ARRET DU 13 Mars 2008
Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de commerce de LYON du 29 mars 2002 (role no01J00536) Suite à l'arrêt de la cour d'appel de LYON du 9 décembre 2004 (RG no02 / 2251) à l'arrêt de la Cour de Cassation de du 11 juillet 2006- No rôle : 935 fd
No R. G. : 06 / 05442
Nature du recours : Appel
APPELANTS :
Monsieur Marc X... .........
représenté par Me Christian MOREL, avoué à la Cour
assisté de la SCP TACHET, avocats au barreau de LYON
Madame Jeanine X... .........
représentée par Me Christian MOREL, avoué à la Cour
assistée de la SCP TACHET, avocats au barreau de LYON
Monsieur Gérard X... ......
représenté par Me Christian MOREL, avoué à la Cour
assisté de la SCP TACHET, avocats au barreau de LYON
INTIMES :
Madame Solange Y... veuve X... ......
représentée par la SCP AGUIRAUD- NOUVELLET, avoués à la Cour
assistée de la SCP CABINET LAMY LEXEL, avocats au barreau de LYON
Monsieur Thierry X... ......
représenté par la SCP AGUIRAUD- NOUVELLET, avoués à la Cour
assisté de la SCP CABINET LAMY LEXEL, avocats au barreau de LYON
Mademoiselle Fabienne X... ......
représentée par la SCP AGUIRAUD- NOUVELLET, avoués à la Cour
assistée de la SCP CABINET LAMY LEXEL, avocats au barreau de LYON
Instruction clôturée le 11 Décembre 2007
Audience publique du 11 Février 2008
LA TROISIÈME CHAMBRE SECTION B DE LA COUR D'APPEL DE LYON,
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Laurence FLISE, Président Madame Christine DEVALETTE, Conseiller Monsieur Alain MAUNIER, Conseiller
DEBATS : à l'audience publique du 11 Février 2008 sur le rapport de Madame Laurence FLISE, Président
GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Madame Joëlle POITOUX, Greffier
ARRET : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 13 Mars 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Signé par Madame Laurence FLISE, Président, et par Madame Joëlle POITOUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Le 9 novembre 1990 Daniel X... a :
- acquis de son père, Henri X..., de ses frères, Marc, Gérard et Michel, et de sa belle- soeur, Jeanine X..., respectivement 235, 651, 300, 240 et 1 actions de la société X... et Cie au prix de 3 446 F (pour chaque action de Marc, Jeanine et Gérard X...) et de 2 696 F (pour chaque action de Henri et Michel X...),
- reçu de son père, à titre de donation en avancement d'hoirie, 366 autres actions de la même société.
Le 20 décembre 1990 il a cédé à la société SATELEC, pour un prix de 12, 9 millions de francs, les 2 500 actions composant le capital de la société X... et Cie.
Au mois de juillet 1995 Marc, Jeanine et Gérard X... ont fait assigner en justice les héritiers de Daniel X..., décédé en 1994, pour obtenir réparation du préjudice qu'ils estimaient avoir subi.
Par jugement en date du 29 mars 2002 le tribunal de commerce de Lyon les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés à payer aux défendeurs une somme de 15 244, 90 € à titre de dommages intérêts pour procédure manifestement abusive ainsi qu'une somme de 12 195, 92 € sur le fondement de l'article 700 nouveau code de procédure civile.
Ils ont interjeté appel de la décision ainsi rendue.
Par arrêt en date du 9 décembre 2004 la Cour de céans a infirmé la disposition du jugement entrepris allouant des dommages et intérêts et a confirmé toutes ses autres dispositions.
Par arrêt en date du 11 juillet 2006 la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions la décision du 9 décembre 2004 pour le motif suivant " attendu que, pour rejeter les demandes principales, l'arrêt retient que les cédants n'établissent pas que Daniel X... ait pu connaître avec certitude le prix de revente des actions au moment où est intervenu l'accord sur le prix de cession des actions et relève que Marc et Gérard X..., qui exerçaient respectivement les fonctions d'administrateur et de directeur salarié, étaient nécessairement informés de la situation financière et comptable de la société et ne peuvent en conséquence faire grief à Daniel X... d'avoir manqué à l'obligation de loyauté qui ne s'impose qu'à l'égard des actionnaires non dirigeants " " attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si Daniel X... n'avait pas caché l'existence des négociations conduites avec la société SATELEC en vue de la revente des actions dont il se portait acquéreur et ainsi manqué à l'obligation d'information qui s'impose au dirigeant de société, à l'égard de tout associé, en dissimulant aux cédants une information de nature à influer sur leur consentement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ".
Aux termes de leurs dernières écritures Marc, Jeanine et Gérard X..., qui ont saisi la cour de renvoi le 6 août 2006, concluent à l'infirmation du jugement entrepris et demandent que les intimés soient solidairement condamnés à payer aux époux Marc X... une somme de 295 000 € et à Gérard X... une somme de 135 000 €. Ils sollicitent en outre l'application en leur faveur des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que Daniel X... a commis une faute en ne leur révélant pas, alors qu'ils étaient actionnaires de la société X... et Cie, l'existence et la teneur de la négociation parallèle qu'il avait engagée, dès le courant du mois de juillet 1990, en sa qualité de dirigeant de la société X... et Cie, avec la société SATELEC, notamment quant aux modalités financières auxquelles était envisagée la revente des actions, et les a ainsi privés de la possibilité de céder directement leurs propres actions à la société SATELEC aux conditions pécuniaires arrêtées avec elle.
Ils se prévalent des indications chronologiques fournies par la société SATELEC pour souligner qu'à la date du 11 octobre 1990 le prix de revente des actions était déjà fixé à 12, 5 millions de francs avant audit.
Ils se prévalent du contenu d'attestations établies par leur père, Henri X..., pour affirmer que le prix de vente très bas consenti à Daniel X... devait lui permettre de conserver son outil de travail et non de réaliser une importante plus- value au détriment des autres actionnaires.
Ils soutiennent qu'ils auraient pu bénéficier, en prenant, le cas échéant, les mêmes engagements que Daniel X..., du prix de revente qui a été accepté par la société SATELEC et qui s'expliquait seulement, selon eux, par le fait que la totalité des actions était vendue.
Ils chiffrent leur perte de chance à 95 % :
- de l'écart entre le prix de vente de leurs actions et la valeur unitaire de chaque action déterminée par le prix que la société SATELEC a réglé,
- des intérêts au taux légal sur cet écart pour la période du 20 décembre 1990 au 31 mars 2007.
Aux termes de leurs dernières écritures les héritiers de Daniel X... concluent à la confirmation du jugement entrepris et sollicitent l " application en leur faveur des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent :
à titre principal
- que Daniel X... n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et d'information dès lors notamment que son frère Gérard occupait des fonctions importantes dans l'entreprise et ne pouvait ignorer les audits réalisés dès le mois d'octobre 1990,
à titre subsidiaire
- que les appelants n'ont subi aucun préjudice, la différence entre le prix de cession et le prix de revente étant justifié par le fait que Daniel X... s'est lourdement engagé envers la société SATELEC (garantie de passif et clause de non concurrence), a vendu à la société SATELEC non une participation minoritaire mais le contrôle d'une société et a maintenu sa présence dans la société
à titre très subsidiaire
- que les appelants omettent de déduire du prix de revente la valeur des actions reçues en avancement d'hoirie ainsi que les impositions sur plus- values supportées par Daniel X...
- que les appelants ne peuvent prétendre à des intérêts de retard exclus par le protocole du 9 novembre 1990 et, en toute hypothèse, excessifs.
Ils contestent l'objectivité des témoignages :
- de la société SATELEC, qui a vainement mis en oeuvre la garantie de passif accordée par Daniel X...,
- d'Henri X... qui a délivré deux attestations dont les termes parfois se contredisent.
A l'appui de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts ils dénoncent les atteintes à la mémoire de Daniel X... que constitueraient les accusations réitérées de tromperie formulées par les appelants.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 décembre 2007.
SUR CE :
Attendu qu'aucune des pièces versées aux débats n'établit que Daniel X..., dirigeant de la société X... et Cie, a tenu les autres associés au courant des négociations conduites avec la société SATELEC antérieurement au 9 novembre 1990 ;
Que la mention manuscrite apposée en marge de l'acte du 9 novembre 1990, si elle confirme bien que les parties à cet acte ont envisagé la possibilité d'une cession (entre le 9 novembre 1990 et le 10 mars 1994) des actions acquises par Daniel X..., cession rendant immédiatement exigible sa dette envers ses associés, ne démontre nullement qu'il ait été fait précisément allusion au projet de la société SATELEC ;
Que, de même, le retard apporté à l'introduction de la présente instance ne peut, en l'absence de tout autre élément, être imputé à la connaissance qu'auraient eue les demandeurs du projet de la société SATELEC au moment où ils ont conclu la convention du 9 novembre 1990 ;
Attendu que le simple fait que Gérard X..., qui était le seul des frères de Daniel X... à exercer encore son activité professionnelle au sein de la société, ait pu constater au mois d'octobre 1990 la réalisation d'audits, ne dispensait pas Daniel X... de fournir à chacun des associés une information claire et précise sur les négociations en cours ;
Attendu qu'il est certain que l'information selon laquelle la société SATELEC envisageait d'acquérir la totalité des actions de la société X... et Cie était de nature à influer sur le consentement des associés qui pouvaient raisonnablement penser qu'ils tireraient un plus grand profit de la prise de contrôle projetée par le candidat acquéreur que de l'acquisition de participations minoritaires proposée par leur frère ;
Attendu qu'en ne fournissant pas cette information Daniel X... a commis une faute qui a fait perdre à Marc, Jeanine et Gérard X... la chance d'une part de céder leurs actions au prix de 5160 F au lieu de 3 446 F et de réaliser, par conséquent un gain supplémentaire de 1439, 76 F (déduction faite de la taxation de 16 % sur les plus- values qu'ils auraient nécessairement supportée) pour chaque action vendue, d'autre part de faire fructifier ce gain supplémentaire ;
qu'eu égard au bref laps de temps ayant séparé les deux cessions successives la chance perdue par Marc, Jeanine et Gérard était particulièrement sérieuse et peut être évaluée à 90 % ;
Attendu qu'il ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats que le prix de 5 160 F était la contrepartie des engagements personnels de Daniel X... (qui auraient pu être souscrits également par les autres associés) ou du maintien de sa présence dans l'entreprise (présence pour laquelle il percevait une rémunération) plutôt que du transfert total du contrôle de l'entreprise (transfert qui aurait pu être obtenu aussi bien par la cession concomitante de toutes les participations minoritaires que par la cession globale de l'ensemble des actions) ;
Attendu que les dispositions de la convention du 9 novembre 1990 ne sont pas applicables à la réparation du préjudice subi par Marc, Jeanine et Gérard X... ;
Que le taux d'intérêt légal sera retenu pour évaluer le revenu qu'ils auraient pu tirer d'un gain supplémentaire ;
Attendu qu'en tenant compte de l'ensemble de ces éléments le préjudice que les appelants ont subi sera réparé par l'allocation :
- aux époux Marc X... d'une somme de 128 805 € majorée des intérêts au taux légal du 20 décembre 1990 au 31 mars 2007
- à Gérard X... d'une somme de 59 272 € majorée des intérêts au taux légal du 20 décembre 1990 au 31 mars 2007 ;
Attendu qu'il n'est nullement démontré que Marc, Jeanine et Gérard X... aient commis un abus en introduisant une action en justice et en développant les moyens et les arguments qui ont permis à leurs prétentions de prospérer ;
Que les héritiers de Daniel X... doivent, par conséquent, être déboutés de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;
Attendu que le jugement entrepris doit, dès lors, être infirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 nouveau code de procédure civile en faveur des appelants ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour
Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris
Statuant à nouveau
Condamne solidairement Mme Solange Y... veuve X..., Mme Fabienne X... et M. Thierry X... à payer :
- aux époux Marc X... une somme de 128 805 € majorée des intérêts au taux légal du 20 décembre 1990 au 31 mars 2007
- à Gérard X... une somme de 59 272 € majorée des intérêts au taux légal du 20 décembre 1990 au 31 mars 2007
Les condamne en outre solidairement à verser aux appelants une somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 nouveau code de procédure civile
Les condamne solidairement aux dépens de première instance et aux entiers dépens d'appel qui seront distraits au profit de Maître Morel, avoué.