société Synerlab aux dépens,

6) condamné la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] une indemnité de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et débouté cette société de sa demande à ce titre ;

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

1) dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

2) débouté Mme [J] [Y] de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3) condamné la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] une somme de 2 500 euros au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

4) déclaré nulle la convention de forfait en jours,

5) débouté Mme [J] [Y] de sa demande de prime sur objectifs ;

Et, statuant à nouveau de ces chefs,

DIT que la convention de forfait en jours est dépourvue d'effets pour toute la durée de la relation de travail ;

CONDAMNE la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] la somme de 4 000 euros au titre de la part variable de rémunération pour l'année 2019 ;

DIT que le licenciement de Mme [J] [Y] par la société Synerlab ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Synerlab à payer à Mme [J] [Y] une indemnité de 8 000 euros ;

DÉBOUTE Mme [J] [Y] de sa demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

Ajoutant au jugement déféré,

CONDAMNE la société Synerlab aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à Mme [J] [Y] une indemnité de 2 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition le 12 Mars 2024 signé par Monsieur Emmanuel ROBIN, Président de Chambre et Madame Martine THOMAS, Greffier.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 22/01459
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;22.01459 ?
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