Société BRETONNE D'EXPEDITION DE LEGUMES
C/
EARL X...
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avoués le 09 Janvier 2007
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE CIVILE B
ARRÊT DU 09 JANVIER 2007
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL No 06/01121
Décision déférée à la Cour : AU FOND du 11 MAI 2006, rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE DIJON
RG 1ère instance : 05/2522
APPELANTE :
Société BRETONNE D'EXPEDITION DE LEGUMES
dont le siège social est situé à
PLOUNEVEZ-LOCHRIST
représentée par Me Philippe GERBAY, avoué à la Cour
assistée de Me GUTKES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
EARL X...
dont le siège social est
...
21110 LONGECOURT EN PLAINE
représentée par la SCP AVRIL & HANSSEN, avoués à la Cour
assistée de Me VANDENBROUCQUE, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2006 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur RICHARD, Conseiller, Président,
Madame VIEILLARD, Conseiller, assesseur, ayant fait le rapport sur désignation du président,
Madame RIX-GEAY, Conseiller, assesseur,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme GAUTHEROT,
ARRET rendu contradictoirement,
PRONONCE publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile,
SIGNE par Monsieur RICHARD, Conseiller, et par Madame GARNAVAULT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DE L'AFFAIRE
La Société Bretonne d'Expédition de Légumes (SBEL) a pour activité principale l'achat de légumes auprès de différents producteurs et leur revente à des magasins de gros sur l'ensemble de la France.
Pour la campagne 2004, elle a conclu des contrats d'achat d'oignons avec cinq producteurs dont l'EARL X... qui, par contrat signé les 24 janvier et 3 février 2004, s'est engagée à produire pour elle 500 tonnes d'oignons de variété Sturon et 260 tonnes de variété Centurion.
Il était prévu au contrat que les enlèvements s'effectueraient aux environs du 15 juillet 2004 pour se terminer au plus tard le 15 septembre 2004.
La société SBEL a procédé à plusieurs enlèvements pour un poids total de 199 tonnes entre le 18 août et le 6 septembre 2004.
Elle a toutefois refusé les deux derniers lots de 27,64 et 28,34 tonnes enlevés le 7 septembre 2004, invoquant la mauvaise qualité des oignons, puis a eu recours à un expert amiable, Monsieur B....
Elle a par la suite refusé de régler la facture émise par l'EARL X... qui l'a assignée en paiement devant le tribunal de commerce de Dijon.
Par jugement du 11 mai 2006, cette juridiction a :
- homologué le rapport d'expertise.
- constaté que l'EARL X... avait rempli ses obligations contractuelles
- condamné la SARL SBEL à lui payer la somme de 85 552,06 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement
- condamné la SARL SBEL à payer à l'EARL X... la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire du jugement
- condamné la SARL SBEL aux dépens.
La SARL SBEL a interjeté appel de cette décision le 14 juin 2006. Elle a saisi le Premier Président de cette Cour afin d'obtenir l'arrêt ou, à titre subsidiaire, l'aménagement de l'exécution provisoire assortissant la décision querellée.
Par ordonnance du 3 octobre 2006, ce magistrat a arrêté à concurrence de la moitié l'exécution provisoire de la condamnation portée contre la SARL SBEL et a décidé que l'examen de l'appel du jugement aurait lieu le mardi 28 novembre 2006.
Par conclusions déposées le 16 octobre 2006, la SARL SBEL demande à la Cour de
- constater que l'EARL X... n'a pas exécuté son obligation contractuelle de lui vendre des oignons de qualité saine et commercialisables
- constater que c'est à bon droit qu'elle a soulevé l'exception d'inexécution
- prononcer la résolution judiciaire du contrat signé le 24 janvier et le 3 février 2004 entre elle et l'EARL X... pour inexécution contractuelle imputable à cette dernière
en conséquence
- infirmer le jugement
- débouter l'EARL X... de l'ensemble de ses demandes
- la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts
- la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- la condamner aux dépens.
Par conclusions déposées le 14 novembre 2006, l'EARL X... demande à la Cour de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la SARL SBEL à lui payer la somme de 85 552,06 euros TTC outre 1 200 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et, ajoutant, de condamner la SARL SBEL à lui payer
- des intérêts légaux sur la somme de 85 552,06 euros à compter de la mise en demeure adressée le 24 octobre 2004
- la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive
- la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties à la décision déférée et aux conclusions ci dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que la SARL SBEL sollicite la résolution judiciaire du contrat en soutenant que l'EARL X... n'a pas exécuté ses obligations contractuelles qui consistaient à lui vendre des oignons de qualité saine et commercialisables ;
Qu'il est constant que le contrat signé les 24 janvier et 3 février 2004 prévoyait que les oignons pouvaient présenter quelques défauts mineurs à condition que ceux ci ne portent pas atteinte à l'aspect général du produit, à sa qualité, à sa conservation et à sa présentation dans l'emballage ;
Qu'il résulte des documents versés aux débats qu'après avoir procédé du 18 au 24 août 2004 à cinq enlèvements d'oignons pour un poids total de 140,42 tonnes auprès de l'EARL X..., la SARL SBEL a écrit le 1er septembre 2004 à trois de ses producteurs, dont cette dernière,
" Pour faire suite à notre réunion du lundi 30 août 2004 au cours de laquelle nous avons mutuellement évoqué les différents problèmes :
- taux de déchets au delà d'un seuil normal
- problèmes de récolte dans des conditions inhabituelles ce qui a provoqué des tas sales et humides
- problème de bactériose : maladie latente difficilement détectable lors du tri.
Pour toutes ces raisons, nous devons améliorer nos techniques le plus tôt possible.
Nous vous informons que nous reprendrons les enlèvements à compter de lundi chez Monsieur X....
Nous vous rappelons que tout taux de déchets égal ou supérieur à 20 % provoquera l'arrêt immédiat des enlèvement." ;
Que la SARL SBEL a encore procédé à deux enlèvements le 6 septembre 2004 mais a refusé deux lots enlevés le lendemain ; qu'à cette même date elle écrivait à l'EARL X... : " Nous vous communiquons le taux de déchets sur les deux camions passés : 27,8 % pourris, mous, dépouillés, malades.
Par conséquent, comme précisé dans le contrat, nous ne sommes plus en mesure de réceptionner votre marchandise. Nous vous avisons que nous refuserons les deux chargements à venir et vous demandons donc de prendre les mesures nécessaires pour le retour de ces deux camions" ;
Que le 8 septembre 2004 elle consultait l'EARL X... quant à la prise en charge des oignons prétendument non commercialisables et lui confirmait le refus des deux camions chargés dans ses locaux "pour un problème de qualité";
Que le 24 octobre 2004, l'EARL X... écrivait à la SARL SBEL pour lui préciser que l'importance de son stock lui permettait sans difficulté de lui assurer, après triage par ses soins, une qualité restant inférieure au taux de 20 % de déchets et la mettre en demeure de prendre livraison de la marchandise dans les meilleurs délais ;
Que la SARL SBEL répondait le 21 janvier 2005 à l'EARL X... qu'eu égard aux conclusions de l'expert et du laboratoire d'analyse, les oignons n'étaient plus commercialisables au 15 septembre 2004, que le contrat avait fait l'objet d'une inexécution de sa part et qu'elle ne réglerait pas la facture adressée au cours du mois précédent ;
Qu'il ressort du rapport d'expertise privée établi le 17 septembre 2004 que sur les oignons provenant de l'EARL X... examinés à cette date, une moyenne de défauts de 27 % a été relevée; qu'il n'est pas possible, en raison de la rédaction imprécise du rapport, de savoir si les indications: " bactériose, mous, pourris, malodorants, dépouillés" qui figurent à plusieurs rubriques de ce document correspondent aux propres constatations de l'expert ou aux plaintes de la société requérante ; qu'en tout cas l'expert conclut: "lot de bon aspect malgré une réfaction importante, variété centurion aurait dû être commercialisée, récolte depuis un mois et demi, écarts portant sur oignons bruns évolutifs et oignons dans peau, quelques oignons pourris (à commercialiser rapidement), tendance des deux parties à trouver une solution";
Que la SARL SBEL déduit de ce rapport, ainsi que des attestations qu'elle verse aux débats et de l'analyse effectuée par Monsieur C... du laboratoire régional de la protection des végétaux, que les oignons produits par l'EARL X... ne répondaient pas aux critères de qualité définis au contrat et présentaient un taux de déchets important empêchant leur commercialisation en raison du caractère évolutif de la bactérie ;
Que toutefois l'analyse biologique, qui met en évidence l'existence de bactéries au niveau des écailles de l'oignon "certainement" responsables de leur pourriture, ne permet pas d'affirmer comme le fait l'appelante que cette "bactériose"était évolutive et aurait gagné toute la production dans des délais mettant obstacle à sa commercialisation ;
Qu'en outre les attestations versées aux débats, émanant des clients de la SARL SBEL qui font état d'oignons de mauvaise qualité, marqués, pourris, mous, ne permettent pas d'identifier l'origine de ces marchandises et sont en contradiction avec le rapport d'expertise mentionnant le bon aspect général des oignons produits par l'intimée ;
Qu'enfin le contrat conclu entre les parties contenait la clause suivante: "si dégradation de qualité en cours de campagne dépassant 20 % : acheteur et producteur devront renégocier";
Que les parties, et notamment la SARL SBEL, avaient donc admis l'éventualité d'un taux de déchets de 20 %; que certes ce taux a été dépassé, ainsi qu'il ressort de l'expertise effectuée en présence des deux parties, mais que l'appelante, qui ne démontre pas que la totalité de la production n'était de ce fait plus commercialisable, l'expert ayant constaté le bon état général de la marchandise et l'EARL X... ayant offert de trier les oignons, ne rapporte pas la preuve de manquements d'une gravité suffisante pour permettre la résolution judiciaire du contrat ;
Que par ailleurs, en cas de dépassement du taux de 20 % de déchets, le contrat prévoyait la nécessité d'une renégociation ; qu'or, après avoir fait établir par expert que le taux de déchets était de 27 %, la SARL SBEL n'a pas satisfait à cette obligation mais a unilatéralement mis fin au contrat ;
Qu'en effet la réunion du 30 août 2004, à laquelle il est fait référence dans la lettre du 1er septembre suivant, ne peut constituer la renégociation prévue au contrat puisqu'alors que le taux de déchets n'avait pas été encore établi, il était imposé par la SARL SBEL, sans qu'une discussion entre les parties ne soit instaurée, d'améliorer la qualité faute de quoi elle mettrait fin aux enlèvements ;
Que la SARL SBEL a donc elle même commis une faute en interrompant brutalement les relations contractuelles sans essayer de trouver un terrain d'accord avec son cocontractant ;
Que la résolution judiciaire du contrat n'étant pas prononcée, la SARL SBEL doit être condamnée au paiement des marchandises dont elle s'était engagée à prendre livraison ;
Que pour tenir compte du taux de 27 % de déchets déterminé par l'expert il convient de réduire le prix dans cette proportion; que la SARL SBEL sera condamnée à payer à l'EARL X... la somme de 62 452,96 euros outre intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2005, date de l'assignation ;
Attendu que le préjudice invoqué par la SARL SBEL résulte de la rupture fautive des relations contractuelles dont elle s'est elle même rendue coupable ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
Que l'EARL X... ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct du retard apporté au paiement compensé par l'octroi d'intérêts; que sa demande d'indemnisation sera également rejetée ;
Attendu toutefois qu'il y a lieu de lui accorder une somme complémentaire de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Réforme la décision entreprise mais seulement en ce qu'elle a condamné la SARL SBEL à payer à l'EARL X... la somme de 85 552,06 euros outre intérêts à compter du jugement,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la SARL SBEL à payer à l'EARL X... la somme de 62 452,96 euros outre intérêts à compter du 8 mars 2005,
Confirme pour le surplus,
Ajoutant ,
Condamne la SARL SBEL à payer à l'EARL X... la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la SARL SBEL aux dépens de la procédure d'appel,
Admet en tant que de besoin les Avoués en la cause au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.