ARRÊT DU
08 Juillet 2022
N° 1189/22
N° RG 19/01892 - N° Portalis DBVT-V-B7D-STI6
PN/GL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE SUR MER
en date du
09 Septembre 2019
(RG 19/00008 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 08 Juillet 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [N] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Nathalie EXPOSTA, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Nicolas WEISZ, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BETHUNE, assisté de Me Julien BERENGER, avocat au barreau de MARSEILLE
DÉBATS :à l'audience publique du 05 Mai 2022
Tenue par Pierre NOUBEL
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Cindy LEPERRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 08 Juillet 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 avril 2022
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
M. [N] [B] a été engagé par l'association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS (ci-après SOMB) suivant contrat à durée déterminée en date du 15 août 2017, en qualité d'entraîneur professionnel.
Le 5 novembre 2018, il s'est vu notifier une mise à pied conservatoire à effet immédiat.
Par lettre remise en main propre du 12 novembre 2018, M. [N] [B] a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé au 19 novembre 2018.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 22 novembre 2018, l'employeur a mis fin à son contrat de travail pour faute grave.
Le 14 janvier 2019, M. [N] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-sur-Mer, afin de contester la rupture de son contrat de travail et d'obtenir des dommages et intérêts pour non-respect de la procédure disciplinaire ainsi que pour rupture abusive de la relation contractuelle.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes du 9 septembre 2019, lequel a :
- dit le licenciement de M. [N] [B] fondé sur une faute grave,
- constaté que la procédure de licenciement est irrégulière sur le plan formel et doit donner lieu à indemnisation du préjudice subi,
- condamné en conséquence l'association SOMB à payer à M. [N] [B] 4.564 euros conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article L.1235-2 du code du travail,
- débouté M. [N] [B] du surplus de ses demandes,
- dit n'y avoir application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné l'association SOMB aux entiers dépens de l'instance.
Vu l'appel formé par M. [N] [B] le 26 septembre 2019,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de M. [N] [B] transmises au greffe par voie électronique le 10 avril 2020 et celles de l'association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS transmises au greffe par voie électronique le 12 mars 2020,
Vu l'ordonnance de clôture du 14 avril 2022,
M. [N] [B] demande :
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit la procédure de rupture du contrat de travail irrégulière, condamnant l'association SOMB à lui payer 4.564,18 euros,
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit la rupture anticipée de son contrat de travail de fondée sur une faute grave,
statuant à nouveau :
- de dire qu'aucune faute grave n'est caractérisée à son encontre,
- de dire que la rupture anticipée de son contrat de travail est abusive,
- de condamner l'association SOMB à lui payer 66.323,58 euros à titre des dommages et intérêts en réparation des préjudices causés par la rupture abusive de son contrat de travail,
- de dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal, à compter de la demande introductive d'instance,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,
- de condamner l'association SOMB à lui payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
L'association SOMB demande :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit la rupture anticipée du contrat de travail de M. [N] [B] fondée sur une faute grave,
- d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit irrégulière la procédure de rupture du contrat de travail et en ce qu'elle l'a condamné à payer à M. [N] [B] 4.564 euros en réparation de son préjudice en découlant,
Statuant à nouveau :
à titre principal :
- de débouter M. [N] [B] de toutes ses demandes,
à titre subsidiaire :
- de fixer dans l'éventualité où la faute grave ne serait pas retenue, le montant des sommes dues à M. [N] [B] à 37.040,70 euros au titre de l'article L1243-4 du code du travail,
- de débouter M. [N] [B] de toutes ses autres demandes,
à titre infiniment subsidiaire :
- de fixer dans l'éventualité où la faute grave ne serait pas retenue et qu'elle serait condamnée à payer l'intégralité des salaires restant dus, le montant des sommes dues à M. [N] [B] à 42 554,88 euros au titre de l'article L1243-4 du code du travail,
- de débouter M. [N] [B] de toutes ses autres demandes,
En toute hypothèse :
- de condamner M. [N] [B] à lui payer 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
SUR CE, LA COUR
Sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail de M. [N] [B]
Attendu qu'en application de l'article L 1243-1 du code du travail, « sauf accord des parties, le contrat de travail à durée indéterminée ne peut être rompu qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail » ;
Qu'en application de l'article L 1243-4 du même code, la rupture anticipée du contrat par l'employeur, en dehors des cas autorisés ouvre droit pour le salarié à des dommages intérêts d'un montant égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat ;
Attendu qu'en l'espèce, par un courrier recommandé du 22 novembre 2018, qui fixe les limites du litige, l'association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS a rompu le contrat de travail de M. [N] [B] en ces termes :
« (') Vous avez commis à plusieurs reprises des fautes graves révélant un comportement manifestement incompatible avec l'exercice de votre activité d'entraîneur de basket-ball et, en tout état de cause contraires aux obligations auxquelles vous êtes soumis en application des termes du contrat de travail.
Le contrat de travail prévoit à l'article quatre « obligations de l'entraîneur » que l'entraîneur devra dans le cadre de la structure technique du club obtenir le meilleur rendement possible dans son activité » qu'il « s'engage à une conduite irréprochable avant pendant et après les entraînements et rencontres afin d'éviter de porter atteinte aux intérêts de son club et ordonnant de son équipe ».
Or, lors du match disputé par l'équipe que vous entraîniez le 13 octobre 2018, vous avez interdit au président du club, Monsieur [F] [I], de pénétrer dans les vestiaires à la mi-temps allant même jusqu'à vous mettre en travers de la porte du vestiaire pour lui en empêcher physiquement l'accès. Votre attitude particulièrement irrespectueuse et vexatoire au regard du président, adoptée en présence de tous les joueurs du staff, démontre votre absence totale de respect du lien hiérarchique et de subordination à l'égard du président du club et de son autorité liée à sa fonction.
Par ailleurs, à l'issue d'un événement organisé le 21 octobre 2018 par le club auprès du grand public sur la gestion des émotions dans le sport vous avait rallié l'absence de représentant du club à cet événement dans un message posté sur le groupe WhatsApp du club dans lequel figurent tous les administratifs du club. Puis le lendemain devant l'ensemble des joueurs faisant ironiquement référence au thème de cet événement, vous avez dénigré l'absence du président au motif que ce dernier selon vos propos était « pourtant celui qui en avait le plus besoin »
Ces propos tenus à deux reprises tant auprès des salariés administratifs du club que les joueurs de l'équipe fanion sont là encore particulièrement irrespectueux à l'égard du président et démontre une incapacité manifestée permanente à respecter l'autorité hiérarchique et de vous y soumettre, au détriment de l'institution et de sa crédibilité à l'égard de son personnel.
Les faits relevés des 13 et 21 octobres 2018 sont constitutifs d'une insubordination réitérée qui, par leur caractère public, nuisent aux intérêts de l'image du club.
Quelques jours auparavant, lors de la conférence d'après match du 13 octobre 2018, vous avez indiqué : « je tiens à remercier tout particulièrement mon assistant. Il est devenu le seul au sein du club avec lequel je peux discuter sur la base d'analyses claires et lucides. Si je ne l'avais pas, je me demande vers qui je me tournerais ». Vos propos ont, évidemment été reproduit dans le journal Voix du Nord du 14 octobre 2018.
Ces propos publics, par lesquels vous avez mis en doute la disponibilité, la compétence et la clairvoyance de la direction du club et en particulier du président, dénigrent gravement ces derniers et portent atteinte aux intérêts à la réputation du club. En outre, ces propos sont infondés car le président s'est toujours tenu disponible à votre égard et ne vous a jamais refusé un entretien.
De plus, vous avez dénigré le club auprès des partenaires qui sont des soutiens indispensables en leur indiquant à plusieurs reprises que le club n'avait pas le niveau pour évoluer au niveau sportif supérieur.
Enfin, lors de la réception organisée à l'issue de la rencontre SOMB- Andrézieux (13 octobre 2018) qui s'était soldée par la première victoire de l'équipe à domicile depuis le début du championnat, en présence des invités et des partenaires du club, vous êtes entrés dans la salle d'une façon virulente et, en tapant des mains sur la table vous avez crié devant un parterre médusé « alors qu'est-ce que vous avez à me reprocher ce soir! »
Une telle attitude est inadmissible et constitue un manquement gravement fautif aux obligations prévues à l'article 4 de votre contrat de travail.
« En outre, dans un article du journal La Voix du Nord du 6 novembre 2018 consacré au SOMB, le journaliste a avancé des explications sur les raisons de votre possible mis à l'écart de l'équipe première, invoquant un « malentendu » car vous aviez « imaginé reprendre un club de pro B » et que vous aviez récupéré « une équipe de N1 avec quelques dettes et composée de joueurs au salaire de pro B ». Ces informations sont totalement erronées, par le club présent une situation nette positive et qu'à votre arrivée en août 2017, le club évoluait déjà en N1. Ces informations mensongères reprises par le journaliste qui n'ont pu émaner du club, ne peuvent que provenir de vous. Or, celles-ci donnent son fondement une image négative du club et nuisent à sa réputation.
L'ensemble des faits dénoncés constitue des manquements graves, répétés et renouvelés aux obligations qui résultent de votre contrat de travail et qui s'imposent à tout salarié, plus encore à un entraîneur de basket-ball qui en tant qu'éducateur est soumis à un devoir d'exemplarité tant vis-à-vis des joueurs et du personnel du club que du public.
Ces faits commis pour la plupart en public, et leur répercussion causent de surcroît un trouble caractérisé au club et démontrent par la répétition votre incapacité à améliorer votre comportement comme à vous soumettre à l'autorité hiérarchique.
Ceux-ci rendent ainsi impossible votre maintien dans l'entreprise pour exercer vos fonctions d'entraîneur de basket-ball et la poursuite de votre contrat de travail. (') » ;
Attendu que la mise en 'uvre du licenciement pour faute grave doit intervenir dans un délai restreint à compter de la découverte des faits fautifs dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire ;
Attendu qu'en l'espèce, les manquements reprochés au salarié sont constitués d'une série d'attitudes ou de prise de position parfois publiques que l'employeur qualifie d'actes d'insubordination et d'irrespect ;
Que si ceux-ci ont débuté le 13 octobre 2018, le dernier grief reproché à M. [N] [B] est daté du 6 novembre 2018, date de la parution des derniers propos litigieux du salarié dans la presse ;
Que la procédure de rupture du contrat de travail du salarié a été engagée par la remise en main propre du courrier de convocation du 12 novembre 2018 soit 6 jours après;
Que dans ces conditions, compte tenu de la date à laquelle l'employeur a eu connaissance du dernier grief reproché à M. [N] [B], on ne saurait considérer que l'employeur n'ait pas agi avec la promptitude nécessaire à l'engagement d'une procédure de rupture du contrat de travail pour faute grave ;
Attendu que s'agissant du dernier manquement, l'examen de l'article paru dans La Voix du Nord le 6 novembre 2018 fait apparaître que le rédacteur déclare qu' « à l'origine, [B] avait imaginé reprendre un club de pro B. Or il récupéra une équipe de M1 avec quelques dettes et composées de certains joueurs au salaire de pro B » ;
Que ces déclarations, à supposer qu'elles soient le reflet exact de celles du salarié, ne constituent une forme de dénigration caractérisée de l'équipe dont il avait la charge pas plus que la description négative d'un club dans une situation financière calamiteuse ;
Que ce manquement ne constitue pas un élément susceptible d'entrer en voie de considération dans le cadre de l'appréciation des fautes graves éventuellement commises ;
Attendu que si les propos reproduit le 14 octobre 2018 dans La Voix du Nord sont empreints d'une dose non négligeable d'ironie, le fait d'adresser exclusivement ses remerciements à son seul assistant en déclarant que sans lui il n'aurait pas su vers qui il se serait tourné n'a pas à proprement parler de caractère injurieux pas plus qu'ils ne sont l'image d'une insubordination;
Que la teneur des propos tenus dans le cadre du site WhatsApp au lendemain d'un événement organisé le 21 octobre 2018 n'est pas détaillée clairement et de façon circonstanciée dans le cadre des pièces produites par l'employeur;
Que s'il est démontré que M. [N] [B] a refusé l'accès aux vestiaires au président du club, il n'en demeure pas moins que le salarié démontre que cette pratique peut répondre, comme c'est le cas ailleurs, comme il le démontre par production de témoignages de professionnels du sport ([E] [S], entraîneur, [L] [M] entre autres) par la nécessité impérieuse de laisser les joueurs dans un cadre restreint concentré sur la seule action sportive ;
Que le comportement du salarié lors de la réception organisée à l'issue de la rencontre SOMB- Andrézieux et la mauvaise humeur du salarié s'expliquent par la tension qu'engendre une situation de défaite, alors que la sincérité du témoignage produit par l'employeur sur l'agressivité de M. [N] [B] se voit relativisée par la proximité du témoin avec l'employeur ;
Attendu qu'enfin et surtout, il sera constaté que la délivrance finalement tardive de la mise à pied conservatoire au regard de la majorité des manquements reprochés est intervenue le lendemain même d'une défaite de l'équipe dont M. [N] [B] avait la charge ;
Que l'employeur n'a eu de cesse, tout particulièrement dans la presse, de lier le départ de M. [N] [B] à l'insuffisance des résultats du club ;
Qu'il s'en déduit non seulement que les pièces produites par l'employeur ne suffisent pas à justifier la rupture du contrat de travail du salarié au vu des termes du courrier du 22 novembre 2018, mais aussi que la volonté de l'employeur de se passer des services de M. [N] [B] voit son origine dans les résultats de l'équipe sportive dont il avait la charge ;
Qu'il s'ensuit que cette rupture contractuelle ne repose pas sur une faute grave ;
Que c'est à bon droit que M. [N] [B] réclame l'application de l'article L 1243-4 du code du travail ;
Attendu que l'indemnité prévue au terme de ces dispositions est à minima égale aux rémunérations que le salarié aurait perçues jusqu'au terme du contrat ;
Qu'il apparaît que l'éviction de M. [N] [B] a été annoncée bien avant l'engagement de la procédure de rupture de son contrat de travail, pour un motif tout autre que celui énoncé dans le cadre du courrier du 22 novembre 2018 à une période où la saison sportive était entamée ;
Qu'au vu des éléments produits, il y a lieu d'allouer à M. [N] [B] une indemnité de 42000 euros ;
Sur la capitalisation des intérêts
Attendu qu'il y a lieu d'ordonner capitalisation des intérêts pour un an, conformément à l'article 1343-2 du Code civil ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris,
STATUANT à nouveau,
DIT la rupture du contrat de travail de M. [N] [B] sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE l'association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS à payer à M. [N] [B] :
-42000 euros à titre de dommages intérêts pour rupture contractuelle sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE l'association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS aux dépens,
VU l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l'association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS à payer à M. [N] [B] :
-2.500 euros,
DEBOUTE l'association STADE OLYMPIQUE MARITIME BOULONNAIS de sa demande au titre de ses frais de procédure.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL