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27/06/2024 | FRANCE | N°21/04593

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 27 juin 2024, 21/04593


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 21/04593 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NUKT





[U]



C/



S.A.S. STMICROELECTRONICS [Localité 3] 2







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

du 19 Octobre 2018

RG : 18/00097











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 27 JUIN 2024







APPELANTE :



[B] [U]

[A

dresse 1]

[Localité 2] / France



représentée par Me Xavier SAUVIGNET de la SELARL BOUSSARD VERRECCHIA ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS







INTIMÉE :



S.A.S. STMICROELECTRONICS [Localité 3] 2

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Alexandre DUP...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/04593 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NUKT

[U]

C/

S.A.S. STMICROELECTRONICS [Localité 3] 2

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

du 19 Octobre 2018

RG : 18/00097

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 27 JUIN 2024

APPELANTE :

[B] [U]

[Adresse 1]

[Localité 2] / France

représentée par Me Xavier SAUVIGNET de la SELARL BOUSSARD VERRECCHIA ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.S. STMICROELECTRONICS [Localité 3] 2

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Alexandre DUPREY de la SCP CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mai 2024

Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

- Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] est salariée de la société STMicroelectronics [Localité 3] 2 (la société), en qualité de technicienne, depuis le 10 octobre 2005.

S'estimant victime de discrimination en terme d'évolution de carrière du fait de son sexe et de ses grossesses, elle a, le 25 août 2015, saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes de Grenoble sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, afin d'obtenir communication des éléments de comparaison de ses homologues masculins embauchés au même moment et au même niveau.

Par ordonnance du 21 octobre 2015, le conseil de prud'hommes a :

- ordonné à la société de transmettre à Mme [U], au plus tard le 23 décembre 2015, les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins 6 mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV échelon 1 coefficient 255 et contenant les informations suivantes :

* la position actuelle,

* le coefficient actuel,

* le salaire actuel,

* le coefficient d'embauche,

* la date d'embauche et le salaire d'embauche.

- dit que, passé le 23 décembre 2015, la remise de ces documents à Mme [U] sera assortie d'une astreinte de 50 euros par jour de retard ;

- condamné la société à payer à Mme [U] la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par courrier du 18 décembre 2015, la société a adressé un panel de comparaisons, dont les éléments anonymisés concernant 5 salariés au motif que ceux-ci 'avaient refusé la communication de leurs données personnelles à Mme [U]'.

Par requête du 28 juin 2016, Mme [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble, statuant au fond, aux fins de formuler diverses demandes en réparation de la discrimination dont elle estimait avoir été l'objet.

Par jugement de départage du 6 juillet 2019, le conseil de prud'hommes a fait partiellement droit à ses demandes.

Mme [U] a interjeté appel de cette décision.

Parallèlement, soutenant que la société n'avait pas intégralement exécuté l'ordonnance du 21 octobre 2015, Mme [U] a, par requête du 2 juillet 2018, saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de demandes de liquidation de l'astreinte provisoire et de fixation d'une astreinte définitive.

Par jugement du 9 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Grenoble a, au visa de l'article 47 du code de procédure civile, renvoyé la cause et les parties devant le conseil de prud'hommes de Valence, Mme [U] ayant été désignée conseillère prud'homale à Grenoble.

Par ordonnance du 19 octobre 2018, le conseil de prud'hommes de Valence a :

- condamné la société à payer à Mme [U] les sommes provisionnelles suivantes:

* 2 500 euros au titre de la liquidation de l'astreinte,

* 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la société de remettre à Mme [U], au plus tard le 30 novembre 2018, les documents concernant 10 hommes non anonymes, actuellement salariés au sein de la société, et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an) en qualité de 'technicien d'atelier niveau 4 échelon 1coefficient 255" et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche,

- dit qu'à défaut, à partir du 1er décembre 2018, la remise de ces documents sera assortie d'une astreinte définitive de 50 € par jour de retard, la formation de référé se réservant le droit de liquider cette astreinte.

Sur appel interjeté par la société, la cour d'appel de Grenoble a, par arrêt du 11 juin 2019, infirmé ce jugement et débouté Mme [U] de ses demandes.

Par arrêt du 16 mars 2021, la Cour de cassation :

- casse et annule, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [U] de sa demande de liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt rendu le 11 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

- remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

- condamne la société STMicroelectronics ([Localité 3] 2) aux dépens.

La Cour de cassation juge :

- sur le deuxième moyen pris en sa neuvième branche, alors que, par l'ordonnance de référé du 21 octobre 2015 dont la salariée se prévalait, le conseil de prud'hommes avait ordonné à la société de transmettre à celle-ci les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins 6 mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV échelon 1 coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche (et non les bulletins de paie de ces salariés), la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis ;

- sur le deuxième moyen pris en sa huitième branche, que la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en retenant que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l'autorisation de ses salariés, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la communication des informations non anonymisées n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi.

Par déclaration du 7 mai 2021, Mme [U] a saisi la cour d'appel de renvoi.

Par conclusions récapitulatives notifiées électroniquement le 12 septembre 2022, Mme [U] demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a condamné la société à lui payer une somme provisionnelle au titre de la liquidation de l'astreinte,

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a limité cette somme provisionnelle à la somme de 2 500 euros,

Statuant à nouveau et évoquant l'affaire,

- condamner la société au paiement de la somme provisionnelle de 127 100 euros au titre de la liquidation d'astreinte,

Subsidiairement,

- confirmer l'ordonnance de première instance en toutes ses dispositions,

En tout état de cause,

- condamner la société au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et frais d'exécution éventuels,

- rejeter les prétentions et demandes reconventionnelles formulées par la société.

Par conclusions récapitulatives n° 3 notifiées électroniquement le 23 septembre 2022, la société demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée à payer à Mme [U] la somme provisionnelle de 2 500 euros au titre de la liquidation de l'astreinte, outre celle de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- déclarer Mme [U] mal fondée en son appel,

- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- apprécier, au vu des circonstances de l'espèce, dans de bien plus justes proportions le montant de l'astreinte qui pourrait faire l'objet d'une éventuelle liquidation,

En tout état de cause,

- condamner Mme [U] au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance du 27 septembre 2022, la présidente chargée de la mise en état a ordonné la clôture des débats et fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 6 octobre 2022.

A cette date, l'affaire a été renvoyée à la demande conjointe des parties et fixée à l'audience de plaidoiries du 3 mai 2024.

Par ordonnance du 30 avril 2024, la présidente chargée de la mise en état a rejeté la demande de rabat de la clôture formée par Mme [U].

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA DEMANDE DE RÉVOCATION DE L'ORDONNANCE DE CLÔTURE

À l'audience de plaidoiries, le conseil de Mme [U] a soutenu devant la cour de nouvelles conclusions notifiées par voie électronique le 30 avril 2024, sollicitant du conseiller de la mise en état la révocation de clôture.

Or, la cour constate que ces conclusions sont adressées au conseiller de la mise en état et que la demande orale formulée à l'audience, dans une procédure écrite, ne saisit pas valablement la cour qui ne l'est régulièrement que par des conclusions notifiées électroniquement, ce qui a été fait le 3 septembre 2022 avec les pièces invoquées à leur appui, étant au surplus observé qu'il n'est ni allégué ni justifié d'une cause grave au sens de l'article 803 alinéa 1 du code de procédure civile qui pourrait justifier une révocation de l'ordonnance de clôture.

Il n'y a donc pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture, toutes conclusions notifiées postérieurement étant irrecevables.

SUR LA LIQUIDATION DE L'ASTREINTE

Selon l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution : 'Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.

Le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.

L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère'.

Ici, le conseil de prud'hommes de Grenoble a enjoint, par ordonnance du 21 octobre 2015, à la société de transmettre à Mme [U], au plus tard le 23 décembre 2015 et sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai, les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins 6 mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV échelon 1 coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche.

La cour constate que l'employeur n'a pas interjeté appel de cette décision de sorte qu'elle ne peut, sans violer l'autorité de chose jugée au provisoire attachée à cette ordonnance, en modifier les termes, Mme [U] soulignant à juste titre que la question relative à l'anonymisation ou non du panel de comparaisons, ne peut plus être débattue dans le cadre de cette présente instance.

Il sera également précisé que les premiers juges, en ordonnant cette communication de pièces, au visa des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, ont pu se convaincre, dans le cadre de leur appréciation souveraine des éléments de fait qui leur étaient soumis, que Mme [U] établissait un motif légitime d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige à venir contre son employeur, en mentionnant que cette communication comportait un nombre d'éléments d'information précisément listés et fixant ainsi le périmètre des informations à transmettre.

Le dispositif de l'ordonnance de référé du 21 octobre 2015 est à, cet égard, dénué d'équivoque et il appartenait à l'employeur de s'y conformer sans pouvoir remettre en cause le bien-fondé de la décision qui l'a instituée et sans en dénaturer les termes.

Or, le 18 décembre 2015, l'employeur a transmis les bulletins de salaire contenant les informations relatives à dix salariés masculins, mais dont les noms, prénoms et numéros de sécurité sociale de cinq d'entre eux avaient été biffés. Il produit devant la cour les 10 courriers remis aux salariés le 20 novembre 2015 aux termes desquels il leur précisait 'dans la mesure où vous faites parties des salariés hommes visés par la décision du conseil de prud'hommes, nous sollicitons donc votre accord préalable pour communiquer votre dernier bulletin de payer et votre bulletin de paie correspondant au premier mois de votre embauche au sein de STMicroelectronics ou votre contrat de travail d'origine'.

La société ne peut raisonnablement convaincre la cour d'avoir satisfait à son injonction en soutenant avoir transmis les 10 carrières, alors qu'elle ne s'est pas conformée aux termes fixés par l'ordonnance du 21 octobre 2015.

Les premiers juges ont ainsi retenu à juste titre que cette exécution partielle ouvrait droit à la liquidation d'astreinte sollicitée par Mme [U].

Présentement, il incombe à la cour, tenue par les termes de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution précité, d'apprécier de manière concrète, au regard du but légitime poursuivi par l'astreinte, les éventuelles difficultés rencontrées par le débiteur pour s'exécuter et ensuite, le cas échéant, le caractère disproportionné de l'atteinte aux biens du débiteur par rapport à l'enjeu du litige.

S'agissant des difficultés d'exécution, l'employeur soutient tout d'abord que les données personnelles des salariés sont protégées et que le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental reconnu par l'article 9 du code civil, l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, les articles 7 et 8 de la Charte européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et la directive européenne n°95-46 du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Il estime que le respect de la vie privée des salariés, tiers au procès, constitue un motif légitime opposable indiscutable et qu'il y a lieu d'apprécier si l'atteinte à ce principe était indispensable à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi. Et il constate que cette atteinte à la vie privée n'était pas indispensable puisque la salariée, se fondant sur les éléments transmis, a saisi les juges du fond dès juin 2016 d'une demande d'indemnisation au titre de la discrimination, de sorte que le référé probatoire a produit ses effets, soulignant d'ailleurs que la demande d'astreinte définitive a été déclarée irrecevable compte tenu de cette saisine.

Il ajoute que la communication de données personnelles présente un risque réel de divulgation de données personnelles, Mme [U] ayant d'ailleurs échangé son panel avec celui d'une autre salariée qui avait initié une procédure similaire à son encontre.

Il n'appartient pas, à ce stade, au juge de la liquidation de procéder, comme le fait l'employeur aux termes de ses écritures, à un contrôle de nécessité et de proportionnalité au but poursuivi et à la mise en balance entre le droit à la preuve de la discrimination et le droit à la vie privée des salariés, cette appréciation ayant été discutée et opérée devant le juge saisi de la demande de mesure in futurum.

En revanche, il incombe à la cour d'apprécier si le refus des salariés sollicités par l'employeur, de communiquer leurs données personnelles, est constitutif d'une cause étrangère ou d'un cas de force majeure valable justifiant l'impossibilité d'exécuter l'injonction judiciaire.

En premier lieu, la cour rappelle qu'en matière de discrimination, l'article L. 1134-1 du code du travail impose au salarié se prétendant victime d'une discrimination de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi nº 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Mme [U], afin d'être en mesure de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence de la discrimination alléguée, doit, conformément à l'article précité, être mise en possession des éléments de rémunération (salaire, primes et avantages) et d'évolution de carrière (ancienneté, fonction et classification professionnelle) d'un certain nombre de salariés présentant une ancienneté équivalente à la sienne et placés dans la même situation, ce qui implique que ces informations (nom, prénom, date d'entrée, éléments de rémunération, fonction et classification professionnelle) soient non anonymisées.

L'employeur a transmis à la salariée les bulletins de salaire de 10 salariés, étant rappelé que les juges n'avaient pas expressément imposé la transmission de fiches de paie comportant effectivement des données personnelles sans emport sur le droit de la preuve d'une éventuelle discrimination, mais précisé limitativement les informations dont le caractère non anonymisé était nécessaire au droit à la preuve régi par l'article L. 1134-1 précité et proportionné au but poursuivi, puisqu'il s'agissait d'établir l'existence d'une discrimination.

Or, dès lors que seule a été ordonnée la production de pièces nominatives contenant l'identité des salariés, outre les éléments utiles à la comparaison et à l'établissement d'un panel de comparaisons dont le périmètre a été circonscrit à la 'position actuelle, au coefficient actuel, au salaire actuel, au coefficient, à la date et au salaire d'embauche' de salariés non anomysés, pour une salariée revendiquant une discrimination fondée sur le sexe, cette transmission se révèle essentiellement et strictement nécessaire afin de permettre une vérification objective, fiable et contrôlable. Ainsi, l'employeur qui est le seul à détenir ces pièces, est mal fondé à se prévaloir de la nécessité de recourir à l'accord préalable de ses salariés en vue de la communication de pièces.

Dans ces conditions, au regard du but poursuivi consistant dans la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail, la communication de données personnelles portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve, de sorte que l'employeur ne peut légitimement invoquer la consultation préalable des salariés concernés.

En second lieu, rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Civ. 2 ème 8 avril 2004, n°02-14.631 ; Cass. Civ. 2 ème, 11 février 2021, n°19-23.240), l'employeur estime que le fait d'un tiers, dont notamment son opposition ou son refus susceptible de faire échec à l'injonction sous astreinte, caractérise une cause étrangère, et qu'il ne peut être argué de mauvaise foi pour avoir tenu compte du droit au respect de la vie privée de ses salariés.

La cour rappelle que la cause étrangère, notion plus large que celle de force majeure, englobe aussi bien le cas fortuit, l'impossibilité juridique ou matérielle d'exécution, le fait d'un tiers ou même celui du créancier de l'obligation de faire, et s'étend à tous les cas où le débiteur s'est trouvé, pour une raison quelconque, dans l'impossibilité de se conformer à l'injonction du juge. Elle se caractérise par un événement extérieur, imprévisible et irrésistible.

Or, au regard de la légitimité du droit de la preuve de la salariée, le refus opposé par des salariés de transmettre leurs données personnelles ne saurait revêtir les conditions de la force majeure ni de la cause étrangère alors, d'une part, que l'employeur ne justifie pas du nombre de salariés susceptibles de répondre au panel de comparaisons au sein de l'entreprise et que, d'autre part et surtout, il reconnaît avoir transmis à plusieurs salariés dans le cadre de procédures initiées au fond, ainsi qu'à Mme [U] le 12 juillet 2022, un nouveau panel nominatif comportant notamment 'la liste de tous les salariés embauchés entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2007 en qualité de techniciens d'atelier, niveau IV, échelon 1, embauchés entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2007, encore présents au 31 décembre 2015", et les bulletins de salaire de décembre de chaque année pour les années 2005 à 2018.

En outre, et en application de l'article 145, l'absence d'instance au fond constitue une condition de recevabilité de la demande formée en application de l'article 145, et non une condition de la demande de liquidation de l'astreinte, de sorte que le moyen ainsi soulevé est parfaitement inopérant.

Il s'ensuit que les raisons avancées pour expliquer l'exécution partielle de l'injonction et l'opposition de certains salariés de voir divulguer des données personnelles ne sont pas constitutives de difficultés particulières à exécuter la décision judiciaire, ni d'une cause étrangère.

La liquidation de l'astreinte est, en conséquence, fondée en son principe.

SUR LE MONTANT DE L'ASTREINTE LIQUIDÉE

Mme [U] conteste la somme allouée à ce titre par les premiers juges à hauteur de 2 500 euros, considérant qu'elle est particulièrement faible au regard de la réticence dolosive de l'employeur.

Elle se prévaut tout d'abord de la mauvaise foi de l'employeur et fait valoir :

- qu'il a produit, en exécution de l'ordonnance du 21 octobre 2015, un panel constitué de salariés sélectionnés par lui dans le seul but de conforter sa position selon laquelle elle n'a pas été victime de discrimination, alors qu'elle a pu identifier, 'avec les moyens du bord' 74 salariés correspondant aux critères posés par ladite ordonnance, ce qui permettait ainsi à l'employeur, face au refus de 5 salariés, parmi ces 74 salariés d'en solliciter d'autres, potentiellement volontaires,

- que l'analyse des 5 salariés anonymisés montre que plusieurs d'entre eux ont connu une évolution de carrière anormale, et que par cette anonymisation, l'employeur a ainsi non seulement tenté d'accréditer l'absence de discrimination, mais également empêché de s'assurer de la comparabilité des situations,

- l'employeur n'a, à ce jour, pas exécuté les termes de l'ordonnance du 21 octobre 2015.

L'employeur souligne de nouveau que l'ordonnance de référé a été exécutée dans des conditions qui ne font nullement obstacle au droit à la preuve allégué par Mme [U], et que l'action en liquidation est ainsi sans objet et mal fondée.

Se fondant, à titre subsidiaire, sur les dispositions de l'article 36 de la loi du 9 juillet 1991, (texte codifié sous l'article L. 131-4 depuis l'ordonnance du 19 décembre 2011) et sur le pouvoir souverain du juge pour liquider l'astreinte, il conteste toute attitude dilatoire envers sa salariée.

La cour saisie d'une demande de liquidation d'astreinte doit apprécier le montant au jour où le débiteur de l'obligation a exécuté celle-ci ou, à défaut, au jour où elle statue.

Pour liquider l'astreinte, le juge doit prendre en considération les difficultés rencontrées par le débiteur pour l'exécuter et sa volonté de se conformer à l'injonction, mais également apprécier, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige.

Il résulte de ce qui précède que la transmission de pièces nominatives n'était pas, ici, insurmontable de sorte qu'il convient de retenir une inexécution fautive de la part de l'employeur.

La cour retient également que la communication des pièces avait pour finalité de permettre à la salariée de procéder à une comparaison de sa situation avec celle de ses collègues de travail et que Mme [U] a saisi le juge du fond nonobstant l'exécution partielle de l'injonction par l'employeur

Eu égard à la disproportion entre la somme réclamée au titre de la liquidation d'astreinte et l'enjeu du litige, il convient de minorer l'astreinte ayant couru du 24 décembre 2015 au 12 juillet 2022, date de transmission du nouveau panel, à la somme de 10 € par jour de retard.

Par voie de conséquence, et par infirmation du jugement sur le quantum alloué, il convient de liquider l'astreinte à la somme de 24 560 euros et de condamner la société STMicroelectronics [Localité 3] 2 à payer cette somme à Mme [U], à titre provisionnel.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Les dispositions du jugement entrepris relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et relatives aux dépens sont confirmées.

La société STMicroelectronics [Localité 3] 2, qui succombe à titre principal, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.

Elle sera également condamnée en équité à payer à Mme [U] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par décision contradictoire sur renvoi après cassation et dans les limites de la cassation,

Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture,

Déclare irrecevables les conclusions notifiées postérieurement à l'ordonnance de clôture du 27 septembre 2022, à savoir les conclusions n°2 notifiées le 12 avril 2024 par Mme [U] et les conclusions notifiées le 2 mai 2024 par la société Stmicroelectronics [Localité 3] 2,

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a liquidé l'astreinte provisoire à la somme provisionnelle de 2 500 euros,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Liquide l'astreinte provisoire prononcée par l'ordonnance du conseil de prud'hommes de Grenoble le 21 octobre 2015 à la somme provisionnelle de 24 560 euros pour la période comprise entre le 24 décembre 2015 et le 12 juillet 2022,

Condamne la société STMicroelectronics [Localité 3] 2 à payer cette somme à Mme [U],

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société STMicroelectronics [Localité 3] 2 et la condamne à payer en cause d'appel à Mme [U] la somme de 3 000 euros,

Condamne la société STMicroelectronics [Localité 3] 2 aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/04593
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;21.04593 ?
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