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02/09/2024 | FRANCE | N°23/02500

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 3 a, 02 septembre 2024, 23/02500


MINUTE N° 24/379





























Copie exécutoire à :



- Me Laurence FRICK

- Me Camille BLANCHARD





Le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 02 Septembre 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 23/02500 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IDKB


r>Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 juin 2023 par le tribunal de proximité de Haguenau





APPELANTS :



Madame [T] [E]

[Adresse 3]

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat au barreau de COLMAR



Monsieur [V] [E]

[Adresse 3]

Représenté par Me...

MINUTE N° 24/379

Copie exécutoire à :

- Me Laurence FRICK

- Me Camille BLANCHARD

Le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 02 Septembre 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 23/02500 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IDKB

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 juin 2023 par le tribunal de proximité de Haguenau

APPELANTS :

Madame [T] [E]

[Adresse 3]

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat au barreau de COLMAR

Monsieur [V] [E]

[Adresse 3]

Représenté par Me Laurence FRICK, avocat au barreau de COLMAR, plaidant

INTIMÉS :

Madame [F] [U] épouse [C]

[Adresse 1]

Représentée par Me Camille BLANCHARD, avocat au barreau de STRASBOURG, plaidant

Monsieur [R] [C]

[Adresse 1]

Représenté par Me Camille BLANCHARD, avocat au barreau de STRASBOURG, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 mai 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme FABREGUETTES, présidente de chambre

Mme DESHAYES, conseillère

Mme MARTINO, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. BIERMANN

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Isabelle FABREGUETTES, présidente et M. Jérôme BIERMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Madame [F] [C] née [U] et Monsieur [R] [C] sont propriétaires de leur résidence principale située [Adresse 1] à [Localité 5]. 

Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] son épouse, qui résidaient dans la même localité au [Adresse 2], étaient leurs voisins immédiats.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 octobre 2021, Monsieur [R] [C] et Madame [F] [C] née [U] ont, par la voix de leur conseil, mis en demeure Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] de retirer immédiatement le fumier des abords de leur propriété et de le déplacer à plus de cinq mètres de la limite séparative, de ne plus laisser divaguer leurs chiens à l'extérieur de la maison sur leur terrain tant qu'ils n'auront pas été dressés à ne plus aboyer intempestivement, et de retirer tout objet entreposé sur leur propriété, dans un délai de huit jours.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 26 octobre 2021, Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E], représentés par leur conseil, ont contesté l'existence de troubles anormaux du voisinage de leur part.

Un procès-verbal du 17 février 2022 a acté l'échec d'une tentative de conciliation devant le conciliateur de justice.

Se prévalant de troubles anormaux de voisinage résultant des aboiements intempestifs des trois chiens des époux [E], de l'empiètement de leurs volailles sur leur propriété privée et de la présence d'un tas de fumier de cheval dégageant une odeur nauséabonde et favorisant la prolifération de mouches en limite de leur propriété, les époux [C] ont, par acte du 30 mai 2022, fait assigner les époux [E] devant le tribunal de proximité de Haguenau afin de voir enjoindre, sous astreinte, aux défendeurs :

-de faire cesser les aboiements de leurs chiens notamment en les équipant de collier anti-aboiements et en les maintenant dans un enclos fermé situé à l'arrière de leur maison,

-de réaliser tous travaux utiles de manière à faire cesser les divagations de la volaille,

-de procéder à l'enlèvement du tas de fumier proche du mur de clôture.

Ils ont sollicité en outre la condamnation des époux [E] à leur payer une somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de leur trouble de jouissance outre 618,40 € au titre des frais d'huissier et 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de la procédure.

Contestant au fond l'existence d'un trouble anormal de voisinage, les époux [E] se sont opposés aux demandes en faisant, à titre liminaire, valoir la prescription de l'action puis son caractère mal fondé et ont sollicité la condamnation des époux [C] au paiement d'une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 8 juin 2023, le tribunal de proximité de Haguenau a :

-déclaré l'action recevable et non prescrite,

-enjoint à Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] de faire cesser les aboiements de leurs chiens, par toute mesure appropriée, sous astreinte de 100 € par jour de retard, à compter de la signification de la décision,

-enjoint à Monsieur [V] [E] et à Madame [T] [E] de procéder à l'enlèvement du tas de fumier proche du mur de clôture, sous astreinte de 100 € par jour de retard, à compter de la signification de la décision,

-désigner le juge de l'exécution de la présente juridiction pour connaître du contentieux de la liquidation de l'astreinte,

-condamné in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] à payer à Monsieur [R] [C] et à Madame [F] [C] née [U] la somme

de 5 000 € à titre de dommages intérêts,

-débouté Monsieur [R] [C] et Madame [F] [C] née [U] de leurs demandes plus amples,

-condamné in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] à payer à Monsieur [R] [C] et à Madame [F] [C] née [U] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] au paiement des entiers frais et dépens y compris les frais d'huissier engagés par les demandeurs pour faire constater les nuisances à hauteur de 618,40 €,

-ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :

' s'agissant de la prescription de l'action en responsabilité pour trouble anormal de voisinage :

- que si les aboiements des chiens des défendeurs ont été dénoncés par les demandeurs dès l'été 2015, soit plus de cinq ans avant l'action judiciaire introduite par assignation du 30 mai 2022, le trouble s'est aggravé depuis qu'à partir de l'été 2018, Monsieur et Madame [E] ont acheté deux chiens supplémentaires et que, depuis le confinement de 2020, de plus en plus de promeneurs empruntent la [Adresse 4], ce qui aurait augmenté la fréquence des aboiements des chiens,

- que l'action est également fondée sur des troubles distincts, et notamment l'existence de fumier proche du mur de clôture et la présence de volailles sur le terrain des défendeurs, troubles qui n'ont pas été dénoncés en 2015, de sorte que le dommage s'est bien aggravé depuis leur première manifestation,

' sur le fond :

- que les pièces justificatives produites établissent la réalité des troubles anormaux de voisinage causés par les aboiements intempestifs des chiens compte-tenu de leur durée, de leur répétition et de leur intensité ; qu'également preuve est faite de la réalité des nuisances olfactives, matérielles et sanitaires liées au tas de fumier entreposé en limite de propriété ; qu'aucun trouble grave et anormal ne subsiste au jour du jugement relativement à l'intrusion des poules sur la propriété des demandeurs.

Madame et Monsieur [E] ont interjeté appel à l'encontre de cette décision suivant déclaration en date du 27 juin 2023 et par dernières écritures notifiées le 25 avril 2024, ils concluent à

l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Monsieur et Madame [C] de leurs demandes plus amples et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

-déclarer irrecevable car prescrite l'action intentée par Monsieur et Madame [C] suivant assignation en date du 30 mai 2022,

-débouter Monsieur et Madame [C] de l'intégralité de leurs demandes,

Très subsidiairement, réduire les montants pouvant être mis à la charge de Monsieur et Madame [E],

-condamner in solidum Monsieur et Madame [C] aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance,

-condamner in solidum Monsieur et Madame [C] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel,

-condamner in solidum Monsieur et Madame [C] à payer à Monsieur et Madame [E] une somme de 2 500 € au titre de l' article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leur appel, Monsieur et Madame [E] font essentiellement valoir :

-s'agissant des nuisances sonores alléguées : que l'action est prescrite dès lors que les nuisances sonores liées à la présence des chiens ont été dénoncées par les époux [C] dès l'année 2015, puis 2016 ; que la situation ne s'est pas aggravée au motif que de nouveaux chiens seraient venus à leur domicile alors qu'ils ont toujours eu trois, voire quatre chiens ; qu'aucune aggravation ne saurait être tirée du fait que Monsieur [E] aurait pris sa retraite au printemps 2019 alors qu'il n'a cessé son activité professionnelle que le 12 avril 2020 ; qu'il se déduit de ces éléments que le point de départ du délai de prescription est le 20 juillet 2015 de sorte que la demande concernant les nuisances sonores doit être déclarée irrecevable ; au fond, qu'il n'apparaît pas anormal que des chiens gardent la propriété de leurs maîtres et qu'ils aboient lorsqu'une personne se présente devant l'entrée de la propriété ; que leurs chiens, dressés à rassembler et à diriger les moutons, ne sont pas particulièrement aboyeurs et sont particulièrement attentifs aux ordres qui leur sont donnés ; que les aboiements, en l'espèce, sont de courte durée et peu fréquents ; que d'autres voisins ont également des chiens qui aboient et peuvent être l'origine des nuisances sonores dont se plaignent les époux [C] ; que seuls des aboiements la nuit où de manière continuelle doivent faire l'objet d'une décision de justice d'interdiction, le surplus ne relevant pas d'un trouble anormal de voisinage ;

-s'agissant des nuisances olfactives : qu'ils ont toujours eu des chevaux depuis 1986 et ont entreposé du fumier sur leur propriété de sorte que la demande est prescrite ; que les éventuelles odeurs

qui émanent du fumier ne sont pas de nature à créer des nuisances olfactives alors surtout que la terrasse des époux [C] se trouve à une quarantaine de mètres du tas de fumier litigieux ; que les époux [C] ont entreposé du compost le long du mur de séparation ayant occasionné les traces relevées par l'expert sur ce mur côté [C] ; que les propriétés se trouvent dans un environnement campagnard et par conséquent il n'est pas anormal de sentir des odeurs provenant des animaux ;

-sur la demande de dommages intérêts : qu'elle doit être rejetée faute de constatation d'un trouble anormal de voisinage ; qu'en tout état de cause les époux [C] n'ont pas été empêchés de jouir de leur terrasse ; que la gendarmerie a mis en 'uvre une enquête de voisinage qui n'a donné lieu à aucune suite ; que le lien de causalité entre l'aggravation des rhumatismes psoriasiques, dont souffre Madame [C], et les prétendus troubles anormaux de voisinage, n'est pas établi.

Par dernières écritures notifiées le 22 avril 2024, Madame et Monsieur [C] demandent à la cour de :

-déclarer irrecevables les pièces de M° [Z] numéro 18,10 et 32, en application de l'article 202 du code de procédure civile,

-les écarter des débats,

-déclarer l'appel formé par Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] mal fondé,

-le rejeter,

Vu les articles 544 et 651 du code civil,

-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

-débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes,

Y ajoutant,

En tout état de cause :

-condamner in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance,

-condamner in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] aux entiers dépens d'appel, y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de l'arrêt à intervenir par voie d'huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement visés par le décret 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fond interprofessionnel de

l'accès au droit et la justice, sans exclusion des droits de recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier,

-condamner in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] à leur payer la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que :

-sur les nuisances sonores : qu'elles se sont aggravées à compter du printemps 2019 car les époux [E] ont adopté deux chiens supplémentaires de gros gabarit contre un auparavant qui était de race moins bruyante ; alors que les chiens étaient enfermés dans la maison lorsque les deux époux [E] travaillaient, les chiens ont été beaucoup plus souvent à l'extérieur et aboyaient de manière beaucoup plus régulière à compter de la fin de l'année 2019 ; que l'aggravation des nuisances à compter du mois de mars 2020 a été patent du fait du confinement et de l'accès plus fréquent de la population à la [Adresse 4] ; qu'ainsi, la fréquence des aboiements s'est largement accentuée depuis moins de cinq ans, d'autant plus qu'à aucun moment les propriétaires intervenaient pour faire cesser ou limiter ces nuisances ; que l'action n'est donc pas prescrite ; que les procès-verbaux de constat d'huissier ainsi que les attestations produites établissent la réalité du trouble anormal de voisinage subi résultant des aboiements en raison de leur intensité et de leur fréquence ;

-sur les nuisances olfactives dues au fumier : que le nombre de chevaux détenus par les époux [E] a progressivement été porté à cinq ; que si un tas de fumier existait dans le passé, les époux [E] l'ont déplacé en limite de propriété, à proximité de leur terrain, le rapprochant d'une dizaine de mètres ; qu'ils n'ont pas fait état auprès de la mairie de nuisances olfactives ; que le constat d'huissier du 22 juillet 2021 rend compte de la réalité du préjudice subi tant au niveau de l'odeur que de la présence d'insectes sur leur propriété ;

-sur le préjudice : que l'affection chronique dont souffre Madame [F] [C] née [U] s'est aggravée à partir de mars 2020, date du premier confinement lié à la pandémie du Covid 19, du fait de la multiplication des aboiements en raison de l'utilisation plus fréquente par la population de la [Adresse 4] ; qu'ils n'ont pas pu jouir paisiblement de leur bien notamment de leur extérieur et de la terrasse patio du fait des aboiements incessants des trois chiens des consorts [E] mais également de l'odeur de fumier et de la présence en nombre de mouches ; que l'ensemble de ces troubles ne leur permettaient plus de profiter des beaux jours, d'inviter des convives et de partager un moment avec eux ou tout simplement de dîner à l'extérieur.

L'ordonnance de clôture est en date du 30 avril 2024.

MOTIFS

Sur la demande visant à voir écarter certaines pièces en application de l'article 202 du code de procédure civile

Les appelants demandent de voir écarter des débats certaines des attestations produites par la partie adverse comme n'étant pas en conformité avec les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.

Cependant, le juge ne peut rejeter sans examen une attestation comme non conforme aux exigences de l'article 202. Il lui appartient au contraire d'apprécier souverainement si l'attestation non conforme à l'article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

En tout état de cause, il a été remédié aux irrégularités dénoncées, les attestations litigieuses ayant été mises en conformité avec les dispositions précitées.

Sur la prescription

Ainsi que justement retenu par le premier juge, l'action en troubles anormaux du voisinage relève des règles de la responsabilité civile délictuelle, ce qui conduit à lui appliquer la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil. L'action doit donc être engagée dans les cinq ans à compter de la première manifestation du trouble ayant causé le dommage ou de son aggravation.

En l'espèce, Monsieur [R] [C] a, le 20 juillet 2015, adressé au maire de la commune de [Localité 5] un courrier déplorant des nuisances sonores nocturnes du fait des aboiements de chiens appartenant aux époux [E], qui les réveillaient.

Un second courrier du 8 août 2015 relatait que bien que la situation se soit considérablement améliorée, les aboiements nocturnes avait repris dans la nuit des 6 août et 7 août et Monsieur [R] [C] demandait au maire d'intervenir rapidement auprès de son voisin pour que cessent ces nuisances sonores entre 22 heures et 8 heures.

Par courrier du 10 décembre 2018, Monsieur [R] [C] dénonçait au maire le fait que les aboiements nocturnes avaient repris depuis quinze jours et que son voisin avait acquis à l'été deux chiens supplémentaires de sorte que désormais, trois chiens adultes hurlaient simultanément la nuit et le jour, ce qu'il estimait intolérable.

Il est en effet établi que les époux [E], déjà propriétaire à cette date d'un chien de race labrador ont, courant 2018/2019, adopté deux chiens supplémentaires de race border collie.

Si les époux [E] soutiennent qu'ils ont toujours eu trois voire quatre chiens concomitamment, ils n'en font pas la démonstration.

La présence de deux chiens supplémentaires au domicile des époux [E] caractérise bien, ainsi qu'exactement apprécié par le premier juge, une aggravation du trouble de voisinage subi dans la mesure où cette occurrence ne peut que multiplier par trois l'intensité du bruit occasionné par les aboiements.

Il y a donc lieu de fixer le point de départ de la prescription de l'action en trouble anormal de voisinage lié aux aboiements des chiens à décembre 2018 de sorte que l'action, introduite par assignation du 30 mai 2022, n'apparaît pas prescrite ; qu'en revanche les faits dénoncés en 2015 et 2016 apparaissent prescrits.

S'agissant du tas de fumier dont la présence a été constatée par huissier de justice le 22 juillet 2021, Monsieur et Madame [E] soutiennent qu'il a toujours existé en limite de propriété de sorte que la demande serait prescrite.

Il appert de l'attestation de Monsieur [S], ancien propriétaire d'une parcelle mitoyenne avec la propriété de Monsieur et Madame [E] que ceux-ci entreposaient leur fumier de cheval sur ce terrain jusqu'à la vente de cette parcelle à un tiers.

Les époux [E], auxquels incombent la charge de la preuve, n'établissent pas à quelle date ils ont choisi d'entreposer leur fumier directement derrière le mur séparatif des propriétés [E]/[C].

Il en résulte qu'ils échouent à démontrer que l'action intentée par les consorts [C] de ce chef serait irrecevable.

Il suit de ces énonciations que la décision sera confirmée en ce qu'elle a déclaré recevable l'action des époux [C].

Sur le fond

Ainsi qu'exactement relevé par le premier juge, il résulte des articles 544 et 651 du code civil que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

Il appartient à la juridiction saisie d'apprécier in concreto si les désagréments allégués sont à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Conformément aux dispositions de l'article 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, il appartient au demandeur de rapporter la preuve de ce que les nuisances dont il se plaint excèdent les inconvénients normaux du voisinage

1/ S'agissant des nuisances sonores

Les époux [C] se prévalent d'abord d'un procès-verbal de constat établi par huissier de justice en date du 22 juillet 2021 duquel il résulte que l'officier ministériel s'étant présenté à leur domicile à cette date à 20h15, les trois chiens des époux [E] ont aboyé une première fois à 20h23 en réaction à un claquement de porte de voiture et à la sortie du conducteur, une seconde fois à 20h30 en réaction à l'action de cet officier ministériel qui s'est dirigé en marchant vers l'entrée de la propriété des époux [E], une troisième fois à 20h34 et une dernière fois à 20h39 alors qu'une personne s'est dirigée vers son véhicule en stationnement.

L'huissier de justice a relevé que les aboiements ont duré à chaque fois environ une minute-une minute trente et que ces aboiements sont de forte intensité, particulièrement aigus voire stridents. Il a poursuivi sa visite des lieux au fond de la propriété de ses mandants pour visualiser le mur de clôture, le potager et la présence du fumier chez le voisin, sans relever d'autres perturbations sonores.

Ils produisent également un procès-verbal de constat d'huissier en date du 3 mars 2022 pour l'établissement duquel l'officier ministériel a visionné 91 vidéos enregistrées sur le téléphone portable de Monsieur [R] [C].

Après visionnage, l'huissier a constaté sur chacune des vidéos des aboiements intempestifs des chiens d'une forte intensité et il a reproduit fidèlement la liste de l'intégralité des vidéos en indiquant leurs dates et heures de création ainsi que la durée de chacune d'entre elles.

Ces vidéos ont été prises entre le 24 mars 2020 et le 1er mars 2022.

Il ressort de l'examen de ce procès-verbal que dans la grande majorité des cas, les chiens ont aboyé une à trois fois dans la journée pour des durées généralement inférieures à une minute à chaque fois.

Ils ont aboyé à quatre reprises le 20 mai 2020, la première fois à 19h19, puis à 19h24, à 19h39 puis à 20 heures 13, à 5 reprises le 27 mai 2020 entre 17h45 et 21h19, à 5 reprises le 4 novembre entre 15h29 et 17h12, à 7 reprises le 1er août 2021 entre 10 heures 06 et 10h56 et 6 fois le 5 février 2022 entre 10h50 et 11h35.

Ces aboiements se sont faits entendre à 15 reprises dans la journée du 8 mai 2000 entre 9h48 et 17h56, soit à trois reprises entre 9h48 et 9h54 pour des durées de 34,12 et 51 secondes, à 6 reprises entre

16h14 et 16h56 pour des durées de 28 secondes à 40 secondes et enfin à 6 reprises entre 17h17 et 17h56 pour des durées de 16 secondes à 55 secondes.

Il est relevé qu'il n'est répertorié aucun aboiement avant 9h38 le matin et pratiquement aucun aboiement en période nocturne, à l'exception toutefois dans la journée du 15 août 2021, le seul aboiement perçu l'ayant été à 22h33 et du 31 janvier 2022, journée au cours de laquelle le seul aboiement perçu l'a été à 23h27.

Les époux [C] produisent également une attestation établie par Monsieur [O] [I] en date du 15 août 2021, dans laquelle celui-ci certifie décliner depuis un an toute invitation à dîner sur la terrasse extérieure des époux [C] car « les chiens des voisins aboient à quelques mètres de la table et au bout d'un moment cela devient irritant ». Il ajoute que les aboiements des chiens se font entendre à chaque passage de promeneurs dans la rue, que les propriétaires ne daignent même pas les rappeler ou les faire taire et que ces aboiements peuvent durer plusieurs minutes en fonction des passages dans la rue.

Monsieur [Y] [C] atteste pour sa part le 6 janvier 2023 que la fréquentation de la [Adresse 4] s'est accentuée au cours des dernières années.

Madame [N] a établi une attestation en date du 10 décembre 2022, dont il ressort que lorsqu'elle se promène dans la [Adresse 4], les chiens des époux [E] se mettent à aboyer lorsqu'ils sont en liberté et que personne n'intervient pour faire cesser les aboiements.

Les époux [E] produisent pour leur part un grand nombre de témoignages certifiant que leurs deux border collie et le labrador, qui vivent le plus souvent à l'intérieur de la maison, sont particulièrement bien éduqués et ne sont nullement agressifs, qu'ils aboient lorsque les attestants se présentent pour rendre visite à leurs maîtres mais qu'ils obéissent sans délai au rappel de ce dernier.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que si des aboiements de chien ne peuvent en soi caractériser un abus du droit de propriété alors surtout que les parties occupent ou occupaient des parcelles plus ou moins vastes, situées aux abords de champs et permettait d'y entretenir des animaux, il n'en demeure pas moins qu'ils ont excédé en l'espèce les inconvénients normaux du voisinage, par leur persistance et leur intensité du fait qu'ils ont été perpétrés par trois canidés de grande taille agissant de concert, les aboiements récurrents soit sur une journée, soit durant un même laps de temps alors que manifestement aucune mesure n'a été prise pour faire cesser le trouble causé.

2/ s'agissant des nuisances liées au tas de fumier

Le procès-verbal de constat d'huissier du 22 juillet 2021 établit sans conteste que les époux [E] ont adossé au mur séparatif des propriétés un tas de fumier de cheval qui au jour de la visite de l'officier ministériel dépassait largement le mur de clôture. Celui-ci constatait des traces de « dégoulinures » sur le mur de clôture en partie basse ainsi qu'une odeur qualifiée de  « méphitique » outre la présence de nombreux moustiques et mouches à proximité.

Les attestations produites par les époux [E], suivant lesquelles aucune odeur de fumier n'émanait de ce tas qui était régulièrement enlevé par un agriculteur en fonction de ses disponibilités et de ses besoins, ne sont pas de nature à contredire les constatations de l'officier ministériel.

En entreposant leur tas de fumier provenant de l'entretien de leurs cinq chevaux, au droit du mur de séparation des propriétés alors même qu'ils disposaient d'un terrain particulièrement vaste, ce qui aurait dû leur permettre de n'occasionner aucune gêne, les époux [E] ont causé au préjudice des époux [C] un trouble anormal de voisinage, à tout le moins en termes d'odeurs et de présence d'insectes et ce, quand bien même les propriétés seraient situées dans une petite commune de campagne.

C'est donc en définitive à bon escient que le premier juge a retenu l'existence d'un trouble anormal de voisinage au préjudice des époux [C].

Il n'y a plus lieu à condamnation à faire cesser ce trouble dans la mesure ou les époux [E] ont déménagé.

Les dispositions du jugement déféré seront en revanche confirmées en ce que les époux [E] ont été condamnés à supporter le coût des deux constats d'huissier.

3/ sur les réparations

Pour condamner les époux [E] à payer aux époux [C] la somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts, le premier juge a essentiellement retenu que les nuisances sonores ont débuté dès 2015 soit depuis plus de huit années sans que les mesures mises en place par les époux [E] n'aient suffit à mettre fin aux nuisances ; qu'elles ont eu un impact direct sur la santé de Madame [C] dont l'aggravation de la maladie peut être mise en lien avec les troubles du voisinage subi, s'agissant d'une maladie liée à l'anxiété ; que les demandeurs, qui sont retraités, ont été empêchés de jouir sereinement de leur extérieur et de leur terrasse patio, d'y inviter à diner du fait des nuisances des chiens.

Cependant d'une part, les préjudices qu'auraient pu subir les époux [C] en 2015 et 2016 du fait des aboiements nocturnes des chiens ne peuvent être pris en compte dès lors qu'aucune

action n'a été introduite de leur chef dans le délai de prescription.

D'autre part aucun avis médical circonstancié ne permet objectivement d'établir avec certitude un lien de causalité entre l'aggravation de la maladie dont souffre Madame [F] [C] née [U] et les aboiements des chiens des voisins.

Ces réserves étant émises et étant rappelées qu'aucune nuisance sonore n'a pu être relevée entre 22 heures et 09 heures dans la période non couverte par la prescription, à deux exceptions près, il convient de fixer à la somme de 2 500 € le montant du préjudice de jouissance subi par les époux [E] dont la tranquillité en journée a été perturbée et la jouissance de leur fonds amoindrie, par le fait de la propriété [E].

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens' dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

En l'espèce, les dispositions du jugement déféré s'agissant des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

À hauteur d'appel, les époux [E] ont échoué en leur demande principale tendant à voir contester l'existence même d'un principe de trouble anormal de voisinage. Toutefois ils ont obtenu une minoration des sommes mises à leur charge.

Les dépens seront en conséquence mis à la charge des époux [E] pour les deux tiers et à la charge des époux [C] pour le tiers restant.

L'existence d'un trouble anormal de voisinage étant avéré, il apparait équitable de ne faire droit qu'à la demande formée par les époux [C] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et ce dans la limite de la somme de 1 500 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'action recevable et non prescrite, en ce qu'il a condamné in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] à payer à Monsieur [R] [C] et à Madame [F] [C] née [U] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné les mêmes in solidum au paiement des entiers frais et dépens y compris les frais d'huissier engagé par les demandeurs pour faire constater les nuisances à hauteur de 678,40 €,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] à payer à Monsieur [R] [C] et à Madame [F] [C] née [U] la somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts,

Et statuant à nouveau dans cette seule limite,

CONDAMNE in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] à payer à Monsieur [R] [C] et à Madame [F] [C] née [U] la somme de 2 500 € à titre de dommages intérêts,

Et y ajoutant,

CONSTATE que les demandes tendant à voir enjoindre aux époux [E] de faire cesser les aboiements de leurs chiens et de procéder à l'enlèvement du tas de fumier proche du mur de clôture sont devenues sans objet dès lors que les époux [E] ont déménagé,

Et y ajoutant,

CONDAMNE in solidum Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] à payer à Monsieur [R] [C] et Madame [F] [C] née [U] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande des époux [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

FAIT masse des dépens et DIT qu'ils seront supportés pour les deux tiers par Monsieur [V] [E] et Madame [T] [E] in solidum et par Monsieur [R] [C] et Madame [F] [C] née [U] in solidum pour le tiers restant.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 3 a
Numéro d'arrêt : 23/02500
Date de la décision : 02/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-02;23.02500 ?
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