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27/06/2024 | FRANCE | N°21/07444

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 27 juin 2024, 21/07444


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR











N° RG 21/07444 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N4CU



S.A.R.L. PLATINIUM SERVICES



C/



[O]









APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BELLEY

du 28 Septembre 2021

RG :





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRET DU 27 Juin 2024







APPELANTE :



S.A.R.L. PLATINIUM SERVICES


[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Philippe CHASSANY de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, substitué par Me Bruno BRIATTA, avocats au barreau de LYON







INTIMEE :



[E] [O]

née le 01 Septembre 1995 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 3...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 21/07444 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N4CU

S.A.R.L. PLATINIUM SERVICES

C/

[O]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BELLEY

du 28 Septembre 2021

RG :

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 27 Juin 2024

APPELANTE :

S.A.R.L. PLATINIUM SERVICES

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Philippe CHASSANY de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, substitué par Me Bruno BRIATTA, avocats au barreau de LYON

INTIMEE :

[E] [O]

née le 01 Septembre 1995 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant du barreau de LYON et Me Magali BENOIT de l'AARPI ARCANNE, avocat plaidant du même barreau

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Mars 2024

Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, conseillère et Françoise CARRIER, conseillère, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

- Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRET : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Juin 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente et par Fernand CHAPPRON, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [O] a été embauchée par la société Platinum Services (la société, l'employeur), en qualité d'employée administrative, échelon 1, en contrat à durée indéterminée et à temps partiel le 11 février 2020.

Par avenant du 9 mars 2020, les parties ont convenu de porter la durée du travail à temps plein.

Par avenant en date du 1er avril 2020 Mme [O] a été promue à l'échelon 3.

Par courrier en date du 4 mai 2020, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 13 mai 2020, elle a été licenciée pour faute grave.

Par requête du 29 septembre 2020, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de voir juger son licenciement nul en ce qu'il résulterait de faits de harcèlement sexuel à titre principal, sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et de voir condamner son employeur à lui verser diverses sommes.

Le dirigeant de la société étant par ailleurs conseiller prud'homal à Lyon, l'affaire et les parties ont été renvoyées devant le conseil de prud'hommes de Belley.

Par jugement en date du 28 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Belley :

- dit et juge que Mme [O] a bien été victime d`un harcèlement sexuel de la part de son employeur,

- dit et juge que le licenciement de Mme [O] est nul,

- condamne la Société Platinum Services à lui verser les sommes suivantes :

* 4 000 euros nets à titre de dommages et intérêts,

* 13 152 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 2 192 euros bruts à titre d`indemnité compensatrice de préavis,

* 219 euros bruts au titre des congés payés y afférent,

* 1 769,80 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied,

* 176.,98 bruts au titre des congés payés y afférents,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonne la remise du certificat de travail rectifié sans prononcé d`astreinte,

- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision pour les créances salariales,

- déboute Mme [O] du surplus de ses demandes,

- condamne la Société Platinum Services aux entiers dépens de l'instance.

Le 8 octobre 2021, la société Platinum Services a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées électroniquement le 13 avril 2022, la société demande à la cour de :

- DÉCLARER son appel recevable et bien-fondé,

- REFORMER le jugement entrepris,

Y ajoutant,

- DÉBOUTER, en tant que de besoin, Mme [O] de l'intégralité de ses demandes qui ne sont ni fondées ni justifiées,

- CONDAMNER Mme [O] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNER la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 3 mars 2022, Mme [O] demande à la cour de :

- DIRE ET JUGER ses demandes recevables,

A titre principal :

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a :

* dit et jugé que Mme [O] avait été victime de harcèlement sexuel,

* dit et jugé que le licenciement notifié à Mme [O] était nul,

- REFORMER le jugement entrepris quant aux quantums alloués et, statuant à nouveau :

- CONDAMNER la société à lui verser les sommes suivantes :

- 8 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel ;

- 2 192 euros bruts a titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 219 euros de congés payés afférents ;

- 1769,80 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise a pied, outre 176,98 euros de congés payés afférents ;

- à titre principal, 17 536 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul et, à titre subsidiaire, 17 536 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse hors application du barème et, à titre infiniment subsidiaire, 2 192 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en application du barème,

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ORDONNER la rectification du certificat de travail sous astreinte de 30 euros par jour de retard,

- CONDAMNER la société aux entiers dépens.

A titre subsidiaire :

- CONFIRMER le jugement entrepris en son principe et en son quantum,

En toutes hypothèses :

- CONDAMNER la société à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé complet du litige.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR L'EXISTENCE DU HARCÈLEMENT SEXUEL

Mme [O], par infirmation du jugement mais seulement quant au quantum alloué à ce titre, réclame la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et violation de l'obligation de sécurité. Elle soutient qu'elle a été victime sur son lieu de travail de faits de harcèlement sexuel de la part de son employeur. Elle expose avoir reçu des messages tendancieux, très rapidement après son embauche et dont les termes sont devenus très rapidement très personnels, familiers et malaisants compte tenu de son jeune age, et de sa faible expérience professionnelle.

La société Platinum Services conclut au débouté et à l'infirmation du jugement, soutenant que Mme [O] n'a jamais témoigné de réticence aux échanges par SMS avec son employeur, et a elle-même adopté un comportement équivoque, voire provocateur à son égard.

Les directives européennes n° 2002/73 du 23 septembre 2002 et n° 2006/54 du 5 juillet 2006 définissent le harcèlement sexuel ainsi : 'La situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant'.

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Par ailleurs, selon l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article 1154-1 précise que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Précisions étant également faites que la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l'article L. 1153-1, 1° du code du travail, ne suppose pas l'existence d'un élément intentionnel (Cass., Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.682 publié).

***

En l'espèce, Mme [O] soutient que :

- alors qu'elle venait d'être embauchée, elle recevait de très nombreux messages sur son téléphone personnel, en dehors des heures de travail et parfois tard le soir, de la part de M. [R], son supérieur hiérarchique et, par ailleurs, dirigeant de l'entreprise,

- l'employeur s'est montré dans un premier temps, flatteur et très élogieux sur ses qualités professionnelles, et l'a valorisée en lui consentant une promotion avec augmentation de salaire,

- néanmoins, le ton des SMS reçus est devenu de plus en plus équivoque, voire inapproprié, et ces messages s'avéraient de plus en plus tendancieux et très nombreux, au point d'envahir sa vie personnelle,

- l'employeur a rapidement évoqué sa vie personnelle et privée, l'a tutoyée avant qu'elle ne lui demande de la vouvoyer, ce qui n'a fait qu'accroître son malaise,

- M. [R] lui a explicitement proposé un massage à son domicile, avec une séance de magnétisme.

Elle estime que l'employeur, de 20 ans son aîné et par ailleurs conseiller prud'homal, a fait preuve de harcèlement sexuel à son égard, auquel elle n'a été en mesure de répondre par crainte de répercussions professionnelles qui se sont d'ailleurs concrétisées par son licenciement, lorsqu'elle a manifesté son opposition.

Mme [O] produit de nombreux échanges épistolaires intervenus entre eux via des textos, du 13 mars 2020 au 21 avril 2020.

Ces éléments précis et concordants sont matériellement établis et, pris dans leur ensemble, peuvent laisser présumer l'existence d'un harcèlement sexuel.

En réponse, l'employeur rétorque :

- que Mme [O] a très rapidement montré sa motivation et son esprit d'initiative, le conduisant à augmenter son temps de travail et à l'impliquer dans les procédures de recrutement du personnel,

- qu'il s'est instauré très rapidement entre le représentant légal de la société et la salariée un échange de messages familiers qui n'était pas exclusif de l'employeur, Mme [O] ayant elle-même participé activement à ces échanges. Ainsi, la salariée s'est montrée familière, et usant de plaisanteries lors de ses échanges avec son responsable hiérarchique, qui sont devenues réciproques ;

- qu'il a effectivement proposé à la salariée d'effectuer des massages, comme il l'avait d'ailleurs fait précédemment pour un autre salarié qui souffrait du genou, et la salariée a accepté cette proposition qui a été réalisée le 21 avril 2020, ce dont elle l'a remercié chaleureusement,

- que la salariée a adopté une attitude pour le moins équivoque et provocatrice, et a elle-même suscité à plusieurs reprises son employeur sur un ton très familier, notamment sur des sujets intimes ou personnels ; qu'elle n'a pas hésité à se confier à son employeur sur sa situation personnelle, ne voyant, de la même façon, aucune réticence à répondre à son employeur lorsque celui-ci évoquait sa situation intime et personnelle.

La cour relève tout d'abord que Mme [O], alors âgée de 24 ans et disposant d'une très faible expérience professionnelle, a fait l'objet d'une évolution très rapide, la durée du temps de travail passant à temps plein moins d'un mois après son embauche, et une promotion avec augmentation de son salaire lui étant consentie moins de deux mois après son entrée dans les effectifs, avant même la fin de sa période d'essai.

La lecture des différents messages montre que, dans un premier temps, les messages sont exclusivement d'ordre professionnel, M. [R] n'hésitant pas à valoriser sa salariée, sur un ton familier et très rapidement inapproprié 'sois bien rassurée sur le fait que j'ai beaucoup d'estime pour toi et ton travail et ton sérieux et ton attitude et ..la liste est trop longue...et que je suis très très content de travailler avec toi...et je ne te considère pas comme une salariée' (13 mars 2020), les échanges déviant ensuite sur des propos plus grivois 'mademoiselle [O], c'est basique, je suis un homme y a du porno cqfd....et je vous ai dit je suis un patron mais en-dessous de ce costume qui me va trop bien je suis un homme' (24 mars 2020). Ces échanges ont, comme l'indique l'employeur, conduit à une certaine spontanéité et familiarité de la part de la salariée qui toutefois a tenté d'y mettre un terme : 'et il faut que j'ai moins confiance je commence à trop parler...oui mais le petit bémol c'est que vous êtes mon patron!' (31 mars 2020). Les messages de l'employeur sont ainsi devenus de plus en plus équivoques : 'vous m'avez ensorcelé...non très franchement, je dépasse surment le cadre de travail et je ne devrai pas vous le dire mais ça fait un bien fou de pouvoir travailler avec vous comme ca'. Les messages se sont multipliés, tard le soir, parfois le dimanche : 'j'ai vraiment hâte de vous emmener au restaurant vous avez pas idée...vous allez kiffer de dingue'.

Si comme l'indique l'employeur, le contexte du confinement a pu favoriser les nombreux échanges et la tenue de propos très légers (cuisine, musique, séries ou films), le caractère tendancieux et à connotation sexuelle des messages, associés d'émoticones suggestifs (clins d'oeil), était systématiquement de son fait : 'vu comment vous êtes au top et une bombe vous n'allez pas manquer de prétendant', 'j'ai pas fini de vous en parler mais je vous ai beaucoup exprimé mon ressenti et de tout le bien je pense de vous en général hein pas qu'au boulot'.

Les échanges montrent également que M. [R] a sollicité Mme [O] pour des séances de sport : 'faut que vous me fassiez une séance complète...combien vous prenez', qu'elle refusera : 'je ne donne pas ce type de séance mais je vous montrerais 2/3 trucs au bureau ....sinon prenez un coach à domicile' (17 avril 2020) ; qu'il l'a aussi aidé dans la réorganisation de sa terrasse.

Mme [O] ne conteste pas avoir fini par accepter le massage de l'épaule proposé par son employeur, après l'avoir refusé à plusieurs reprises : 'je sais bien et c'est très gentil vraiment, mais bon l'épaule et le dos c'est délicat, ... et 'la situation d'un massage de mon épaule me mettrais pas à mon aise' , 'non non et non moi aussi j'ai mon périmètre d'intimité à ne pas dépasser', M. [R] répliquant : 'pigé pour le périmètre.. Je tacherai de ne plus franchir la ligne', et Mme [O] de répondre 'Mais vous le franchissez déjà depuis longtemps' (16 avril 2020). L'employeur insistait néanmoins dès le lendemain en ces termes : 'm'en fou lundi massage...tant pis prud'hommes pour harcèlement il va être drôle notre dossier', auquel Mme [O] va répondre ainsi : 'pas de rhum. Pas de massage. Vous avez demandez des limites, les voici ci dessus'.

En dépit de ces messages, l'employeur a persisté : 'même votre kiné vous propose un rdv dimanche, je lache pas l'affaire, je vous masse! ...Deter le gars', 'lundi vous me direz si vous voulez que je vous masse au bureau ou chez vous je pensais comme ca vous pouvez rester à vous reposer sans bouger après', conduisant finalement Mme [O] a consentir à ce massage le 21 avril suivant, et tout en le remerciant.

A défaut pour l'employeur d'avoir respecté le principe de précaution dans le cadre professionnel, le harcèlement sexuel est démontré par les propos à connotation sexuelle répétés de l'employeur qui ont créé à l'endroit de la salariée une situation à tout le moins intimidante.

Pour s'opposer, l'employeur tire argument de ce que Mme [O] n'aurait manifesté aucune gêne lors de réunions rassemblant des chefs d'entreprise et au cours desquelles des propos grivois étaient échangés. Cependant, cet argument est totalement inopérant pour démontrer qu'elle aurait accepté ce comportement, et son silence pouvant s'expliquer par le jeune age de la salariée ainsi que son inexpérience professionnelle.

La cour retient de l'ensemble de ces nombreux échanges l'absence de tout jeu de séduction dans ce rapport hiérarchique mais bien une attitude d'un employeur qui sous couvert d'une rapide promotion professionnelle, de propos valorisants quant à la qualité de son travail, puis d'échanges cordiaux, décontractés voire amicaux, a progressivement évolué vers un comportement et des propos inappropriés à la relation de travail, l'employeur évoquant sa relation familiale et privée, insistant sur les nombreux points communs avec sa salariée, cherchant à nouer une relation de grande proximité par des propos intrusifs, incontestablement équivoques, jusqu'à insister malgré les refus opposés par Mme [O] à lui offrir une bouteille de vin, lui proposer un massage, un repas dans un restaurant étoilé : 'je compte bien être le premier à vous emmener', tout en jouant avec une certaine perfidie de son statut : 'tu es encore en période d'essai'.

A l'évidence, comme il l'indique d'ailleurs lui-même dans certains de ces messages, il a abusé de ses fonctions d'autorité et de direction dans un rapport de subordination hiérarchique, alors qu'à aucun moment, la salariée n'a elle-même suscité ces échanges, et a au contraire tenté de les refréner pour les replacer dans un cadre purement cordial.

La cour considère que la répétition et la fréquence de tels propos tendancieux, dans un contexte professionnel, présentent un caractère offensant, voire dégradant créant pour la jeune salariée, nouvellement recrutée, une situation intimidante de la part du représentant légal de l'entreprise, ainsi que l'ont retenu les premiers juges.

Or, l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Mme [O] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu le harcèlement sexuel et alloué à Mme [O] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, cette somme réparant justement le préjudice par elle subi.

SUR LE BIEN-FONDE DU LICENCIEMENT

Mme [O] a été licenciée pour faute grave et la lettre de licenciement vise des faits d'insubordination et de comportement agressif les 23, 27 et 30 avril 2020.

Selon les dispositions de l'article L. 1153-2 du code du travail : 'Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l'article L. 1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés'.

Il y a donc lieu de rechercher si le licenciement pour faute grave de la salariée est fondé ou s'il est la conséquence directe du refus de la salariée de subir des faits de harcèlement sexuel.

En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception qui doit comporter l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

En application de l'article L. 1232-1 du même code, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige et il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

La faute grave est définie comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

En l'espèce, la lettre de licenciement vise :

- un comportement agressif à l'égard de l'employeur, 'à plusieurs reprises', les 27 mars, 23 et 27 avril 2020,

- une insubordination le 30 avril 2020,

- des menaces et des propos déplacés envers son employeur le 30 avril 2020.

Il doit tout d'abord être relevé que les éléments produits aux débats par l'employeur ne permettent de caractériser la matérialité de la première série de griefs, à savoir un comportement agressif en mars et les 23 et 27 avril 2020, les seuls échanges de SMS à ces périodes démontrent en réalité, l'agacement de la salariée, et une attitude toujours équivoque de l'employeur qui lui indique : 'et des fois sans faire la pleurnicheuse, vous avez une façon de dire les choses et de balancer des remarques qui ne sont pas toujours faciles à accepter même si vous pouvez avoir raison; Je sais qu'on n'est pas parfait (...) Mais on essaye de faire avancer et franchement on a jamais aussi bien avancé depuis que vous êtes là', 'vous aussi vous avez besoin qu'on vous bouscule', tout en lui indiquant 'après mon seul changement d'attitude c'est de ne plus vous solliciter hors du taf parce que vous n'avez pas plus de kif que ca'...., mais en insistant encore : 'allez dites le que ca vous manque de papoter'.

La nature de ces échanges, mêlant des sujets professionnels et le plus souvent sans lien avec la relation de travail, ne permet pas de retenir un comportement agressif régulier de la part de la salariée et ce, d'autant moins, qu'à l'évidence, l'employeur cautionnait, voire soutenait la salariée dans son attitude.

Ce revirement de la part de l'employeur ne trouve ainsi d'explication que dans la résistance de la salariée face au harcèlement sexuel qu'elle subissait.

Sur les faits du 30 avril 2020, l'employeur reproche à la salariée d'avoir 'refusé de façon agressive, d'appeler une candidate pour lui signifier que nous n'allions pas lui proposer une embauche, sous prétexte que vous ne vouliez pas perdre la face devant elle', de l'avoir menacé en ses termes : 'vous avez voulu jouer, on va jouer', et d'avoir ajouté : 'il y a eu deux secrétaires avant moi, il va falloir commencer à se poser des questions', s'appuyant sur le témoignage de M. [K], salarié présent au cours de l'échange et qui précise : 'M. [R] a demandé à Mme [O] d'appeler la candidate pour lui signaler que nous gardions son CV mais, pour le moment, pas de travail pour elle. Mme [O] a refusé de faire ce que M. [R] lui a demandé sous prétexte qu'elle ne voulait pas « perdre la face » devant cette dame. Elle a répondu de façon agressive à M. [R] en lui disant qu'elle ne le ferait pas, que c'était comme ça et qu'elle assumait, et prenne ses dispositions. Elle a suivi des menaces qui dit à M. [R] : « Vous avez voulu jouer et bien on va jouer. » M. [R] lui a demandé de quel jeu elle parlait, pas de réponse. Il a insisté en lui disant que ce n'était pas comme ça qu'on travaillait et qu'il y avait quelque chose il fallait le dire. Elle a commencé à se lever et prendre ses affaires en disant qu'elle ferait du télétravail. M. [R] lui a dit « non vous allez rester au bureau ». Elle a une nouvelle fois refusé de le faire, évoquant le confinement, qu'elle avait le droit de travailler de chez elle et que cela se passerait comme ça. Qu'il ne pouvait pas la forcer à rester travailler au bureau.'

Si ce fait n'est pas contesté dans sa matérialité par la salariée, la cour retient néanmoins, qu'au fil des échanges de sms, l'employeur n'a eu de cesse de vanter la spontanéité de sa salariée et son naturel, allant même jusqu'à lui faire promettre : 'je veux que vous me promettiez que quoiqu'il arrive, quoiqu'il se passe, vous le disiez toujours ce que vous pensez... toujours, toujours, toujours' (10 avril 2020), alors que les derniers échanges montrent de toute évidence, une réticence franche de la part de la salariée : 'M. [R] du coup, c'est bon, on peut continuer' Que je sache si je dois rappeler [T]' ; Mme [O] : 'euh vous êtes sur de votre question '' ; M. [R] : 'et non j'ai pas pris de cour, je commence à vous pratiquer un peu...' ; Mme [O] 'pratiquer (emoticone d'étonnement)'.

Les faits ainsi reprochés ne présentent aucun caractère fautif puisqu'ils ne sont que la conséquence de la fin de non-recevoir qu'a opposé la salariée à son employeur face au harcèlement dont elle a été l'objet.

La cour considère ainsi que le licenciement constitue un acte de représailles aux derniers échanges et qu'il doit, à ce titre, déclaré nul, comme l'ont retenu les premiers juges.

A titre d'indemnisation pour licenciement nul, le conseil de prud'hommes a alloué à Mme [O] une indemnité représentant 6 mois de salaire, soit 13 152 euros. Elle en demande l'infirmation, et sollicite 17 536 euros 'en raison de l'inconventionnalité du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail'.

Toutefois, la cour rappelle que, selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, 'l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois', et constate que la salariée ne justifie pas que l'indemnité ainsi accordée par les premiers juges ne correspondant pas une indemnisation appropriée.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef, de même que s'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis et du rappel de salaire au titre de la mise à pied et des congés payés afférents, l'employeur ne formulant aucune objection, à titre subsidiaire, sur les quantums alloués.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La société Platinum Services, partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel et doit indemniser Mme [O] des frais exposés par elle et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Platinum Services à payer en cause d'appel à Mme [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Platinum Services aux dépens d'appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/07444
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;21.07444 ?
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