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13/11/2015 | FRANCE | N°14/09079

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 13 novembre 2015, 14/09079


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 14/09079





[B] [V]



C/

ASSOCIATION CENTRE SOCIAL VIVARAIZE







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 12 Novembre 2014

RG : F 13/00781











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2015













APPELANTE :



[S] [B] [V]

née le

[Date naissance 1] 1967 à [Localité 1] (CAMEROUN)

[Adresse 2]

[Adresse 1]



comparante en personne, assistée de Me Laëtitia VOCANSON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE







INTIMÉE :



ASSOCIATION CENTRE SOCIAL VIVARAIZE

[Adresse 3]

[Adresse 1]



représentée par...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 14/09079

[B] [V]

C/

ASSOCIATION CENTRE SOCIAL VIVARAIZE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 12 Novembre 2014

RG : F 13/00781

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2015

APPELANTE :

[S] [B] [V]

née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1] (CAMEROUN)

[Adresse 2]

[Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Laëtitia VOCANSON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

ASSOCIATION CENTRE SOCIAL VIVARAIZE

[Adresse 3]

[Adresse 1]

représentée par Me Anne-marie LARMANDE de la SELARL DELDON-LARMANDE & ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

PARTIES CONVOQUÉES LE : 16 décembre 2014

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Octobre 2015

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Jean-Louis BERNAUD, Président

Isabelle BORDENAVE, Conseiller

Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller

Assistés pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 13 Novembre 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Jean-Louis BERNAUD, Président, et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [S] [V] a été embauchée à temps partiel par l'association CENTRE SOCIAL VIVARAIZE selon contrat à durée déterminée du 1er décembre 2005, en qualité d'animatrice d'insertion coefficient 523 de la convention collective des centres sociaux.

A l'issue de ce contrat, elle a été embauchée à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2006, en qualité de coordinatrice d'insertion dans le cadre de l'action AAOC en partenariat avec les centres sociaux de la [Adresse 5], [Adresse 4] et [Adresse 7] ; son coefficient a été porté à 570, statut cadre, selon avenant du 1er mai 2010.

Le 15 octobre 2012, Mme [S] [V] a été placée en arrêt de travail pour 'burn out'qui a été prolongé jusqu'au 3 décembre 2012 ; elle a été déclarée apte à la reprise par le médecin du travail le 4 décembre 2012.

Elle a été à nouveau placée en arrêt de travail à compter du 27 décembre 2012, son médecin traitant faisant état de « harcèlement psychologique, dégradation de l'état moral en octobre, reprise impossible vu l'évolution de l'environnement hiérarchique avec harcèlement ».

A l'issue des visites de reprise des 4 et 20 mars 2013, le médecin du travail a déclaré Mme [S] [V] définitivement inapte à son poste de travail de coordinatrice et formatrice au centre social de VIVARAIZE.

Par courrier du 7 mai 2013 le Centre social VIVARAIZE a proposé 2 reclassements à Mme [S] [V] qui les a refusés le 21 mai 2013, aux motifs qu'il s'exerçaient au sein de Centre social et qu'il s'agissait de postes très précaires dans des catégories professionnelles ne correspondant pas à ses qualification et à ses compétences.

Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 19 juin 2013.

Agissant selon requête du 15 juillet 2013, Mme [S] [V] a saisi le Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne pour obtenir la requalification de son contrat à durée déterminée du 1er décembre 2005 en contrat à durée indéterminée, entendre dire que son licenciement est nul et obtenir paiement de divers rappels de salaire et dommages et intérêts.

Par jugement du 12 novembre 2014, le Conseil de Prud'hommes de Saint-Etienne a :

- dit que Mme [S] [V] ne rapporte aucun élément permettant de supposer l'existence d'un harcèlement moral,

-débouté Mme [S] [V] de sa demande de nullité de son licenciement pour inaptitude médicalement constatée,

-dit que la demande de Mme [S] [V] en requalification de son contrat de travail à durée déterminée est prescrite,

-dit que l'association Centre social VIVARAIZE a satisfait à son obligation de reclassement,

-dit que l'association Centre social VIVARAIZE a satisfait à son obligation de sécurité de résultat,

- dit que la rupture du contrat de travail de Mme [S] [V] est bien fondée,

-débouté Mme [S] [V] de sa demande indemnitaire pour préjudice distinct et de l'ensemble de ses autres demandes,

-condamné Mme [S] [V] aux dépens.

Mme [S] [V] a interjeté appel de ce jugement le 19 novembre 2014.

En l'état de ses dernières conclusions déposées le 23 septembre 2015 et reprises oralement lors de l'audience, elle demande à la Cour d'infirmer cette décision, de dire qu'elle occupait depuis le 1er décembre 2005 un emploi permanent au sein de l'association, qu'elle a subi des faits constitutifs de harcèlement moral et que son employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat et à son obligation de reclassement, de dire que la rupture de son contrat de travail est nulle et sans cause réelle et sérieuse, de fixer la moyenne de ses 3 derniers mois de salaire à 2700 € et de condamner l'association Centre social VIVARAIZE à lui payer les sommes de :

- 8100 € au titre de l'indemnité de préavis,

-810 € au titre des congés payés sur préavis,

-1190 € au titre du solde de l'indemnité de licenciement,

-50'000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et abusif,

-27'000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

-16'200 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,

outre intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial et à compter de la notification de la décision à intervenir s'agissant des créances indemnitaires.

Elle a également sollicité la remise sous astreinte de son certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et de tous les bulletins de salaire rectifiés conformément à la décision à intervenir ainsi que le versement d'une indemnité de procédure de 3000 €.

Elle fait en premier lieu valoir que le contrat de travail à durée déterminée qu'elle a signé le 1er décembre 2005 ne précise pas le motif pour lequel il a été conclu et que cette irrégularité impliquant sa requalification en contrat à durée indéterminée, selon les dispositions de l'article L 1242-1 du code du travail, son ancienneté doit être appréciée à compter de sa signature.

Elle observe ensuite, que grâce à son travail et ses compétences, qui ont permis la mise en place d'un nouveau concept permettant un fonctionnement totalement coordonné sur les 4 centres couvrant 8 quartiers de Saint-Étienne avec des objectifs et des contenus pédagogiques nouveaux (Accueil Accompagnement Orientation et développement des Compétences sociales- AAOC), le Conseil régional a accordé à l'association une importante subvention supplémentaire pour cette action, sous la forme d'un poste FONGEP nominatif et reconductible tous les 3 ans, raison de son embauche à durée indéterminée en qualité de coordinatrice, la dernière reconduction datant du mois de juillet 2012 (11'700 €) ; que grâce à son travail, une subvention de 11700 € a été accordée par le Conseil Régional.

Elle considère que ses conditions de travail se sont subitement dégradées à compter de cette période, son employeur estimant qu'il n'avait plus dorénavant besoin de ses compétences qui lui 'coûtaient trop cher et elle soutient qu'elle a été victime d'agissements répétés constitutifs de harcèlement moral dans le but de la faire partir, caractérisés notamment par le fait :

-qu'elle se voyait fréquemment remettre de nouveau planning sans aucune concertation modifiant ses missions et lui en ajoutant de nouvelles, et que, notamment lors d'une réunion du 15 octobre 2012 , il lui a été remis un planning portant environ 45 heures de travail hebdomadaire,

-que bien qu'employée par le Centre social de la VIVARAIZE elle était isolée des autres salariés d'abord parce que son bureau ne se situait pas sur son véritable lieu de travail mais à [Adresse 4], et ensuite parce qu'elle ne pouvait assister aux réunions du personnel du centre de VIVARAIZE,

-que pendant ses arrêts de travail pour maladie, son employeur n'a cessé de lui adresser des mails et des lettres recommandées contribuant à altérer encore davantage son état de santé puisqu'elle ne pouvait se reposer, et qu'il lui a demandé de restituer ordinateur et téléphone portable,

-que pendant son arrêt pour maladie professionnelle elle a écrit à son employeur le 28 décembre 2012 pour obtenir des explications sur son changement d'attitude à son égard et reçu une réponse le 17 janvier 2013 rédigée en des termes particulièrement choquants qui ont contribué à l'affaiblir encore davantage,

-qu'elle a pu constater à son retour que ses coordonnées en tant que référente de l'action AAOC avaient été tout simplement supprimées de tous les supports afférents et qu'il lui a été demandé dès sa reprise de préparer de nombreux dossiers à présenter dans les jours suivants,

-que lors des différentes réunions, la question de son avenir au sein de l'association a été à chaque fois abordée,

-que son employeur a adopté un comportement de méfiance démesurée puisqu'il lui a demandé de rapporter chaque soir son ordinateur professionnel à [Adresse 4], peu important le lieu où elle terminait sa journée et devait la recommencer le lendemain, avant de lui réclamer les clés de la maison de quartier de [Adresse 7],

Elle ajoute que le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP), après enquête, a admis que les agissements de son employeur à l'origine de son arrêt de travail constituaient des faits de harcèlement moral, lesquels ont été pris en charge le 28 avril 2014 par la caisse primaire d'assurance maladie, au titre de la maladie professionnelle.

Concernant la rupture de son contrat de travail elle observe :

- que son licenciement pour inaptitude est nul non seulement parce qu'il est fondé sur une inaptitude consécutive au comportement de son employeur, mais également dans la mesure ou il n'a été procédé à aucune étude de poste entre les 2 avis d'inaptitude rendus par le médecin du travail,

-que le Centre social VIVARAIZE a par ailleurs manqué à son obligation de reclassement,

- qu'elle est en conséquence en droit de prétendre au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis qui est de 3 mois selon les dispositions conventionnelles et dont le versement est de droit pour les salariés licenciés pour inaptitude professionnelle (L 1226-14 du code du travail) ,d' un reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement laquelle est plus favorable que l'indemnité légale, ainsi qu'à des dommages et intérêts équivalant à 12 mois de salaire compte tenu de son ancienneté et du fait qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi.

Elle évoque enfin les manquements de son employeur à son obligation d'exécuter loyalement contrat de travail caractérisés notamment par :

-l'absence de visite médicale d'embauche et de visite médicale périodique jusqu'au mois de décembre 2012,

- l'absence de délégués du personnel, dont l'élection n'a été mise en place que pour les besoins de sa procédure de licenciement, ce qui l'a privée d'une assistance pour faire valoir ses droits,

-l'absence d'entretien d'évaluation annuelle, son employeur répliquant à ses demandes qu'il n'avait pas le temps,

-la remise de ses plannings de travail sans concertation,

-la non déclaration d'accident du travail dans les 48 heures et l'absence de transmission des éléments de salaire malgré ses relances,

- la privation de ses droits à la fois en matière de formation et de portabilité de la prévoyance et de la mutuelle

Le Centre social de la VIVARAIZE demande en réplique à la Cour de dire que la demande de Mme [S] [V] en paiement de dommages et intérêts au titre de la requalification de son contrat à durée déterminée est prescrite et de la débouter de toutes ses prétentions.

Il conteste toute situation de harcèlement moral et soutient la validité de la rupture du contrat de travail de sa salariée en répliquant en :

-que la relation de travail s'est déroulée tout à fait normalement jusqu'au 27 décembre 2012, Mme [S] [V] ayant même été promue en qualité de cadre en 2010,

-que sa version sur le déroulement de la réunion du 15 octobre 2012, qui serait à l'origine de son premier arrêt de travail, est parfaitement inexacte, qu'il ne lui a jamais été remis le moindre planning portant sur 45 heures de travail hebdomadaire et qu'elle oublie de préciser qu'une salariée a été engagée pour assurer les animations,

-que des informations lui ont été seulement demandées à 2 reprises et sur un ton tout à fait courtois durant son premier arrêt de travail pour retrouver les documents manquants et permettre la poursuite des cours, que le retour de l'ordinateur portable et du téléphone demandé le 12 novembre 2012, soit 3 semaines après le début de son arrêt de travail, était nécessaire pour le bon déroulement de son remplacement et que ce n'est que devant son refus qu'elle a été contrainte de lui adresser une demande officielle de restitution par lettre recommandée avec avis de réception,

-qu'il a été alors constaté que toutes les données professionnelles avaient été effacées, ce qui l'a contrainte à mandater une société informatique pour les récupérer, qu'elle n'a pas souhaité engager de sanction disciplinaire, pour éviter de tendre un peu plus la relation, mais que la confiance en sa salariée s'en est légitimement trouvée très altérée et qu'il ne peut par suite lui être reproché d'avoir souhaité préserver son matériel contre tout acte de destruction au retour de cette dernière,

-qu'il n'y a jamais eu de réunion pour parler de l'avenir professionnel de Mme [S] [V] et qu'aucune pièce ne vient accréditer les dires de cette dernière, lesdites réunions ayant pour objet de faire le point sur l'avancée des dossiers durant son absence et organiser son retour dans les meilleures conditions et qu'il est faux de prétendre qu'elle a été écartée de la structure à son retour,

-qu'elle n'a pas été volontairement isolée des autres salariés, dans la mesure où elle animait des cours à l'extérieur du Centre social et travaillait souvent sur la partie administrative à son domicile avec l'accord de son employeur,

-que les documents médicaux produits aux débats ne démontrent pas l'existence d'un lien entre l'état de santé Mme [S] [V] et ses conditions de travail,

-qu'il n'y a jamais eu de volonté d'évincer cette dernière qui souhaitait en réalité s'orienter vers une activité de formation de formateurs en auto entreprise, que si ses qualités professionnelles sont réelles, Mme [S] [V] n'a jamais été seule pour travailler dans le cadre de l'action AAOC qu'elle considère abusivement comme étant son « oeuvre » et que les demandes de son employeur (notamment au mois de septembre 2012 au titre de ses frais de déplacement pour lesquels une très nette augmentation avait été constatée) vécues comme une vexation étaient parfaitement légitimes compte tenue de son statut de salarié,

Elle souligne subsidiairement l'absence de tout justificatif au regard des prétentions indemnitaires de l'appelante, selon elle manifestement excessives.

Elle soutient avoir parfaitement respecté son obligation de reclassement et elle s'oppose enfin à la demande de dommages et intérêts supplémentaires présentée par Mme [S] [V] en répliquant:

-que cette salariée, qui est positionnée, selon la grille de classification, juste avant les Directeurs de centres sociaux, n'a jamais été « bloquée » dans son évolution,

-qu'elle n'a formulé aucune demande d'élection de délégués du personnel et que ce grief est de pure circonstance,

-que le reproche qu'elle formule au titre de l'absence de déclaration de son accident du travail n'a aucun sens puisqu'elle a sollicité une prise en charge au titre de la maladie professionnelle,

-que son état de santé n'a pas été altéré par l'absence de visite médicale avant le mois de décembre 2012 puisque le médecin du travail l'a, à cette époque, déclarée apte à son poste,

-qu'elle ne s'est jamais opposée à une demande de formation de sa salariée qui n'a pas signé son dossier d'inscription et que le secteur associatif n'est pas soumis à l'obligation de portabilité.

Elle s'oppose enfin à la demande relative à la requalification de son contrat à durée déterminée qui a pris fin le 30 juin 2005 en soutenant que cette demande est prescrite.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ sur la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée :

Si le délai de prescription de cinq ans, issu de la loi du 17 juin 2008, n'était pas expiré au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, il était acquis au jour de l'introduction de l'action le 15 juillet 2013, le nouveau délai de deux ans ne pouvant avoir pour effet d'allonger le délai de prescription antérieur.

Le Centre social de la VIVARAIZE soutient en conséquence à bon droit que la demande présentée le 15 juillet 2013 par Mme [S] [V] en vue d'obtenir la requalification en contrat de travail à durée indéterminée de son contrat de travail à durée déterminée conclu pour la période du 1er décembre 2005 au 30 juin 2006 est prescrite.

2/ sur le harcèlement moral :

Selon les dispositions de l'article L 1152-1du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mental ou de compromettre son avenir professionnel ; en cas de litige, il appartient au salarié, selon les dispositions de l'article L 1154-1 du même code, d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [S] [V] , qui soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur, évoque en substance : une modification fréquente et sans concertation de ses plannings de travail lui imposant une surcharge d'activité et sur lesquels ses fonctions de coordinatrice sont quasiment inexistantes, un isolement vis-à-vis des autres salariés, des relances par mails et lettres recommandées pendant ses arrêts de travail contribuant altérer encore davantage son état de santé, des accusations fallacieuses portées à son encontre, la disparition de ses coordonnées en tant que référent de l'action AAOC, l'évocation systématique lors de réunions de plus en plus fréquentes de la question de son avenir au sein de l'association et un comportement de méfiance démesurée lui imposant de rapporter chaque soir son ordinateur professionnel et les clés de la maison de quartier de [Adresse 7].

Aucun élément n'est communiqué de nature à laisser présumer l'existence d'un isolement volontaire de Mme [S] [V] à l'égard des autres salariés du Centre social de la VIVARAIZE ; de même, elle ne démontre ni la suppression de ses coordonnées en qualité de référente AAOC, ni la tenue des nombreuses réunions évoquées dans ses conclusions au cours desquelles son avenir professionnel aurait été systématiquement discuté.

Cette salariée produit en revanche aux débats :

- un planning de travail au 15 octobre 2012 faisant état de 38 heures de travail hebdomadaire consacrés au face-à-face (14h), à la préparation (14h), à la coordination (7h), et au suivi de la nouvelle animatrice ( 3h) augmenté d'un temps, non évalué, consacré à la nouvelle coordination avec la Région et à l'accueil et l'entretien pour la création de nouveaux ateliers,

- deux mails reçus de son employeur les 17 octobre 2012 et 7 novembre 2012, soit au cours de la période de son premier arrêt de travail qui s'est déroulé du 15 octobre au 3 décembre 2012, pour lui demander des renseignements relatifs aux thèmes des ateliers à [Adresse 4] (santé) et à [Adresse 6] (famille), ainsi que la liste des contacts et des personnes en attente pour constituer les nouveaux groupes,

-un mail du 12 novembre 2012 de son employeur lui demandant de restituer l'ordinateur et le téléphone le 14 novembre 2012 au plus tard pour que son remplaçant puisse travailler dans de bonnes conditions, ainsi que l'ancien ordinateur pour 'régulariser la situation de l'action', et une relance du 13 novembre 2012,

-un échange de mail des 15 et 16 novembre 2012 prenants acte de sa décision de reprendre le travail par anticipation et lui demandant une autorisation écrite de son médecin traitant, (cette reprise n'ayant finalement pas eu lieu),

-une lettre recommandée du Centre social de la VIVARAIZE datée du 19 novembre 2012 lui demandant de restituer dans les 24 heures le matériel mis à sa disposition pour permettre à l'action AAOC de se poursuivre dans de bonnes conditions pendant la période de son arrêt de travail (ordinateur, téléphone portable dédié et ancien ordinateur)

- Un planning remis le 5 décembre 2012 prévoyant 17h de formation et 17h de préparation ainsi qu'un mail du même jour lui demandant de présenter le lundi 17 décembre suivant les nouveaux ateliers qu'elle prévoyait de mettre en place et de faire le point sur les inscriptions en cours,

-un récépissé du 21 décembre 2012 relatif à la restitution d'un téléphone et d'un ordinateur AAOC ainsi qu'un récépissé du 31 janvier 2013 relatif à la restitution des clés de la maison de quartier de [Adresse 7],

-copie d'un courrier qu'elle a adressé le 28 décembre 2012 à son employeur et de la réponse de ce dernier du 17 janvier 2013,

Elle communique également la copie de son dossier médical auprès de la médecine du travail, de sa déclaration AT/MP du 27 décembre 2012, de la synthèse de l'enquête menée par la caisse primaire d'assurance maladie ensuite de sa déclaration de maladie professionnelle, ainsi que la décision de prise en charge du 28 avril 2014 ensuite de l'avis favorable du CRRMP.

Le Centre social de la VIVARAIZE réplique en premier lieu, que l'envoi de seulement 3 mails entre les 17 octobre et 12 novembre 2012 à Mme [S] [V] n'était pas abusif alors que ces messages ont été rédigés sur un ton parfaitement courtois, et qu'il comportaient uniquement des demandes de renseignements nécessaires à l'organisation du travail pendant son absence ; cette argumentation apparaît parfaitement fondée, ce d'autant qu'il est démontré par la production de l'attestation de Mme [Z], que l'ordinateur et le téléphone portable de cette salariée ont bien été remis à sa remplaçante ; aucune explication n'est en revanche fournie par l'employeur sur la nécessité de récupérer « l'ancien ordinateur » dans les 24 heures de la réception du courrier du 19 novembre 2012,( cette demande ayant d'ailleurs été formulée dès le 12 novembre 2012) alors qu'aucune urgence particulière n'est justifiée ni même d'ailleurs alléguée à cet égard et que le traitement de cette question pouvait manifestement attendre le retour de la salariée.

L'intimé conteste ensuite la surcharge d'activité alléguée par Mme [S] [V] et souligne qu'une salariée avait été engagée pour assurer les animations ; il convient toutefois d'observer sur ce point:

- que le temps de travail apparaissant sur le planning effectivement remis à l'appelante va, ainsi que le soutient cette dernière, très au delà des 35 heures hebdomadaires pour lesquels elle a été embauchée puisqu'il porte sur 38 heures par semaine, en ce non compris le temps devant être consacré à la nouvelle coordination avec la Région, et à l'accueil et l'entretien pour la création de nouveaux ateliers qui sont mentionnées au titre des tâches à assumer mais qui ne sont pas évaluées,

-que le prénom « [S] » apparaît en face de chacune des tâches susvisées et qu'aucune allusion n'est faite dans ce document sur la présence pour la seconder d'une autre animatrice, puisqu'elle était au contraire chargée d'en assurer la formation, ce qui constituait une charge supplémentaire ; aucun document contractuel n'est d'ailleurs fourni concernant l'embauche de cette nouvelle formatrice,

-que l'absence de demande en paiement d'heures supplémentaires n'est pas de nature à contredire utilement ces constatations.

Il apparaît en outre que si une certaine méfiance a pu légitimement s'instaurer dans l'esprit de l'employeur ensuite de la suppression par Mme [S] [V] de certains fichiers avant restitution de son matériel informatique, cela ne pouvait objectivement justifier le fait de lui imposer de déposer chaque soir le nouvel ordinateur qui lui avait été remis lors de sa reprise de travail à [Adresse 4] et ce, quel que soit le Centre où elle finissait sa journée de travail et celui où elle devait reprendre le lendemain, générant ainsi pour cette dernière du temps de déplacement en dehors de ses horaires de travail et de la fatigue inutile, pas plus d'ailleurs que de lui demander de le restituer le 21 décembre 2012 alors qu'elle n'a été placée en arrêt maladie qu'à compter du 27 décembre 2012 et qu'il n'est, ici encore, pas contesté qu'il lui avait été seulement demandé de prendre ses congés du 27 au 28 décembre 2012. Ces exigences qui revêtaient manifestement un caractère vexatoire sont d'autant moins justifiables qu'aucune sanction disciplinaire n'a été prononcée concernant la suppression reprochée à la salariée de fichiers professionnels et qu'aucun reproche ne lui a jamais été adressé concernant la qualité de son travail qui est parfaitement démontrée par les pièces du dossier.

Enfin, le centre social VIVARAIZE, tente de justifier l'arrêt de travail de Mme [S] [V] en indiquant que cette dernière a mal réagi à des demandes de justifications relatives notamment au montant de ses frais de déplacements et, que supportant mal d'être soumise à un lien de subordination, elle a souhaité s'installer en auto entrepreneur ; il est certes acquis aux débats que cette salariée s'était inscrite le 21 avril 2011 en qualité d'auto entrepreneur pour une activité de formation continue d'adultes, après d'ailleurs en avoir informé son employeur, mais rien en l'état des documents produits ne permet de retenir qu'elle avait décidé et avait la possibilité de se consacrer entièrement à cette activité, ce d'autant qu'il est en revanche démontré qu'elle était toujours sans emploi au 31 août 2015.

S'il peut être légitimement fait grief au médecin traitant de la salariée d'avoir établi le 27 décembre 2012 un certificat médical reprenant les propos de cette dernière et évoquant l'existence d'un harcèlement moral au travail dont la constatation ne relevait pas de sa compétence, ce reproche ne peut à l'évidence être valablement opposé au médecin du travail dont les compétences pour analyser ce genre de situation ne peuvent être sérieusement discutées ; or, ce dernier évoque dans les comptes-rendus de visite produits aux débats par Mme [S] [V] la présence d'« idées obsessionnelles liées au travail » et de « vécu de manque de confiance et de suspicion», et il a également attesté, selon courrier du 28 janvier 2013, avoir constaté un « vécu douloureux en relation avec le travail et un état de mal-être avec troubles du sommeil et angoisse l'ayant amené à lui conseiller de consulter un spécialiste pour une prise en charge adaptée, ce qu'elle justifie avoir fait.

Enfin, la caisse primaire d'assurance maladie a pris en charge la maladie déclarée le 27 décembre 2012, à savoir « épuisement moral lié à un harcèlement » au titre de la législation professionnelle après avis favorable du CRRMP et si le centre social VIVARAIZE a formé recours contre cette décision devant la Commission de recours amiable, il ne justifie ni de l'existence d'une réponse de cette commission ni de la poursuite de sa contestation devant une juridiction de la sécurité sociale.

Il résulte de l'ensemble de ces considérations que Mme [S] [V] a apporté aux débats des éléments suffisants pour laisser présumer d'agissements répétés à son égard de harcèlement ayant porté atteinte à son état de santé, au sens des textes précités, et que le centre social VIVARAIZE n'a pas été en mesure de les justifier par des éléments objectifs.

Sa demande visant à voir reconnaître qu'elle a été victime d'une situation de harcèlement moral sera en conséquence accueillie par la Cour qui réformera la décision déférée.

Le préjudice de Mme [S] [V] sera justement évalué à la somme de 10'000 €.

3/ sur le licenciement pour inaptitude de Mme [S] [V] :

Il convient de rappeler en droit que le licenciement d'un salarié pour inaptitude médicalement constatée est nul lorsque cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.

Mme [S] [V] est en conséquence parfaitement fondée en sa demande visant à voir prononcer la nullité de son licenciement prononcé par lettre recommandée avec avis de réception du 19 juin 2013 en raison de son inaptitude médicale au poste de coordinatrice et formatrice au centre social de la VIVARAIZE, définitivement constatée par le médecin du travail les 4 et 20 mars 2013.

La victime d'un licenciement nul qui ne réclame pas sa réintégration a droit d'une part aux indemnités de rupture et, d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement dont le montant ne peut être inférieur à 6 mois de salaire .

La moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [S] [V] peut être fixée selon les documents produits à 2700 € ; la convention collective des centres sociaux stipulant que la durée du préavis pour le personnel cadre est de 3 mois, il lui sera alloué à ce titre la somme de 8100 € bruts augmentés des congés payés afférents.

La rupture du contrat de travail, en cas de licenciement consécutif à une inaptitude professionnelle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité légale.

L'article 5 de la convention collective précitée prévoit le versement d'une indemnité conventionnelle plus favorable puisqu'elle est égale, pour le personnel disposant de plus d'une année d'ancienneté, à 1/2 mois par année d'ancienneté avec un maximum de 9 mois pour les cadres.

Mme [S] [V] ayant été embauchée à compter du 1er juillet 2006, elle avait une ancienneté de 7 ans et 3 mois, de sorte qu'elle pouvait prétendre à une indemnité conventionnelle de 9787,50€ ; son employeur ne lui ayant versé à ce titre que la somme de 9385,12 €, il est redevable d'un solde d'indemnité conventionnelle de licenciement de 402,38 € net.

Elle justifie avoir été très affectée par les circonstances circonstances de la rupture de son contrat de travail et ne pas avoir retrouvé à ce jour d'emploi stable ; elle est inscrite sur la liste des demandeurs d'emploi depuis le 25 juin 2013 et bénéficiait toujours de l'allocation ARE au 21 septembre 2015, date du dernier justificatif produit à cet égard.

Il convient dans ces conditions d'évaluer son préjudice à la somme de 32'400 € correspondant à 1 an de salaire.

4/ sur l'exécution déloyale du contrat de travail :

Mme [S] [V] ne justifie pas s'être vu refuser l'inscription dans un programme de formation professionnelle par son employeur ; elle ne démontre pas non plus le bien fondé de sa demande d'indemnisation relative à la portabilité de la prévoyance.

La demande de prise en charge ayant été instruite par la CPAM au titre de la maladie professionnelle, l'appelante n'est pas fondée à reprocher à son employeur une absence de déclaration qu'il n'avait pas l'obligation d'effectuer.

Il est en revanche acquis aux débats que Mme [S] [V] n'a bénéficié ni de la visite médicale d'embauche prévue par l'article R 4624-10 du code du travail, ni de la visite médicale périodique prévue par l'article R 4624-16 du même code, ce qui lui a nécessairement causé un préjudice.

Il n'est également pas contesté que l'intimé n'avait pas mis en place d'élection de délégués du personnel alors qu'il en avait l'obligation puisqu'il disposait d'au moins 11 salariés.

Mme [S] [V] n'a bénéficié d'aucun entretien d'évaluation annuelle ; de même, et alors que son contrat de travail prévoit en son article 3 que toute modification doit être négociée avec les Responsables du Centre ou leur représentant et constatée par voie d'avenant,l'intimé n'est pas en mesure de justifier d'une négociation avec sa salariée avant remise des planning de travail contestés des mois d'octobre et décembre 2012.

Il est enfin justifié que son employeur, ayant décidé d'arrêter la subrogation en cours d'arrêt maladie, a néanmoins perçu des indemnités journalières que Mme [S] [V] a dû lui réclamer par LRAR du 18 juin 2014, dont une copie est régulièrement communiquée aux débats.

Il sera alloué à cette salarié, pour l'indemniser de l'ensemble des manquements ci-dessus identifiés de son employeur à ses obligations contractuelles, une somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts.

5/ sur les demandes annexes :

Le Centre social de la VIVARAIZE devra remettre à Mme [S] [V] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire rectifiés conformément aux dispositions de la présente décision dans le mois suivant sa notification ; il n'y a pas lieu toutefois au prononcé d'une astreinte.

Il serait contraire à l'équité de laisser Mme [S] [V] supporter seule l'entière charge de ses frais irrépétibles.

L'intimé, qui succombe dans la procédure, en supportera tous les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement rendu le 12 novembre 2014 par le Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne en ce qu'il a déclaré Mme [S] [V] prescrite en sa demande de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

Le réforme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs de décision réformés et y ajoutant,

Dit que Mme [S] [V] a été victime d'un harcèlement moral,

Prononce la nullité du licenciement pour inaptitude médicale de Mme [S] [V],

Condamne le Centre social VIVARAIZE à verser à Mme [S] [V] les sommes de :

-10'000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 8100 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,

- 810 € bruts au titre des congés payés afférents,

-402,38 € net à titre de solde d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 32'400 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinctes,

Rappelle que les créances salariales sont productrices d'intérêts au taux légal à compter de la notification de la demande à l'employeur et celles indemnitaires à compter de la présente décision,

Dit que le Centre social VIVARAIZE devra remettre à Mme [S] [V] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire rectifiés conformément aux dispositions de la présente décision dans le mois suivant sa notification,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Condamne le Centre social VIVARAIZE au paiement d'une somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne le Centre social VIVARAIZE aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Christine SENTIS Jean-Louis BERNAUD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 14/09079
Date de la décision : 13/11/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°14/09079 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-11-13;14.09079 ?
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