AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 10/01175
ASSOCIATION DEPARTEMENTALE DES AMIS ET PARENTS D'ENFANTS INADAPTES DE LA LOIRE
ASSOCIATION DEPARTEMENTALE DES AMIS ET PARENTS D'ENFANTS INADAPTES DE LA LOIRE
C/
[W]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT- ETIENNE
du 11 Février 2010
RG : F 09/00255
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 14 JANVIER 2011
APPELANTES :
ASSOCIATION DEPARTEMENTALE DES AMIS ET PARENTS D'ENFANTS INADAPTES DE LA LOIRE
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Christian BROCHARD,
avocat au barreau de LYON
ASSOCIATION DEPARTEMENTALE DES AMIS ET PARENTS D'ENFANTS INADAPTES DE LA LOIRE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Christian BROCHARD,
avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[U] [W]
né le [Date naissance 2] 1971
[Adresse 3]
[Localité 5]
comparant en personne,
assisté de Me Chantal JULLIEN,
avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
PARTIES CONVOQUÉES LE : 08 Mars 2010
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Décembre 2010
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Michel GAGET, Président de Chambre
Hélène HOMS, Conseiller
Marie-Claude REVOL, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Janvier 2011, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Michel GAGET, Président de Chambre, et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
EXPOSE DU LITIGE
[U] [W] est salarié de l'Association Départementale des Amis et Parents d'Enfants Inadaptés de la LOIRE en qualité de moniteur éducateur dans un foyer qui accueille des adultes handicapés ; le foyer est couplé avec un établissement de service d'aide par le travail.
Le 24 février 2009, l'employeur a notifié un avertissement qu'[U] [W] a contesté devant le conseil des prud'hommes de SAINT-ETIENNE.
Par jugement du 11 janvier 2010, le conseil des prud'hommes a annulé l'avertissement, a débouté [U] [W] de sa demande fondée sur les frais irrépétibles et a laissé les dépens à la charge de l'employeur.
Le jugement a été notifié le 10 février 2010 à l'Association Départementale des Amis et Parents d'Enfants Inadaptés de la LOIRE qui a interjeté appel par lettre recommandée adressée au greffe le 16 février 2010.
Le 17 février 2010, [U] [W] a été mis à pied ; le 5 mars 2010, il a été licencié pour faute grave.
Par lettre recommandée avec accusée de réception adressée au greffe le 18 mars 2010, [U] [W] a saisi la Cour d'une contestation du licenciement.
Par conclusions reçues au greffe le 9 novembre 2010 maintenues et soutenues oralement à l'audience, l'Association Départementale des Amis et Parents d'Enfants Inadaptés de la LOIRE :
- soutient que l'avertissement et le licenciement sont fondés sur des griefs réels et constituent des sanctions proportionnées à la gravité des fautes commises par le salarié qui a fait montre d'irrespect et d'insubordination,
- demande donc l'infirmation du jugement entrepris et le rejet des prétentions du salarié,
- sollicite la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions reçues au greffe le 14 juin 2010 et le 30 novembre 2010 maintenues et soutenues oralement à l'audience, [U] [W] :
- conteste certains propos que l'employeur lui impute,
- souligne qu'il n'a jamais tenu de propos injurieux, diffamatoire ou excessifs et argue de sa liberté d'expression,
- dément qu'il a fait preuve d'insubordination,
- soulève la prescription du grief tiré de la tenue de paroles irrespectueuses,
- demande la confirmation du jugement entrepris,
- prétend que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
- réclame la somme de 920,33 € au titre des salaires dus pendant la période de mise à pied, la somme de 4.300 € au titre de l'indemnité de préavis, la somme de 522 € au titre des congés payés afférents, la somme de 12.900 € au titre de l'indemnité de licenciement, les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la demande et la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause,
- demande, sous astreinte de 50 € par jour de retard, la remise du certificat de travail et de l'attestation POLE EMPLOI rectifiés,
- sollicite la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'avertissement :
L'avertissement du 24 février 2009 sanctionne [U] [W] pour avoir, au cours d'une réunion qui s'est déroulée le 8 janvier 2009 et dont l'objet était d'étudier la situation de [I] [E] hébergé au foyer et travaillant à établissement de service d'aide par le travail, inciter à la désobéissance, remis en cause la légitimité du directeur de l'établissement de service d'aide par le travail et des choix de la direction générale, présenter une attitude irrespectueuse et non professionnelle à l'égard de [I] [E] et du cadre de l'établissement de service d'aide par le travail.
Dans une lettre du 9 janvier 2009 et son attestation du 1er octobre 2009, le directeur adjoint de l'établissement de service d'aide par le travail décrit l'attitude d'[U] [W] lors de la réunion de la manière suivante : [U] [W] a affirmé que sa mission en tant qu'éducateur n'était pas de travailler dans une logique de parcours mais de s'adapter à l'usager et de faire avec lui jusqu'au bout ; en réponse aux objections soulevées par ses propos et destinées à valider la logique du parcours, il a déclaré : 'ma mission n'est pas forcément d'appliquer les directives de mon employeur et d'accepter, il faut résister, l'ADAPEI de la LOIRE n'est pas la seule association' ; il a ensuite remis en cause le choix des recrutements des cadres de l'établissement de service d'aide par le travail dans les termes suivants
'le choix de prendre des directeurs qui n'ont pas de formation éducative à la base'
enfin, il a dit devant le majeur concerné par la réunion : 'dites lui maintenant quel est son projet, ça ne va pas le casser' ; la psychiatre qui assistait à la réunion confirme dans son attestation qu'[U] [W] a contesté la notion de parcours et a dit devant la personne handicapée 'vous pouvez parler devant lui ça ne va pas le casser' ; dans la suite de son attestation, elle porte des appréciations sur le comportement d'[U] [W] mais ne relate pas des faits précis ; la psychologue, présente lors de la réunion, retrace dans son attestation uniquement les propos tenus par [U] [W] devant la personne handicapée ; une éducatrice explique que, lors de la réunion, il a été question de retirer [I] [E] du centre de travail ce qui remettait en cause sa place dans le foyer ; elle témoigne qu'[U] [W] a parlé de résister afin de soutenir [I] [E] qui est depuis 12 ans dans le foyer et n'a plus ses parents et qu'[U] [W] a justifié les divergences de vue par la différence des formations.
Les propos d'[U] [W] sur le fait que la mission des éducateurs impliquait une résistance aux directives de l'employeur dans l'intérêt de la personne handicapée ne manifeste pas un abus de la liberté d'expression ; en effet, [U] [W] n'a pas employé des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ; le constat que les cadres de l'établissement de service d'aide par le travail n'aient pas une formation d'éducateur n'est pas irrespectueux à leur égard et n'est pas une remise en cause de leur légitimité ; la phrase prononcée devant la personne handicapée n'est nullement empreinte d'irrespect à son encontre ; enfin, l'attitude d'[U] [W], dans le cadre d'une réunion de travail où chacun doit pouvoir exprimer son point de vue, ne caractérise pas un manque de professionnalisme.
Dans ces conditions, [U] [W] n'a pas commis de faute au cours de la réunion du 8 janvier 2009.
En conséquence, l'avertissement doit être annulé et le jugement entrepris doit être confirmé.
Sur le licenciement :
L'employeur qui se prévaut d'une faute grave du salarié doit prouver l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre de licenciement et doit démontrer que ces faits constituent une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis ; dans la mesure où l'employeur a procédé à un licenciement pour faute disciplinaire, il appartient au juge d'apprécier, d'une part, si la faute est caractérisée, et, d'autre part, si elle est suffisante pour motiver un licenciement.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige énonce cinq griefs :
* n'avoir toujours pas mis en place au 15 février 2010 le stage d'observation pour une personne handicapée alors que la demande remontait au 21 janvier 2010,
* avoir déclaré lors d'une réunion de travail du 14 janvier 2010 que le projet d'établissement n'était qu'une manipulation de la direction visant 'à faire passer la pilule des restrictions budgétaires et des orientations nouvelles de notre association',
* avoir refusé, lors d'une réunion du 28 janvier 2010 et d'une réunion du 11 février 2010, de préparer, instruire et transmettre les dossiers d'inscription des séjours des vacances d'été des adultes handicapés dont il a la charge,
* s'être montré, lors d'une réunion du 3 décembre 2009, irrespectueux à l'égard du directeur adjoint en manifestant un emportement,
* avoir exprimé, le 29 janvier 2010, à la famille d'un résident son opposition à la démarche de soin préconisé par le psychiatre et entraînant une hospitalisation et plus généralement d'être de manière violente contre les hospitalisations de sorte que le personnel de nuit hésite à faire appel aux services d'urgence même en cas de crise de la personne handicapée.
S'agissant du premier grief tiré de l'absence de mise en place d'un stage d'observation :
Une résidente, [N]. a manifesté le souhait de changer de foyer pour être plus autonome ; le cahier de liaison mentionne à la date du 21 janvier 2010 que [N]. souhaite faire un stage aux H.L.M et il est demandé de mettre en oeuvre le stage ; [U] [W] a expliqué au cours de l'entretien préalable qu'il n'a pas eu le temps d'organiser le stage car il a été en vacances à compter du 10 février 2010 puis mis à pied ; un collègue de travail atteste que la mise en place d'un stage sérieux nécessite plusieurs semaines.
[U] [W] admet qu'il devait organiser le stage.
Le grief est donc établi.
[U] [W] ne justifie pas avoir, entre le 21 janvier et le 10 février, entrepris la moindre démarche en vue d'organiser le stage.
Ainsi, [U] [W] a commis une faute puisqu'il n'a pas suivi les instructions de son employeur.
S'agissant du deuxième grief tiré des propos tenus lors de la réunion de travail du 14 janvier 2010 :
Les deux directeurs adjoints écrivent qu'au cours de la réunion de travail du 14 janvier 2010 [U] [W] a dit que ' le projet de complexe et la concertation avec les équipes n'étaient qu'une manipulation visant à faire passer la pilule des restrictions budgétaires et des nouvelles orientations de l'association vu que tout est déjà décidé'.
[U] [W] conteste avoir tenu ces propos ; cependant, aucun élément n'autorise à remettre en cause les déclarations des deux directeurs.
Le grief est donc établi.
De tels propos ne peuvent pas être couverts par la liberté d'expression du salarié car l'emploi du terme 'manipulation' est excessif.
[U] [W] a ainsi commis une faute.
S'agissant du troisième grief tiré du refus de s'occuper des dossiers d'inscription des séjours des vacances :
Les directeurs adjoints écrivent que, lors des réunions des 28 janvier 2010 et 11 février 2010, [U] [W] a catégoriquement refusé d'inscrire en camp de vacances les personnes dont il assure l'accompagnement.
Les pièces au dossier démontrent que, depuis 2009, l'équipe dirigeante procédait aux inscriptions et l'équipe éducative renseignait les dossiers ; en effet, tous les éducateurs avaient refusé de s'occuper des inscriptions car ils avaient constaté que des personnes handicapées vivaient mal les camps de vacances.
La position prise en 2010 par [U] [W] est celle adoptée par toute l'équipe éducative depuis 2009.
Dans ces conditions, [U] [W] n'a pas commis de faute.
S'agissant du quatrième grief tiré de l'attitude irrespectueuse lors de la réunion du 3 décembre 2009 :
Dans la mesure où [U] [W] a commis dans le délai de deux mois avant l'introduction de la procédure de licenciement des faits que son employeur a estimé fautif, ce dernier pouvait invoquer des manquements de même natrure commis avant ce délai de deux mois ; les faits du 3 décembre 2009 ne sont donc pas prescrits.
Le directeur adjoint de complexe a rédigé un rapport sur le comportement d'[U] [W] lors de la réunion du 3 décembre 2009 ; il indique qu'[U] [W] l'a interpellé en criant et lui a dit : 'ça commence très fort, vous commencez très fort'.
[U] [W] ne dément pas avoir tenu ces propos ; il estime que le grief est prescrit et que la seule déclaration du directeur est insuffisante.
En l'absence d'élément contraire, le rapport du directeur adjoint démontre la réalité du grief.
Les propos dont s'agit proférés en criant ne relèvent pas de la liberté d'expression mais constituent une attaque personnelle à l'encontre du directeur adjoint.
[U] [W] a commis une faute en attaquant verbalement un supérieur hiérarchique.
S'agissant du cinquième grief tiré de la manifestation de son opposition à l'hospitalisation d'un résident et plus généralement d'une opposition violente aux hospitalisations :
[U] [W] a emmené à l'hôpital un résident dont l'hospitalisation avait été décidée par le psychiatre du foyer ; [U] [W] reconnaît avoir dit au père de la personne que la décision d'hospitalisation relevait de la direction non de lui ; le père de la personne hospitalisée atteste qu'[U] [W] a refusé de faire hospitaliser son fils, ce qui est inexact.
L'employeur ne verse pas de document au soutien de son accusation selon laquelle les surveillantes craindraient [U] [W] en raison de son opposition aux hospitalisations ; il ne donne pas de précision sur les dates et les faits.
Une surveillante témoigne qu'elle ne craignait nullement [U] [W].
Le grief n'est donc pas établi.
***
Il résulte de ces éléments qu'[U] [W] a commis trois fautes dans un espace de temps très court ; les attaques verbales contre l'employeur et contre un supérieur hiérarchique et le refus de suivre les instructions de l'employeur présentent un degré de gravité tel que le licenciement constitue une sanction proportionnée.
La tension entre l'employeur et [U] [W] née du comportement de ce dernier rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la période de préavis, étant observé que les derniers faits reprochés à [U] [W] datent du 11 février 2010 et que la mise à pied est intervenue le17 février 2010, soit dans un délai très bref.
En conséquence, le licenciement repose sur une faute grave et [U] [W] doit être débouté de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts et de remise des documents rectifiés.
Sur la mise à pied :
Compte tenu du comportement fautif d'[U] [W], la mise à pied n'a pas à être rémunérée.
En conséquence, [U] [W] doit être débouté de sa demande de rappel de salaire et de congés payés afférents.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
L'équité commande de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et de débouter les parties de leurs demandes présentées en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'Association Départementale des Amis et Parents d'Enfants Inadaptés de la LOIRE qui succombe sur l'avertissement doit supporter les dépens de première instance et d'appel et le jugement entrepris doit être confirmé.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris,
Ajoutant,
Juge que le licenciement repose sur une faute grave,
Déboute [U] [W] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts et de remise des documents rectifiés,
Déboute [U] [W] de sa demande de rappel de salaire au titre de la mise à pied et de congés payés afférents,
Déboute les parties de leurs demandes présentées en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'Association Départementale des Amis et Parents d'Enfants Inadaptés de la LOIRE aux dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,
Evelyne FERRIERMichel GAGET