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27/06/2024 | FRANCE | N°21/07476

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 27 juin 2024, 21/07476


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR











N° RG 21/07476 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N4E7



S.A. CREDIT LYONNAIS



C/



[W]









APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 21 Septembre 2021

RG : 18/607







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRET DU 27 Juin 2024







APPELANTE :



S.A. CREDIT LYONN

AIS

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant du barreau de LYON et Me Maxime ALVES-CONDE, avocat plaidant du même barreau





INTIMEE :



[L] [W]

née le 28 Mars 1986

[Adresse 4]

[Localité...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 21/07476 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N4E7

S.A. CREDIT LYONNAIS

C/

[W]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 21 Septembre 2021

RG : 18/607

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 27 Juin 2024

APPELANTE :

S.A. CREDIT LYONNAIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant du barreau de LYON et Me Maxime ALVES-CONDE, avocat plaidant du même barreau

INTIMEE :

[L] [W]

née le 28 Mars 1986

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Annick SADURNI, avocat plaidant du barreau de SAINT-ETIENNE et Me Nathalie ROSE, avocat postulant du même barreau

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Mars 2024

Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, et Françoise CARRIER, conseillères, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

- Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridicitonnelles

ARRET : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Juin 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente et par Fernand CHAPPRON, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [W] a été embauchée par la société Le Crédit Lyonnais (la société LCL) par contrat à durée indéterminée, à compter du 1er novembre 2010, en qualité de conseillère d'accueil.

Au dernier état de la relation contractuelle, elle était employée au sein de l'agence de [Localité 5] en qualité de conseillère clientèle particuliers, technicien niveau E.

A compter du 13 novembre 2015, Mme [W] a été placée en arrêt maladie d'origine non professionnelle et ce, pour une durée de quatre mois.

Le 21 mars 2016, elle a repris son travail à mi-temps thérapeutique jusqu'au 15 juin 2016, date à laquelle elle a de nouveau été arrêtée.

Le 12 mai 2017, dans le cadre d'une visite de reprise, le médecin du travail a rendu l'avis d'aptitude médicale dans les termes suivants : 'Apte à la reprise du travail à compter du 15 mai 2017 à un poste administratif, à revoir dans un mois'.

Le 17 mai 2017, Mme [W] a demandé à pouvoir bénéficier d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Sur interrogation de l'employeur, le médecin du travail a émis le 22 mai 2017, l'avis complémentaire suivant :« Avis complémentaire à celui du 12 mai 2017 : Apte à la reprise du travail à compter du 15 mai 2017 avec reclassement sur un poste administratif sans sollicitation téléphonique répétitive. Inapte à son poste antérieur au dernier arrêt de travail. A revoir dans un mois ».

Mme [W] a été placée en dispense d'activité rémunérée, comprenant une part variable payée à 100%.

Par courrier du 29 juin 2017, la direction de la société a écrit à Mme [W] pour l'informer des recherches de reclassement en cours, compte tenu des différents avis médicaux rendus par le médecin du travail, tout en maintenant sa décision de dispense d'activité rémunérée.

Le 12 septembre 2017, le médecin du travail a rendu un nouvel avis suite à la visite médicale de la salariée en ces termes : « Confirmation de l'inaptitude à un poste commercial en agence ».

La société LCL indiquait entreprendre de nouvelles recherches de reclassement sur la base de ce dernier avis du médecin du travail, et la salariée était maintenue en dispense d'activité rémunérée jusqu'au 23 décembre 2017.

Les délégués du personnel ont été informés de la procédure d'inaptitude d'origine non professionnelle de la salariée, avec une consultation pour avis lors d'une réunion du 8 février 2018.

Par courrier du 26 février 2018, la société LCL a informé la salariée de son impossibilité de reclassement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 mars 2018, Mme [W] a été convoquée à un entretien à une éventuelle mesure de licenciement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 avril 2018, l'employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 20 décembre 2018, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne pour voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l'employeur au paiement des indemnités afférentes, outre l'indemnisation de ses préjudices pour discrimination de travailleur handicapé, pour le préjudice moral subi et le préjudice lié aux modifications des conditions d'un prêt souscrit alors qu'elle était salariée.

Par jugement rendu le 21 septembre 2021, le conseil des prud'hommes a :

- requalifié le licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement de Mme [W] en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société LCL à verser à Mme [W] :

* la somme de 17 230,56 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* la somme de 4 308 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

- dit que Mme [W] a été victime de harcèlement moral de la part de la société LCL,

- condamné la société LCL à verser à Mme [W] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral de la salariée,

- dit que Mme [W] a été victime de discrimination de travailleur handicapé de la part de la société LCL,

- condamné la société LCL à verser à Mme [W] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination de travailleur handicapé,

- condamné la société LCL à verser à Mme [W] la somme de 6 350 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la modification des conditions de prêt ;

- rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la date de réception du courrier recommandé avec accusé de réception valant mise en demeure distribué le 27 décembre 2018 à la société LCL en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter de la présente décision pour les autres sommes allouées ;

- condamné la société LCL à verser à Mme [W] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- laissé à la charge de la société LCL la totalité des dépens ;

- débouté la société LCL de l'intégralité de ses demandes.

L'employeur a relevé appel de cette décision, le 8 octobre 2021.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, il demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 septembre 2021 par le conseil des prud'hommes de Saint-Etienne,

et statuant de nouveau,

- déclarer la demande de Mme [W] pour préjudice lié aux conditions de modification de prêt irrecevable ;

- débouter Mme [W] de l'intégralité de ses demandes ;

- ordonner la restitution par Mme [W] de l'intégralité des sommes versées au titre de l'exécution du provisoire du jugement, soit un montant de 39 642,99 € nets ;

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, Mme [W] demande à la cour de :

- dire et juger non fondé l'appel formé par la société LCL,

- débouter la société LCL de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes

de [Localité 5] le 21 septembre 2021,

Y ajoutant,

- condamner la société LCL à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant la cour,

- condamner la société aux dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LE BIEN-FONDE DU LICENCIEMENT

Poursuivant l'infirmation du jugement de ce chef, la société LCL soutient avoir satisfait à son obligation de reclassement, non seulement en sollicitant vainement des précisions du médecin du travail mais également, en prenant l'initiative des recherches de reclassement de la salariée sur des postes « administratifs sans sollicitation téléphonique répétitive », et ce, malgré les refus répétés du médecin du travail de lui fournir un avis médical complet et conforme aux dispositions législatives et réglementaires.

Elle souligne que ses recherches ont été effectuées auprès de l'ensemble des structures de la société ainsi qu'auprès des entités du groupe Crédit Agricole SA, lesquelles ont été destinataires d'un courriel développant précisément le parcours, les compétences et restrictions médicales d'aptitudes de la salariée.

Elle rappelle que les renseignements relatifs à l'état de santé du salarié ne peuvent être confiés qu'au médecin du travail et que si la salariée l'avait informée de son statut de travailleur handicapé, elle ne pouvait en tout état de cause en faire état lors de sa recherche de poste de reclassement auprès des différentes entités du groupe.

Elle indique également que malgré leur caractère loyal et sérieux, et sans jamais dénaturer les restrictions émises, ses recherches n'ont pas permis d'identifier des postes disponibles, conformes aux préconisations du médecin du travail, et aux compétences de la salariée.

Elle relève surabondamment que les recherches ont été rendues plus difficile car Mme [W] s'est engagée dès le 21 novembre 2017, soit préalablement à la saisine du conseil, auprès d'un nouvel employeur, puis est devenue secrétaire administrative et commerciale en janvier 2019, alors même que le contrat de travail les liant n'était pas rompu et qu'elle bénéficiait d'une dispense d'activité rémunérée.

Mme [W] objecte que le médecin du travail a rendu des avis tout à fait clairs et compréhensibles, et qu'en dépit de ces restrictions claires, l'employeur n'a, d'une part, pas procédé à des recherches loyales et sérieuses, notamment au regard de la taille du groupe au niveau national dont il n'est pas établi que l'ensemble des entités ont été consultées, alors même qu'elle avait précisé être mobile ni, d'autre part, effectué de recherche dans le cadre de l'accord Handicap. Elle souligne notamment que de nombreuses offres de postes étaient disponibles et proposées sur un site internet d'annonces, ce qu'a également relevé le conseil des prud'hommes de Saint-Etienne.

Elle ajoute que sa nouvelle activité a démarré postérieurement à son licenciement.

L'article L. 4624-1 du code du travail puis à compter du 01 janvier 2017, l'article L. 4624-6 du même code disposent que l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite.

Selon l'article L. 1226-2 du code du travail, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle.

Ici, il est constant qu'à la suite d'une perte d'audition profonde du côté droit, Mme [W] a fait l'objet d'un arrêt de travail avant une reprise à mi-temps thérapeutique jusqu'au 15 juin 2016.

Dans le cadre d'une visite de reprise, le médecin du travail a indiqué : 'Apte à la reprise du travail à compter du 15 mai 2017 à un poste administratif, à revoir dans un mois'. S'interrogeant sur cette formulation inhabituelle d'aptitude avec reclassement, l'employeur a sollicité des précisions au médecin du travail, par courrier du 19 mai 2017, en ces termes : 'Mme [W] occupe un poste de « Conseillère Clientèle Particuliers » : s'agit-il d'un poste administratif selon vous et est-elle donc apte à l'occuper ' Si tel est le cas, nous vous remercions par avance de nous faire part de vos éventuelles recommandations et préconisations en matière d'aménagement de son poste actuel (...)Si le poste de « Conseiller Clientèle Particuliers » n'est pas un poste administratif et donc que Mme [W] n'est pas apte à l'occuper au regard de son état de santé, nous vous remercions par avance de bien vouloir formuler un avis d'inaptitude à ce poste. Cela nous permettra d'étudier les possibilités de reclassement de notre collaboratrice sur un autre poste, en conformité avec les dispositions du Code du travail et vos futures préconisations.'

Le 22 mai 2017, le médecin du travail a émis un avis complémentaire : 'Apte à la reprise du travail à compter du 15 mai 2017 avec reclassement sur un poste administratif sans sollicitation téléphonique répétitive. Inapte à son poste antérieur au dernier arrêt de travail. A revoir dans un mois'.

Il a émis un nouvel avis 'rectificatif' le 31 mai suivant : 'Apte à la reprise du travail le 15.05.17. Inapte à son poste antérieur au dernier arrêt de travail. Reclassement sur un poste administratif sans sollicitation téléphonique répétitive. A revoir dans ces conditions au bout d'un mois ».

La société LCL a mis en oeuvre une première phase de recherches et Mme [W] a été placée en dispense d'activité rémunérée.

Par courrier adressé au médecin du travail le 22 août 2017, l'employeur a indiqué : 'Conformément à vos préconisations nous avons effectué des recherches de reclassement à 'un poste administratif sans sollicitation téléphonique répétitive', au sein de LCL et du groupe Crédit Agricole SA. Malgré nos recherches, aucun poste correspondant n'a pu être identifié. Dans ces conditions et dans la mesure où vous souhaitez revoir Mme [W], nous vous informons que nous organiserons prochainement une nouvelle visite médicale'.

Le 12 septembre 2017, le médecin du travail a émis un nouvel avis de 'confirmation de l'inaptitude à un poste commercial en agence'.

L'employeur soutient avoir satisfait à son obligation de reclassement, rappelant avoir à deux reprises, les 20 juin 2017 puis 8 novembre 2017, ensuite du dernier avis du médecin du travail, sollicité l'ensemble des entités en son sein et également les structures du groupe Crédit Agricole, en reprenant expressément les termes des avis d'inaptitude et que, faute de postes disponibles correspondant à la fois aux capacités de la salariée et aux préconisations du médecin du travail, il n'a eu d'autres choix que d'initier la procédure de licenciement, par courrier du 6 avril 2018, en ces termes : ' Malgré ces recherches, nous n'avons pas identifié d'emploi conforme aux prescriptions du médecin du travail, y compris par mutation, transformation, adaptation de poste ou aménagement des horaires, ou sur des postes de catégorie inférieure. Nous avons par la suite consulté les délégués du personnel. Compte tenu de ce qui précède et conformément aux dispositions du code du travail, nous vous avons fait connaître les motifs rendant impossible votre reclassement par courrier du 26 février 2018. (...) Par la présente, nous sommes contraints de vous licencier, en application de l'article 26 de la convention collective de la banque, pour inaptitude physique d'origine non professionnelle médicalement constatée par le médecin du travail avec impossibilité de reclassement'.

L'employeur souligne à juste titre la formulation inapproprié des avis rendus par le médecin du travail, dès lors que les articles L. 4624-3 et L. 4624-4 du code du travail imposent, dans l'hypothèse où aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible, la délivrance d'un avis d'inaptitude.

Au cas présent, l'ensemble des avis du médecin du travail mentionnent l'inaptitude au poste occupé par la salariée.

Ce faisant, la cour retient, ainsi que l'a très justement remarqué le conseil des prud'hommes, que la société LCL fait partie d'un groupe comptant de nombreux établissements et filiales et occupant plusieurs milliers de salariés ; que pour autant, strictement aucune offre n'a été proposée à la salariée alors par ailleurs que sa recherche s'est effectuée en deux temps, sur plusieurs mois.

La cour ajoute que l'employeur ne peut sérieusement soutenir avoir procédé à une recherche loyale et sérieuse alors que, dès l'avis complémentaire du 22 mai 2017, le médecin du travail avait expressément spécifié un reclassement de la salariée sur 'un poste administratif sans sollicitation téléphonique répétitive', soit une acception suffisamment large pouvant recouvrir un choix de postes très élargis.

Or, s'il souligne le caractère très évasif des avis d'inaptitude, et reproche au médecin du travail de n'avoir pas répondu à ses interrogations, force est de constater qu'à l'inverse, l'employeur ne justifie d'aucune concertation avec le médecin du travail sur les postes disponibles, ni d'aucune demande relative aux éventuelles compatibilités avec les restrictions médicales de la salariée.

S'agissant des démarches qu'il justifie avoir accomplies, la cour fait le constat que non seulement la société LCL ne produit aucun organigramme du groupe auquel elle appartient, pas plus qu'elle ne produit les extraits de son registre du personnel pour la période considérée et, partant, ne met pas la cour en mesure d'apprécier le périmètre de ses recherches alors que la salariée n'a cessé de rappeler sa mobilité géographique.

La société LCL justifie seulement de la copie du mail adressé le 20 juin 2017 à une vingtaine de correspondants sur différents secteurs géographiques, dont les fonctions exactes sont ignorées et sans qu'il soit justifié que ces demandes couvrent l'ensemble des sociétés auprès desquelles la recherche de reclassement devait être étendue.

Par ailleurs, l'ensemble des destinataires ont répondu négativement par des réponses laconiques.

Les mails circulaires se contentent d'indiquer : 'notre collaboratrice a été déclarée en date du 31/05/2017 par la médecine du travail 'inapte à un poste commercial en agence - reclassement sur un poste administratif sans sollicitation téléphonique répétitive (...), dans le cadre de nos obligations légales, nous recherchons des postes conformes aux prescriptions de la médecine du travail'. Y était jointe une fiche dite 'fiche expresse' comportant la désignation de son poste actuel, de son expérience au sein du groupe, et des formations suivies au sein du groupe, mais sans aucune précision des expériences professionnelles hors groupe, ni ses diplômes, et d'ailleurs, la salariée n'a pas été associée à cette recherche, pas plus qu'il ne lui a été proposé de fournir un CV détaillé et actualisé, ce qui donne encore moins de crédit à l'individualisation de la recherche de poste.

Mme [W] produit également des captures d'écran du site MyJobs faisant apparaître la vacance de 11 postes administratifs au sein d'entités du groupe Crédit Agricole qui ne lui ont jamais été proposés. L'employeur répond, sans pour autant produire les fiches de postes correspondantes, que certains de ces postes ne correspondaient pas à la qualification de la salariée et que d'autres étaient incompatibles avec les préconisations du médecin du travail, sans pour autant qu'il justifie l'avoir sollicité à cet égard, et alors même qu'il soutient avoir été dans l'incompréhension de la qualification 'poste administratif'.

La cour rappelle enfin que Mme [W] bénéficiait du statut de travailleur handicapé depuis le 1er septembre 2012, renouvelé le 1er septembre 2017. La salariée produit l'accord du groupe 2017-2019 relatif à l'emploi des personnes en situation de handicap. Cet accord prévoit la mise en place au sein de chaque entité du groupe d'un 'responsable intégration handicap' en charge d'agir auprès de l'ensemble des salariés en situation de handicap, dans leur intérêt, et de les accompagner 'dans leur intégration et leur développement'. Or, la société LCL ne démontre pas avoir fait application de cet accord Handicap dans le cadre de ses recherches, la seule formation qui a été permise à Mme [W] dans ce cadre, ayant eu lieu après le licenciement.

Il ressort de ces éléments que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'avoir rempli son obligation de reclassement avec loyauté et sérieux.

En conséquence du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement est confirmé de ce chef.

SUR LES CONSÉQUENCES FINANCIÈRES

- Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige, en considération de la taille de l'entreprise, de son ancienneté de 8 ans qui fixe le montant de l'indemnité entre 3 et 8 mois de salaire, de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (32 ans), et des circonstances de la rupture, il y a lieu de confirmer la décision entreprise qui lui allouer une somme de 17 230,56 euros.

- Sur l'indemnité de préavis

Dans la mesure où le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, Mme [W] peut prétendre au versement de l'indemnité compensatrice de préavis.

Aux termes de l'article L. 1234-1 du code du travail, le salarié qui justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus de plus de deux ans a droit à un préavis de deux mois.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée la somme de 4 308 euros à ce titre.

- Sur le remboursement des indemnités chômage

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Les conditions d'application de l'article L. 1235-4 du code du travail étant réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur fautif est de droit. Ce remboursement sera donc ordonné tel qu'il est dit au présent dispositif.

SUR LES AUTRES DEMANDES INDEMNITAIRES

- Sur la discrimination en raison de l'état de santé et du handicap

L'article L. 1132-1 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'adaptation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, notamment en raison de son ['] état de santé ou de son handicap.

L'article L. 1134-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Selon l'article L. 5213-6 du code du travail, afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification de l'exercer ou de progresser ou pour une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.

Ces mesures sont prises, sous réserve que les charges consécutives à la mise en oeuvre, ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur.

Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3.

Au cas présent, la salariée estime présenter des éléments de fait qui, dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé et de son handicap, sans que la société ne justifie son licenciement par des raisons objectives étrangères à son état de santé.

Mme [W] soutient avoir subi un licenciement discriminatoire du fait de son état de santé, relevant que l'employeur ne lui a proposé aucun poste de reclassement malgré l'importance du groupe auquel il appartient.

La cour observe liminairement que la salariée ne sollicite pas, pour autant, la nullité du licenciement mais réclame la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué de ce chef, une indemnisation à hauteur de 5 000 euros.

En tout état de cause, les éléments de fait présentés par la salariée sont de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination en raison de sa situation de handicap.

En réponse, la société LCL répond qu'elle a toujours agi de manière active dans la recherche du reclassement de la salariée, non seulement en relançant régulièrement le médecin du travail pour obtenir des précisions sur son inaptitude, mais également en tenant Mme [W] régulièrement informée de l'avancement de sa recherche, et en maintenant sa rémunération pendant son absence d'activité. Elle ajoute encore avoir poursuivi son accompagnement par le biais du financement d'une formation dont Mme [W] a bénéficié après la rupture du contrat de travail, qui lui a permis ensuite de se reconvertir et d'occuper un poste de secrétaire administrative et commerciale.

Ce faisant, la société, pourtant informée de son statut, n'établit pas avoir respecté son obligation légale de garantir l'effectivité de l'aménagement du poste de la salariée, en tenant compte de son statut de travailleur handicapé en violation de son obligation légale prévue à l'article L. 5213-6 du code du travail et ne justifie donc pas que sa décision de dispenser d'activité la salariée reposait sur des motifs objectifs étrangers à toute discrimination en raison de son état de travailleur handicapé.

Au surplus, la cour observe que la salariée a, au cours de toute cette période depuis l'avis de reprise de mai 2017 jusqu'à son licenciement près d'un an plus tard, été maintenue dans une incertitude et un flou total quant à sa reprise. Les nombreux mails qu'elle produit par lesquels elle relance régulièrement son employeur sur sa date de reprise (parfois la veille pour une reprise prévue le lendemain), ses conditions d'affectation et l'avancée des recherches de reclassement, tout en rappelant sa volonté de travailler, en insistant sur sa mobilité géographique et sa disponibilité pour une formation, établissent le peu de considération portée par l'employeur à sa situation.

Il en résulte ainsi que, malgré la situation de travailleur handicapé de Mme [W], connue de l'employeur, ce dernier n'a entrepris aucune démarche pour tenter de la reclasser, ce qui, au vu des éléments précédemment exposés, doit s'analyser en un refus discriminatoire de prendre les mesures appropriées pour lui permettre de conserver son emploi.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

2- sur le harcèlement moral

Au titre du harcèlement moral qu'elle dit avoir subi, la salariée évoque les pressions de la part de sa responsable d'agence.

Elle produit à cet effet, une déclaration de main courante datée du 21 juin 2016 au travers de laquelle elle relate 'des réflexions répétitives', pour la contraindre à reprendre à temps plein durant son mi-temps thérapeutique.

Cette seule pièce fondée sur les déclarations de la salariée qui n'est pas étayée par d'autres éléments est insuffisante à laisse supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu des faits de harcèlement moral distincts de la discrimination du fait de l'état de santé.

3- sur l'indemnisation au titre de la perte de l'avantage du taux du prêt

Mme [W] sollicite l'indemnisation de son préjudice résultant de l'application d'un taux d'intérêt modifié de 3.285% au prêt immobilier consenti par son employeur à un taux avantageux de 1.16% réservé à ses salariés.

La société LCL soulève l'irrecevabilité de cette demande en ce qu'elle ne relève pas de la compétence matérielle du conseil des prud'hommes. Sur le fond, elle souligne que le contrat énonce la possibilité de modifier les conditions en cas de rupture du contrat et, qu'au demeurant, il a été convenu entre les parties, en janvier 2019, la fixation d'un taux inchangé de 1,66 %.

Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour régler les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail, entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu'ils emploient.

La cour relève que la demande ici formée par Mme [W] ne porte pas sur le remboursement du prêt consenti par l'employeur, ni sur la stipulation contractuelle du taux d'intérêt, mais sur une demande d'indemnisation résultant de la modification des conditions contractuelles du prêt ensuite d'un licenciement déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse, de sorte que la compétence prud'homale doit être retenue.

S'agissant du taux, et s'il est exact que le contrat de prêt énonce la possibilité pour le prêteur de modifier le taux d'intérêt en cas de cessation du contrat de travail, il résulte des pièces versées aux débats que les offres de prêt immobilier ont été consenties pour un taux nominal de 2.3% et que le taux appliqué est de 1.66 % (pièce employeur 43).

Mme [W] ne rapporte donc pas la preuve de conditions défavorables appliquées au contrat de prêt, ni d'un préjudice financier qui résulteraient de son licenciement. Le jugement sera infirmé de ce chef.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Il découle de l'article 561 du code de procédure civile que l'obligation de restitution des sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de l'infirmation du jugement assorti de l'exécution provisoire. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur cette demande.

Le jugement déféré n'est pas remis en cause en ses dispositions relatives aux intérêts légaux.

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'il sera dit au dispositif de la présente décision.

La société LCL qui succombe principalement en son recours, sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a retenu l'existence d'un harcèlement moral et alloué la somme de 5 000 euros de ce chef, et en ce qu'il a indemnisé Mme [W] du préjudice subi du fait d'une modification des conditions de prêt,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette la demande de Mme [W] de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Rejette la demande de Mme [W] de dommages et intérêts pour modification des conditions de prêt,

Dit n'y avoir lieu d'ordonner la restitution des sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire,

Condamne la société LCL à verser à Mme [W] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société LCL aux dépens d'appel.

La greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 21/07476
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;21.07476 ?
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