RG N° 10/01296
N° Minute :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MERCREDI 01 DECEMBRE 2010
Appel d'une décision (N° RG 06/00367)
rendue par le Conseil de Prud'hommes d'ANNEMASSE
en date du 20 décembre 2007
suivant déclaration d'appel du 19 Mars 2010
APPELANT :
Monsieur [H] [I]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Comparant et assisté par Me Thierry BILLET (avocat au barreau D'ANNECY) substitué par Me MARQUIS (avocat au barreau d'ANNECY)
INTIMEE :
L'Association L'ARBRE DE VIE prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Résidence [5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me BALTAZARD (Avocat au barreaud'ANNECY)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, faisant fonction de Président,
Madame Hélène COMBES, Conseiller,
Madame Dominique JACOB, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 03 Novembre 2010,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 01 Décembre 2010.
L'arrêt a été rendu le 01 Décembre 2010.
Notifié le :
Grosse délivrée le :
RG 10 1296 DJ
EXPOSE DU LITIGE
[H] [I] a été embauché le 21 novembre 1990 en qualité de directeur par l'Association L'ARBRE DE VIE qui gère des établissements d'hébergement à caractère social et médico-social. Il dirigeait la Résidence [5] à [Localité 3] (74).
Il a été licencié le 10 juillet 2006.
Dans le cadre de l'instance engagée le 2 octobre 2006 devant le Conseil de Prud'hommes d'Annemasse pour contester son licenciement, il a sollicité le paiement de diverses sommes dont celle de 94.198,09 euros au titre d'un compte épargne temps.
Le Conseil de Prud'hommes, par jugement du 20 décembre 2007, a rejeté cette demande au motif qu'il ne fournissait aucune explication sur la façon dont ce compte avait été constitué ni aucune pièce justificative à l'appui de sa demande.
L'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Chambéry du 16 octobre 2008 a été cassé, par arrêt du 10 février 2010, pour violation des articles L 3151-2, L 3121-45, L 3171-4 et D 3171-10 du code du travail, et la cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Grenoble.
[H] [I] sollicite l'infirmation du jugement. Il demande à la cour de condamner l'Association L'ARBRE DE VIE à lui payer :
- 74.892,83 euros bruts au titre des jours de réduction du temps de travail (soit 1.326 heures 74) et des congés payés non pris ( 125 jours) et 7.489,28 euros de congés payés afférents,
- 8.879,34 euros nets de primes versées sur le CET et 887,93 euros de congés payés afférents,
avec intérêt au taux légal à compter du 1er août 2006 date de la rupture du contrat de travail,
- 8.000 euros de dommages et intérêts relatifs à la résistance abusive et dilatoire à lui verser un droit salarial acquis,
- 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Tout en indiquant que son droit au CET est acquis et que ne demeure en litige que le chiffrage de ce compte, il rappelle les dispositions conventionnelles relatives à ce compte : l'accord d'entreprise relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail du 7 décembre 1999 pris en application de l'accord de branche sanitaire et médico-sociale à but non lucratif du 1er avril 1999, et l'accord d'entreprise sur le CET du 24 avril 2003 qui prévoit que 'sont bénéficiaires les salariés de l'Association L'ARBRE DE VIE relevant de la convention collective'.
Il soutient qu'il avait la possibilité d'affecter sur son CET :
- tous les jours de réduction du temps de travail, soit 188 heures par an correspondant à 4 heures par semaine sur 47 semaines, qu'il n'avait pas pris,
- les primes et corrections de salaire dont il bénéficiait,
- ainsi que le solde de ses jours de congés annuels non pris du fait de sa fonction de directeur et de sa présence nécessaire dans l'établissement soit 54 jours de 1990 à 1999, 13 jours en 2000, 58 jours de 2001 à 2006, selon ses bulletins de salaire.
Il fait remarquer qu'en sa qualité de directeur il a établi pour chaque salarié titulaire d'un CET, dont le sien, un état de l'affectation annuelle qui a été validé par le cabinet comptable et approuvé par l'assemblée générale ; que les sommes ont été provisionnées sur un compte à la caisse des dépôts et consignation ; que ces comptes ont été approuvés par l'assemblée générale, certifiés conformes par le commissaire au compte et même audités par un expert-comptable indépendant, [V] [S].
Il demande la communication par l'Association L'ARBRE DE VIE :
- des comptes annuels permettant de déterminer la valeur des provisions passées en contre partie des CET du personnel,
- les rapports des commissaires aux comptes
- le rapport d'audit de M. [S],
- la copie des versements réalisés à la Caisse des Dépôts et Consignation.
L'Association L'ARBRE DE VIE, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement, subsidiairement de dire qu'au vu des éléments produits par les deux parties, les droits de [H] [I] ne peuvent excéder 11.230,54 euros qu'elle accepte de régler dès notification de l'arrêt.
Elle conteste non le principe du droit de [H] [I] à utiliser un CET mais seulement l'alimentation extravagante qu'il revendique, faisant remarquer la fluctuation, tout au cours de la procédure, des sommes réclamées (100.592,59 euros puis 69.144,53 euros et désormais 92.149,27 euros), alors qu'en sa qualité de directeur de l'association il était le seul à pouvoir expliquer le fonctionnement du CET qu'il avait lui-même mis en place, le Président de l'époque s'en étant totalement remis à lui.
Elle soutient que :
-en sa qualité d'unique cadre dirigeant, [H] [I] n'était pas soumis à la législation sur le temps de travail, mais bénéficiait de jours de repos dont le nombre devait faire l'objet 'd'une concertation',
- en l'absence de tout accord, il ne peut revendiquer que 18 jours ouvrés par an à compter de 2003, soit un total de 64 jours ouvrés qui n'ouvrent pas droit à congés payés,
- il a, au mieux, pu porter sur son CET 17 jours de congés non pris, alors qu'il a perçu à son départ une indemnité compensatrice de congés payés de 6.836,96 euros correspondant à environ un mois et demi de salaire ;
- il ne s'est pas conformé aux dispositions conventionnelles sur l'alimentation du compte à partir de tout ou partie des primes.
Enfin l'Association L'ARBRE DE VIE estime qu'il n'est pas besoin d'autres éléments que ceux versés aux débats ; que les comptes annuels et rapports réclamés par [H] [I] sont sans intérêt puisque les sommes qui apparaîtraient, le cas échéant, à son profit auraient été indûment portées par lui-même, seul gestionnaire du compte.
Elle s'oppose à la demande de dommages et intérêts, faisant valoir la complexité du dossier.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues oralement et sans modification à l'audience.
Le 1er avril 1999 un accord de branche a été conclu instaurant le CET et prévoyant en son article 16 que :
- le compte est ouvert sur simple demande écrite individuelle mentionnant précisément quels sont les droits que le salarié entend affecter au compte épargne-temps,
- le mode d'alimentation du compte épargne-temps est choisi par chaque salarié pour une période de 12 mois,
- le salarié qui souhaite modifier ce choix pour la période suivante le notifie à l'employeur avant la fin de chaque échéance annuelle,
- il est tenu un compte individuel qui est communiqué annuellement au salarié.
L'accord du 7 décembre 1999 propre à l'établissement dirigé par [H] [I] et non limité dans le temps, renvoie expressément à l'accord de branche relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail. Il stipule, en son article 7, que le directeur, non soumis à un horaire préalablement établi et contrôlable par l'employeur, peut prétendre à des jours de repos dans le cadre de la loi du 13 juin 1998, et éventuellement les affecter à un compte épargne temps.
L'article 15 de ce même accord du 7 décembre 1999 prévoit l'instauration d'un compte épargne temps dans les conditions prévues aux articles 16 à 24 de l'accord de branche du 1er avril 1999.
Les modalités pratiques de mise en place de ce compte épargne temps ont été négociées dans l'entreprise. L'accord signé le 24 avril 2003 précise notamment la structure du compte (ligne courante et ligne d'épargne) et les conditions générales de sa gestion.
Il est ainsi indiqué que :
- l'ouverture du compte est effective à la première alimentation et que le compte reste ouvert tant que son titulaire est salarié de l'entreprise,
- le titulaire du compte est maître de la fréquence, du niveau et de l'utilisation de son épargne,
- le compte comporte une ligne courante, exclusivement alimentée par des jours de congés annuels non pris, auxquels peuvent s'ajouter des jours de repos R.T.T ou de repos compensateurs, et une ligne d'épargne créditée par la conversion en temps d'éléments de la rémunération.
L'Association L'ARBRE DE VIE reconnaît l'existence du CET, sa reconduction après le 31 décembre 2003 et son alimentation par [H] [I] à hauteur de 18 jours ouvrés par an à compter de 2003.
[H] [I] affirme, pour sa part, avoir alimenté son compte dès l'année 2000. Les documents qu'il produit pour en justifier sont la copie de lettres qu'il se serait adressées chaque année, de 2000 à 2005, en sa qualité de directeur pour se notifier à lui-même le montant des heures et jours portés au crédit de son compte épargne temps.
Outre que ces documents n'ont pas date certaine, il convient de noter qu'il ne s'agit pas du document exigé par l'accord, à savoir la demande écrite individuelle du salarié mentionnant précisément quels sont les droits qu'il entend affecter au compte épargne-temps.
Les divers autres documents que [H] [I] produit, en copie, et dont il affirme, sans le démontrer, qu'il s'agit de document approuvés par l'employeur, ne peuvent constituer une preuve des sommes qu'il a entendu verser sur son compte dès l'année 2000.
Il y a donc lieu de retenir que le compte a été ouvert en 2003, selon les modalités fixées par l'accord d'entreprise du 24 avril 2003.
En ce qui concerne le montant des sommes portées sur ce compte, il n'est pas contesté que [H] [I], en sa qualité de cadre dirigeant, n'était pas soumis à un horaire de travail et qu'en application de l'article 7 de l'accord du 7 décembre 1999 relatif à la diminution du temps de travail, il pouvait prétendre à des jours de repos dont le nombre devait faire l'objet 'd'une concertation', avec un minimum de 18 jours ouvrés.
Il n'est justifié d'aucune concertation entre [H] [I] et le Président de l'Association à ce sujet, de sorte que l'appelant ne peut revendiquer que 18 jours ouvrés par an de 2003, époque de la création du CET, au 11 juillet 2008, date de la rupture du contrat de travail, soit un total de 64 jours ouvrés.
Par ailleurs l'accord d'entreprise du 24 avril 2003 stipule, à l'article 1 du chapitre 3, que les droits à congés annuels non pris à la fin de la période de référence peuvent être épargnés dans la limite en heures de l'équivalent de 10 jours ouvrés par an ; qu'au moment de l'ouverture du compte, un salarié pourra y affecter l'ensemble des congés annuels non pris dont il dispose initialement, sans imputation sur le maximum d'alimentation de 10 jours et que l'affectation de jours de repos ou de congés sur la ligne courante du compte, toutes sources d'alimentation confondues, est plafonnée à 30 jours.
[H] [I] pouvait donc alimenter son compte des congés non pris acquis du 1er juin 2002 au 31 mai 2003 ' tous les congés antérieurs ayant été perdus faute d'avoir été pris avant le 30 avril 2003 ' auxquels il pouvait ajouter ses jours de R.T.T dans la limite de 30 jours au total.
Sur l'analyse faite par l'employeur des bulletins de salaire couvrant l'ensemble de la période d'emploi (du 12 novembre 1990 au 11 juillet 2006) au regard des congés pris, faisant apparaître un solde de 17 jours de congés non pris, [H] [I] ne s'explique nullement alors même qu'il a perçu, à son départ, une indemnité compensatrice de congés payés supérieure aux droits acquis.
Sa demande à ce titre n'est donc pas fondée.
L'accord de 2003 prévoit, à l'article 2 du chapitre 3, que la ligne d'épargne est créditée par conversion en temps d'éléments de la rémunération ; que cette conversion peut se faire à partir de tout ou partie des primes avant leur versement et qu'un délai de prévenance d'un mois avant le paiement de la prime doit être respecté sauf force majeure.
[H] [I] qui produit une note manuscrite de juin 2003 et deux lettres non datées qu'il se serait envoyées à lui-même pour l'année 2003 et l'année 2004, ne justifie pas avoir respecté la procédure conventionnelle de sorte que sa demande, non conforme aux termes de l'accord, doit être rejetée.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement et de condamner l'Association L'ARBRE DE VIE à payer la somme de 11.230,54 euros au titre des jours de R.T.T non pris, déduction faite du trop perçu au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.
[H] [I] ne démontre pas en quoi l'employeur aurait fait preuve de résistance abusive et discriminatoire à son égard. Sa demande de dommages et intérêts doit donc être rejetée.
L'équité commande de lui allouer la somme de 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement déféré,
et statuant à nouveau,
- Condamne l'Association L'ARBRE DE VIE à payer à [H] [I] la somme de 11.230,54 euros au titre des jours de R.T.T non pris,
- Rejette la demande de dommages et intérêts présentée par [H] [I],
- Condamne l'Association L'ARBRE DE VIE à payer à [H] [I] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- Condamne l'Association L'ARBRE DE VIE aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
Signé par Monsieur VIGNY, Président, et par Madame VERDAN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Président