RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2023 DU 17 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00178 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E5CF
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 17/00454, en date du 13 octobre 2021,
APPELANT :
Monsieur [J] [S]
né le 20 janvier 1973 à [Localité 5] (54)
domicilié [Adresse 3]
Représenté par Me Damien L'HOTE, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Madame [V] [G]
née le 1er mai 1975 à [Localité 4] (88)
domiciliée [Adresse 1]
Représentée par Me Constance POLLET, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, Présidente d'audience, chargée du rapport, et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Isabelle FOURNIER ;
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 4 janvier 2023
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 03 Avril 2023, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Puis, à cette date, le délibéré a été prorogé au 17 Avril 2023.
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 17 Avril 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur HENON, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [V] [G] a acquis le 16 février 2010 un bien immobilier sis [Adresse 2].
Madame [V] [G] et Monsieur [J] [S] ont vécu en concubinage entre 2010 et 2013 ou 2014. Le couple a vécu d'abord dans un immeuble appartenant à la famille [S], puis, après la réalisation de travaux, dans le bien de Madame [G].
Monsieur [S] a assigné Madame [G] le 15 février 2017 aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer une certaine somme sur le fondement de l'enrichissement sans cause en raison des travaux qu'il avait financés dans le bien de celle-ci.
Par jugement contradictoire du 13 octobre 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Madame [G] tirée de la prescription,
- débouté Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de Madame [G],
- condamné Monsieur [S] à payer à Madame [G] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Monsieur [S] aux entiers dépens,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que le délai de prescription n'avait pu commencer à courir qu'à compter de la date de séparation, dès lors que Monsieur [S] ne pouvait constater avant cette date l'enrichissement de sa concubine et son appauvrissement corrélatif et revendiquer son dédommagement ; que la séparation du couple étant intervenue en 2013 ou 2014 selon leurs écritures, elle remontait à moins de cinq ans au moment de l'assignation de Madame [G] en date du 15 février 2017 ; qu'en conséquence, l'action engagée par Monsieur [S] n'était pas prescrite.
Le tribunal a considéré, après avoir examiné les différentes factures de travaux produites aux débats par les parties, que Monsieur [S] démontrait que les frais qu'il avait engagés s'élevaient à un montant de 28009,13 euros, somme dont il s'était appauvri. Il a en revanche jugé que les éléments du dossier ne permettaient pas de démontrer que Madame [G] s'était enrichie au détriment de son concubin. Au demeurant, quand bien même son enrichissement serait démontré, il n'était pas établi que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par Monsieur [S] dans l'immeuble appartenant à Madame [G] excédaient, par leur ampleur, sa participation normale aux charges de la vie courante. Il a en conséquence débouté Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 24 janvier 2022, Monsieur [S] a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 21 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [S] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 13 octobre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Madame [G],
Et statuant à nouveau,
- condamner Madame [G] au paiement de la somme de 33488,76 euros au titre de son appauvrissement,
- débouter Madame [G] de toutes ses demandes reconventionnelles et éventuel appel incident,
- condamner Madame [G] au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Madame [G] aux dépens de première instance et d'appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 10 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [G] demande à la cour de :
À titre principal,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy en date du 13 octobre 2021 en ce qu'il a :
* débouté Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre,
* condamné Monsieur [S] à lui payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné Monsieur [S] aux entiers dépens,
* ordonné l'exécution provisoire,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy en date du 13 octobre 2021 en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Madame [G] tirée de la prescription,
Statuant à nouveau,
- constater que les demandes relatives aux factures Gedimat sont prescrites,
À titre subsidiaire, et si par extraordinaire la Cour infirmait le jugement contesté et déclarait recevable la demande de Monsieur [S] sur le fondement de l'enrichissement injustifié,
- constater que les demandes de Monsieur [S] sont parfaitement injustifiées,
- constater le comportement fautif de Monsieur [S],
- la condamner à verser à Monsieur [S] 1 euro symbolique,
En tout état de cause,
- débouter Monsieur [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Monsieur [S] à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en sus de la condamnation à hauteur de 800 euros en première instance,
- condamner Monsieur [S] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 10 janvier 2023.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 6 février 2023 et le délibéré au 3 avril 2023, prorogé au 17 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par Monsieur [S] le 21 novembre 2022 et par Madame [G] le 10 octobre 2022 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 10 janvier 2023 ;
* Sur la prescription
Selon l'article 2224 du code civil, 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
L'article 2236 du même code, qui énonce que la prescription est suspendue entre les époux et les partenaires, ne s'applique pas à la situation de concubins.
L'action fondée sur l'enrichissement sans cause introduite par Monsieur [S] est soumise à la prescription quinquennale prévue au premier texte cité.
L'action est en l'espèce fondée sur l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction en vigueur antérieurement au 1er octobre 2016 et nécessite que soit justifié par celui qui entend en bénéficier un appauvrissement de son patrimoine corrélatif à l'enrichissement du patrimoine de celui à l'encontre duquel il agit ; le principe de l'appauvrissement est constaté au jour de la dépense, même s'il est évalué, tout comme l'enrichissement, au jour du jugement.
En l'espèce, Monsieur [S] ne justifie d'aucun acte interruptif de prescription antérieur à la délivrance de l'assignation intervenue le 15 février 2017.
L'appelant invoque des dépenses faites entre le 1er décembre 2011 et 20 mai 2012 pour financer des travaux de rénovation d'un bien immobilier appartenant à Madame [G] seule, la nature des travaux ainsi réalisés n'étant pas complètement spécifiée.
Madame [G] soulève en conséquence la prescription pour les dépenses réalisées avant le 15 février 2012.
Il convient de relever que sont invoqués à l'appui de la demande :
- le règlement entre janvier et mars 2012 à l'entreprise Clement de plusieurs acomptes pour des travaux pour lesquels la facture définitive a été éditée le 18 avril 2012,
- le règlement d'une facture pour M.L. Batiment en date du 20 mai 2012,
- l'acquisition de matériaux de construction auprès de la société Gedimat entre le 1er et le 16 décembre 2016, mis en 'uvre pendant les travaux.
Si le principe de l'appauvrissement de Monsieur [S] était notoire à la date du règlement des factures de prestations et d'achats de matériaux, en revanche, le principe de l'enrichissement susceptible d'en résulter pour Madame [G] ne pouvait être connu avant la mise en 'uvre des matériaux et la fin de la réalisation des travaux, soit en mai 2012, de telle sorte que le moyen de la prescription doit être écarté.
Le jugement sera ainsi confirmé.
** Sur l'enrichissement sans cause
Selon l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction en vigueur antérieurement au 1er octobre 2016, celui qui s'enrichit sans cause au détriment d'autrui est redevable à celui-ci de la plus faible des deux sommes résultant de l'enrichissement et de l'appauvrissement.
Par application de l'article 1315 du code civil, devenu 1353, et de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient à celui qui se prétend créancier à ce titre de justifier de l'existence de son appauvrissement et de celle, corrélative, de l'enrichissement de celui à l'encontre duquel il agit.
L'appauvrissement invoqué ne doit pas avoir été effectué dans son intérêt personnel, ce dont la jurisprudence a admis que, dans le cas du concubinage, une personne ne peut obtenir la fixation d'une créance sur ce fondement en raison du financement de travaux de rénovation dans un immeuble appartenant à son ex-concubin, accomplis avec l'intention de s'y installer.
En l'espèce, Monsieur [S] et Madame [G] ont emménagé en 2012 dans un logement acquis par celle-ci le 16 février 2010, dans lequel avaient été préalablement réalisés des travaux d'aménagement.
Monsieur [S] indiquant avoir financé ceux-ci à hauteur de 28488,76 euros et précisant que son ex-compagne a réalisé une plus-value de 80000 euros lors de la vente de son bien en 2018, réclame sur le fondement d'un enrichissement sans cause le montant des frais qu'il a réglés au titre desdits travaux, outre 5000 euros pour l'industrie déployée pendant la réalisation des travaux qui l'a conduit à réduire son activité professionnelle et à ainsi amoindrir ses gains professionnels.
Il résulte de ce qui précède que Monsieur [S], ayant financé les travaux de rénovation litigieux dans le but de s'installer dans l'immeuble avec Madame [G], dans lequel il a effectivement vécu pendant environ 18 mois avant la séparation du couple, les dépenses dont il fait état ont été effectuées dans son intérêt personnel, de telle sorte qu'elles ne peuvent pas donner lieu à la fixation d'une créance sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
En outre, Monsieur [S], sur qui repose la charge de la preuve, justifie avoir exposé des dépenses relatives à des travaux réalisés sur cet immeuble à hauteur de 19188,76 euros (16646,42 euros à l'entreprise Clement - débits figurant sur le journal définitif de sa comptabilité 2012 page 21, 23 et 24 et également justifiés par les extraits de compte bancaire - et 2542,34 euros de matériaux chez Gedimat selon facture et extrait de compte justifiant d'un virement de ce montant au profit du fournisseur ; il y a lieu d'exclure le surplus des sommes facturées par Gedimat dont l'appelant ne démontra pas avoir procédé au règlement du prix, de même que la somme de 8000 euros figurant à la facture de M.L. Batiment, dont il ressort des mentions qu'elle avait été réglée en liquide au 20 mai 2012 sans qu'il ne justifie l'avoir réglée avec ses deniers, les documents comptables versés ne faisant état d'aucun retrait d'argent liquide permettant de couvrir le montant facturé).
Il convient de relever que les documents comptables qu'il verse, qui certes font état d'un chiffre d'affaire en augmentation entre 2012 et 2013, sont insuffisants à établir que le temps qu'il aurait consacré à participer aux travaux serait à l'origine d'une baisse de revenus de 5000 euros.
Outre son appauvrissement, il lui appartient de démontrer l'enrichissement corrélatif de l'intimée. Or il ne justifie pas de l'enrichissement qui en serait résulté au profit de son ex-compagne. En effet, le seul fait qu'elle a réalisé une plus-value de 80000 euros au moment de la vente ne justifie pas de la plus-value liée aux dépenses exposées par celui-ci, d'autant plus que Madame [G] justifie avoir réglé elle-même de nombreuses fournitures et réalisé personnellement d'importants travaux avec l'aide de proches dans les lieux.
Au regard de l'ensemble de ces motifs, il convient de confirmer le jugement qui a débouté Monsieur [S] de sa demande.
*** Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Monsieur [S] succombe en ses demandes en première instance et en appel. Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui l'a condamné aux dépens de première instance et de le condamner aux dépens d'appel.
Il y a lieu de le condamner à régler à Madame [G] une somme qu'il est équitable de fixer à 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de le débouter de sa propre demande.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 13 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions contestées,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [J] [S] aux dépens d'appel,
Condamne Monsieur [J] [S] à payer à Madame [V] [G] la somme de 2000 euros (DEUX MILLE EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le déboute de sa propre demande.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur HENON, Président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : G. HENON.-
Minute en six pages.