RG N° 11/02234
N° Minute :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU JEUDI 22 MARS 2012
Appel d'une décision (N° RG F10/00162)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VIENNE
en date du 31 mars 2011
suivant déclaration d'appel du 28 Avril 2011
APPELANT :
Monsieur [V] [J]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Comparant et assisté par Me Eladia DELGADO substitué par Me BOUZAIDA (avocats au barreau de LYON)
INTIMEE :
La SAS CITAIX CHASSE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Georges PONS (avocat au barreau D'AVIGNON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Monsieur Bernard VIGNY, conseiller, faisant fonction de président,
Madame Hélène COMBES, conseiller,
Madame Dominique JACOB, conseiller,
DEBATS :
A l'audience publique du 28 Février 2012,
Madame Hélène COMBES, chargé du rapport, et Monsieur Bernard VIGNY, assistés de Melle Sophie ROCHARD, Greffier, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoirie(s), conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Notifié le :
Grosse délivrée le :
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 22 Mars 2012, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 22 Mars 2012.
R.G. 11/2234HC
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat de travail à durée déterminée du 1er juillet 1993, transformé en contrat à durée indéterminée le 24 avril 1994, [V] [J] a été embauché en qualité de conducteur grand routier par la société Citaix Chasse, qui est une filiale du groupe Charles André et qui est spécialisée dans le transport matières dangereuses et de déchets.
Le 15 mars 2010, la société Citaix Chasse a infligé à [V] [J] une mise à pied disciplinaire de 3 jours pour des faits en raison du débordement qui s'est produit chez un client le 25 février 2010.
Le 22 mars 2010, elle l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 31 mars 2010 et elle l'a licencié pour faute grave par courrier du 7 avril 2010, au motif que le 15 mars 2010, il a provoqué un mélange de produits au cours d'une livraison dans une station service.
[V] [J] a contesté son licenciement devant le conseil de prud'hommes de Vienne, qui par jugement du 31 mars 2011 a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave et a condamné la société Citaix Chasse à lui payer :
- 272,23 euros au titre des salaires pendant la mise à pied disciplinaire et 27,22 euros au titre des congés payés afférents
- 5.708,28 euros au titre de l'indemnité de préavis et 570,83 euros au titre des congés payés afférents
- 11.416,56 euros au titre de l'indemnité de licenciement
- 1.000 euros au titre du droit individuel à la formation (120 heures)
- 1.500 euros au titre des frais irrépétibles
[V] [J] qui a relevé appel le 28 avril 2011, demande à la cour de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société Citaix Chasse à lui payer en sus des sommes allouées en première instance, 34.249,68 euros à titre de dommages-intérêts et 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il expose que pendant 15 années, sa collaboration a donné toute satisfaction et qu'aucun reproche ne lui a été fait jusqu'à ce que la société Citaix Chasse lui reproche le débordement d'une cuve par courrier du 15 mars 2010 avec notification d'une mise à pied de 3 jours ;
qu'une semaine plus tard, il était convoqué à un entretien préalable au cours duquel un mélange de carburant lui a été reproché.
Il conteste la mise à pied disciplinaire au motif qu'elle est illicite, le règlement intérieur de l'entreprise ne prévoyant pas de durée maximale à la mise à pied.
Il soutient qu'en toute hypothèse elle est injustifiée et au minimum disproportionnée, en l'absence d'intention malveillante et en l'état de caractère défectueux de la cuve du client.
Sur le licenciement, il fait valoir qu'il a été licencié pour faute grave pour un seul fait isolé en 16 années de relation contractuelle.
Il invoque et soutient que le mélange des carburants qui s'est produit le 15 mars 2010 résulte d'une erreur indépendante de sa volonté.
Il invoque également le caractère disproportionné de la sanction et conteste avoir tenté de dissimuler les faits.
Il soutient sur ce point qu'il a immédiatement informé son interlocuteur sur place et que la société Shell a immédiatement répercuté l'information à la société Citaix Chasse ;
que lui-même est repassé au dépôt pour remplir une fiche d'incident que la société Citaix Chasse n'a jamais produite en dépit d'une sommation.
Il précise que licencié à 56 ans, il a retrouvé quatre mois après la rupture du contrat de travail, un emploi en contrat de travail à durée déterminée, ce qui lui a permis, le 1er mars 2011 de bénéficier du dispositif conventionnel de cessation d'activité anticipée.
La société Citaix Chasse conclut à la confirmation du jugement sur l'annulation de la mise à pied.
Faisant appel incident pour le surplus, elle demande à la cour de débouter [V] [J] de toutes ses demandes et subsidiairement de juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Elle réclame 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle réplique que la mise à pied disciplinaire est justifiée au fond, même si le règlement intérieur ne fixe pas de durée maximum pour une telle sanction.
Sur le licenciement, elle fait valoir qu'en raison du non-respect des procédures lors de la livraison à la station Shell, [V] [J] a vidé 2000 litres d'essence sans plomb dans une cuve de 18.000 litres de gasoil ;
que cette erreur a été rendue possible parce qu'il n'avait pas mis d'indicateur sur les cuves du semi-remorque.
Elle indique encore qu'il n'a prévenu de l'incident ni le centre logistique de la société Shell, ni le répartiteur de la société Citaix Chasse.
Elle soutient que les faits sont de nature à entraîner un licenciement pour faute grave, le caractère volontaire du manquement n'étant pas exigé pour qu'une telle faute soit retenue.
Elle ajoute que la gravité de la faute résulte également de ce qu'il n'a pas prévenu son employeur.
Elle invoque le préjudice que lui a causé l'erreur de [V] [J] puisque le pompage du produit pollué lui a été facturé 1.046 euros et que le matériel a été immobilisé pendant 6 mois.
Elle observe enfin que rien ne l'obligeait à notifier une mise à pied conservatoire et qu'aucune conclusion ne peut être tirée de l'absence d'une telle mesure.
DISCUSSION
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;
Attendu que pour annuler la mise à pied disciplinaire prononcée le 15 mars 2010, le conseil de prud'hommes a retenu qu'une mise à pied disciplinaire prévue par le règlement intérieur de l'entreprise n'est licite que si ce règlement précise sa durée maximale ;
Attendu que les dispositions du jugement relatives à l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 15 mars 2010 ne sont pas contestées et seront donc confirmées ;
que toute l'argumentation sur les faits qui ont conduit à l'infliger est donc inutile, la sanction étant réputée n'avoir jamais existé ;
qu'il n'est cependant pas inutile de rappeler que selon les termes du jugement, la société Citaix Chasse a reconnu lors de l'audience devant le conseil de prud'hommes que le débordement de la cuve ne s'expliquait pas par une erreur du salarié, mais par un problème technique ;
que cela anéantit l'argumentation de la société Citaix Chasse sur la 'récidive' invoquée en page 8 de ses conclusions ;
Attendu que dans la lettre de licenciement du 7 avril 2010, la société Citaix Chasse reproche à [V] [J] d'avoir en raison du non respect des procédures, provoqué un mélange de produits dans une station service le 15 mars 2010 et de ne pas avoir prévenu de l'incident ;
qu'elle lui reproche enfin de n'avoir manifesté aucun regret lors de l'entretien préalable et d'avoir même évoqué la possibilité d'autres incidents ;
Attendu que si le mélange de produits n'est pas contesté par [V] [J], c'est à tort que la société Citaix Chasse lui reproche de n'avoir pas prévenu de l'incident ;
qu'il résulte de ses propres pièces que [V] [J] a immédiatement informé l'opérateur présent sur la station à 8 heures (Fiche d'observation Shell pièce n° 8) ;
Attendu que la société Shell a répercuté l'incident à la société Citaix Chasse dès 9 heures et qu'un questionnaire a été rempli le jour même, le document portant les signatures d'une représentante de la société Citaix Chasse et de [V] [J] ;
qu'enfin [V] [J] a reporté l'incident sur le cahier qu'il a tenu au jour le jour tout au long de la relation contractuelle et dont la chronologie détaillée et complète exclut qu'il ait été établi pour les besoins de la cause ;
Attendu que le grief de la dissimulation réitérée, articulé de mauvaise foi à la seule fin de donner du poids à la décision de l'employeur, n'est pas fondé et sera écarté ;
Attendu qu'enfin la société Citaix Chasse n'établit par aucune pièce l'attitude désinvolte qu'elle impute au salarié au cours de l'entretien préalable, de sorte que le troisième grief sera également écarté ;
Attendu qu'il résulte de tous ces éléments que [V] [J] qui avait passé plus de 16 ans au service de son employeur sans le moindre accroc dans la relation contractuelle, s'est vu brutalement privé d'emploi pour un fait de négligence isolé ;
Attendu que le licenciement est dans ces conditions une sanction manifestement disproportionnée, alors de surcroît que la société Citaix Chasse ne justifie par aucune pièce des conséquences préjudiciables qu'elle invoque au-delà du pompage du produit qui lui a coûté 1.046 euros ;
que non seulement le licenciement de [V] [J] n'est pas fondé sur une faute grave, mais qu'il est aussi dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que la perte de son emploi alors qu'il était âgé de 56 ans, a causé au salarié un préjudice qui sera réparé par la somme de 34.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu'il y a lieu en application de l'article L 1235-4 du code du travail, d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par [V] [J] ;
qu'au vu des circonstances de la cause, le remboursement sera ordonné dans la limite de quatre mois ;
Attendu qu'il lui sera alloué la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement rendu le 31 mars 2011 par le conseil de prud'hommes de Vienne en ce qu'il a dit le licenciement de [V] [J] fondé sur une cause réelle et sérieuse.
- Statuant à nouveau, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société Citaix Chasse à payer à [V] [J] la somme de 34.000 euros à titre de dommages-intérêts.
- Confirme le jugement en ses autres dispositions.
- Y ajoutant, ordonne en application de l'article L 1235-4 du code du travail le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par [V] [J] dans la limite de quatre mois.
- Dit qu'à cette fin, une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée à Pôle Emploi Rhône-Alpes - service contentieux - [Adresse 4].
- Condamne la société Citaix Chasse à payer à [V] [J] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
- Condamne la société Citaix Chasse aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur VIGNY, président, et par Mademoiselle ROCHARD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIERLE PRESIDENT