ARRÊT N° .
N° RG 21/00176 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIFUQ
AFFAIRE :
[D] [O]
C/
Société CHUBB FRANCE
JPC/MLM
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
G à SCP FROMONT BRIENS, le 15/6/22
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
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ARRÊT DU 15 JUIN 2022
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Le quinze Juin deux mille vingt deux, la Chambre économique et Sociale de la Cour d'Appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
[D] [O], demeurant [Adresse 4]
représenté par M. [K] [B], défenseur syndical muni d'un pouvoir régulier
APPELANT d'un jugement rendu le 26 Janvier 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BRIVE
ET :
Société CHUBB FRANCE prise en la personne de son Gérant, Monsieur [N] [V], dont le siège social est [Adresse 6]
représentée par Me Cyrille FRANCO de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107
INTIMEE
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L'affaire a été fixée à l'audience du 02 Mai 2022, après ordonnance de clôture rendue le 30 mars 2022, la Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, assistés de Monsieur Claude FERLIN, Greffier, Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller, a été entendu en son rapport oral, Les conseils des parties ont été entendus en leur plaidoirie ou observations.
Puis, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 15 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
LA COUR
EXPOSE DU LITIGE :
M. [O] a été engagé par la société CHUBB France, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminé le 4 juin 2002 en qualité d'agent technico commercial vente et après-vente.
Le 3 août 2018, M. [O] a été sanctionné d'une mise à pied de 3 jours à la suite de multiples anomalies commises lors de son intervention chez un client le 14 mai 2018.
Le 11 décembre 2018, son employeur qui lui reprochait de nombreux manquements constatés sur les sites des clients dont il avait exclusivement la charge, l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
A la suite de cet entretien, M. [O] a été licencié pour faute grave.
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Par requête en date du 12 mars 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Brive-La-Gaillarde de la contestation de sa mise à pied et de son licenciement en vue de faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 26 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Brive-la-Gaillarde a :
-dit que le licenciement pour faute grave s'analyse en licenciement avec cause réelle et sérieuse ;
-condamné la société CHUBB France à payer à M. [O] les sommes suivantes :
305,56 € au titre de la mise à pied et 30,56 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur mise à pied ;
5 197,58 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 519,76 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
12 272,07 € au titre de l'indemnité de licenciement ;
250 € au titre de la prime de challenge 2018 ;
122,81 € au titre de la participation 2018 ;
-condamné la société CHUBB France à remettre à M. [O] bulletin de salaire et attestation Pôle emploi rectifiés ;
-débouté M. [O] du surplus de ses demandes ;
-débouté la société CHUBB France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-débouté la société CHUBB France du surplus de ses demandes ;
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
-laissé les dépens et intérêts légaux à la charge de chacune des parties.
M. [O] a interjeté appel de la décision par un courrier déposé au greffe le 23 février 2021, en ce qu'elle l'a débouté de ses demandes tendant à voir reconnaître que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de formation, à voir juger son licenciement privé de cause réelle et sérieuse, prononcer l'exécution provisoire ainsi que la condamnation aux intérêts légaux.
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Aux termes de ses écritures déposées le 25 mai 2021, M. [O] demande à la cour de :
-infirmer les dispositions du jugement dont appel l'ayant débouté de ses demandes de dommages-intérêts concernant le défaut de formation ainsi que le licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau, de :
-constater qu'il a été employé par la société CHUBB France pendant plus de 16 ans sans que son attitude ne pose aucune difficulté ;
-constater que durant ces 16 années, et malgré ses demandes réitérées chaque année lors des entretiens individuels, il n'a bénéficié que d'une seule journée de formation qui s'est conclue par un échec ;
-dire que la société CHUBB France n'a pas respecté son obligation de formation, le laissant en difficulté, surtout concernant les normes et réglementations ;
-constater qu'alors qu'il avait donné pleinement satisfaction durant des années, il a subi un harcèlement moral à l'arrivée de M. [Y] comme responsable hiérarchique ;
-dire que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et qu'il est abusif ;
-condamner la société CHUBB France à lui payer les sommes suivantes :
30 000 € de dommages-intérêts pour défaut de formation ;
450 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en lien avec un harcèlement moral ;
1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-dire qu'en application des dispositions combinées des articles 1146 et 1153 du code civil, les intérêts moratoires sont dûs sur les condamnations ayant trait aux salaires et accessoires de salaire dès la réception par la société CHUBB France de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 17 mars 2019 ;
-condamner la société CHUBB France aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
A l'appui de son recours, M. [O] soutient que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse. Il fait valoir qu'il a toujours donné satisfaction alors même que son employeur a manqué à son obligation de formation. Ainsi, il reproche à ce dernier de ne pas avoir permis une mise à jour de ses compétences dans un domaine par ailleurs très technique malgré ses demandes.
Par ailleurs, il estime qu'aucun manquement en matière de respect des normes et de la réglementation ne peut lui être reproché par l'employeur qui est à l'origine d'une possible carence.
Les conclusions de la société CHUBB France ont été déclarées irrecevables le 1er décembre 2021 par conseiller de la mise en état.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mars 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
SUR CE,
Sur le manquement de l'employeur à son obligation de formation :
L'article L6321-1 du code du travail prévoit :
« L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.
Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l'article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences. »
En l'espèce, M. [O] a été engagé par la société CHUBB France, en qualité d'agent technico commercial vente et après-vente. Il est constant, que peu après son embauche, il a bénéficié d'une semaine de formation technique en [Localité 2] auprès d'un technicien après-vente puis d'une semaine de formation commerciale, nommée « nouveau vendeur », en région parisienne.
Le 6 juillet 2004, il a obtenu le certificat d'attitude professionnelle d'agent vérificateur d'appareils extincteurs.
Lors de son entretien d'évaluation du 26 novembre 2008, il a été mentionné par son évaluateur que ses compétences professionnelles sont à améliorer. Il a été mentionné qu'il devait suivre une formation en matière de réglementation. Malgré l'avis de l'évaluateur, M. [O] n'a suivi aucune formation et il ne résulte pas des pièces produites par l'employeur en première instance que celui-ci a proposé à son salarié de suivre la formation dont il avait besoin.
Ainsi, il apparaît que M. [O] n'a accompli aucune formation entre le 6 juillet 2004 et le 19 avril 2016, date à laquelle il a suivi une formation intitulée : « réglementation et législation R4 et R5 - recyclage ». Cette formation s'est soldée par un échec.
L'échec de cette formation ne peut pas être totalement imputé au salarié dans la mesure où l'employeur qui avait relevé le besoin de formation de son salarié en matière de réglementation dès l'année 2008, ne justifie pas lui avoir proposé une formation de nature à lui permettre de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l'évolution de la législation.
Par ailleurs, nonobstant l'échec de cette formation, l'employeur ne justifie pas avoir veiller à ce que son salarié puisse régulièrement mettre à jour ses connaissances et de poursuivre son activité professionnelle conformément aux prescriptions légales.
Ce manquement de l'employeur a donc eu pour conséquence que le salarié qui n'avait pas maintenu son savoir, n'a pas été en capacité de mettre à jour ses connaissances et s'est retrouvé en situation d'échec.
Le préjudice subi par M. [O] sera évalué à la somme de 3 000 € de dommages intérêts et la société CHUBB France sera condamnée à lui payer cette somme. La décision des premiers juges sera donc réformée de ce chef.
Sur le licenciement :
Il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail applicable à la contestation de la régularité du licenciement que le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il est par ailleurs constant qu'il appartient à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qui reproche au salarié.
En l'espèce, dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche à son salarié divers manquements constatés à l'occasion d'audits réalisés chez trois clients et qu'il qualifie de faute grave.
Toutefois, compte tenu du rejet des conclusions d'appel incident de l'employeur et de la décision des premiers juges de retenir que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, le litige soumis à la cour est limité à la question de savoir si le grief retenu par l'employeur constitue ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement et, dans ce cas, la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre des parties.
Les griefs tirés du non-respect de la réglementation applicable aux extincteurs ne peuvent être retenus à l'encontre du salarié dès lors qu'ils présentent un lien direct avec le manquement de l'employeur à son obligation d'assurer l'adaptation de son salarié à son poste de travail et que l'employeur ne justifie pas qu'il s'agit d'un manquement à des règles qui étaient en vigueur en 2004 lorsque le salarié obtenu son CAP.
En revanche, cette faute de l'employeur ne saurait justifier des manquements du salarié caractérisant une insuffisance professionnelle dans l'accomplissement de ses missions. Il y a donc lieu d'examiner les autres griefs.
Conformément aux dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables. La cour ne peut donc examiner le motif du licenciement au regard des pièces communiquées par l'intimée en appel.
Les audits réalisés le 18 octobre 2018 auprès de la société Limousin Fermetures à [Localité 1] (19) puis le 27 novembre 2018 auprès de la société Dubois et associés à [Localité 5] (19) et de la société RMA à [Localité 3] (19), ne sont pas produits en cause d'appel et les éléments de motivation des premiers juges ne décrivent pas le contenu de ces documents.
M. [O] a produit quelques photos issues de ces documents mais celles-ci ne permettent pas de caractériser les manquements visés dans la lettre de licenciement.
En conséquence, il y a lieu de constater qu'il n'est pas établi que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. La décision des premiers juges sera donc réformée de ce chef.
Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
M. [O] a été engagé le 04 juin 2002 et son contrat de travail a pris fin le 1er février 2019. Son salaire s'élevait à 2206,91 € brut au moment de la rupture du contrat.
Il demande que soit pris en compte dans l'évaluation du préjudice résultant de la rupture abusive de son contrat de travail, le préjudice résultant du harcèlement moral qu'elle prétend avoir subi. Ce préjudice, à le supposer établi, ne peut être pris en compte dans l'évaluation des conséquences de la rupture abusive du contrat de travail dès lors qu'il ne présente aucun lien de causalité direct et certain entre celui-ci et la cause de la rupture du contrat.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise (plus de dix salariés), des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération versée, de son âge (45 ans), de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur à la date du licenciement, une somme de 12 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les autres demandes :
Les condamnations ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2019, date de la convocation devant le bureau de conciliation, conformément à la demande.
A la suite de la présente procédure, M. [O] a exposé des frais non compris dans les dépens. L'équité commande de l'en indemniser. La société CHUBB France sera condamnée à lui payer la somme de 600 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Brive-La-Gaillarde en date du 26 janvier 2021 en ses dispositions ayant débouté M. [O] de ses demandes tendant à condamnation de l'employeur à lui payer, d'une part, des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de formation et, d'autre part, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau,
Dit que la société CHUBB France a manqué à son obligation de formation ;
Dit que le licenciement de M. [O] est dénué de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société CHUBB France à payer à M. [O] les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2019 :
-3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de formation ;
-12 000 € de dommages et intérêts au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail ;
Condamne la société CHUBB France aux dépens de l'appel et la condamne à payer à M. [O] la somme de 600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET