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09/03/2023 | FRANCE | N°20/01406

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 09 mars 2023, 20/01406


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 20/01406 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M4DP





[D]



C/

S.A.S. [4] [Localité 1]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE/FRANCE

du 27 Janvier 2020

RG : F18/00083



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 09 MARS 2023







APPELANTE :



[H] [D]

née le 21 Février 1963 à [Localité 7]

demeurant : [Adresse 3]

[Localité 2]/FRANCE

représentée par Me Géraldine VILLAND, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE





INTIMÉE :



Société. [4] [Localité 1] prise en la personne de son représentant légal domicilié es-qualité audit siège
...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 20/01406 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M4DP

[D]

C/

S.A.S. [4] [Localité 1]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE/FRANCE

du 27 Janvier 2020

RG : F18/00083

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 09 MARS 2023

APPELANTE :

[H] [D]

née le 21 Février 1963 à [Localité 7]

demeurant : [Adresse 3]

[Localité 2]/FRANCE

représentée par Me Géraldine VILLAND, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

Société. [4] [Localité 1] prise en la personne de son représentant légal domicilié es-qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 1]

ayant pour avocat postulant Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES-LEXAVOUE LYON, inscrit au barreau de LYON, représenté par Me Romain CLUZEAU de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat plaidant inscrit au barreau de DIJON substitué par Me Martin LOISELET, avocat au barreau de DIJON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 24 Novembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Etienne RIGAL, Président

Vincent CASTELLI, Conseiller

Françoise CARRIER, Magistrat honoraire

Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Etienne RIGAL, Président, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [H] [D] (la salariée) a été embauchée le 1er septembre 2012 par la société SAS PARTAGE, devenue la société [4] [Localité 1] puis la société [Adresse 5] (l'employeur), dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'infirmière.

Le 13 avril 2016, la salariée a reçu un courrier d'avertissement, au motif qu'elle était intervenue tardivement auprès d'une résidente malgré la demande de l'aide-soignante et qu'elle avait rempli tardivement le document de transmission de cette même résidente.

Le 7 novembre 2017, la salariée a reçu un autre courrier d'avertissement, au motif d'avoir refusé de créer un classeur regroupant des fiches de l'ensemble des résidents à la demande de sa supérieure hiérarchique.

Le 28 novembre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 7 décembre 2017.

Le 15 décembre 2017, elle s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire d'une journée aux motifs d'avoir « eu des propos déplacés devant des résidents et collègues en salle à manger », « refusé d'encadrer des stagiaires infirmiers », « refusé de prendre en charge des résidents pour des soins », « été surprise à imprimer des pages de transmission (118 pages) alors que rien ne lui avait été demandé ».

Par requête reçue au greffe le 5 mars 2018, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne.

A l'audience de jugement du 14 octobre 2019, la salariée demandait au conseil de prud'hommes de :

Annuler les sanctions disciplinaires du 13 avril 2016, du 7 novembre 2017 et du 15 décembre 2017

Condamner l'employeur à lui payer un rappel de salaire relatif à sa mise à pied et les congés payés y afférents

Condamner l'employeur à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 15 000 € en réparation du harcèlement moral subi,

Condamner l'employeur à lui payer un rappel d'heures supplémentaires à hauteur de 26 492,63 € brut outre les congés payés à hauteur de 2 649,26 €,

Condamner l'employeur à lui payer une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire, outre les congés payés, soit 22 090,52 €, pour travail dissimulé

Condamner l'employeur à lui verser la somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur demandait au conseil de prud'hommes de débouter la salariée de l'intégralité de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 27 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne a :

Annulé l'avertissement notifié le 13 avril 2016 à la salariée ;

Débouté la salariée de ses autres demandes

Débouté l'employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Laissé à chaque partie la charge de ses dépens.

La salariée a relevé appel du jugement le 21 février 2020.

La salariée aux termes de ses dernières conclusions, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

juger irrecevable la demande de l'employeur concernant la réformation du jugement en ce qu'il a annulé la sanction du 13 avril 2016,

et, statuant à nouveau, de :

Annuler purement et simplement les sanctions disciplinaires prises à son encontre les 7 novembre 2017 et 15 décembre 2017,

Condamner l'employeur à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Condamner l'employeur à lui verser la somme de 26 492,63 euros brut à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires effectuées, outre 2 649,26 euros brut de congés payés afférents,

Condamner l'employeur à lui verser la somme de 183,34 euros brut à titre de rappel de salaires sur la mise à pied, outre 18,33 euros de congés payés,

Condamner l'employeur à lui verser la somme de 22 090,52 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,

Condamner l'employeur à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.

L'employeur, aux termes de ses dernières conclusions, oralement soutenues à l'audience des débats, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a annulé l'avertissement notifié à la salariée le 13 avril 2016

Infirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'avertissement du 13 avril 2016

Débouter la salariée de l'intégralité de ses demandes

Condamner la salariée à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Dire que la salariée supportera les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité de l'appel incident de l'employeur

Mme [H] [D] soutient que la demande de l'employeur aux fins de réformation du chef de jugement qui a annulé la sanction du 13 avril 2016 est irrecevable, dès lors qu'elle-même a limité son appel aux dispositions du jugement l'ayant déboutée de ses demandes et que la partie intimée n'a pas interjeté appel incident.

La société [Adresse 5] réplique qu'elle a valablement formé appel incident par voies de conclusions.

Sur ce :

La cour rappelle qu'il résulte de la combinaison des articles 68, 551, 909, 911 et 961 du code de procédure civile que l'appel incident est formé par la notification des conclusions aux avocats des autres parties et qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, la notification doit intervenir dans le délai de trois mois à compter de la date de l'avis de réception électronique de la notification des conclusions de l'appelant.

En l'espèce, il ressort des échanges électroniques par RPVJ que le conseil de l'appelante a notifié ses conclusions à la partie adverse le 30 avril 2020 et que le conseil de cette dernière a notifié ses conclusions en réplique à son contradicteur le 1er juillet 2020, contenant la demande suivante : « Confirmer le jugement rendu par la section activités diverses du Conseil de Prud'hommes de SAINT-ETIENNE le 27 janvier 2020, sauf en ce qu'il a annulé l'avertissement notifié à Madame [D] le 13 avril 2016, En conséquence, - Débouter Madame [H] [D] de l'intégralité de ses demandes ».

Ces conclusions, notifiées dans le délai de trois mois à compter de la date de la notification des écritures de l'appelant, formalisent valablement l'appel incident de la société [Adresse 5] en application des textes précités.

Le moyen sera donc écarté.

Sur l'avertissement du 13 avril 2016

La société [Adresse 5] soutient que l'avertissement est justifié en ce que le 24 février 2016, Mme [H] [D] est intervenue tardivement auprès d'une résidente malgré la demande de l'aide-soignante en ce sens, qu'elle n'a pas contrôlé la glycémie de cette patiente, puis qu'elle a rempli tardivement, cinq jours plus tard, le document de transmission y afférent dans l'application informatique.

Mme [H] [D] n'a pas conclu au fond à hauteur d'appel sur cet avertissement.

Sur ce :

La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, « En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ».

En application de l'article L.1333-2 du code du travail, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

En l'espèce, l'employeur relève à bon droit qu'il n'avait pas l'obligation de convoquer la salariée à un entretien préalable et n'était donc pas tenu par le délai fixé par le texte précité.

Sur le fond, il ressort du compte-rendu d'entretien avec la direction du 14 mars 2016 que Mme [H] [D] n'a pas contesté les manquements reprochés, mais les a justifiés :

par « une grosse charge de travail », notamment le décès concomitant d'une autre patiente au moment de l'appel de l'aide-soignante,

par le fait que l'aide-soignante ne l'avait pas alertée concernant le contrôle de glycémie,

par la volonté de « tout noter » concernant la transmission tardive des informations.

Mme [H] [D] a également contesté cet avertissement par l'intermédiaire de son avocat, lequel a adressé un courrier en ce sens à la direction le 29 avril 2016.

La cour considère que si la charge de travail alléguée par la salariée peut, à la supposer avérée, expliquer une intervention différée de deux heures auprès de la résidente concernée, en revanche ni l'absence de contrôle de glycémie de cette patiente - de sa seule responsabilité en tant qu'infirmière - ni la transmission plusieurs jours plus tard des informations relatives à cette dernière ne peuvent trouver de justification dans cette explication, dès lors qu'il lui appartenait de prioriser les tâches à réaliser en fonction de leur degré d'urgence et de leur nécessité.

L'avertissement du 13 avril 2016 est donc justifié comme étant régulier en la forme et proportionné aux fautes commises.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur l'avertissement du 7 novembre 2017

La société [Adresse 5] soutient que l'avertissement est justifié en ce qu'au mois d'août 2017, la supérieure de Mme [H] [D] lui a demandé de créer un classeur regroupant les fiches de l'ensemble des résidents, demande renouvelée, en vain, le 6 novembre 2017, de sorte que le 7 novembre 2017, les infirmiers remplaçants ont été sciemment laissés sans support pour la continuité des soins.

Mme [H] [D] réplique qu'elle ne conteste pas le manquement reproché, mais le justifie par le « rythme infernal » qui lui était imposé, devant vérifier, valider et donner les traitements à 78 résidents. Elle rappelle qu'elle avait à plusieurs reprises alerté sa direction sur sa charge de travail, en septembre 2015 et en février 2016, et que celle-ci, par un courrier du 21 novembre 2017, l'a expressément reconnue en écrivant : « Nous avons également revu l'organisation propre des deux postes d'infirmières afin que la charge de travail, notamment la distribution des médicaments des résidents le matin et le midi, soit diminuée. Désormais, vous êtes deux pour distribuer les médicaments des résidents le matin et le midi. De ce fait, vous disposez de plus de temps pour distribuer les médicaments ». Elle produit également des exemples de ce qu'était sa charge de travail le 1er décembre 2017.

Sur ce :

La cour relève qu'il résulte de la fiche de poste versée aux débats par la salariée elle-même (pièce n° 30) que l'une de ses missions consistait, de 15h00 à 17h00, à : « En collaboration avec IDE en 7h00, faire selon besoin papier administratif/ allo médecin' ».

S'il résulte en effet du compte-rendu de la réunion du 1er février 2016 ainsi que du courrier du 2 septembre 2015, émanant de l'avocat de Mme [H] [D], que celle-ci s'était plainte d'une charge de travail trop importante, la salariée ne produit en revanche aucun élément probant relatif à la période ayant couru du mois d'août 2017 au 6 novembre 2017 justifiant qu'elle se soit abstenue de tout début d'exécution de la tâche administrative qui lui avait été confiée. La cour observe que le courrier de la direction en date du 21 novembre 2017, non contesté par celle-ci, se limite à réorganiser la répartition des tâches entre les infirmières pendant les matinées et les midis, sans modifier la fiche de poste des après-midis, pendant lesquels Mme [H] [D] devait notamment s'acquitter de tâches administratives.

En considération de ces éléments, la cour approuve les premiers juges d'avoir retenu que Mme [H] [D] avait fait preuve d'insubordination et d'avoir rejeté sa demande aux fins d'annulation de l'avertissement du 7 novembre 2017.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la mise à pied disciplinaire du 15 décembre 2017

La société [Adresse 5] soutient que cette sanction est justifiée au regard :

de propos déplacés tenus par la salariée le 9 novembre 2014 devant des résidents et des collègues de travail,

de son refus à plusieurs reprises d'encadrer des stagiaires infirmiers

de son refus de prendre en charge des résidents,

du fait qu'elle a été surprise à imprimer des pages de transmission (118 pages) alors que cela ne lui avait pas été demandé.

Mme [H] [D] réplique qu'elle conteste formellement avoir tenu des propos déplacés, qu'elle n'a pas refusé d'encadrer des stagiaires mais se trouvait dans l'impossibilité de le faire du fait de sa charge de travail et que cette sanction n'avait en réalité pour autre but que de préparer son licenciement, alors que son statut de salarié protégé en qualité de délégué du personnel prenait fin le 21 juin 2018.

Sur ce :

L'employeur produit une attestation manuscrite en date du 10 novembre 2017 de M. [O] [J], étudiant infirmier, qui indique : « C'était lors de la distribution de médicaments pendant les repas de midi. On avait bientôt fini de distribuer les médicaments, quand une résidente me demanda les nouvelles d'une ancienne résidente, parti quelques jours avant. Je suis donc aller demander à l'infirmière [H] [D], si elle avait des nouvelles de cette résidente parti, afin de pouvoir les transmettre à celle qui me les a demandés. Au moment ou je lui ai demandé cela, elle m'a répondu précisément « elle va se faire enculer » avec un geste d'humeur montrant que cette demande l'agaçait. Ces faits se sont déroulés le jeudi 9 novembre 2017 aux alentours de 9h30 ».

La cour considère que la salariée ne conteste pas utilement les propos litigieux tels que retranscrits par cette attestation en des termes précis et dénués d'exagération. Ces faits sont par conséquent établis.

S'agissant des autres faits, l'employeur produit une attestation manuscrite en date du du 16 novembre 2017 de Mme [E] [C], infirmière, qui relate le refus de Mme [H] [D] :

les 9 et 10 novembre 2017, d'encadrer des étudiants infirmiers,

le 10 novembre 2017, de réaliser un pansement à un patient puis de prendre en charge une patiente asthénique en répondant « comme d'habitude, elle est toujours fatiguée ».

L'employeur produit également un courrier de Mme [A] [G], infirmière, en date du 18 novembre 2017, qui informe la direction de ce que Mme [H] [D] n'avait pas correctement administré le traitement de l'une des résidentes (Mme [Y]) depuis plusieurs jours.

La cour relève que la salariée, hormis les propos ci-avant écartés, ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés mais les justifie par une charge de travail jugée excessive.

Bien que l'encadrement des étudiants infirmiers ne figure pas expressément dans la fiche de poste de la salariée, cette demande ponctuelle de l'employeur s'inscrivait dans son pouvoir de direction, sans excéder le périmètre de l'activité de la salariée et sans que celle-ci ne démontre en quoi cette tâche ponctuelle était impossible à réaliser.

De même, le refus de pratiquer des soins ou d'administrer un traitement nécessaire à un patient constituent des fautes que la charge de travail telle qu'alléguée par Mme [H] [D], à la supposer avérée, ne saurait justifier. La cour observe par ailleurs que la salariée ne fournit pas d'explication quant au fait d'imprimer une centaine de pages de données, couvertes par le secret médical, et ce pendant son temps de travail.

Il en résulte que la mise à pied disciplinaire prononcée par l'employeur, compte tenu également des avertissements précédemment prononcés à son encontre, est justifiée et que la demande d'annulation de cette sanction doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral

Mme [H] [D] soutient qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral, qu'elle estime établis au regard des avertissements infondés qui lui ont été délivrés, ainsi que des attestations qu'elle produit (pièces n°24, n°25, n°26 et n°27).

La société [Adresse 5] fait valoir que les sanctions disciplinaires étaient fondées et que les attestations produites ne laissent supposer aucun fait de harcèlement moral.

Sur ce :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la cour a jugé précédemment que les sanctions disciplinaires prononcées contre Mme [H] [D] étaient proportionnées aux fautes commises. Ces sanctions, justifiées, ne peuvent donc s'apparenter à des faits participant à un harcèlement moral.

La salariée produit en outre les attestations suivantes :

Mme [K] [W], employée (pièce n°24) : « J'attire aussi votre attention sur l'attitude de la directrice me poussant à la démission par ses reproches, ses sermons concentrés sur les deux derniers mois précédant mon départ. Sa stratégie d'usure portée par le caractère répété de ses sollicitations (elle me convoque plusieurs fois par semaine dans son bureau) ainsi que ses techniques de culpabilisation... Par ailleurs le traitement des salariés ne reposait en rien sur les valeurs de justice et d'égalité, des privilèges ayant été consentis sous couvert des besoins du service, en effet une AS s'était vue accordée un aménagement de ses horaires du week-end, parallèlement à cette souplesse il avait été refusé la demande de flexibilité des horaires d'une ASH qui, à l'inverse, n'aurait eu aucun impact sur la logistique ».

Mme [L] [S] (pièce n°25), infirmière-chef : « [H] était la seule titulaire cette année, ce qui rendait difficile ma prise de fonction et sûrement son travail » ;

Mme [M] [U] (pièce n°26), aide-soignante : « [H] a toujours été consciencieuse dans son travail, disponible et soucieuse du bon déroulement des tâches à effectuer tant pour elle que pour l'équipe soignante, c'est une collègue sur qui on peut compter. J'ai néanmoins été témoin de collibet à son encontre faits par des personnes non qualifiée pour juger son travail d'infirmière et surtout non justifiés. Mais je tiens à signaler malgré un climat professionnel désastreux, [H] est restée très professionnelle, sa vision de travail est restée intacte et avait toujours le souci de régler tous les problèmes médicaux avant la fin de son service puisqu'il n'y avait pas IDE la nuit. Je tiens à préciser que seule [H] avait ce souci afin de sécuriser PARTAGE [4] sur un plan médical. Je précise également que la direction avait instauré un système de népotisme où la pression constante envers [H] était palpable et l'affectait quotidiennement. Je précise également qu'[H] a pris PARTAGE [4] à bout de bras tout le temps où il n'y avait pas de direction et que tout se passait bien » ;

Mme [X] [R] (pièce n°27), fille de résidente : « A notre arrivée nous avons été accueillies maman et moi par [H], une personne chaleureuse, souriante et douce, qui avec beaucoup de gentillesse nous a expliqué le fonctionnement de la maison. Par la suite elle est restée pareille à elle-même malgré la charge de travail et de responsabilité (le personnel était restreint pour le nombre de résident 75 pl.) elle avait vraiment une surcharge de travail. Seule pour distribuer les médicaments, répondant à mon attente avec patience et professionnalisme, sachant nous rassurer, toujours polie et restant disponible au possible et de bons conseils ».

La salariée produit également un article de presse du quotidien La Tribune-Le Progrès en date du 28 mars 2019, évoquant les difficultés que rencontre l'ensemble des établissements de soins aux personnes âgées, notamment le manque de personnel.

La cour relève qu'à l'exception des déclarations de Mme [M] [U], les pièces produites soit ne concernent pas Mme [H] [D], soit sont formulées en des termes hypothétiques, vagues ou généraux, en cela dénuées de caractère probant et impropres à caractériser des faits de harcèlement à l'égard de la salariée.

Seule Mme [M] [U] rapporte avoir été témoin de quolibets et d'une « pression constante » de la direction à l'égard de sa collègue. Toutefois, l'attestation ne précise pas les termes qualifiés de quolibets ni la ou les personnes les ayant prononcés, et ne rapporte aucun fait précis caractérisant la « pression » mentionnée.

Il en résulte que Mme [H] [D] échoue à rapporter la preuve de la matérialité de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

En conséquence, sa demande de ce chef doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les heures supplémentaires

Mme [H] [D] soutient avoir effectué 1 445 heures supplémentaires sur les trois années précédant la saisine du conseil de prud'hommes, arguant qu'elle travaillait souvent de 7h à 19h ou de 7h à 21h, soit deux heures supplémentaires par jour. Elle indique produire à hauteur d'appel des transmissions opérées par elle, qui montrent a minima sa présence à son poste de travail à des heures non comprises à son planning.

La société [Adresse 5] fait valoir que la période visée par la salariée est imprécise, que l'utilisation de l'adverbe « souvent » indique que l'accomplissement d'heures supplémentaires n'était pas systématique, qu'aucun décompte n'est produit aux débats et qu'aucun des courriers adressés par les précédents conseils de la salariée n'ont jamais fait état de la moindre difficulté relative à la rémunération des heures supplémentaires. L'employeur indique justifier des fiches de présence de Mme [H] [D] démontrant qu'elle ne prenait pas toujours son poste à 7h et qu'elle ne le quittait pas non plus tous les jours à 19h ou 21h. Surtout, l'employeur souligne que les heures supplémentaires qui ont pu être effectuées ont fait l'objet d'une récupération, ce que ne conteste pas la salariée. S'agissant des transmissions produites par cette dernière, l'employeur en conteste le caractère probant.

Sur ce :

En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties.

Si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, Mme [H] [D] ayant saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne le 5 mars 2018, la période visée est donc celle du 5 mars 2015 au 5 mars 2018.

Mme [H] [D] verse aux débats la « quasi-totalité » des transmissions opérées par elle du mois de juillet 2015 au mois de juin 2018, transmissions qui consistent en des listes exhaustives des tâches journalières accomplies, présentées en 36 pièces d'un total de plusieurs centaines de pages. Comme le relève l'employeur, ces listes, outre leur important volume, sont difficilement lisibles, confuses et peu compréhensibles.

Mme [H] [D] ne présente aucun récapitulatif ni décompte précis des heures supplémentaires qu'elle prétend avoir réalisées. Elle se borne à alléguer que les transmissions produites « montrent a minima sa présence à son poste de travail à des heures non comprises à son planning », sans nullement détailler lesdites heures, sauf à titre d'exemple pour les mois d'octobre 2015, juillet 2016, juillet 2017, octobre 2017 et février 2018.

La cour considère en conséquence que seules les demandes afférentes aux cinq mois précités reposent sur la présentation d'éléments suffisamment précis permettant à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Pour sa part, l'employeur verse aux débats un tableau intitulé « heure de récupération » (pièce n° 48), au nom de Mme [H] [D], renseigné de façon manuscrite à des dates comprises entre le 26 novembre 2015 et le 30 mai 2018. A cette date, le tableau mentionne dans la colonne « Reste/total » : « +1,25 H ».

L'employeur verse également l'attestation de Mme [B] [T], adjointe de direction, en date du 20 juin 2022 qui indique : « Mme [D] avait pris l'option de récupération des heures (sauf cas exceptionnel à des heures pouvant lui être payées). Les dépassements d'heures étaient indiqués lorsque le salarié remplissait lui-même sa feuille d'émargement. Les feuilles d'émargements étaient soumises à validation de la directrice à chaque fin de mois ».

L'employeur verse à cet égard 27 fiches de présence de Mme [H] [D] entre le mois d'avril 2015 et le mois d'octobre 2017.

La cour constate que l'employeur avait mis en place un système de contrôle du temps de travail des salariés, d'une part, et que Mme [H] [D] ne conteste pas avoir bénéficié de récupérations horaires à titre de compensation des heures supplémentaires réalisées pendant la période considérée, d'autre part.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'employeur rapporte la preuve de ce qu'aucun paiement n'est dû à la salariée au titre des heures supplémentaires.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le travail dissimulé

L'article L 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, et l'article L 8221-5 2° du même code dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli.

Au terme de l'article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 précité a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes et ouvrant droit à indemnité forfaitaire n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle et l'élément intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l'espèce, il découle nécessairement de la décision de la cour quant aux heures supplémentaires revendiquées qu'il n'est pas établi que les bulletins de paie aient mentionné un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli.

Cette demande doit donc être rejetée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme [H] [D], succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens d'appel.

En considération de l'équité et de la situation économique respective des parties, il n'y a pas lieu à condamnation au titre des frais d'appel non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, rendu en dernier ressort,

DECLARE l'appel incident de la société [Adresse 5] recevable ;

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a annulé l'avertissement délivré à Mme [H] [D] en date du 13 avril 2016 ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

REJETTE la demande de Mme [H] [D] aux fins d'annulation de l'avertissement délivré par la société [Adresse 5] en date du 13 avril 2016 ;

CONDAMNE Mme [H] [D] aux dépens d'appel ;

DIT n'y avoir lieu à condamnation au titre des frais d'appel non compris dans les dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 20/01406
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;20.01406 ?
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