Grosse + copie
délivrées le
à
3e chambre sociale
ARRÊT DU 21 Septembre 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/00776 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NAU7
ARRÊT n°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 JANVIER 2017 TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE HERAULT
N° RG
APPELANT :
Monsieur [P] [H]
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Représentant : Me Laurent TESOKA, avocat au barreau de BEZIERS
INTIMEE :
CPAM DE L'HERAULT
[Adresse 1]
CS49001
[Localité 2]
Mr [L] [D] (Représentant de la CPAM) en vertu d'un pouvoir du 27/04/22
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 JUIN 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet
Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sylvie DAHURON
ARRÊT :
- Contradictoire;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, greffier.
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FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Le 29 octobre 2013 la Caisse d'assurance maladie de l'Hérault (ci-après la Caisse) notifie à " M. [P] [H] Taxi Del Sol " (ci-après le transporteur) un indu de 12 963,64 € correspondant aux facturations litigieuses analysées et qui ont données lieu à remboursement (facturation à 575 reprises pour des transports réalisés avec un véhicule non conventionné) et le met en demeure de régler cette somme.
Le 9 janvier 2017 le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault, saisi le 5 mars 2015 et sur audience du 28 novembre 2016, " écarte la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre et condamne M. [P] [H] exerçant sous l'enseigne Taxi Del Sol à payer à la caisse la somme de 12 963,64 € ".
Le 9 février 2017 M. [P] [H] interjette appel et demande à la Cour de :
- juger, à titre principal, nul l'acte introductif d'instance et subséquemment le jugement du 9 janvier 2017 ;
- à titre subsidiaire juger que la caisse ne peut réclamer la somme de 12 963,64 €.
La Caisse demande à la Cour de :
- déclarer l'instance périmée ;
- confirmer le jugement.
Les débats se déroulent le 16 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la péremption
La caisse demande à la cour de constater la péremption d'instance en application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile en faisant valoir que l'appel intervient le 9 février 2017 et qu'aucun acte de nature à faire progresser l'instance n'est intervenu pendant plus de deux ans, avant que l'appelant ne lui notifie ses conclusions le 28 février 2022.
Concernant le contentieux de la sécurité sociale et de l'admission à l'aide sociale, le code de la sécurité sociale a comporté un article R. 142-22 qui en son dernier alinéa, depuis un décret du 18 mars 1986, limitait la péremption d'instance à l'hypothèse où les parties s'abstenaient d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui avaient été expressément mises à leur charge par la juridiction. Cette disposition avait été rendue applicable à la procédure d'appel par l'ancien article R. 142-30 du même code.
Cette limitation de la péremption d'instance que l'on retrouvait aussi en matière de contentieux prud'homal en vertu d'une autre exception textuelle ne tenait pas au seul caractère oral de la procédure dès lors qu'une jurisprudence constante faisait application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile au contentieux des baux ruraux en l'absence d'exception textuelle.
Le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 a abrogé au 1er janvier 2019 l'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, l'article 17 III du même décret précisant que ses dispositions relatives à la procédure étaient applicables aux instances en cours.
Concernant uniquement la première instance, le pouvoir réglementaire est rapidement revenu sur cette réforme par un décret n° 2019-1506 du 30 décembre 2019, applicable au 1er janvier 2020, qui introduit dans le code de la sécurité sociale un article R. 142-10-10, lequel limite à nouveau la péremption à l'abstention, durant deux ans, par les parties, d'accomplir les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. Conformément à son article 9-III, cette nouvelle réforme a été rendue applicable à compter du 1er janvier 2020, y compris aux péremptions non constatées à cette date.
En application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit à l'accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d'accomplir les charges procédurales leur incombant. L'effectivité de ce droit impose, en particulier, d'avoir égard à l'obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter. L'ensemble des dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel instaure un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d'accomplir les actes de la procédure d'appel.
L'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme doit être lue à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme laquelle rappelle en un arrêt du 30 mars 2021, OORZHAK c. RUSSIE, n° 001-208885, que le " droit à un tribunal ", dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation ; que toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; qu'enfin, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Ces principes ont conduit la Cour européenne des droits de l'homme à reprocher au gouvernement en cause de ne pas indiquer quel serait le but légitime poursuivi par la norme et de ne pas préciser par exemple s'il s'agit d'assurer une bonne administration de la justice, de désengorger la juridiction de cassation en simplifiant l'attribution des pourvois, ou encore de raccourcir la durée d'examen des dossiers. Retenant que les explications du gouvernement défendeur ne permettent pas de déceler un but légitime visé par la mesure contestée et que cette dernière avait porté atteinte au droit du requérant à accéder à un tribunal, compte tenu de l'absence de but légitime déclaré, la Cour européenne des droits de l'homme a dit qu'il n'y avait pas lieu d'examiner la proportionnalité de la mesure.
L'ancienne limitation de la péremption d'instance à l'hypothèse où les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction participait d'un formalisme allégé retenu en considération des spécificités du contentieux alors dévolu au tribunal des affaires de sécurité sociale.
Il convient donc de rechercher si, en excluant la limitation de la péremption d'instance applicable au contentieux de la sécurité sociale au seul stade de l'appel, le pouvoir réglementaire n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit à l'accès au juge au regard de la légitimité des buts qu'il poursuit.
Il sera tout d'abord relevé que le contentieux prud'homal a connu un semblable retour au droit commun de l'article 386 du code de procédure civile. Mais cette évolution n'éclaire pas le présent débat dès lors qu'elle s'est accompagnée à hauteur d'appel d'un passage en procédure écrite et d'une assistance obligatoire par avocat ou par défenseur syndical, toutes réformes guidées explicitement par le constat de la complexité de plus en plus grande du droit du travail et de la nécessité corrélative d'offrir au contentieux prud'homal un traitement de droit commun adapté, toutes considérations qui ont permis de retenir que le retour au droit commun de la péremption d'instance poursuivait en cette matière un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique et ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable.
Concernant cette fois spécifiquement le contentieux de la sécurité sociale, le pouvoir réglementaire peut légitimement chercher à accélérer le traitement des procédures d'appel. Il y va en effet d'une obtention plus rapide par les parties d'une décision définitive et de la réduction du stock des affaires que doivent gérer les cours d'appel, laquelle gestion spécifique du retard ampute d'autant les moyens disponibles pour instruire et juger ces mêmes affaires.
Mais l'accélération du traitement des procédures peut être obtenu par deux types de moyens, directs ou indirects. Les premiers accélèrent les procédures qu'ils concernent directement, il en va ainsi des délais de procédure qui enserrent l'accomplissement d'un acte dans une durée précise ou de la standardisation des actes qui permet de les traiter plus aisément et donc plus rapidement. Les seconds visent au contraire à soulager les juridictions de certaines affaires dans l'espoir qu'elles puissent traiter dès lors plus rapidement les affaires restantes. Il en va ainsi de toutes les formalités qui ne facilitent pas le traitement des affaires auxquelles elles s'appliquent. Même si les moyens directs sont susceptibles d'effets indirects, ils ne sauraient se confondre au regard de leur légitimité.
L'alourdissement du formalisme procédural, dans le seul but de priver d'accès au juge les parties qui ne parviendraient pas à le maîtriser, en espérant que celles qui s'en seront accommodé avec succès puissent voir leur affaire traitée plus rapidement, ne saurait constituer en soi un but parfaitement légitime. Dans ce cas, le contrôle de rapport raisonnable de proportionnalité à l'atteinte au droit à l'accès au juge doit être particulièrement strict.
En l'espèce, compte tenu de l'engorgement de certaines cours d'appel, le retour au droit commun de la péremption d'instance, sous l'apparence de la réforme d'un délai de procédure, constitue effectivement l'imposition aux parties d'une formalité de vigilance les forçant à interrompre un délai, même dans l'hypothèse où elles n'ont aucune prétention à un traitement particulier de leur contentieux, uniquement pour éviter de perdre leur droit d'accès au juge.
Ce retour au droit commun ne se justifie pas par la cohérence d'une réforme globale de la procédure, celle-ci restant orale et sans représentation obligatoire, et il n'a même plus vocation à s'appliquer à la procédure de première instance depuis le 1er janvier 2020. Dès lors, il n'apparaît pas cherché à accélérer directement le traitement des procédures, mais uniquement à décharger les juridictions des affaires dans lesquelles il n'aura pas été respecté. Sa faible légitimité, seulement indirecte, n'est pas raisonnablement proportionnée à l'atteinte qu'il porte au droit à l'accès au juge concernant un contentieux mettant en oeuvre une législation d'ordre public qui assure la sanction de fautes inexcusables ainsi que la réparation de préjudices importants, notamment par des majorations significatives de rentes.
En conséquence et même si aucune diligence de nature à faire progresser l'affaire n'intervient entre le 17 mai 2017 (conclusions d'appelant) et l'année 2022, il convient de retenir que la péremption d'instance, qui résulte de l'application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile au contentieux de la sécurité sociale seulement à hauteur d'appel, doit être écartée en l'espèce afin d'assurer l'effectivité du droit d'accès au juge.
2) sur le moyen pris de nullité de l'acte introductif de première instance et du jugement subséquent
Les moyens soutenus par l'appelant ne font que réitérer ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la Cour adopte,
3) Sur le fond
Pour la prise en charge des frais de transport assurés par M. [P] [H] pour le compte d'assurés sociaux, la caisse, organisme payeur, et le transporteur sont liés par une convention qui intervient sur la base de l'article L.322-5 du code de la sécurité sociale, convention dont le contenu est précisé par la décision du 8 septembre 2008 relative à l'établissement type à destination des entreprises de taxi et des organismes locaux d'assurance maladie.
Cette convention qui intervient le 31 janvier 2010 entre la Caisse d'assurance maladie de l'Hérault et M. [P] [H] prévoit la prise en charge et le remboursement à ce dernier des frais de transport à certaines conditions, notamment ceux assurés avec un véhicule déclaré, conventionné et bénéficiaire d'une autorisation de stationnement.
Le fait que M. [P] [H] ait réalisé des transports avec un véhicule antérieurement conventionné qui n'a plus bénéficié pour une période donnée du 2 juin au 29 septembre 2012 d'une autorisation de stationnement constitue une inexécution contractuelle (ainsi que le reconnaît la caisse dans ces écritures : cf page 6/7 de ses conclusions : " sans en informer la caisse comme l'article 4 de la convention lui faisait obligation '") ne peut donner lieu à responsabilité délictuelle, la caisse, face à l'argumentation expresse du transporteur selon laquelle elle ne peut agir sur cette base, maintenant son action uniquement sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil ('textes appliqués 1382 et 1383 du code civil (nouvelle codification 1240 et 1241 du code civil') .
Dès lors en l'absence de faute délictuelle, voire d'une négligence ou imprudence, distinctes d'une inexécution contractuelle, l'action de la caisse ne peut être que rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour ;
Dit n'y avoir lieu à péremption de l'instance ;
Confirme le jugement en ce qu'il " écarte la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre " ;
Pour le surplus infirme ;
Statuant à nouveau ;
Rejette la demande en paiement présentée par la caisse à l'encontre du transporteur sur le fondement exclusif des articles 1382 et 1383 du code civil ;
Y ajoutant ;
Laisse les dépens du présent recours à la charge de la caisse ;
LE GREFFIERLE PRESIDENT