MAT/CH
SAS VERTECH
C/
[H] [U]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021
MINUTE No
No RG 19/00433 - No Portalis DBVF-V-B7D-FIY6
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHALON SUR SAONE, section ENCADREMENT, décision attaquée en date du 20 Mai 2019, enregistrée sous le no F18/00248
APPELANTE :
SAS VERTECH
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Florent SOULARD de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON, et Me Fabrice TURLET de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
INTIMÉ :
[H] [U]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Myriam SI HASSEN de la SCP GAVIGNET ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2021 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Marie-Aleth TRAPET, Conseiller,
Rodolphe UGEN-LAITHIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,
GREFFIER LORS DU PRONONCÉ : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [H] [U] (le salarié) a été engagé le 26 septembre 2011 par la SASU Vertech' (l'employeur), dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps plein, en qualité de chargé d'affaires en informatique industrielle.
Le 19 février 2015, la SASU Vertech' a convoqué M. [U] pour le 9 mars 2015 à un entretien préalable en vue d'une rupture conventionnelle auquel il s'est présenté en présence du délégué du personnel.
A cette occasion, M. [U] a décliné la proposition de rupture conventionnelle de son contrat de travail.
Le 20 mars 2015, la SASU Vertech' a convoqué M. [U] à un entretien préalable en vue d'un licenciement économique fixé au 7 avril 2015. Son licenciement pour motif économique lui a été notifié le 27 avril 2015.
Le 28 avril 2015, M. [U] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle. Le même jour, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, et à la condamnation de la SASU Vertech' à lui payer d'importantes sommes au titre d'un rappel de salaire sur forfait jours et à l'indemnisation de la rupture du contrat de travail dont il demandait qu'elle fût prononcée aux torts de l'employeur.
Après deux radiations de l'instance prud'homale ainsi engagée par le salarié, la juridiction prud'homale a été valablement saisie le 19 septembre 2018.
Par jugement du 20 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Chalon-sur-Saône, en sa section Encadrement, a :
- déclaré que le licenciement économique de M. [U] reposait sur une cause réelle et sérieuse,
- pris acte de ce que la SASU Vertech' s'engageait à verser à M. [U] les sommes de :
. 771,97 euros à titre de régularisation de l'indemnité de licenciement,
. 1 421,46 euros brut de régularisation au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
. 556,37 euros brut de régularisation au titre de l'indemnité RTT,
- fait droit à la demande de rappel de salaire sur forfait jours et condamné la SASU Vertech' à payer au salarié :
. 37 157,70 euros brut au titre de rappel de salaire sur forfait jours,
. 3 715,77 euros brut au titre des congés payés afférents,
. 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la remise d'un bulletin de salaire complémentaire et de l'attestation Pôle emploi rectifiée, le tout sans astreinte,
- débouté M. [U] de ses plus amples demandes,
- dit que les dépens seraient partagés par moitié entre les parties.
Cette décision a été régulièrement frappée d'appel par la SASU Vertech' le 17 juin 2019.
Dans le dernier état de ses conclusions du 26 février 2020, la SASU Vertech' demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,
- jugé le licenciement économique comme étant pourvu d'une cause réelle et sérieuse,
- jugé qu'elle n'avait pas manqué à son obligation de reclassement,
- jugé qu'elle n'avait pas violé la priorité de réembauchage,
- débouté M. [U] de ses demandes d'indemnisation, d'indemnité de préavis et de congés payés afférents,
- débouté M. [U] de ses demandes relatives au travail dissimulé.
L'employeur conclut encore au rejet de l'ensemble des demandes formulées par M. [U] au titre de son appel incident, et, accueillant son appel limité, d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,
A titre principal :
- de juger que l'inopposabilité à M. [U] de la convention de forfait contractuelle doit conduire à apprécier le décompte et le paiement des heures supplémentaires selon le droit commun,
- de juger en conséquence que la condamnation de l'employeur prononcée à hauteur de 37 1570,70 euros brut, basée sur le salaire minimum à attribuer à un cadre de position 3 au forfait jours, est infondée et de débouter le salarié de sa prétention au paiement d'une telle somme,
- de juger que M. [U] n'a pas sérieusement étayé sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires et que l'employeur apporte des éléments sérieux pour justifier qu'aucune somme ne restait due au salarié,
- de débouter en conséquence M. [U] de sa demande au titre des heures supplémentaires, présentée à hauteur de 17 569,80 euros brut, augmentée des congés payés afférents,
- de débouter le salarié de ses autres demandes,
- de le condamner au paiement d'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour admettrait le bien-fondé de la demande de paiement du rappel de salaire :
- d'en ramener le montant à la somme maximum de 17 569,80 euros brut,
- de débouter le salarié de sa demande de délivrance de bulletins de salaire rectificatifs pour la période d'avril 2012 à avril 2015, mais d'ordonner la délivrance d'un unique bulletin de salaire rectificatif,
Et, dans l'hypothèse où la cour faisait droit aux demandes indemnitaires du salarié, de prononcer la condamnation à des dommages-intérêts en brut, chaque partie devant faire son affaire des éventuelles cotisations afférentes.
Par ses dernières écritures du 3 décembre 2019, le salarié invite la cour à dire mal fondé l'appel formé par l'employeur mais, au contraire, a jugé bien-fondé son appel incident et, infirmant partiellement le jugement entrepris,
A titre principal :
- de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SASU Vertech",
A titre subsidiaire :
- de juger que le licenciement économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause :
- de condamner la SASU Vertech' à lui payer les sommes suivantes :
. à titre principal : 37 157,70 euros brut à titre de rappel de salaire sur forfait jours, outre 3 715,77 euros au titre des congés payés afférents, à titre subsidiaire : 17 569,80 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 1 756,98 euros brut de congés payés afférents,
. 13 140 euros net à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
. 6 570 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 657 euros de congés payés afférents,
. 17 520 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 4 380 euros net à titre de dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauchage,
- de condamner la SASU Vertech' à lui remettre un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiés ainsi que des bulletins de paie au titre de la période de préavis, et des bulletins de paie rectifiés pour la période d'avril 2012 à avril 2015, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard suivant un délai de 15 jours à compter de la notification ou de la signification de la décision à intervenir,
- de condamner la SASU Vertech' à lui payer 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- de débouter la société de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre.
Pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties, la cour entend se référer à leurs conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats.
SUR QUOI, LA COUR,
Sur la demande de rappel de salaire sur forfait en jours
Le salarié réclame une somme de 37 157,70 euros brut à titre de « rappel de salaire sur forfait annuel en jours », outre les congés payés afférents, au motif que son contrat de travail, comme ses bulletins de paie, faisaient mention d'un forfait annuel à hauteur de 218 jours de travail par an.
Il estime pouvoir prétendre à ce rappel de salaire dès lors que, selon la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite convention Syntec, seuls peuvent être soumis au forfait en jours les salariés relevant au minimum de la position 3 de la classification des cadres, ou bénéficiant d'une rémunération annuelle supérieure à deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale. Constatant que sa rémunération était inférieure au plafond annuel de la sécurité sociale, alors qu'il aurait dû être classé au minimum en position 3, il réclame le bénéfice du salaire minimum attaché à cette position.
Le conseil de prud'hommes a fait droit à ce chef de demande pour ce seul motif, après avoir constaté que le salarié avait été embauché en contrepartie d'un salaire mensuel de 2 100 euros brut et qu'il percevait, au moment du licenciement, 2 467 euros brut, de sorte qu'il avait toujours perçu une rémunération inférieure au plafond de la sécurité sociale.
Le contrat de travail liant les parties précisait, en son article 3, que le salarié exercerait les fonctions de chargé d'affaires, et qu'il aurait le statut de cadre en position 1.1, coefficient 95, conformément à la convention Syntec applicable. L'article 6 du contrat, improprement intitulé : « Rémunération forfait annuel en jours » précisait : « Le salarié percevra une rémunération mensuelle fixe forfaitaire brute de 2 500 euros pour un temps complet [?] ».
Cependant, si le bénéfice d'une rémunération supérieure au double du plafond annuel de la sécurité sociale constitue l'un des critères possibles de classification aux modalités 3 « réalisation de missions avec autonomie complète », ce texte n'oblige pas l'employeur à assurer une telle rémunération à un cadre qui n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 4.
Si le salarié qui ne bénéficie pas d'une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale ne peut être valablement soumis à une convention de forfait en heures, l'accord de branche du 22 juin 1999 ne fait aucune obligation à l'employeur d'assurer à ce salarié un tel niveau de rémunération.
Dès lors que la condition relative au plafond ne constitue pas une contrepartie de rémunération mais une condition d'accessibilité au forfait, le salarié ne peut prétendre à un rappel de salaire, sauf à décompter son temps de travail sur la base de 35 heures hebdomadaires et solliciter un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires décomptées à compter de la 36ème heure.
Le salarié sera donc débouté de sa demande de rappel de salaire en application du forfait annuel en jours. Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.
Sur la demande subsidiaire en paiement des heures supplémentaires
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre des heures supplémentaires, l'employeur fournit au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1, L. 3171-3, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d' heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Le salarié produit ses fiches de déplacement laissant apparaître les heures d'arrivée et de départ, et les différents trajets réalisés pour exécuter ses missions, ainsi que des tableaux récapitulatifs indiquant l'heure de début, l'heure de fin, le temps de pause, la base journalière à 7h42, le total d'heures de travail effectif faisant ressortir la réalisation d'heures supplémentaires.
Le salarié produit ainsi plusieurs éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
L'employeur fait valoir que les éléments produits par M. [U] comportent des incohérences, dès lors qu'il prend en compte des temps de trajet pour le calcul des heures supplémentaires, et qu'au contraire, il omet de prendre en considération des jours de récupération dont il a bénéficié. Il soutient que la société a mis en place une prime de déplacement en contrepartie du temps de déplacement et que ce déplacement ne doit pas, dans ces conditions, être pris en compte dans le temps de travail effectif.
La cour observe que le compte rendu d'activité produit par l'employeur n'est pas suffisamment précis pour déterminer le nombre d'heures de travail effectif réalisé par le salarié, dans la mesure où il est seulement indiqué, pour de nombreuses semaines, le chiffre 1 correspondant à 7 heures de travail, sans indication des missions effectuées, ni de l'heure d'arrivée ou de départ du salarié, ni des déplacements, des heures de pause, etc. Les feuilles de temps ne permettent pas davantage de connaître le nombre d'heures de travail réalisées par M. [U]. En outre, aucun ordre de mission n'est produit pas l'employeur, en dépit du caractère obligatoire de ce document lorsque le salarié est envoyé en mission hors de France métropolitaine, selon les prescriptions de l'article 66 de la convention Syntec.
L'examen des pièces produites laisse par ailleurs apparaître que l'état récapitulatif produit par le salarié inclut effectivement les heures de déplacement lorsqu'il était en mission en France ou à l'étranger, et qu'il n'a pas été tenu compte des jours de récupération.
Aux termes de l'article L. 3121-4 du code du travail : « Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.
Toutefois s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière.
Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ».
Selon l'article 70 G de la convention collective Syntec, les délais de route lors des déplacements hors de la France métropolitaine sont rémunérés comme temps de travail, suivant les modalités à préciser dans l'ordre de mission. Toutefois, il résulte de l'avis no 2 du 31 mars 2005 de la commission paritaire nationale d'interprétation prévue par la convention Syntec, rendu postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi no 2005-32 du 18 janvier 2005 dont est issu l'article L. 3121-4 du code du travail, que la rémunération des délais de route pouvait se traduire soit par une compensation financière soit par une compensation en temps de repos. Les délais de route ne peuvent donc être assimilés à un temps de travail effectif, ni être pris en compte dans le calcul des heures supplémentaires.
Au vu de l'ensemble des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour retient que le salarié a bien effectué des heures supplémentaires dont il n'est pas contesté qu'elles n'ont pas été rémunérées. Il y a lieu de fixer le rappel salarial à ce titre à la somme de 17 000 euros, augmentée des congés payés afférents.
Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
L'intimé sollicite le paiement de l'indemnité pour travail dissimulé prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail. Il soutient que le travail dissimulé serait constitué du seul fait que l'employeur aurait économisé les charges sociales afférentes au salaire non payé.
Toutefois, cette indemnité n'est due que si le caractère intentionnel de la dissimulation est démontré. En l'espèce, cette preuve n'est pas rapportée dès lors que les heures supplémentaires n'ont été réclamées que tardivement, de surcroît de manière subsidiaire, dans le cadre de la saisine du conseil de prud'hommes, et que la réalité de ces heures supplémentaires n'a été déterminée qu'après un débat judiciaire et conformément aux règles de preuve propres au contentieux prud'homal, ne faisant apparaître aucune intention de dissimulation de la part de l'employeur.
Le salarié sera débouté de cette demande, la décision critiquée étant confirmée en ce qu'elle a rejeté ce chef de demande.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
À la demande de la cour, les parties ont produit, en cours de délibéré, la justification de ce que le conseil de prud'hommes avait été saisi de la requête déposée par M. [U] le 28 avril 2015.
La production de la lettre de licenciement permet de constater qu'elle a été expédiée le 27 avril 2015, à 16h, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Si c'est bien la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement au salarié qui fixe le point de départ du préavis, en application de l'article L. 1234-4 du code du travail, c'est la date d'envoi de la lettre notifiant le licenciement au salarié qui constitue la date de rupture du contrat de travail.
Il importe peu que la demande de résiliation judiciaire ait été « préparée » le 27 avril 2015, avant que le salarié reçoive la notification de son licenciement. Seul le dépôt au greffe du conseil de prud'hommes donne une effectivité à la saisine de la juridiction.
Dès lors que la demande de résiliation judiciaire a été enregistrée après l'envoi de la notification de licenciement, cette demande est sans objet.
Le juge peut, tout au plus, prendre en considération les manquements invoqués par le salarié pour apprécier la légitimité du licenciement si ceux-ci sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation. En l'espèce, le manquement consistant, aux yeux du salarié, en la privation de la rémunération à laquelle il avait droit dans le cadre de son contrat de travail, est sans incidence sur l'appréciation de la légitimité du licenciement prononcé pour motif économique. La cour observe que l'intimé ne sollicite pas, de manière subsidiaire, l'indemnisation de son préjudice, en toute hypothèse inexistant dès lors que le salarié ne pouvait prétendre au salaire dû aux seuls cadres classés en position 3.
La décision entreprise est confirmée en ce qu'elle a jugé irrecevable la demande de résiliation judiciaire.
Sur le licenciement pour motif économique
Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, constitue un licenciement économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment, à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige doit énoncer, lorsqu'un motif économique est invoqué, à la fois la raison économique qui fonde la décision et sa conséquence précise sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié.
En l'espèce la lettre du 27 avril 2015, notifiant à M. [U] son licenciement pour motif économique, est rédigée dans les termes suivants :
« Monsieur,
Nous donnons suite à l'entretien préalable qui a eu lieu le mardi 7 avril 2015, au cours duquel nous vous avons indiqué les motifs qui nous ont conduits à envisager votre licenciement pour motif économique que nous vous rappelons ci-après, et vous avons remis le dossier de contrat de sécurisation professionnelle.
Notre société exerce une activité de conseil et de développement de systèmes et de logiciels informatiques destinés au suivi des qualités et des performances des lignes de fabrication, principalement à destination des industries verrières, qui est un marché très ciblé.
Or :
- le taux d'équipement de la clientèle actuelle est très élevé : environ 80% du marché cible est doté en équipement ; de fait, la demande à destination des systèmes et logiciels proposés par notre société se réduit,
- nous avons subi les effets de la vente de plusieurs clients, qui a entraîné de facto la perte des marchés afférents, nos systèmes et logiciels ayant été remplacés par des solutions développées en interne ou par des logiciels concurrents (ex : Owens Illinois, SGC),
- les décalages entre l'obtention des marchés et leur réalisation est de plus en plus important, lesquels sont difficilement prévisibles avec précision et peuvent atteindre jusqu'à plusieurs années, notamment lorsque la réalisation de nos interventions dépend de l'exécution au préalable de certaines opérations telles que le câblage ou la construction de fours,
Outre le fait que ces phénomènes affectent notre besoin en main d'oeuvre, ils affectent directement notre volume d'activité. Cela se traduit par une baisse du chiffre d'affaires dans des proportions qui s'avèrent incompatibles avec les moyens qui sont à notre disposition pour assurer le fonctionnement de la société.
Ainsi la situation comptable provisoire arrêtée au 31 décembre 2014 laisse apparaître :
- une diminution du chiffre d'affaires d'environ 10% par rapport au chiffre d'affaires réalisé au 31 décembre 2013, ce qui représente environ - 150 000 euros,
- une augmentation des charges d'exploitation d'environ 10% par rapport au niveau des charges d'exploitation au 31 décembre 2013, ce qui représente environ + 150 000 euros,
L'augmentation de ces charges d'exploitation s'explique principalement par les approvisionnements réalisés en prévision de réalisation de chantiers qui n'ont pu être entrepris.
- un résultat d'exploitation provisoire d'environ – 400 000 euros.
Nous avons ?uvré pour anticiper cette problématique afin de sauvegarder notre compétitivité sans diminuer l'effectif en :
- consacrant des investissements importants au développement de nouveaux produits et à l'élargissement vers de nouveaux secteurs d'activité, outre la réalisation de multiples actions commerciales.
Toutefois à ce jour nous ne constatons pas un retour permettant d'amortir le coût élevé de cette politique de recherche et développement / promotion commerciale qui permettrait de pallier à la baisse du chiffre d'affaires de notre activité historique,
- proposant des contrats de maintenance pour élargie notre action et trouver une source nouvelle de chiffre d'affaires. Cette activité ne produit toutefois pas à ce jour de retours significatifs.
Notre société, qui n'appartient pas à un groupe, ne dispose que des moyens qu'elle détient en propre pour faire face à cette situation économique et financière dégradée du fait de l'insuffisance de chiffre d'affaires réalisé. Ces moyens limités ne permettent pas de couvrir à la fois les charges de fonctionnement et les dépenses qui doivent nécessairement être consacrées aux actions destinées à permettre la survie de la société à moyen terme.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous sommes contraints d'adopter une politique de diminution drastique des charges d'exploitation, tant pour sauvegarder notre compétitivité que pour anticiper des difficultés économiques à très court terme.
Dans ce contexte, les mesures suivantes sont envisagées :
- la réorganisation de la prospection commerciale,
- l'annulation des salons prévus en Russie et en Chine,
- la rationalisation des déplacements pour tenter de diminuer les temps d'installation et les coûts afférents, pour tenter de générer de la marge,
- la suppression immédiate d'un emploi dans le secteur Opérations France, dont le niveau actuel d'activité est très impacté par le phénomène décrit ci-avant.
Ainsi, il a été décidé de procéder à la suppression d'un emploi de chargé d'affaires en informatique industrielle et, par conséquent, à votre licenciement pour motif économique.
Dans ce conteste, nous avons mené les recherches d'emplois de reclassement à votre bénéfice au sein de notre société.
Malheureusement, nous n'avons identifié aucune solution qui permettrait d'assurer votre reclassement, de sorte que nous sommes contraints de prononcer votre licenciement pour motif économique, à défaut de solution de reclassement susceptible de vous être proposée.
Nous vous rappelons vous avoir proposé le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle et vous avoir remis un document d'information à ce sujet, le jour de l'entretien préalable. [?] ».
M. [U] soutient que la SASU Vertech' n'apporte pas la preuve des difficultés économiques alléguées dans la lettre de licenciement. Il s'étonne de ce que la société ait versé une prime d'intéressement de 12 000 euros à l'un de ses collègues, l'année même où elle aurait connu de telles difficultés. Quant à la dégradation de sa cotation par la Banque de France, elle ne serait pas significative dès lors que l'employeur n'a produit qu'une unique cotation réalisée le 19 octobre 2015, interdisant toute comparaison avec les cotations réalisées les années précédentes.
L'employeur indique que les difficultés économiques rencontrées auraient eu pour conséquence de le conduire à envisager l'ouverture d'une procédure de sauvegarde. Aucun document relatant l'ouverture d'une éventuelle procédure collective n'est cependant produit.
Selon les bilans fournis par la société et certifiés conformes, il apparaît, à la lecture de l'exercice clos au 30 juin 2014, que la société avait réalisé un chiffre d'affaires de 3 460 436 euros. Le chiffre d'affaires indiqué à la clôture de l'exercice arrêté au 30 juin 2015 n'était plus que de 2 926,618, marquant une diminution de 15,43 %, alors que les charges d'exploitation n'ont diminué que de 4 % sur la même période (3 418 607 euros au 30 juin 2015 contre 3 556 615 euros au 30 juin 2014). Le résultat d'exploitation était donc négatif (- 306 666 euros) lors de la clôture de l'exercice 2015, alors qu'il était positif (+ 83 733 euros) au 30 juin 2014.
Des efforts ont par ailleurs été réalisés par la société au niveau de la diminution des coûts, et charges courantes, en dépit d'une forte augmentation des coûts de matière première lors de l'exercice clos au 30 juin 2015 (+80,46 %).
Il importe cependant de tenir compte du fait que la perte de l'exercice a été aggravée par un emprunt souscrit pour un montant de 193 789 euros, générant des charges financières importantes sur l'exercice 2015.
En outre, le 26 février 2015, peu de temps avant d'initier la procédure de licenciement de M. [U] et de deux autres salariés, pour motif économique, la SASU Vertech' a procédé à la fusion de la société avec la société Tracetech, cette situation ne permettant pas de comparer le bilan et le compte de résultat de la société au 30 juin 2014 avec les documents établis un an plus tard, après fusion des deux sociétés.
Par ailleurs, à la clôture de l'exercice au 30 juin 2015, la SASU Vertech' disposait au bilan d'une trésorerie permettant de faire face aux difficultés, puisqu'elle s'élevait à 842 486 euros.
Dans la lettre de licenciement notifiée au salarié, l'employeur indique avoir consacré des investissements importants au développement de nouveaux produits et à l'élargissement vers de nouveaux secteurs d'activité, et réalisé de multiples actions commerciales pour sauvegarder sa compétitivité. Elle ne verse pourtant au débat aucun élément permettant de justifier la réalité de ces actions.
Enfin, lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national. La société communique une copie d'écran permettant d'établir qu'elle fait partie d'un groupe de sociétés, comprenant des établissements hors de France, précisément en Italie, au Mexique et aux États-Unis. Or, aucun élément n'est produit susceptible de permettre d'apprécier la situation économique des autres sociétés du groupe.
Il n'est pas démontré que la société rencontrait des difficultés économiques telles qu'elle devait procéder à des licenciements économiques.
L'absence de motif économique suffit à priver le licenciement de M. [U] de cause réelle et sérieuse.
En toute hypothèse, l'employeur ne justifie pas avoir sérieusement rempli son obligation de reclassement, dès lors qu'à la date à laquelle le licenciement a été prononcé, l'article L. 1233-4-1 du code du travail, dans sa version alors en vigueur, résultant de la loi no2010-499 du 18 mai 2010, faisait obligation à l'employeur de demander au salarié, préalablement au licenciement, s'il acceptait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation.
Or, la société appelante ne produit qu'une copie d'écran sans le moindre élément probant pour justifier de l'impossible permutabilité des salariés au sein des différents établissements, alors qu'au regard des fonctions et des nombreux déplacements réalisés par M. [U] à l'étranger, l'employeur ne pouvait se croire dispensé de l'obligation de proposer la possibilité d'un reclassement dans les entreprises situées à l'étranger.
Il y a lieu de considérer que le licenciement du salarié est privé de cause réelle sérieuse. Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.
Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise (plus de dix salariés), des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [U] (en fonction d'un revenu mensuel brut au moment du licenciement de 2 467 euros), de son âge (29 ans), de son ancienneté (4 années), de sa capacité à trouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, une somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il est également fait droit à la demande de paiement de l'indemnité compensatrice de préavis justement calculée, augmentée des congés payés afférents, dans la mesure où, en l'absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle se trouve privé de cause.
Il y a lieu, par ailleurs, d'ordonner à la SASU Vertech' de remettre à M. [U] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.
Sur la priorité de réembauche
Selon l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai. Le salarié dont le contrat de travail est rompu à la suite de l'acceptation d'une convention de reclassement personnalisé bénéficie de la priorité de réembauche.
Le salarié fait valoir que son employeur a manqué à son obligation de priorité de réembauche, alors qu'il lui avait indiqué, par un courrier du 4 mai 2015, qu'il souhaitait bénéficier de cette priorité, et que la société a procédé à un recrutement le 21 septembre 2015, ainsi qu'à l'embauche de M. [C] [Z] en tant que responsable de projet, le 11 avril 2016, sans lui avoir proposé lesdits postes.
L'employeur conteste cette demande au motif qu'un emploi en contrat à durée déterminée avait été proposé en octobre 2015 au salarié qui l'avait refusé, que M. [U] avait retrouvé un emploi et qu'aucune obligation ne lui était faite de lui proposer le poste qui a été confié à M. [Z], puisqu'il nécessitait de la part de son titulaire une parfaite maîtrise de la langue italienne que ne possédait pas l'intimé.
La priorité de réembauche n'est pas exclue du seul fait que le salarié a retrouvé un emploi.
Toutefois, il résulte des pièces produites que l'employeur a bien proposé au salarié, le 7 octobre 2015, un emploi disponible pour une durée déterminée. Le registre du personnel permet également de constater qu'une unique embauche a été réalisée, le 3 octobre 2016, au sein de l'établissement fixé en France. S'agissant d'un contrat de professionnalisation, il n'était cependant pas compatible avec la qualification du salarié.
S'agissant du périmètre de la priorité de réembauche, ce droit s'exerce à l'égard de la société qui a engagé la procédure de licenciement mais ne s'étend pas aux autres sociétés du groupe, lesquelles constituent des entités distinctes de l'employeur, seul débiteur de l'obligation de l'article L. 1233-45 du code du travail.
Ainsi, l'employeur n'avait pas l'obligation de proposer au salarié le poste attaché à la structure juridique basée en Italie.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a estimé que l'employeur n'avait pas violé la priorité de réembauche et rejeté, en conséquence, la demande d'indemnisation présentée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a jugé irrecevable comme étant sans objet la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, rejeté la demande d'indemnité pour travail dissimulé et débouté M. [H] [U] de sa demande d'indemnité pour violation de la priorité de réembauche ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute M. [H] [U] de sa demande à titre de rappel de salaire sur forfait en jours ;
Accueille sa demande en paiement d'heures supplémentaires et condamne la SASU Vertech' à lui payer une somme de 17 000 euros à ce titre, augmentée des congés payés afférents à hauteur de 1 700 euros ;
Dit que le licenciement de M. [H] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SASU Vertech' à payer au salarié :
- 6 570 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 657 euros de congés payés afférents,
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne la remise par la SASU Vertech' à M. [U] d'un certificat de travail, d'une attestation pôle emploi et d'un bulletin de paie récapitulatif conformes à la présente décision ;
Déboute M. [U] du surplus de ses demandes ;
Condamne la SASU Vertech' à payer à M. [U] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure prud'homale ;
Déboute la SASU Vertech' de sa demande présentée sur le même fondement ;
Condamne la SASU Vertech' aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLe président
Frédérique FLORENTINOlivier MANSION