ARRET N° .
N° RG 22/00481 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BILCF
AFFAIRE :
S.A. SYLVAMO FRANCE SA prise en la personne de son représentant légal domicilié en
cette qualité audit siège
C/
M. [V] [P]
JP/MS
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Grosse délivrée à Me Blandine DAVID, Me Emmanuelle POUYADOUX, avocats, le 15 juin 2023.
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
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ARRÊT DU 15 JUIN 2023
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Le quinze Juin deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
S.A. SYLVAMO FRANCE SA prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège , demeurant [Adresse 2] - [Localité 3]
représentée par Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM'S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Martin PERRINEL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
APPELANTE d'une décision rendue le 03 JUIN 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LIMOGES
ET :
Monsieur [V] [P]
né le 13 Décembre 1966 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1] - [Localité 4]
représenté par Me Emmanuelle POUYADOUX, avocat au barreau de LIMOGES
INTIME
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 24 Avril 2023. L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrat rapporteur, assistée de Mme Sophie MAILLANT, Greffier, a tenu seuel l'audience au cours de laquelle elle a été entendu en son rapport oral.
Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.
Après quoi, Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 15 Juin 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Madame Johanne PERRIER, a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller et d'elle même. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
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LA COUR
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EXPOSE DU LITIGE :
Le 15 juin 2004, M. [P] a été engagé par la société International Paper, devenue Sylvamo France ( ci-après la société Sylvamo) ayant une activité de fabrication de papier en qualité de conditionneur, puis entre 2009 et 2012 en qualité de conducteur de ligne, à compter 2012 en qualité d'assistant technique et à compter de janvier 2016 en qualité de polyvalent assistant technique.
M. [P] été placé en arrêt de travail à compter du 9 février 2016 et de façon ininterrompue jusqu'au 26 janvier 2019.
Le 29 octobre 2018, il a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une allergie à la poussière de papier et, à la suite d'un problème de nature administrative, il a réitéré cette demande le 20 février 2019.
Parallèlement, lors de la visite de reprise du 1er février 2019, le médecin du travail a déclaré M. [P] inapte au poste d'assistant technique avec une contre indication à l'exposition régulière aux poussières de papier ainsi qu'aux travaux de force répétitifs sur la main droite.
Le 25 février 2019, la société Sylvamo a notifié à M. [P] qu'au regard des restrictions posées par le médecin du travail, aucune solution de reclassement n'a été trouvée au sein de l'entreprise et, après un entretien préalable tenu 12 mars 2019, son licenciement pour inaptitude non professionnelle lui a été notifié le 15 mars 2019.
La caisse primaire d'assurance maladie a fait droit à sa demande en reconnaissance du caractère professionnel de son affection par décision du 21 mai 2019 et a fixé la date du 11 mars 2017 comme point de départ de cette maladie professionnelle.
La société a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, qui a fait droit a son recours, en déclarant cette reconnaissance inopposable à l'employeur par décision du 22 octobre 2019.
M. [P] a sans succès sollicité de l'employeur la reconnaissance de son inaptitude professionnelle et le paiement des indemnités afférentes, et il en a saisi le conseil de prud'hommes de Limoges le 23 août 2019.
Par jugement rendu le 3 juin 2022en formation de départage, le conseil de prud'hommes de Limoges :
- a dit que le licenciement de M. [P], bien que reposant sur une cause réelle et sérieuse, aurait dû être prononcé pour inaptitude professionnelle ;
- a condamné en conséquence la société Sylvamo à verser à M. [P] les sommes de :
' 18 313,13 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;
' 5 582,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- a débouté M. [P] de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts et en prononcé d'une astreinte ;
- a ordonné à la société Sylvamo de remettre à M. [P] ses documents sociaux, attestation Pôle emploi, certificat de travail et fiche de paie, rectifiés en conformité avec la présente décision ;
- a condamné la société Sylvamo à verser à M. [P] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Le 21 juin 2022, la société Sylvamo a relevé appel de ce jugement .
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Aux termes de ses dernières écritures du 2 janvier 2023 auxquelles il est renvoyé, la société Sylvamo demande à la cour :
' d'infirmer le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a débouté M. [P] de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages-intérêts et du prononcé d'une astreinte ;
' statuant à nouveau dans la limite des chefs du jugement infirmés, :
- de juger que M. [P] ne peut pas se prévaloir des dispositions applicables en cas de licenciement pour inaptitude résultant d'une maladie professionnelle et de le débouter, en conséquence, de l'ensemble de ses demandes ;
' en tout état de cause :
- de dire n'y avoir lieu de statuer sur la demande de M. [P] tendant à la voir condamnée à lui verser la somme de 6 000 euros de dommages-intérêts en l'absence d'appel incident saisissant régulièrement la cour, ou, subsidiairement, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de dommages-intérêts ;
- de condamner M. [P] à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures du 3 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé, M. [P] demande à la cour :
' de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Sylvamo à lui verser les sommes de :
- 18 313,13 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;
- 5 582,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a ordonné à la société Sylvamo de lui remettre ses documents sociaux : attestation Pôle emploi, certificat de travail, solde de tout compte et bulletin de salaire rectifiés ;
' y ajoutant, de condamner la société Sylvamo à lui verser la somme de 6.000 euros de dommages-intérêts ;
' de condamner la société Sylvamo à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
SUR CE,
Sur l'appel incident de M. [P] :
Aux termes de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel et, aux termes de l'article 954 du même code, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions. Cette exigence procédurale s'applique tant à l'appelant principal qu'à l'appelant incident ( cf Civ2° 1er juillet 2021 n° 20-10.694 ou, plus récemment, Civ 2° 4 novembre 2021 n° 20.15.757).
Devant le conseil de prud'hommes, M. [P] a vu rejeter sa demande en condamnation de la société Sylvamo à lui payer, outre une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral ou d'un préjudice financier et ses conclusions déposées le 03 octobre 2020, bien que sollicitant à nouveau la condamnation de la société Sylvamo à lui payer ladite somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts, ne comportent dans leur dispositif aucune demande de réformation ou d'annulation du jugement attaqué.
Il convient en conséquence de dire que la cour d'appel n'est pas valablement saisie d'un appel incident de M. [P], sur lequel il n'y a donc pas lieu à statuer.
Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude :
Les articles L. 1226-10 et suivants du code du travail prévoient, en cas d'inaptitude du salarié consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle et d'impossibilité de son reclassement, le versement au salarié d'une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité de préavis prévue à l'article L.1234-5, ainsi que d'une indemnité spéciale de licenciement d'un montant, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égal au double de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9.
Ces règles protectrices dont bénéficient les victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, soit au jour de la date d'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement.
En outre, compte tenu de l'autonomie du droit du travail par rapport au droit de la sécurité sociale, l'application de ces textes n'est pas subordonnée à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie par la caisse primaire d'assurance maladie ou, si cette reconnaissance est intervenue, à la décision de son inopposabilité à l'employeur, que ce soit pour un motif de fond ou de forme.
Il convient en revanche que soient établis que le salarié présente une affection pouvant être reconnue en tant que maladie professionnelle, un lien de causalité même partiel entre l'activité exercée par le salarié et cette affection ayant conduit à la déclaration d'inaptitude à son poste de travail, ainsi que la connaissance par l'employeur de l'origine professionnelle de l'inaptitude au jour du licenciement.
En l'espèce, M. [P] a effectué toute sa carrière professionnelle au sein du secteur 'finition' de l'usine de la société Sylvamo et, selon une étude du risque lié à l'inhalation des poussières de papier pendant une journée de travail à laquelle l'Association interprofessionnelle pour la santé au travail (AIST) avait procédé en novembre 2014 dans l'atelier 'finition' sur la demande de la direction de l'entreprise, il avait été relevé la présence de poussières inhalables dans l'atmosphère de travail, mais dans des concentrations toutes très inférieures à la valeur limite d'exposition professionnelle sur 8 heures (VLEP) qui est de 10mg/m3, puisque de 0,20 mg/m3 pour un poste se conducteur-encaisseur et de 0,55mg/m3 pour un poste de conducteur-coupeur sur la ligne de production Willy. Ces données ont été confirmées par une nouvelle étude de contrôle de l'exposition professionnelle aux polluants dans l'air inhalé à laquelle la société Sylvamo a fait procéder par la Sas Dekra en novembre 2019.
Toutefois, la seule inhalation dans les limites autorisées de poussières de papier ne suffit pas à dire que M. [P] en a présenté une maladie professionnelle sous la forme d'une rhinite récidivante.
A ce propos, il convient de relever les éléments suivants :
- M. [P] a été en arrêt de travail en février 2016 pour une péricardite et une fracture du poignet droit et, antérieurement à cet arrêt de travail, le médecin du travail l'a déclaré apte à son poste d'assistant technique en 2013, 2014 et 2015 sans la moindre observation quant à une allergie aux poussières de papier et aucun document médical et ni même des témoignages ne viennent attester qu'il aurait présenté antérieurement à février 2016 des symptômes d'une telle allergie ;
' lors d'une première consultation en pathologie respiratoire et allergologie du 17 janvier 2018, le praticien, le docteur [N], a relevé que M. [P] n'avait jamais souffert d'asthme et que des tests aux principaux pneumallergènes que sont les acariens, les poils de chats, le pollen de bouleau ou les graminées, s'avéraient négatifs;
- lors d'une seconde consultation par le docteur [N] les 11 et 12 septembre 2018, ce praticien l'a soumis à plusieurs tests portant sur les poussières de papier:
' lors d'un premier test au cours duquel il a transvasé la poussière de papier, M. [P] s'est immédiatement plaint d'une toux avec prurit oculaire, mais sans signe de rhinite;
' lors d'une série de deux tests réalisés le 12 septembre avec de la poussière de papier et du talc comme placebo et en lui bandant les yeux pour éviter toute interférence:
- avec le flacon n°1 contenant du talc, il n'a eu aucune réaction,
- avec le flacon n°2 contenant de la poussière de papier, il a une première fois toussé immédiatement, mais n'a eu aucune réaction au second test ;
- le docteur [N] a alors conclu en ces termes : ' nous pensons qu'il existe effectivement une allergie ou intolérance aux produits utilisés dans les papiers, mais nous sommes incapable d'aller plus loin dans son bilan' ;
- dans ces circonstances et pour la première fois le 29 octobre 2018, son médecin traitant lui a délivré un arrêt de travail motivé par une maladie professionnelle d'allergie à la poussière de papier, mais, en l'absence de précision sur la nature de l'allergie - cutanée ou respiratoire - la caisse primaire d'assurance maladie n'a pas pu prendre ce certificat en considération au titre d'une déclaration de maladie professionnelle et ,le 02 mars 2019, le médecin traitant a établi un nouveau certificat déclarant que M. [P] présente une allergie aux papiers responsable de rhinite;
- c'est sur la base de ce dernier certificat médical mentionnant pour la première fois une symptomatologie sous forme de rhinite que la caisse primaire d'assurance maladie l'a pris en charge au titre de la maladie professionnelle du tableau n°66 pour une 'rhinite récidivante'.
Toutefois et alors que, selon ce tableau n°66, la rhinite récidivante est retenue comme maladie professionnelle en cas de nouvelle exposition au risque ou si elle confirmée par test:
- le certificat médical initial du 02 mars 2019 évoquant pour le première fois une rhinite allergique a été établi trois années après une longue période d'arrêt de travail de M. [P] et alors que ce dernier n'était plus exposé depuis une longue date à un tel risque professionnel ;
- le diagnostic de la rhinite allergique est posé en cas de picotements dans le nez, de fréquents éternuements, d'écoulement nasal, de conjonctivite ou d'asthme et aucun élément médical, et pas même la consultation du docteur [N] dont la conclusion d'une allergie aux produits utilisés dans les papiers reste d'ailleurs hypothétique, ne vient corroborer un tel diagnostic.
En conséquence, et en l'absence de démonstration d'une maladie correspondant précisément à celle décrite au tableau n°66 et de son origine professionnelle, M. [P] doit être dit non fondé en sa demande en paiement des indemnités prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail.
Le jugement dont appel sera donc infirmé de ce chef.
Sur les frais et dépens :
M. [P], succombant, doit supporter les dépens de première instance et d'appel, sans que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société Sylvamo.
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Constate que la cour d'appel n'est pas valablement saisi d'un appel incident de M. [V] [P] ;
Statuant dans les limites de l'appel principal de la SA Sylvamo France,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Limoges en date du 03 juin 2022 en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [V] [P] aurait dû être prononcé pour inaptitude professionnelle, condamné en conséquence la Sa Sylvamo France à lui payer les sommes de 18.313,13 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement et de 5.582,98 euros au titre se l'indemnité compensatrice de préavis et condamné la Sa Sylvamo France aux dépens et à payer à M. [P] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Déboute M. [V] [P] de l'ensemble de ces demandes ;
Condamne M. [V] [P] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.