RG N° 12/03954
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MARDI 07 MAI 2013
Appel d'une décision (N° RG 20090351)
rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VIENNE
en date du 24 mai 2012
suivant déclaration d'appel du 29 Mai 2012
APPELANTE :
Madame [O] [L] agissant en qualité d'ayant droit de son époux M. [V] [L]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Comparante en personne, assistée de la SCP CABINET TEISSONNIERE substituée par Me AVELINE (avocats au barreau de MARSEILLE)
INTIMEES :
LA CPAM DE L'ISERE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Mme [K], munie d'un pouvoir spécial
LA SOCIETE RHODIA CHIMIE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Valéry ABDOU substitué par Me MAZILLE (avocats au barreau de LYON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Madame Hélène COMBES, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Astrid RAULY, Conseiller,
Monsieur Frédéric PARIS, Conseiller,
DEBATS :
A l'audience publique du 02 Avril 2013, M. PARIS, chargé(e) du rapport, et Mme COMBES, assisté(e)s de Mme Corinne FANTIN, Adjoint faisant fonction de Greffier, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoirie(s), conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 07 Mai 2013, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 07 Mai 2013.
[V] [L] a travaillé au sein de la société RHONE POULENC CHIMIE devenue RHODIA CHIMIE sur le site de [Localité 6], à l'usine Belle Etoile, du 6 novembre 1962 au 31 juillet 1999 en qualité d'agent de production.
[V] [L] a été affecté d'un cancer bronchitique primitif en 2007, il est décédé le [Date décès 1] 2007.
[O] [L] a établi une déclaration de maladie professionnelle le 9 avril 2009.
Le service médical de la Caisse d'assurance maladie lors du colloque administratif du 1er juillet 2009 a considéré que [V] [L] a été atteint d'une maladie inscrite au tableau 30 bis, ce qui a amené la caisse à saisir le CRRMP de [Localité 3].
Par courrier du 20 juillet 2009, la caisse primaire d'assurance maladie de Marseille a informé [O] [L] que les conditions de durée d'exposition au risque fixé au tableau n'étaient pas réunies, et qu'elle saisissait le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).
Le CRRMP de Lyon a rendu un avis défavorable le 18 septembre 2009.
Le 6 octobre 2009, la CPAM a notifié à [O] [L] un refus de prise en charge au titre des maladies professionnelles.
[O] [L] a saisi la commission de recours amiable (CRA).
Par décision du 9 novembre 2009, la CRA a confirmé la décision de rejet.
[O] [L] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Vienne le 15 décembre 2009 qui par jugement du 26 mai 2011 a ordonné la saisine du CRRMP de Montpellier.
Le CRRMP de [Localité 4] a émis un avis défavorable en relevant que [V] [L] avait été exposé à l'amiante trois ans entre 1968 et 1971, et que le dossier ne permettait pas de quantifier une exposition à l'atelier Empotage/Dépotage lors de le l'utilisation de tresse calorifugeages et qu'il n'existait donc pas de lien direct et certain de causalité entre le travail de [V] [L] et la pathologie développée.
Par jugement du 24 mai 2012 le tribunal des affaires de sécurité sociale a rejeté la demande de [O] [L].
[O] [L] a interjeté appel le 29 mai 2012.
Elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré,
statuant à nouveau,
- à titre principal, dire et juger qu'elle bénéficie d'une rente d'ayant droit à compter de la date du décès,
- à titre subsidiaire, désigner le CRRMP de Montpellier pour un complément d'avis,
- à titre infiniment subsidiaire, désigner un 3ème CRRMP,
- à titre très infiniment subsidiaire, ordonner une enquête confiée à l'agence régionale de Santé Isère,
- lui allouer 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que la maladie, le cancer bronchitique, relevait du tableau 30 bis des maladies professionnelles et que l'ensemble des pièces produites établissent que [V] [L] a été exposé pendant 16 ans à l'inhalation de poussières d'amiante.
Le juge n'est pas tenu par les avis des CRRMP ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante.
L'usine de Belle Etoile contenait de l'amiante ainsi que l'établit un rapport du 29 août 2007.
En outre la maladie a été causée par le travail habituel de la victime au sens de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale.
[V] [L] effectuait des travaux (modification des joints en amiante) qui font partie de la liste limitative du tableau.
Dans chacun des ateliers où il était affecté, il devait veiller au bon fonctionnement des installations qui étaient calorifugées en amiante, il était amené à retirer des pièces en amiante, et à intervenir lors de travaux de maintenance sur des installations contenant de l'amiante ; lors de sa dernière affectation, les opérations de chargement et déchargement dégageaient des nuages de poussière d'amiante.
Les conditions du tableau 30 bis sont dès lors réunies.
La société RHODIA CHIMIE demande à la cour de confirmer le jugement déféré.
Elle expose que les avis des CRRMP sont précis et concordants.
Les attestations produites sont insuffisantes pour démontrer une exposition d'une durée de dix ans.
Elles ne mentionnent pas une exposition postérieure à l'année 1978.
Sur le rapport de repérage d'amiante dans l'usine, la présence d'amiante dans l'usine sur des éléments de production ne signifie pas une exposition au risque du tableau 30 bis prévoyant une exposition directe ; il ne peut s'agir d'un élément nouveau.
Les éléments fournis en cause d'appel ne remettent pas en cause les éléments recueillis dans l'instruction du dossier et ne justifient pas un complément d'avis du CRRMP.
La CPAM demande à la cour de confirmer le jugement déféré.
Elle soutient que l'enquête n'a pas permis de déterminer que [V] [L] a effectué pendant dix ans des travaux inscrits à la liste limitative du tableau 30 bis, que les attestations produites sont imprécises sur la durée d'exposition, que les avis des CRRMP précis et concordants concluent à l'absence de lien de causalité.
MOTIFS DE LA DECISION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience sans modification ;
L'article L 461-1 du code de la sécurité sociale dispose notamment : ' Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime...'
En l'espèce, le cancer broncho-pulmonaire primitif dont a été atteint [V] [L] est inscrit au tableau des maladies professionnelles n° 30 bis.
Le délai de prise en charge est de 40 ans sous réserve d'une exposition de 10 ans.
Le tableau énumère limitativement les travaux susceptibles de provoquer la maladie, il s'agit notamment des travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante, des travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac, des travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante, des travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.
Il convient de rechercher au vu des éléments professionnels et médicaux produits aux débats si [V] [L] a effectué des travaux tels que prévus au tableau, s'il a été exposé à l'amiante pendant une durée de 10 ans et dans la négative s'il a exercé des travaux habituels de nature à établir un lien de causalité entre ceux-ci et le cancer dont il a été atteint.
Le cancer broncho-pulmonaire primitif est une maladie pouvant être provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante.
Le CRRMP de [Localité 4] pour écarter le caractère professionnel de la maladie a considéré tout en constatant que [V] [L] était exposé à l'amiante, qu'il n'y avait pas de lien entre le travail et la maladie du fait de l'absence de quantification de l'exposition.
Il ressort du rapport du 29 août 2007 de repérage de l'amiante dans l'usine de Belle Etoile du site de [Localité 6] où travaillait [V] [L] que l'amiante était présente sous forme de revêtements sols -murs- plafonds, de calorifugeages, de plaques amiantes à l'intérieur de l'armature métallique, de collier en sortie de pompe amiante, de joint de pompe amiante, de plaques d' étagères amiantées, de matelas en tissus amiante, de joints de bride amiante, de tresses sur les conduites amiantées, de tissus amiantes sous calorifuge des installations, de débris importants d'amiante (fibro, plâtres, tissus...) et de patins de freins amiantés.
L'amiante était dès lors présente de façon significative dans les matériaux et les matériels et manipulée de façon habituelle à l'occasion de l'entretien des installations calorifugées.
Il n'est pas contesté que [V] [L] a été exposé directement à l'amiante entre 1968 et 1971 soit pendant 3 ans, années au cours desquelles son travail consistait à veiller au bon fonctionnement des installations calorifugés en amiante.
Il devait dans ce cadre déterminer l'origine de fuites et retirer les calorifuges en amiante, et les remplacer.
Il assistait de plus aux travaux de maintenance ou les exécutait lui même ; il déposait et replaçait des tuyauteries vapeur, changeait des vannes à brides, refaisait l'étanchéité des brides en remplaçant les joints en amiante.
La société RHODIA conteste toute exposition au delà de cette durée.
[O] [L] soutient pour sa part que son époux était régulièrement exposé à l'inhalation de poussières d'amiantes tout au long des années où il a travaillé dans l'usine Belle Etoile, qu'il était ainsi chargé de veiller dans chaque atelier : DMT, Centrale Thermique, Tergal, Nitrile, Nylon, Empotage/Dépotage, où il a été affecté au bon fonctionnement des installations calorifugées en amiante, qu'il devait intervenir en amont pour détecter des anomalies, qu'il devait retirer les calorifuges en amiante, qu'il assistait aux travaux de maintenance, et y participait pour certaines d'entre elles, qu'il effectuait des interventions sur des pièces des circuits, des tuyauteries, qu'il changeait des tuyauteries vapeur, qu'il refaisait l'étanchéité des brides en remplaçant des joints en amiante.
Elle ajoute qu'il était chargé du chargement et du déchargement des citernes des matières premières, et qu'il y avait un calorifugeage des tuyauteries enrobés de tresses d'amiante, qu'à chaque remplissage de wagon citerne, et à chaque vidange, il manipulait les tuyaux d'approvisionnement enrobés d'amiante, qui se délitaient sous l'effet de chaleur, que toutes ces opérations dégageaient des nuages de poussières d'amiante, dans un lieu confiné, qu'il manipulait enfin des matériaux en amiante lors des travaux de réféction des fours et chaudières.
A l'appui de cet exposé des travaux réalisés par la victime, [O] [L] fournit plusieurs attestations.
Il ressort de l'attestation de M. [R] membre du Comité d'hygiène et de sécurité que ce dernier relate 'avoir rencontré M. [V] [L] sur les différents postes qu'il occupait... j'intervenais sur son lieu de travail pour l'entretien ou la réparation de pièces défectueuses. Dès que le produit refroidissait la tuyauterie se colmatait. Il fallait donc enlever les tresses d'amiante, les joints (en amiante), et M. [L] intervenait en priorité sur tous les problèmes, donc en contact permanent dans une atmosphère saturé d'amiante puisque le poste de travail était confiné par une toiture et des côtés tôlés. Aucune protection ni information particulière n'était diffusé aux ouvriers'.
M. [W] relate qu'il travaillait à la traction et qu'il approvisionnait un wagon chargé de produits chimiques chauds, et qu'il était avec [V] [L] au moment de la vidange ou le remplissage des wagons.
Il précise que les produits étaient très chauds, que les tuyaux d'approvisionnement étaient isolés avec de la tresse d'amiante, en ouverture ou fermeture, et que [V] [L] 'avait les mains dans ces tuyaux et le nez dessus', que le poste était confiné, et qu'il n'y avait aucune protection.
M. [Q] témoigne qu'il a travaillé avec [V] [L] au service Empotage/Dépotage de 1992 à 1996 et que 'pendant cette période, j'ai vu M. [L] [V] être en contact avec de la tresse de calorifuge sur les tuyauteries chaudes par les différentes interventions liées à son travail.'.
Il n'est pas contesté que [V] [L] a travaillé au service DMT de 1962 à 1968 et au service tergal de 1971 à 1973.
[O] [L] produit le rapport complet de repérage d'amiante des ateliers tergal et DMT où était affecté [V] [L], les photographies du rapport montrent que les canalisations comportent des tresses et des colliers en amiante.
M. [I] [D] atteste : 'J'ai été muté de Rhone Poulenc [Localité 5] à Rhone Poulec Belle Etoile [Localité 6]...Sur l'usine Belle Etoile, M. [L] a travaillé à l'atelier Tergal de novembre 1971 à septembre 1973 comme ouvrier qualifié en fabrication, pour ma part j'étais dans cet atelier des années plus tard du 1er janvier 1992 au 31 mai 1995 comme ouvrier fabrication comme lui, je témoigne que c'était un vieux atelier qui n'a pas eu d'évolution technique importante depuis la mise en route, il a travaillé dans les mêmes conditions que moi et peut être pire 20 ans en arrière, le travail consistait, moi comme lui, à occuper tous les postes de travail de l'atelier. La coulée de tergal était très chaude à 180 ° C environ et après chaque coulée, il fallait changer les joints en amiante, souvent collés, il fallait racler les portées de joints avec une raclette, tout était chauffé avec des traceurs isolés avec des cordons amiantes et ce produit gelait entre 80° et 90 °, l'atelier était fermé et chauffé avec des aérothermes...
J'ai croisé M. [L] [V] à l'atelier empotage et dépotage où j'étais chef d'équipe. Son travail consistait à remplir et vider des wagons citernes pour les divers ateliers. Le sel de nylon était vers 100° DMT 140 °
Ces manipulations de chargement et de déchargement étaient exécutées par des pompes situées dans un local technique avec des pompes filtres. M. [L] changeait les filtres à chaque opération de remplissage ou vidange du wagon citerne. Chaque fois que les filtres étaient changés, il fallait aussi changer les joints amiante avec les mêmes problèmes cités plus haut... Nous n'avions aucune protection particulière pour l'amiante, ni d'info sur les dangers de l'amiante.'.
Ces attestations établissent que [V] [L] a occupé un poste à l'atelier Tergal pendant plus de deux ans et demi où il se trouvait exposé continuellement à l'amiante, qu'il était aussi exposé régulièrement à l'amiante par son travail à l'atelier empotage et dépotage de 1992 à 1996 soit pendant quatre années.
En revanche les éléments du dossier ne permettent pas de connaître précisément le travail de [V] [L] lorsqu'il a été affecté à l'atelier de DMT.
La durée d'exposition est dès lors établie sur une période ne couvrant pas en totalité dix années, durée d'exposition requise par le tableau n° 30 bis.
Il résulte cependant de l'ensemble des pièces produites aux débats que [V] [L] a au cours de son travail à l'usine Belle Etoile été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'occasion de son travail quotidien.
Il réalisait en effet de manière habituelle des travaux le mettant en contact direct et quotidien avec l'amiante ainsi qu'il résulte des attestations ci-dessus rappelées.
La fréquence et la répétition des travaux permettent d'établir un lien direct entre l'activité professionnelle de [V] [L] et l'affection dont il est décédé.
Dans ces conditions la présomption d'imputabilité de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale doit s'appliquer.
C'est à juste titre que [O] [L] sollicite le bénéfice de la législation professionnelle.
Il convient d'infirmer le jugement déféré.
La caisse d'assurance maladie devra indemniser [O] [L] pour ses frais irrépétibles.
Par ces motifs la Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Vienne en date du 24 mai 2012,
Statuant à nouveau,
DIT que la maladie dont était atteint [V] [L] est due à son exposition professionnelle à l'amiante,
en conséquence,
DIT que [O] [L] bénéficiera d'une rente d'ayant droit à compter du1er juillet 2007, date du décès de [V] [L].
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère à payer à [O] [L] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Madame COMBES, président, et par Madame FANTIN, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIERLE PRESIDENT