Arrêt no 12/00250
30 Avril 2012---------------RG No 10/00569------------------Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ21 Janvier 201008/37 I------------------RÉPUBLIQUE FRANÇAISEAU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU
trente avril deux mille douze
APPELANTE :
SAS SANICHAUF, prise en la personne de son représentant légalRue Edouard Branly57400 SARREBOURG
Représentée par Me RICHERT (avocat au barreau de SAVERNE)
INTIME :
Monsieur Cédric X......57830 KERPRICH AUX BOIS
Représenté par Me MARTIN (avocat au barreau de METZ), substitué par Me MARCHEGAY (avocat au barreau de METZ)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
PRÉSIDENT : Madame Monique DORY, Président de Chambre
ASSESSEURS : Madame Marie-José BOU, ConseillerMadame Gisèle METTEN, Conseiller
***GREFFIER (lors des débats) : Madame Céline DESPHELIPPON, Greffier***
DÉBATS :
A l'audience publique du 05 mars 2012, tenue par Madame Marie-José BOU, Conseiller, et magistrat chargé d'instruire l'affaire, lequel a entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées, et en a rendu compte à la cour dans son délibéré pour l'arrêt être prononcé publiquement le 30 avril 2012.
EXPOSE DU LITIGE
La S.A.S. Sanichauf exploite un fonds de commerce de chauffage, sanitaire, climatisation et air conditionné.Par contrat prenant effet le 11 août 2003, elle recrute Cédric X... en qualité d'apprenti, dans le cadre de sa préparation du CAP d'installateur thermique.Ce contrat d'apprentissage est suivi d'un contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein, daté du 24 juin 2005, prenant effet le 11 août 2005, par lequel la S.A.S. Sanichauf embauche Cédric X... en qualité d'aide installateur chauffage, pour une durée mensuelle de travail de 164,67 heures, dont 13 heures supplémentaires à 25 %, le salaire étant fixé au SMIC horaire, auquel s'ajoute une prime de panier journalière de 7,68 €, une indemnité de trajet selon la zone et une prime de présence mensuelle brute de 45,73 €.
Par courrier recommandé daté du 17 mars 2008, la S.A.S. Sanichauf convoque Cédric X... à un entretien préalable au cours duquel son licenciement sera envisagé et, compte tenu de la gravité des faits qui lui sont reprochés, lui confirme sa mise à pied conservatoire sans solde notifiée oralement à la même date.L'entretien a lieu le 26 mars 2008.Par courrier recommandé daté du 2 avril 2008, la S.A.S. Sanichauf notifie à Cédric X... son licenciement immédiat pour faute grave.
Contestant les faits qui lui sont reprochés, Cédric X... saisit le conseil de prud'hommes de Sarrebourg par acte enregistré au greffe le 6 juin 2008.Il lui demande de :- dire et juger son licenciement abusif,- condamner la S.A.S. Sanichauf à lui payer les sommes de :- 18 180 € à titre de dommages-intérêts,- 246,48 € au titre de l'outillage,- 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour prélèvement abusif sur son salaire,- 906,13 € au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée,- 3 030 € au titre du préavis,- 1 515 € à titre d'indemnité de licenciement,- 393,61 € à titre de congés payés sur le préavis et le salaire durant la mise à pied conservatoire,- 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner la S.A.S. Sanichauf aux entiers dépens.
Par jugement daté du 21 janvier 2010, le conseil de prud'hommes de Metz, reprenant le litige après la suppression de conseil de prud'hommes de Sarrebourg, a :- dit le licenciement de Cédric X... sans cause réelle et sérieuse,- condamné la S.A.S. Sanichauf à payer à Cédric X... les sommes suivantes :- 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,- 246,48 € au titre de l'outillage,- 906,13 € au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée,- 3 030 € au titre du préavis,- 1 515 € à titre d'indemnité de licenciement,- 393,61 € à titre de congés payés sur le préavis et le salaire durant la mise à pied conservatoire,- 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- débouté la S.A.S. Sanichauf de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- condamné la S.A.S. Sanichauf aux entiers frais et dépens.
Ce jugement est notifié à la S.A.S. Sanichauf le 25 janvier 2010.Par courrier recommandé posté le 3 février 2010, adressé à la cour d'appel de Metz, la S.A.S. Sanichauf fait régulièrement appel de ce jugement.
Par conclusions reçues au greffe le 23 septembre 2011, soutenues oralement à l'audience, la S.A.S. Sanichauf demande à la cour de :- débouter le demandeur de ses prétentions sous la réserve suivante :- lui donner acte de ce qu'elle ne remet pas en cause l'octroi de la somme de 246,48 € au titre de l'outillage,- condamner Cédric X... à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner Cédric X... aux dépens.
Par conclusions reçues au greffe le 27 octobre 2011, soutenues oralement à l'audience, Cédric X... forme appel incident et demande à la cour de :
- infirmer partiellement le jugement entrepris,- dire et juger abusif le licenciement dont il a fait l'objet,- condamner la S.A.S. Sanichauf à lui payer les sommes de :- 18 180 € à titre de dommages-intérêts,- 246,48 € au titre de l'outillage,- 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour prélèvement abusif sur son salaire,- 906,13 € au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée,- 3 030 € au titre du préavis,- 1 515 € à titre d'indemnité de licenciement,- 393,61 € à titre de congés payés sur le préavis et le salaire durant la mise à pied conservatoire,- 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner la S.A.S. Sanichauf aux entiers dépens.
Sur quoi, la cour,
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Metz daté du 21 janvier 2010,Vu les conclusions précitées des parties auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens qu'elles invoquent,
Sur le licenciement de Cédric X....
Vu l'article L 1234-1 du code du travail,La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis (Cass soc. 26 février 1991, no 88-44.908).
La lettre de licenciement fixe les limites du litige. Il appartient à l'employeur de prouver la réalité des griefs qu'il invoque pour justifier sa décision de licenciement.
En l'espèce, la lettre de licenciement de Cédric X... énonce ainsi qu'il suit les griefs allégués par la S.A.S. Sanichauf :« Non-respect des règles d'application pour l'exécution de vos tâches et sabotage volontaire de travail :
- pour l'exécution des prestations :
Vous étiez affecté en équipe de 8 collaborateurs dirigés par un chef de chantier, sur le site industriel Kuhn à Saverne, votre instruction étant la mise en œuvre de tuyauteries Acier Noir pour distribution hydraulique et gaz destinée aux raccordements du groupe de production de froid, du raccordement de la bâche de stockage eau glacée en local technique et du raccordement gaz de la chaîne de peinture process en attente sur le réseau à 4 ml. Nous avons relevé le non-respect des délais d'exécution. Pour le raccordement partie groupe représentant 3 jours ouvrables de prestation vous en avez passé 15, soit 5 fois plus de temps.Pour le raccordement de la bâche de stockage représentant 4 jours ouvrables de prestation, vous avez passé 17 jours soit 4 fois plus de temps.Pour le raccordement gaz de la chaîne de peinture représentant 3 jours ouvrables de prestation, vous avez passé 15 jours, et toujours pas terminé. Nous avons dû vous arrêter pour prestation complètement sabotée et totalement irrespectueuse des règles et normes de sécurité qu'exigent les obligations en la matière dont vous avez parfaitement connaissance puisque vous êtes qualifié « opérateur gaz » et détenez une licence d'exécution.
Non-respect qualités et soins de prestations :- aucun respect des consignes de mise en œuvre,- mise en œuvre des supportages de travers,- tuyauteries – pose en faux aplomb par endroit supérieur de 5cm/ml,- exécution de soudure non-conforme, 99% de fuite sur soudure sur les réseaux eau (obligation de refaire l'intégralité),- exécution de soudure totalement non-conforme aux règles gaz, 99 % de fuites et assemblages poreux (l'ensemble du réseau a dû être refait),- raccord filetage non étanche lié à la mauvaise exécution du jointage Téflon sur - le réseau gaz (contraint à refaire en totalité),- non mise en œuvre des joints d'étanchéité sur les brides d'assemblages réseaux eau (contraint à refaire).
Pour votre comportement insubordonné :- vous ne respectez plus les horaires de travail sur le chantier,- vous ne respectez plus les consignes de votre hiérarchie,- vous n'accomplissez pas les tâches qui vous sont confiées,- vous ne vous donnez même plus la peine d'emmener vos outils sur le chantier, vous les laissez dans votre casier au dépôt de l'entreprise,- votre comportement négligent, en laissant traîner les matières dispersées un peu partout sur le chantier.
Pour votre comportement d'inconduite :- refus de dialoguer avec votre hiérarchie,- désintéressement total de votre travail,- perte de confiance incompatibilité d'humeur liée au désintérêt total de votre personne dont l'exécution des tâches ressemble à un sabotage volontaire de tout travail entrepris.
Vous persistez dans ce comportement malgré les rappels à l'ordre du chef de chantier sur le site, du chargé d'affaire de l'opération et de moi-même à deux reprises, sans résultat.Vous êtes complètement démotivé, n'exécutant plus les tâches attendues, vous montrez un laxisme et menfoutisme total tel que votre maintien en poste n'est plus possible.
Vous avez déjà fait l'objet de deux rappels à l'ordre pour les faits similaires à 2 reprises sur le chantier de la salle polyvalente de Lampertheim ainsi que le chantier de la prison d'Oermingen. Malgré cela, vous persistez et aggravez votre comportement.»
Il sera en premier relevé que la S.A.S. Sanichauf ne produit aucun document venant établir la réalité des rappels à l'ordre qu'elle invoque.
Pour établir ces griefs, la S.A.S. Sanichauf produit une attestation, rédigée par le chef d'équipe, Didier Z..., sous l'autorité duquel Cédric X... travaillait, qui déclare que ce dernier faisait preuve d'une totale démotivation, que son travail était mal fait (pose des tubes en faux-aplomb, fixation posées en travers, soudures « dégueulasses » présentant d'innombrables fuites) ; que Cédric X... ne respectait pas les règles, qu'il a mis trois semaines à réaliser une prestation qui était prévue sur trois jours.Le témoin précise que Cédric X... a dû effectuer le raccordement gaz de la chaîne peinture en posant 7 mètre de conduite, deux vannes et un régulateur, mais que là aussi, les soudures n'étaient pas étanches, qu'elles n'étaient pas exécutées dans les règles de l'art, alors que Cédric X... est titulaire du certificat de capacité spécifique pour travailler sur des conduites de gaz ; que lui ayant demandé de réparer, il s'est contenté de colmater les fuites, ce qui est interdit dans les procédures de mise en œuvre de réseaux gaz.Sur le comportement général de Cédric X..., le témoin indique qu'il passait ses journées à téléphoner, qu'il n'emportait pas les outils qui lui avaient été confiés, mais les laissaient au dépôt, ce qui lui permettait de quitter son poste pour emprunter des outils chez ses collègues ; qu'à midi, il partait à l'autre bout du chantier et ne revenait que lorsqu'il le souhaitait, sans respecter les horaires ; qu'il ne suivait pas les consignes, qu'il ne commandait pas le matériel pour le lendemain, ce qui générait des retards supplémentaires.
Cédric X... s'explique sur certains de ces griefs dans un courrier qu'il a adressé à la S.A.S. Sanichauf suite à la notification de son licenciement et des griefs retenus contre lui.
Ainsi, s'agissant de la lenteur avec laquelle il effectuait les tâches qui lui étaient confiées, il explique qu'il devait s'occuper d'un apprenti, alors qu'il aurait dû être aidé par un ouvrier ayant une certaine expérience ; ce faisant, il reconnaît cette lenteur, ce qui n'est pas contesté par la S.A.S. Sanichauf. En outre, les écarts invoqués par la S.A.S. Sanichauf, entre les prévisions du chantier et le temps réellement mis par Cédric X... pour exécuter les prestations qui lui étaient demandées sont anormalement longs (4 à 5 fois) et ne peuvent être entièrement imputables à Cédric X..., puisque de tels dépassements auraient dûs être rapidement constatés par le chef de chantier, auquel il appartenait de prendre toute mesure utile à leur rattrapage, au besoin en affectant du personnel supplémentaire aux tâches retardées. Or, ce chef de chantier, qui dans son attestation fait état de ces retards importants, est resté totalement passif, et n'a pas pris les dispositions nécessaires, ce qui a nécessairement contribué à l'ampleur des retards.
S'agissant du temps que Cédric X... passait à téléphoner, par lequel l'employeur donne un exemple du manque de sérieux de Cédric X... dans son travail, celui ci produit les factures détaillées de ses communications téléphonique, lesquelles démontrent qu'il a effectivement passé quelques appels téléphoniques pendant les heures de travail, mais sans abus de sa part;
S'agissant des horaires d'arrivée sur le chantier, Cédric X... explique qu'il y était emmené par un salarié de la S.A.S. Sanichauf, ainsi que d'autres collègues travaillant sur le chantier, en sorte qu'il ne maîtrisait aucunement l'heure d'arrivée sur le site, ce que ne contredit pas l'appelante.
S'agissant de la mauvaise exécution de son travail, Cédric X... soutient que ce n'est pas lui qui avait posé les supports de travers et que les fuites ont été réparées. Il appartient à la S.A.S. Sanichauf de prouver le grief allégué, or la S.A.S. Sanichauf ne donne aucun élément permettant de considérer que le pose des supports a été réalisée par Cédric X....
Sur son comportement général, Cédric X... soutient que le chef de chantier leur disait de faire comme ils voulaient, qu'il ne passait pas les commandes car il était de mauvaise humeur, qu'il se désintéressait totalement de leur travail, que les règles de sécurité n'étaient pas respectées lorsque les ouvriers montaient dans les nacelles. Or, c'est ce même chef de chantier qui rédige une attestation reprenant les griefs de la S.A.S. Sanichauf.
La S.A.S. Sanichauf est ainsi défaillante dans l'administration de la preuve des reproches qu'elle formule à l'encontre de Cédric X..., alors qu'elle était en mesure de produire des éléments objectifs, établis par exemple par le maître d'oeuvre ou le maître de l'ouvrage, dont elle soutient qu'ils avaient relevé tous les désordres affectant les travaux confiés à Cédric X...,
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement de Cédric X... est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les montants.
Les premiers juges ont considéré que le licenciement de Cédric X... ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse et lui ont alloué la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts, ce en quoi ils seront confirmés.Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a alloué à Cédric X... les sommes de :- 906,13 € au titre du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire,- 3 030,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,- 1 515,00 € au titre de l'indemnité de licenciement,- 393,61 € au titre des congés payés sur préavis et sur le rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire.
S'agissant de la somme de 246,48 € correspondant à l'outillage, la S.A.S. Sanichauf indique qu'elle renonce à critiquer ce chef de demande.
Le jugement déféré sera enfin confirmé en ce qu'il a débouté Cédric X... de sa demande de dommages-intérêts pour prélèvement abusif de cette somme sur son salaire, le préjudice résultant de ce prélèvement non fondé étant réparé par les intérêts alloués.
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La S.A.S. Sanichauf succombant en son appel, sera condamnée à payer à Cédric X... la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la S.A.S. Sanichauf à payer à Cédric X... la somme de 800 € sur ce fondement.
Sur les dépens.
Vu l'article 696 du code de procédure civile,La S.A.S. Sanichauf sera condamnée à supporter les dépens d'appel.Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la S.A.S. Sanichauf.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
- DECLARE recevables l'appel principal formé par la S.A.S. Sanichauf et l'appel incident formé par Cédric X...,
- CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Metz daté du 21 janvier 2010 en toutes ses dispositions,
Ajoutant,
- ORDONNE le remboursement par la SAS Sanichauf à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Cédric X..., dans la limite de deux mois,
- CONDAMNE la SAS Sanichauf à payer à Cedric X... la somme de 2 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- CONDAMNE la SAS Sanichauf aux dépens d'appel
Le présent arrêt a été prononcé publiquement le 30 avril 2012, par Madame DORY, Président de Chambre, assistée de Madame DESPHELIPPON, Greffier, et signé par elles.
Le Greffier, Le Président de Chambre,