AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 20/01479 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M4IL
[F]
C/
S.A.S. ICL FRANCE SPECIALITES
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE
du 17 Février 2020
RG : 19/25
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 09 MARS 2023
APPELANT :
[G] [F]
né le 14 Mai 1969 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat postulant inscrit au barreau de LYON
et représenté par Me Estelle MARTINET de la SELARL FIDULIS AVOCAT, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON,
INTIMÉE :
S.A.S. ICL FRANCE SPECIALITES
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Caroline BARBE de la SELARL SOLUCIAL AVOCATS, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 24 Novembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Etienne RIGAL, Président
Vincent CASTELLI, Conseiller
Françoise CARRIER, Magistrat honoraire
Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Etienne RIGAL, Président, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Par contrat de travail à durée indéterminée du 15 septembre 2008, M. [F] a été embauché au sein de la SARL SCOTTS France, exploitant une activité de vente de produits pour jardins, en qualité de chef des ventes « Espaces Verts », statut cadre selon un horaire hebdomadaire de 39 heures. La relation de travail était soumise à la convention collective de la chimie.
La société SCOTTS INTERNATIONAL mettait à disposition de ses filiales, dont la société SCOTTS France, ses services administratifs, tels que la comptabilité/finance, les Ressources Humaines, l'informatique et réseaux et le service juridique.
Le 28 février 2011, la société SCOTTS a cédé une partie de ses actifs, dont la société SCOTTS France, au Groupe international ICL et la société SCOTTS France est devenue ICL France Spécialités (ci-après la société).
L'organisation existante en France a été maintenue ensuite de cette cession, M. [F] restant chef des ventes pour le marché « Espaces Verts ».
M. [F] a été en arrêt de travail à compter du 2 octobre 2017 et jusqu'au 29 octobre 2018.
Le 30 octobre 2018, M. [F] s'est présenté à 9h à son poste de travail. Il lui a été demandé de rentrer à son domicile dans l'attente de la visite de reprise fixée au 9 novembre.
Déclaré apte, M. [F] a repris son poste de travail à cette date.
Faisant valoir que, dans le cadre de sa reprise, ses missions avaient été modifiées, que ses responsabilités étaient amoindries et qu'il était exclu de la prise de certaines décisions, M. [F], après avoir été de nouveau en arrêt à compter du 4 janvier 2019, a, par requête du 19 février 2019, fait convoquer la société ICL France Spécialités devant le conseil de prud'hommes de Villefranche sur Saône aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur ainsi que le paiement de rappels de salaire et de dommages et intérêts.
Par jugement du 17 février 2020, le conseil de prud'hommes l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné au paiement de la somme de 1 € pour procédure abusive et de celle de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M.[F] a interjeté appel le 24 février 2020.
Convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 1er avril 2020, il a reçu par lettre RAR du 6 avril 2020, également transmise par un courriel du même jour, l'information sur le motif économique du licenciement et les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle..
Ayant accepté le CSP le jour-même, son contrat de travail s'est trouvé rompu à la date du 27 avril 2020.
Aux termes de conclusions notifiées le 9 septembre 2022, il demande à la cour de réformer le jugement et de :
- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur,
- condamner la société à lui payer les sommes suivantes :
' 80 816,90 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' 1 371,66 € nets à titre d'indemnité de licenciement,
' 20 056,56 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 2 005,65 € au titre des congés payés afférents,
' 48 490,14 € nets à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
' 41 308,80 € bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 4 130,88 € au titre des congés payés afférents,
' 18 058,04 € à titre de rappel de repos compensateur,
' 16 163,38 € nets à titre de dommages et intérêts pour défaut d'information sur le droit au repos compensateur,
' 48 490,14 € nets à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
' 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société aux dépens.
La société demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes, et de lui payer la somme de 10 000 € en application de l'article 32-1 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
Le salarié reproche à l'employeur :
- la modification de ses missions en inadéquation avec sa qualification,
- la modification unilatérale de sa rémunération,
- la suppression de 22 jours de congés-payés et de ses indemnités d'occupation de domicile,
- une discrimination tenant au versement partiel du salaire variable et d'une indemnité maladie différente de celle d'un collaborateur ayant vécu les mêmes événements un an plus tôt,
- le non-paiement des heures supplémentaires,
- le non-respect de l'obligation de sécurité,
l'ensemble de ces manquements étant à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail et de sa santé.
L'employeur fait valoir :
- que les pièces invoquées par le salarié au soutien de son premier grief sont dépourvues de valeur probante, que les tâches accomplies par M. [F] correspondant à celles d'un cadre commercial d'une petite entreprise, qu'aucun manquement délibéré n'est démontré dans l'organisation et le fonctionnement du service d'appui,
- qu'il été dans l'impossibilité de fixer les objectifs de façon anticipée en 2017, que les entretiens annuels retiennent pour chaque rubrique si les objectifs sont atteints ou pas, qu'en 2017 la prime sur objectif a été calculée sur les 9 mois de travail effectif, qu'en 2018, la prime a été régulièrement calculée sur les deux mois de travail effectif,
- que l'indemnité d'occupation du domicile qui compense l'utilisation d'un espace privé à des fins professionnelles n'est pas due en cas d'arrêt maladie,
- qu'en matière de maintien du salaire, il a fait strictement application des dispositions de la convention collective de la chimie pour les six premiers mois et des dispositions de prévoyance pour les mois suivants à savoir 80% du montant du salaire en 2018 et 90% en 2019,
- que le salarié a été rempli de ses droits s'agissant de ses jours de congé,
- que le caractère professionnel de la cause du 'burn out' mentionné au certificat médical du médecin traitant de M. [F] n'est pas démontré ce d'autant que le médecin du travail a reconnu l'aptitude du salarié après ses arrêts de travail de 2018 et de 2019, que les procès-verbaux de réunions du comité d'établissement ne sont pas probants de la situation du salarié qui n'y est pas mentionné.
Selon l'article L.1222-1 du code du travail le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L'exécution loyale du contrat implique, pour l'employeur, notamment le respect de ses engagements et la mise à disposition des moyens permettant l'exécution de la prestation de travail.
Sur la modification des missions du salarié en inadéquation avec sa qualification
La fonction de M. [F] telle qu'elle ressort de la fiche de poste annexée au contrat de travail était strictement commerciale, encadrement, et si besoin accompagnement, de l'équipe de délégués commerciaux régionaux, participation à des salons, définition des circuits de distribution, politique des prix, plans d'actions commerciales et reddition de comptes à la hiérarchie.
Le salarié produit de mutliples échanges de courriels desquels il ressort qu'à compter de 2012, il a dû assumer, en sus de son service commercial, de multiples responsabilités administratives et que cette situation a perduré jusqu'en 2017.
C'est ainsi qu'il justifie avoir effectué les tâches suivantes :
- en 2011 : gestion du contrat de téléphonie,
- en 2012 :
' contrôle des 10 000 contacts du fichier clients suite à l'implantation d'un nouveau logiciel,
' recherche de solutions d'assurance groupe pour les clients ne payant pas comptant,
- 2013 : organisation des déménagement de la société,
- 2016 :
' réunion avec le médecin du travail sur site,
' contrôle des erreurs de saisie des congés payés de ses collègues,
' gestion de la flotte des véhicules de la société,
' contrôle des informations mises en ligne sur le site internet de la société,
' réalisation de fiches techniques sur les produits, mise à jour des substances actives dans les produits commercialisés,
' rédaction de communiqués de presse,
- 2017 :
' organisation et coordination de la formation des salariés,
' suivi des relances fournisseurs, mise à jour des comptes clients,
' traduction de documents de marketing édités en anglais.
Le salarié produit en outre des nombreux courriels desquels il ressort, au cours de la même période, des problèmes administratifs récurrents touchant à la comptabilité, aux ressources humaines et à l'informatique que confirment les procès-verbaux de réunion du comité d'établissement du mois de juin 2017 faisant état de 'l'existence de nombreux dysfonctionnements administratifs depuis trois ans'.
Il apparaît ainsi que les dysfonctionnements n'étaient pas ponctuels en ce qu'ils révélaient une organisation défaillante des services support ayant amené le salarié à assumer à de nombreuses reprises des fonctions qui ne relevaient pas de son poste. Il importe peu qu'aucun document n'ait formalisé l'attribution de tâches supplémentaires au salarié dès lors que l'employeur savait pouvoir compter sur son dévouement pour les prendre en charge. Le fait que l'employeur n'ait pas été animé d'une intention de nuire à l'égard du salarié ne fait pas disparaître le manquement qui lui est imputé dans l'organisation du travail.
Sur la modification unilatérale de la rémunération
Le contrat de travail prévoyait, outre un salaire de base, une rémunération variable de 20% du salaire de base, liée aux ventes et révisable chaque début d'année fiscale, les objectifs étant définis annuellement par le directeur.
Si la rémunération variable peu être fixée unilatéralement par l'employeur, c'est à la double condition que les objectifs fixés soient réalisables et qu'ils aient été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.
En l'espèce, la société ne justifie pas avoir notifié les objectifs pour 2013, 2014, 2015 et 2016 en début d'exercice, les documents versés aux débats faisant apparaître que le salarié n'en a eu connaissance que dans le courant du premier semestre de l'année suivante, alors qu'à compter de 2014 un critère supplémentaire d'attribution a eu pour conséquence de faire passer le critère de la marge de 50% à 30%. Il ressort d'autre part d'un courriel de M. [M], directeur Europe de l'Ouest d'ICL en date du 6 juillet 2017 un changement de calcul des 'bonus' pour l'année en cours.
Il est ainsi établi que les primes annuelles ont été fixées de façon irrégulière et préjudiciable au salarié en ce que cette façon de procéder ne lui permettait pas de caler son action commerciale et sa motivation en fonction d'objectifs pré-définis et qu'elle le mettait en insécurité quant à la perception d'une partie non négligeable de son salaire.
Enfin, il ressort d'un échange de courriels en date du 26 juin et 3 juillet 2018 que la part variable du salarié a été amputée de 25% en raison de son arrêt maladie alors que le droit au maintien du salaire inclut la part variable de celui-ci.
Sur l'indemnité d'occupation
L'indemnité d'occupation du domicile est destinée à compenser l'utilisation de l'espace privé à des fins professionnelles dès lors qu'un local n'est pas mis à disposition du salarié par l'employeur. Cette indemnité couvre non seulement l'immixtion dans un espace privé pour y effectuer un travail mais encore les frais résultant du stockage au domicile du salarié d'instruments de travail, de dossiers et de matériel appartenant à l'employeur.
En l'espèce, nonobstant la suspension du contrat de travail pendant l'arrêt-maladie, le salarié a continué à héberger à son domicile le mobilier, le matériel et les dossiers de l'employeur de sorte qu'une indemnité, certes minorée, aurait dû lui être à tout le moins versée pour cette occupation d'une partie de son espace privé.
Sur la suppression de jours de congés
Le bulletin de salaire du mois de mars 2018 du salarié fait apparaître un solde de congés payés en cours de 20,80 jours, de congés payés acquis de 12 jours, un reliquat de 4 jours, des congés payés d'ancienneté de 11 jours et un solde de RTT de 14 jours. Suite au changement de fournisseur de paie, les bulletins de salaire à compter du mois de mai 2018 ont rétabli les droits du salarié à hauteur de 33 jours de congés payés et de 7,5 jours de RTT, omettant le reliquat de 4 jours et les congés payés d'ancienneté de 11 jours qui n'avaient pas été perdus ensuite de l'arrêt-maladie du salarié.
S'agissant du solde de RTT, il ressort de la réponse de l'employeur en date du 3 juillet 2018 que M. [F] avait perdu ses jours de RTT 2017 pour ne pas les avoir pris avant le 21 février 2018.
L'article L.1332-1 du code du travail prohibe la discrimination en raison de l'état de santé. Il en résulte que son arrêt-maladie qui était en cours à la date du 21 février 2018 n'a pas pu lui faire perdre ses droits acquis à RTT.
Il est ainsi établi que l'employeur a indument retiré au salarié 21 jours de congés à compter du mois de mai 2018.
Sur le maintien du salaire pendant l'arrêt maladie de 2018
Le salarié fait valoir que son salaire d'avril à octobre 2918 aurait dû être maintenu à hauteur de 90% et qu'il ne l'a été qu'à hauteur de 80%.
Toutefois l'employeur justifie que les dispositions de prévoyance souscrites par l'entreprise en 2018 au titre du maintien du salaire à l'expiration de la période de six mois à 100% fixée par la convention collective de la chimie prévoyaient un taux de 80%, ce taux ayant été remonté à 90% en 2019 comme c'était le cas en 2017. Aucune discrimination n'est dès lors démontrée au préjudice de M. [F], la différence de traitement avec un salarié ayant subi un arrêt-maladie un an auparavant étant justifiée par un élément objectif.
Sur le manquement à l'obligation de sécurité
Selon l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L'obligation de l'employeur est une obligation de moyen renforcée. L'employeur peut donc s'exonérer de sa responsabilité en prouvant qu'il a mis en 'uvre les mesures de prévention.
En l'espèce, il ressort des courriels invoqués par le salarié que celui-ci a, de façon répétée, informé son supérieur hiérarchique de ce qu'il atteignait ses limites en capacité de travail, précisant dans son courriel du 10 septembre 2016 que les vacances et le week end n'étaient plus des périodes de repos et ajoutant dans son courriel du 21 octobre 2017 qu'il avait dû augmenter considérablement ses heures de travail 'pendant plusieurs années' pour essayer d'atténuer les dysfonctionnements.
Il est ainsi établi que l'employeur était informé de la charge de travail de M. [F] et de l'accumulation de fatigue résultant de cette charge et qu'il n'a pris aucune mesure pour remédier à cette situation de sorte que son manquement à l'obligation de sécurité est caractérisé, peu important M. [F] ait été déclaré apte à la suite de ses arrêts maladie, ceci démontrant seulement qu'il s'était rétabli à la suite de son repos forcé.
Sur le préjudice
Les manquements de l'employeur ont causé un préjudice à M. [F] en ce qu'il n'a pas été rempli de l'intégralité de ses droits pendant ses arrêts-maladie, que l'exécution de son travail a été rendue plus pénible, que sa vie personnelle et sa santé ont été atteintes. Ce préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une indemnité de 18 000 €.
Sur les heures supplémentaires
En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties.
Si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de founir à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
M. [F] soutient avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées. Il invoque sa charge écrasante de travail suite à la reprise de l'entreprise par la société ICL. Il fait valoir :
- qu'il a effectué les heures supplémentaires suivantes :
' 415,53 heures supplémentaires réparties de la manière suivante : 296,1 heures majorées 125% ; 119,6 heures majorées à 150% d'août à décembre 2016
' 277,52 heures supplémentaires réparties de la manière suivante : 238,1 heures majorées à 125% ; 39,7 heures majorées à 150% de janvier à décembre 2017,
' 62,4 heures supplémentaires réparties de la manière suivante : 45,8 heures majorées à 125% ; 16,8 heures majorées à 150%, de janvier à décembre 2018
- que le rappel de salaire dû pour les heures supplémentaires effectuées en 2016 s'établit à 22 836,17 €, en 2017 à 14 991,29 € et en 2018 à 3 481,34€.
Il produit au soutien de ses demandes des tableaux comportant le détail des heures de travail accomplies par jour et par semaine sur les années 2016 à 2018 ainsi qu'une liste des courriels envoyés quotidiennement et une copie de tous ceux envoyés à des heures matinales (entre 6h et 8h) ou tardives (après 19h) au cours de cette période et une attestation de l'un de ses prospects, M. [N], qui indique qu'il était 'totalement investi dans son travail', qu'il 'ne comptait pas ses heures, joignable tôt le matin et tard le soir'.
Il convient dès lors de constater que le salarié produit, au soutien de ses allégations relatives aux heures de travail qu'il affirme avoir effectuées, des éléments préalables précis, qui peuvent être utilement discutés par l'employeur.
L'employeur fait valoir :
- que le salarié ne prouve pas la réalité des courriels invoqués, ni l'amplitude des journées répertoriées ni la durée d'une journée de travail ni l'existence d'instructions lui demandant d'envoyer les courriels litigieux en dehors de ses horaires de travail,
- qu'il n'a jamais été demandé au salarié de réaliser des heures supplémentaires, qu'aucune autorisation en ce sens ne lui a été donnée,
- que le salarié prétend avoir effectué des heures supplémentaires certains jours où il était en formation et où il était lui-même en dette de 4 heures de travail, que le relevé produit par le salarié est contredit par l'attestation de présence à la formation délivrée par le centre de formation,
- qu'aucun entretien annuel ne mentionne l'exécution d'heures supplémentaires, l'entretien de 2009 invoqué par le salarié étant dépourvu de pertinence à cet égard.
L'employeur reconnaît qu'il ne dispose d'aucun relevé d'heures du salarié. Il ne fournit aucun élément de nature à remettre en cause la réalité des horaires de travail invoqués.
Les courriels produits par le salarié font apparaître une amplitude horaire a minima entre 8h et 19h30, des pauses déjeuner réduites voire inexistantes, l'envoi de courriels pendant la pause méridienne, pendant les arrêts-maladie ou pendant les congés payés.
Les multiples échanges de courriels précédemment analysés démontrent qu'à compter de 2012, il a dû assumer, en sus de son service commercial, de multiples responsabilités administratives et que cette situation a perduré jusqu'en 2017.
Au vu de ces éléments, la cour évalue les heures supplémentaires effectuées et non rémunérées pour la période d'octobre 2016 à décembre 2018 à 415,53 heures en 2016 et 277,52 heures en 2017.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande de rappel de salaire à hauteur de la somme de 22 836,17 € pour les heures supplémentaires effectuées en 2016 et de 14 991,29 € pour celles de l'année2017 soit au total 37 827,46 € outre les congés payés afférents.
Sur l'indemnisation de la contrepartie obligatoire en repos
En application de la Convention Collective Nationale de la chimie, le contingent d'heures supplémentaires est fixé à 130 heures.
En application de l'article D.3121-23 du code du travail, le salarié dont le contrat de travail a pris fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos, reçoit, en réparation du préjudice subi, une indemnité en espèces dont le montant correspond aux droits acquis y compris les congés payés afférents. Le calcul des heures supplémentaires effectuées au delà du contingent se fait par année civile.
Il résulte de ces dispositions que l'objet des indemnités compensatrice est de réparer le préjudice subi par le salarié du fait de l'impossibilité de bénéficier des heures de repos compensateur.
Aux termes des articles L.3121-33 et L.3121-38, la contrepartie en repos est fixée à 50% pour les entreprises de 20 salariés au plus et à 100 % pour celles de plus de 20 salariés.
En l'espèce, le salarié indique lui-même que la société comportait 20 salariés ETPT de sorte qu'il ne peut être indemnisé de la contrepartie obligatoire en repos qu'à hauteur de 50%, le seuil de 20 salariés n'étant pas dépassé.
Le nombre d'heures supplémentaires par an effectuées par M. [F] au delà du contingent de 130 est de 285,53 (415,53-130) pour 2016 et de 147,52 heures (277,52-130) pour 2017.
Celui-ci est par conséquent fondé en application des dispositions susvisées à obtenir au titre de la contrepartie obligatoire en repos, l'indemnisation suivante :
- 285,53 heures x 50% x 41,56 € = 5 933,31 € au titre de l'année 2016,
- 147,52 heures x 50% x 41,97 € = 3 095,70 € au titre de l'année 2017
Total : 9 029,01 € outre 902,90 € au titre des congés payés afférents soit au total la somme de 9 931,91 €.
M. [F] reproche également à l'employeur de ne pas l'avoir informé sur ses droits à contrepartie obligatoire en repos ou au repos compensateur de remplacement et sollicite à ce titre une indemnité de 16 163,38 €. Il ne produit toutefois aucun élément justifiant qu'il ait subi du fait de cette absence d'information un préjudice distinct de celui réparé par les indemnités compensatrices précédemment allouées de sorte qu'il doit être débouté de ce chef de demande.
Sur le travail dissimulé
Le salarié fait valoir que la société avait connaissance de la réalité de ses heures travaillées. Il en veut pour preuve le contenu de son entretien annuel du 10 décembre 2009, des messages d'alerte en date des 29 mars 2012, du 6 novembre 2014, du 10 septembre 2016 et du 21 octobre 2017 ainsi que la tentative de la société de le faire passer au forfait jours par une simple mention 'forfait jours' sur les bulletins de salaire à compter du 1er avril 2018.
L'employeur fait valoir qu'un rappel d'heures supplémentaires ne prouve pas la volonté délictuelle, pas plus que la mention 'ambigüe voire erronée' sur les bulletins de paie d'un forfait en jours qu'il n'a jamais été question d'imposer au salarié.
L'article L. 8221-5 du code du travail répute travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur notamment de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
Selon l'article L. 8223-1, « En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. »
La dissimulation d'emploi est caractérisée s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de salaire un nombre d'heures inférieur à celui réellement effectué.
Au regard des fonctions occupées et des sollicitations administratives auxquelles le salarié devait faire face en sus des charges de son poste, l'employeur avait nécessairement conscience de ce que celui-ci effectuait un grand nombre d'heures supplémentaires. Il ressort en outre des messages invoqués par le salarié que celui-ci a, de façon répétée, informé son supérieur hiérarchique de ce qu'il atteignait ses limites en capacité de travail, précisant dans son courriel du 10 septembre 2016 que les vacances et le week end n'étaient plus des périodes de repos et ajoutant dans son courriel du 21 octobre 2017 qu'il avait dû augmenter considérablement ses heures de travail 'pendant plusieurs années' pour essayer d'atténuer les dysfonctionnements. Il est ainsi établi que l'employeur était informé de ce que le salarié effectuait un grand nombre d'heures supplémentaires.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé à hauteur de la somme réclamée soit 48 490,14 € correspondant à six mois de salaire.
Sur la demande de résiliation
Selon l'article 1184 du code civil dans sa version applicable au litige, l'une ou l'autre des parties à un contrat synallagmatique peut demander la résiliation judiciaire en cas d'inexécution des obligations découlant de ce contrat.
Il appartient à la juridiction prud'homale de rechercher si les manquements invoqués par le salarié à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire sont ou non d'une gravité suffisante pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur en empêchant la poursuite du contrat de travail.
En l'espèce, sans qu'il y ait lieu d'analyser les autres griefs, le non paiement d'importantes heures supplémentaires pendant plusieurs années constitue un manquement d'une gravité telle qu'elle rend impossible, pour le salarié, la poursuite de la relation contractuelle et justifie la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.
La relation de travail ayant cessé le 27 avril 2020 par l'effet du licenciement pour motif économique, il convient de prononcer la résiliation du contrat de travail à cette date.
Sur les demandes financières consécutives à la résiliation
Sur l'indemnité de préavis
La résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [F], qui ne l'a pas perçue suite à son adhésion au CSP, est fondé à obtenir le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis soit la somme de 20 056 € outre 2 005,65 € au titre des congés payés afférents.
Sur le solde d'indemnité de licenciement
Le salarié réclame une somme de 1 371,66 € à titre d'indemnité de licenciement, en fait à titre de solde, ayant perçu la somme de 46 873,80 € avec son solde de tout compte.
M. [F] est fondé à voir prendre en considération à titre de salaire de référence pour le calcul de l'indemnité de licenciement le salaire moyen des douze derniers mois précédent l'arrêt continu de travail résultant du manquement de l'employeur soit pour l'année 2018, un salaire moyen mensuel de 8 081,69 € de sorte que l'indemnité de licenciement s'établissait à 48 245,46 € et que le solde de 1 371,66 € réclamé est justifié.
Sur la réparation du préjudice de rupture
Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.
Le salaire de M. [I] à la date du licenciement s'établit à 8 081,69 €.
Au regard de l'ancienneté et de l'âge du salarié à la date du licenciement à savoir 51 ans, des circonstances ayant entouré la rupture des relations contractuelles et du délai nécessaire à l'intéressé pour retrouver un emploi, le préjudice subi par M. [F] du fait de son licenciement sera justement réparé par l'allocation d'une indemnité de 80 816,80 € à titre de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
L'employeur qui succombe supporte les dépens et une indemnité de procédure.
Selon l'article L.1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.
Il convient en conséquence d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter de ce jour sous réserve que les intérêts soient dûs pour une année entière.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 27 avril 2020 aux torts de la société ICL France Spécialités ;
Condamne la société ICL France Spécialités à payer à M. [G] [F] les sommes suivantes :
- 37 827,46 € bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre
- 4 130,88 € au titre des congés payés afférents,
- 18 058,04 € à titre de rappel de repos compensateur,
- 48 490,14 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- 20 056,56 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 2 005,65 € au titre des congés payés afférents,
- 1 371,66 € à titre de solde d'indemnité de licenciement,
- 18 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
- 80 816,90 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales ;
Ordonne la capitalisation des intérêts à compter de ce jour sous réserve qu'ils soient dûs pour une année entière ;
Déboute M. [G] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut d'information sur le droit au repos compensateur ;
Déboute la société ICL France Spécialités de ses demandes reconventionnelles ;
La condamne aux dépens.
Le Greffier Le Président