ARRÊT N° /2024
SS
DU 29 AOUT 2024
N° RG 23/01635 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FG2U
Pole social du TJ de NANCY
21/00197
30 juin 2023
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANT :
Monsieur [D] [X]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Romain BOUVET de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
S.A.S. [9] prise en son établissement situé [Adresse 3] à [Localité 6], représentée par son représentant légal pour ce domicilié audit siège
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Xavier PELISSIER substitué par Me Ariane QUARANTA de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocats au barreau de STRASBOURG
CPAM DE MEURTHE ET MOSELLE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Madame [E] [W], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : Mme BUCHSER-MARTIN
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame PAPEGAY (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 26 Juin 2024 tenue par Mme BUCHSER-MARTIN, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 29 Août 2024 ;
Le 29 Août 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [D] [X] a travaillé pour le compte de diverses sociétés, aux droits desquelles vient la SAS [9], en qualité d'ouvrier, de 1975 à 2016 sur le site de [Localité 6].
Le 14 février 2019, il a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle une déclaration de maladie professionnelle pour un cancer de la vessie, accompagnée d'un certificat médical du 27 décembre 2018 établi par le docteur [T] [B], médecin généraliste, mentionnant « une tumeur de vessie TVNIM ou bas grade traitée par chirurgie et chimiothérapie adjuvante par AMETYCINE en 2015 avec récidive au niveau du col vésical en 2016'tumeur primitive de l'épithélium urinaire».
Par décision du 18 décembre 2019, cette maladie a été prise en charge par la caisse au titre du tableau 15 ter des maladies professionnelles.
L'état de santé de monsieur [D] [X] a été déclaré consolidé le 25 juin 2019 et son taux d'incapacité permanente partielle a été fixé à 30 % pour une « tumeur primitive de l'épithélium urinaire de bas grade Ta, récidivante avec manifestations cliniques légères ».
Le 27 mars 2020, monsieur [D] [X] a sollicité de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle la mise en 'uvre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Un procès-verbal de carence a été établi le 10 juin 2020.
Le 15 juillet 2021, monsieur [D] [X] a saisi le tribunal judiciaire de Nancy d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Par jugement du 2 juin 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy a déclaré la décision de prise en charge de la maladie de monsieur [D] [X] inopposable à la SAS [9] en raison du non-respect de la procédure d'instruction.
Par jugement RG 21/197 du 30 juin 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy a :
- débouté monsieur [D] [X] de sa demande à l'encontre de la société [9]
- dit n'y avoir lieu à l'une quelconque des parties le bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné monsieur [D] [X] aux entiers frais et dépens,
Par acte du 24 juillet 2023, monsieur [D] [X] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.
A l'audience du 7 février 2024, l'affaire a été successivement renvoyée aux 27 mars 2024 et 26 juin 2024 à la demande des parties. Elle a été plaidée à cette dernière audience.
PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur [D] [X], représenté par son avocat, a repris ses conclusions récapitulatives reçues au greffe par voie électronique le 7 juin 2024 et a sollicité ce qui suit :
- déclarer recevable et bien fondé le recours de monsieur [D] [X],
- rejeter toutes les exceptions et fins de non-recevoir invoquées
- infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy le 30 juin 2023 en toutes ses dispositions
Et statuant à nouveau
A titre principal
- constater que l'ensemble des conditions reprises au tableau de maladie professionnelle numéro 15ter sont remplies et que monsieur [D] [X] bénéficie de la présomption d'imputabilité conformément aux dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale
En conséquence
- juger que la pathologie dont est atteint monsieur [D] [X] est une maladie professionnelle inscrite au tableau 15 ter
- juger que cette maladie professionnelle est due à une faute inexcusable de son ancien employeur, la société [9]
En conséquence
- fixer au maximum la majoration de la rente dont bénéficie monsieur [D] [X] aux termes des dispositions du code de la sécurité sociale
- juger qu'en cas d'aggravation de son état de santé, la majoration maximum de la rente suivra l'évolution du taux d'IPP de la victime
- juger qu'en cas de décès de monsieur [D] [X] imputable à sa maladie professionnelle, le principe de la majoration maximum de la rente restera acquis au conjoint survivant
- fixer la réparation des préjudices personnels de monsieur [D] [X] comme suit :
' Préjudice causé par les souffrances physiques ....................................... 25.000 euros
' Préjudice causé par les souffrances morales ........................................... 40.000 euros
' Préjudice d'agrément ................................................................................. 15.000 euros
' Préjudice sexuel ........................................................................................... 5.000 euros
' Déficit Fonctionnel Permanent ................................................................. 52.800 euros
- juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,
- condamner la société [9] au paiement d'une somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
A titre subsidiaire,
- recueillir l'avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles afin qu'il se prononce sur le lien entre la tumeur primitive de l'épithélium urinaire développée par monsieur [D] [X] et son exposition professionnelle aux amines aromatiques au sein de la société [9],
- ordonner le sursis à statuer sur la faute inexcusable de l'employeur dans l'attente de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
La SAS [9], représentée par son avocat, a repris ses conclusions reçues au greffe par voie électronique le 26 mars 2024 et a sollicité ce qui suit :
- juger irrecevable et à tout le moins mal fondé l'appel de monsieur [X]
- juger que les demandes de monsieur [D] [X] sont mal fondées
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement de débouté du 30 juin 2023
- juger que la maladie professionnelle n'est pas imputable au dernier employeur la société [9]
- juger que la maladie professionnelle dont est atteint monsieur [D] [X] n'est pas due à la faute inexcusable de la Société [9]
- mettre hors de cause la société [9]
- débouter monsieur [D] [X] de l'intégralité de ses fins et prétentions
- juger ce que ce que de droit sur la saisine d'un CRRMP, demande présentée à titre subsidiaire par monsieur [X]
A titre subsidiaire en cas de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'intimé,
- débouter monsieur [X] de ses demandes au titre de la réparation de ses préjudices personnels
- débouter monsieur [D] [X] de l'intégralité de ses fins et prétentions
- juger qu'en raison de l'inopposabilité de la maladie professionnelle à la société [9] la CPAM ne pourra récupérer auprès d'elle les indemnités et sommes versés par elle au salarié
- désigner un expert et ordonner les limites de l'expertise médicale aux seules fins d'évaluation des préjudices sollicités par Monsieur [D] [X] et fixer les limites de l'expertise conformément à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale,
- juger que la Société [9] ne fera pas l'avance des frais d'expertise
- condamner monsieur [D] [X] à verser une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC au profit de la Société [9] ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
La CPAM de Meurthe et Moselle, dument représentée, a repris ses conclusions reçues au greffe le 25 mars 2024 et a sollicité ce qui suit :
- dire si la maladie professionnelle dont est atteint monsieur [D] [X] est due ou non à une faute inexcusable commise par la société [9]
Le cas échéant,
- fixer les réparations correspondantes
- condamner la société [9] à rembourser à la CPAM de Meurthe-et-Moselle toutes les condamnations prononcées du fait de cette faute inexcusable
- condamner la société [9] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.
L'affaire a été mise en délibéré au 29 août 2024 par mise à disposition au greffe par application des dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la faute inexcusable
Il résulte des articles L452-1 du code de la sécurité sociale, L4121-1 et L4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Cass. civ. 2e 8 octobre 2020 n° 18-25021, cass. civ. 2e 8 octobre 2020 n° 18-26677).
Il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
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En l'espèce, monsieur [D] [X] fait valoir qu'il a été exposé aux amines aromatiques au sein de la SAS [9] et des sociétés aux droits desquelles elle vient, que la maladie dont il est atteint est celle du tableau 15 ter et que les conditions du tableau 15ter sont remplies. Il précise que la liste des travaux du tableau est indicative. Il ajoute qu'il devait assurer notamment le montage des moteurs, la préparation des machines, le nettoyage et le ponçage de peinture, puis s'est vu confier un poste de peintre et qu'à partir de 2001, il a été affecté à la préparation des mélanges et que les produits nettoyants et la peinture utilisés renfermaient des amines aromatiques, notamment de l'acéto toluidine. Il indique que pendant toute sa carrière il a été amené à utiliser des produits comme l'acétone, Baltane, Champain, peintures anti flash, peinture de finition, huile de lubrification, graisse de roulement, caf 4, Dobécane et silicone avec durcisseur, la plupart de ces produits étant aujourd'hui interdits à la vente. Il indique que le médecin du travail a certifié, le 16 mai 2001, qu'il a été exposé à l'utilisation d'un durcisseur avec accélérateur contenant des résines epoxydiques, du bisphenlo1, epichlorydrine, de l'alyl glycidyléther, du styrène, du toluène diisocyanate.
La SAS [9] fait valoir que monsieur [X] a occupé le poste de peintre finition durant un peu moins de 2,5 ans, du 1er janvier 1987 au 18 juin 1989. Elle ajoute que la maladie de monsieur [X] ne répond pas aux conditions du tableau 15ter et qu'il n'a pas été exposé aux risques de ce tableau puisqu'il était monteur pendant la quasi intégralité de son contrat de travail.
Elle fait également valoir que la maladie n'est pas imputable au dernier employeur lorsqu'il est établi que le salarié a été exposé au risque professionnel dans d'autres entreprises et que c'est à tort que monsieur [X] se réfère à une obligation de sécurité de résultat de l'employeur, qui n'existe plus. Elle ajoute que l'exposition au risque ne doit pas être simplement possible, mais elle doit être certaine et régulière.
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Il est établi, notamment par le certificat de travail délivré à monsieur [X] par la SAS [9] le 31 décembre 2016 qu'il a été employé dans l'entreprise du 01/12/1975 au 31/12/2016 avec une reprise d'ancienneté en date du 23/08/1973.
Par ailleurs, c'est à juste titre que la caisse a instruit la déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau 15ter puisque la maladie visée par ce tableau (« Tumeur primitive de l'épithélium urinaire (vessie, voies excrétrices supérieures) confirmée par examen histopathologique ou cytopathologique » ) est très précisément celle visée dans le certificat médical initial délivré à monsieur [X], et la confirmation par examen histopathologique ou cytopathologique est visée dans le rapport médical d'évaluation du taux d'IPP.
Enfin, monsieur [X] reconnaît qu'il n'effectuait pas les travaux de la liste du tableau 15ter mais c'est à juste titre qu'il relève que cette liste est indicative et non limitative.
Il lui appartient dès lors de démontrer qu'il était exposé, pendant au moins cinq ans au cours de sa carrière professionnelle, à des amines aromatiques et leurs sels, visés au tableau, à savoir : 4-aminobiphényle et sels (xénylamine) ; 4,4'-diaminobiphényle et sels (benzidine) ; 2-naphtylamine et sels ; 4,4'-méthylène bis (2-chloroaniline) et sels (MBOCA) ; 3,3'-diméthoxybenzidine et sels (o-dianisidine) ; 3,3'-diméthylbenzidine et sels (o-tolidine) ; 2-méthylaniline et sels (o-toluidine) ; 4-chloro-2-méthylaniline et sels (p-chloro-o-toluidine) ; auramine (qualité technique) ; colorants suivants dérivés de la benzidine : CI direct black 38, CI direct blue 6, CI direct brown 95.
Il résulte tant des attestations produites par monsieur [X] et de ses propres écrits rappelant sa carrière, que de l'extrait informatique de carrière et des justificatifs de visites médicales produits par la SAS [9] que monsieur [X] a occupé pendant toute sa carrière un poste de monteur, à l'exception de la période du 01/01/1987 au 18/06/1989 où il a occupé un poste de peintre.
Si la SAS [9] estime que monsieur [X] n'a pu être exposé au risque que lorsqu'il était peintre, ce dernier cite une liste de produits qu'il aurait utilisés pendant toute sa carrière professionnelle.
Cependant, il cite principalement des marques de produits dont la cour ignore la composition et il ne produit aucune fiche technique, de telle sorte qu'il n'apporte aucune preuve de l'exposition effective, certaine et régulière aux amines aromatiques visées au tableau 15ter alors qu'il était au service de l'employeur.
Dès lors, à défaut pour monsieur [D] [X] de démontrer son exposition au risque, aucune faute inexcusable ne peut être reprochée à société [9].
En conséquence, Monsieur [D] [X] sera débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et des demandes subséquentes et le jugement sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Monsieur [D] [X] succombant, il sera condamné aux dépens de la présente instance et sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ailleurs, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la SAS [9] l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a exposés de telle sorte qu'elle sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La la SAS [9] n'étant pas condamnée aux dépens, la caisse sera déboutée de sa demande à son encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné monsieur [D] [X] aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement RG 21/197 du 30 juin 2023 du pôle social du tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE monsieur [D] [X] aux entiers dépens d'appel.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre, et par Madame Céline PAPEGAY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en sept pages