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02/09/2024 | FRANCE | N°23/01189

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 02 septembre 2024, 23/01189


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2024 DU 02 SEPTEMBRE 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/01189 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FF2U



Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 20/02447, en date du 16 janvier 2023,



APPELANT :

Monsieur [C] [H]

né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 4] (54)
>domicilié [Adresse 2]

Bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro C-54395-2023-03506 du 19/06/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY

Repr...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2024 DU 02 SEPTEMBRE 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/01189 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FF2U

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 20/02447, en date du 16 janvier 2023,

APPELANT :

Monsieur [C] [H]

né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 4] (54)

domicilié [Adresse 2]

Bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro C-54395-2023-03506 du 19/06/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY

Représenté par Me Sandrine BOUDET, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

S.E.L.A.R.L. JEAN-[R]-SAOUDI, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Bertrand GASSE de la SCP GASSE CARNEL GASSE TAESCH, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, Président d'audience, et Madame Mélina BUQUANT, Conseillère, chargée du rapport,

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseillère,

selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 27 Mai 2024.

A l'issue des débats, le Président d'audience a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 02 Septembre 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 02 Septembre 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur WEISSMANN, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [C] [H], auteur-photographe pigiste, a confié la défense de ses intérêts à Maître [O] [R], exerçant la profession d'avocat au barreau de Metz au sein de la Selarl Jean-[R]-Saoudi,dans le cadre d'un litige prud'hommal l'opposant à l'EURL Presse Féminine de Proximité (ci-après « l'EURL PFP ») pour le compte de laquelle il a réalisé des prestations. Une procédure a été engagée devant le conseil de prud'hommes de Metz le 5 août 2011.

L'EURL PFP a porté plainte contre Monsieur [H] pour vol de documents qu'il a produits dans le cadre de cette instance, afin de démontrer l'existence d'un contrat de travail.

Cette plainte a fait l'objet d'un classement sans suite le 2 mars 2012.

Par jugement du 26 septembre 2013, le conseil de prud'hommes de Metz a rejeté les demandes de Monsieur [H], estimant que celui-ci ne pouvait se prévaloir des pièces litigieuses dans la mesure où elles avaient été établies dans le cadre d'un projet de transaction à laquelle celui-ci n'avait pas donné suite.

Cette décision a été confirmée le 1er février 2017 par la chambre sociale de la cour d'appel de Metz qui l'a en outre condamné au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive. Bien que connaissant l'issue de la procédure pénale, elle a estimé que l'utilisation des documents litigieux revêtait un caractère déloyal et qu'ils ne permettaient pas d'établir l'existence d'un contrat de travail. L'instance d'appel a fait l'objet d'une radiation le 16 février 2015 en raison de l'absence de conclusions de l'appelant et a été remise au rôle le 10 février 2016.

Monsieur [H] a formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté par arrêt en date du 6 novembre 2019.

Maître [R] a, pour le compte de Monsieur [H], déposé plainte le 20 février 2015 à l'encontre de l'EURL PFP du chef de dénonciation calomnieuse en raison de la plainte déposée pour vol à son encontre. Elle a été classée sans suite le 20 mars 2015.

Monsieur [H] a contesté ce classement devant Monsieur le Procureur général de la cour d'appel de Metz, ce qui a donné lieu à un complément d'enquête et à la convocation de l'EURL PFP devant le tribunal correctionnel de Metz.

Par jugement du 4 septembre 2019, le tribunal correctionnel a constaté l'extinction de l'action publique du fait de la prescription au motif que la plainte pour dénonciation calomnieuse a été déposée le 20 février 2015, alors que le dernier acte interruptif de prescription a été réalisé le 4 février 2012.

Par requête enregistrée le 14 février 2020, considérant que la responsabilité civile professionnelle de Maître [R] était engagée, Monsieur [H] a saisi le tribunal judiciaire de Nancy aux fins d'obtenir l'indemnisation de son préjudice, sollicitant la condamnation de la Selarl Jean-[R]-Saoudi à lui payer 4912 euros de dommages-intérêts.

Ayant finalement porté sa demande de condamnation à la somme de 140000 euros, la procédure a fait, par mention au dossier le 12 octobre 2020, l'objet d'un renvoi devant le pôle contentieux supérieur à 10000 euros du tribunal judiciaire de Nancy.

Par jugement contradictoire du 16 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Nancy a :

- débouté Monsieur [H] de la totalité de ses demandes dirigées contre la Selarl Jean-[R]-Saoudi ,

- condamné Monsieur [H] à payer à la Selarl Jean-[R]-Saoudi la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [H] aux dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.

Pour statuer ainsi, le tribunal a d'abord relevé que Maître [R] n'avait commis aucun manquement tant devant le conseil des prud'hommes que devant la cour d'appel au motif que chacune des procédures avait abouti à une décision dans un délai de traitement habituel en la matière pour la première instance ou raisonnable au regard de la nature et de la complexité du litige présenté à hauteur d'appel, malgré la radiation.

De la même manière, il a considéré que Maître [R] n'avait commis aucune faute sur le fond du dossier dès lors, d'une part, qu'il avait soumis les conclusions à Monsieur [H], qui les avait approuvées, avant de les notifier aux juridictions et, d'autre part, que l'absence de conseil sur une demande de production de pièce, sur une action en contrefaçon et sur une plainte pour escroquerie au jugement, n'avait eu aucune incidence sur le sort de l'action prud'hommale.

Le tribunal a ensuite reconnu que Maître [R] avait commis une faute en effectuant tardivement le dépôt de plainte, le 20 février 2015, alors que ce dépôt avait été convenu depuis mars 2012, que Monsieur [H] l'avait plusieurs fois relancé et que la prescription était acquise à la date de la démarche.

Toutefois, il a estimé que la faute commise par Maître [R] n'avait eu aucune conséquence préjudiciable pour Monsieur [H], et n'avait entraîné pour lui aucune perte de chance de gagner son litige prud'hommal. En effet, d'une part, la possibilité de condamnation sur le plan pénal de l'EURL PFP était nulle au regard du caractère intentionnel de l'infraction reprochée tenant à la connaissance de la fausseté du fait dénoncé, de son classement initial sans suite et enfin du fait que le classement de la plainte de l'EURL PFP n'était pas fondé sur la fausseté des faits matériels dénoncés mais sur l'absence, dans la personne de Monsieur [H], des éléments constitutifs de l'infraction. D'autre part, l'absence de condamnation de l'EURL PFP n'avait eu aucune incidence sur l'appréciation portée sur les pièces litigieuses par les juridictions sociales, qui les avaient examinées indépendamment de la qualification pénale attachée à tort par l'EURL PFP sur le mode d'obtention de ces pièces et qui avaient analysé l'ensemble des pièces pour déterminer que la preuve du lien de subordination n'était pas rapportée.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 5 juin 2023, Monsieur [H] a relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 5 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [H] demande à la cour, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, des articles 411 et 412 du code de procédure civile ainsi que des articles 1.3 et 1.5 du RIN, de :

- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,

Y faire droit,

- infirmer la décision en ce qu'elle l'a :

* débouté de la totalité de ses demandes dirigées contre la Selarl Jean-[R]-Saoudi,

* condamné à payer à la Selarl Jean-[R]-Saoudi la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné aux dépens,

Statuant à nouveau,

- condamner la Selarl Jean-[R]-Saoudi à payer la somme de 140000 euros toutes causes de préjudice confondues,

En tout état de cause,

- condamner la Selarl Jean-[R]-Saoudi aux entiers dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 4 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la Selarl Jean-[R]-Saoudi demande à la cour de :

- dire Monsieur [H] non-recevable et en tout cas mal fondé en ses demandes dirigées contre elle,

- dire et juger que la solution apportée par la cour d'appel de Metz au litige opposant Monsieur [H] et elle ne résulte en aucun cas d'une faute qu'aurait commise Maître [R],

- dire et juger en tout cas que la prescription de l'action en dénonciation calomnieuse n'est d'aucune manière la cause du rejet de l'action engagée par Monsieur [H] contre la société PFP,

- condamner Monsieur [H] à lui payer une somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 21 mai 2024.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 3 juin 2024 et le délibéré au 2 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par Monsieur [H] le 5 septembre 2023 et par la Selarl Jean-[R]-Saoudi le 4 octobre 2023 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 21 mai 2024 ;

Il ressort des articles 1134 et suivants et 1146 et suivants du code civil dans leur rédaction applicable que l'avocat, investi d'un devoir de diligence et de compétence, est tenu vis-à-vis de son client d'une obligation de moyens, il doit lui donner un conseil adapté à son cas, afin de lui permettre d'être accueilli dans ses prétentions ou d'éviter un événement défavorable ; il doit rédiger ses actes en soulevant les arguments de fait et de droit de nature à permettre à son client d'obtenir satisfaction ; il doit agir avec diligence et faire en sorte de respecter les délais procéduraux imposés par la législation.

En application des textes susvisés, l'avocat qui commet une faute dans l'accomplissement de sa mission doit répondre des conséquences dommageables.

Lorsque ses agissements fautifs sont à l'origine de l'impossibilité d'obtenir des suites favorables, le préjudice indemnisable consiste dans la perte de chance d'obtenir gain de cause, qui doit être appréciée au regard des chances de succès de l'action.

Schématiquement, Monsieur [H] reproche plusieurs fautes à son avocat :

* un défaut de diligence, dans la mesure où la procédure prud'hommale a été radiée durant un an à hauteur d'appel faute de conclusions de Maître [R],

* un second défaut de diligence, dans la mesure où Maître [R] a déposé tardivement la plainte pour dénonciation mensongère contre l'EURL PFP, après l'acquisition de la prescription qui a été constatée par le jugement du tribunal correctionnel le 4 septembre 2019,

*un défaut de conseil, caractérisé par l'absence de développement de certains moyens par Maître [R] lors de la procédure prud'hommale qui auraient permis d'améliorer ses chances de succès (absence de demande de production des documents rectifiés établis par l'EURL PFP ; absence de développement des manoeuvres d'escroquerie au jugement ; non utilisation du fondement constitué par la contrefaçon et le travail dissimulé),

* un défaut de conseil tenant à l'absence d'alerte sur les risques liés à l'instance d'appel, procédure pour laquelle il a été condamné à régler à l'EURL PFP des sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et une indemnité pour procédure abusive.

* Sur le défaut de diligence tenant au dépôt tardif de la plainte pour dénonciation mensongère

Il résulte des éléments de la procédure que Monsieur [H] a chargé son conseil de déposer une plainte en dénonciation calomnieuse contre son adversaire dans la procédure prud'hommale, l'EURL PFP, suite à la plainte pour vol que celle-ci avait déposée à son encontre, ayant fait l'objet d'un classement sans suite.

Cette plainte, effectivement déposée par Maître [R] dans les mains du Procureur de la République de Metz le 20 février 2015 alors que le dernier acte interruptif de prescription avait été réalisé le 4 février 2012, a donné lieu à un jugement constatant la prescription de l'action publique.

Or les suites pénales que Monsieur [H] souhaitait donner étaient annoncées de longue date dans les conclusions de l'instance prud'hommale rédigées par Maître [R], notamment celles en date du 14 mars 2013.

En déposant tardivement la plainte en dénonciation calomnieuse, alors que la prescription était acquise, Maître [R] a bien commis une faute.

Néanmoins, Monsieur [H] ne peut obtenir une indemnisation que s'il démontre que cette faute lui a causé un préjudice.

Il considère que les conséquences dommageables ont été pour lui de deux ordres :

- d'une part, il n'a pas eu la satisfaction morale de voir l'EURL PFP condamnée sur le plan pénal,

- d'autre part, le jugement de condamnation de cette société aurait eu une incidence sur la perception de la situation par les juridictions sociales et lui aurait permis de gagner son litige prud'hommal.

Il convient donc de reconstituer ce qui aurait dû être le sort de la plainte pénale, puis l'incidence d'un éventuel résultat positif sur le litige de droit social.

En l'espèce, il résulte des pièces que Monsieur [H], qui était en lien avec Maître [R] depuis décembre 2010 relativement au litige l'opposant à l'EURL PFP, a pris contact avec celle-ci avant l'engagement de l'instance et qu'elle a envisagé, dans un cadre transactionnel, la remise de documents et de compensation. Madame [Z], une salariée de cette société, lui a indiqué tenir à sa disposition un bulletin de salaire et une attestation pôle emploi, dont Monsieur [H] a sollicité la communication par mail, demande à laquelle il n'a pas été donné suite.

Il était joint à la requête ayant saisi la juridiction prud'hommale une attestation pôle emploi, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, un bulletin de salaire pour le mois de janvier 2011 et un protocole transactionnel - pièces qui n'ont pas été versées à la présente instance.

Le 21 septembre 2011, Madame [Z], mandatée par son employeur, a déposé plainte contre Monsieur [H] pour le vol de ces documents : exposant qu'il s'était présenté à l'improviste le 19 ou le 20 juillet 2011, elle expliquait lui avoir présenté, pour signature, un projet de transaction et des documents dont celui-ci s'était emparé et avec lesquels il était parti, sans jamais les retourner signés. Elle ajoutait que celui-ci, qui avait effectué des prestations dont le paiement lui avait été réglé suivant des factures, revendiquait un statut de journaliste, litige que la société comptait régler par le biais du projet de transaction.

Monsieur [H] a été entendu en qualité de témoin le 4 février 2012, indiquant s'être présenté en avril 2011 à Madame [Z], qui lui avait remis l'attestation pôle emploi lui revenant ainsi que des bulletins de salaire et un protocole d'accord qu'il avait refusé de signer. Il était reparti avec les documents et contestait les faits, estimant que la plainte avait été déposée dans une intention dilatoire, afin d'entraver le déroulement de la procédure prud'hommale.

La plainte a été classée sans suite le 2 mars 2012, l'infraction apparaissant insuffisamment caractérisée au parquet.

La plainte en dénonciation calomnieuse déposée le 15 mars 2015 pour le compte de Monsieur [H] imputait les faits dénoncés à l'EURL PFP et à son dirigeant, Monsieur [E]. Elle a dans un premier temps été classée sans suite le 20 mars 2015 par le parquet de Metz, les faits apparaissant insuffisamment caractérisés. Sur recours exercé par Monsieur [H] le 15 février 2016 devant le parquet général accompagné de diverses pièces, les diligences sur l'action publique ont repris et l'EURL PFP a fait l'objet d'une convocation devant le tribunal correctionnel délivrée par officier de police judiciaire le 29 mai 2018. Les éventuels actes d'investigation réalisés avant cette citation ne sont ni évoqués dans les conclusions, ni versés aux débats.

L'article 226-10 du code pénal définit la dénonciation calomnieuse comme celle 'effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée'.

Ce texte précise que 'La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée. En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci.'

La plainte contre Monsieur [H] ayant fait l'objet d'un classement sans suite, il convient d'apprécier la pertinence des accusations - c'est à dire l'élément matériel de l'infraction de dénonciation calomnieuse - ainsi que la réalité de l'élément intentionnel, étant précisé qu'en matière pénale le doute bénéficie au prévenu, au regard des pièces pertinentes produites, en particulier les éléments antérieurs à la plainte déposée par Madame [Z], cette plainte, l'audition de Monsieur [H] par les services de gendarmerie, sa plainte en dénonciation calomnieuse et son recours exercé auprès de Monsieur le Procureur général.

Il convient de relever que Monsieur [H] soutient qu'il était en possession des documents litigieux le 30 mai 2011, date figurant sur la requête ayant saisi le conseil des prud'hommes. Or il apparaît que le projet lui a été transmis postérieurement pour validation par son avocat, que la requête n'a été adressée au conseil de prud'hommes que le 11 août 2011 (selon mention au jugement) et que courant août, l'inspection du travail, saisie préalablement par Monsieur [H], a demandé à l'EURL PFP d'établir un contrat de travail et de lui remettre des bulletins de salaire. Il est ainsi établi que, contrairement à ce qu'il soutient, Monsieur [H] ne disposait pas des documents le 30 mai 2011.

Les documents litigieux ont été établis dans le cadre d'un projet de transaction auquel Monsieur [H] a refusé de donner suite. Les mails échangés avec Madame [Z] établissent que si la nature des documents était indiquée, en revanche, l'employeur refusait de les transmettre par mail. Madame [Z] fait valoir qu'elle les avait présentés pour signature à Monsieur [H] qui s'en est emparé sans son consentement, puis n'a pas donné suite au projet de transaction.

L'appréhension matérielle des documents par Monsieur [H] dans les conditions décrites excluent l'élément intentionnel de la dénonciation calomnieuse. En effet, l'EURL PFP était fondée à estimer que ces documents, non signés par Monsieur [H], lui avaient été soustraits frauduleusement quand bien même l'ambiguïté de la situation a amené le parquet à estimer que l'infraction de vol n'était pas caractérisée.

En conséquence, les poursuites pénales, quand bien même elles n'auraient pas été prescrites, étaient vouées à l'échec.

Dès lors, la perte de chance de voir condamner l'EURL PFP sur le plan pénal et le préjudice moral en découlant sont inexistants.

Par ailleurs, les conditions d'entrée en possession des documents litigieux et le classement sans suite de la plainte pour vol étaient connus et ont été rigoureusement analysés tant par le conseil des prud'hommes que par la cour d'appel, dont l'arrêt a été soumis à la Cour de cassation qui a constaté qu'il n'encourait pas l'annulation, tant sur l'absence de qualification de contrat de travail que sur la valeur probatoire du bulletin de paye, de l'attestation pôle emploi et du certificat de travail.

En effet, la cour d'appel a étudié l'ensemble des pièces pour estimer que Monsieur [H], qui travaillait à temps plein pour un autre organe de presse et qui ne détenait pas de contrat de travail avec l'EURL PFP, avait effectué quelques prestations pour des versements modestes, réalisées en toute indépendance et autonomie, sans lien de subordination. Elle a ensuite relevé que le bulletin de paye et l'attestation pôle emploi avaient été établis dans le cadre d'un projet de transaction auquel Monsieur [H] n'avait pas donné suite, ne signant pas le protocole. Elle a en revanche relevé que, quand bien même l'enquête n'avait pas permis d'établir des faits de vol, l'utilisation dans le cadre de l'instance de droit du travail des documents obtenus dans les conditions indiquées présentait un caractère déloyal, ce qui a amené la cour à condamner Monsieur [H] au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Il est ainsi établi, en tout état de cause, que le sort de la procédure en dénonciation calomnieuse n'aurait eu aucune incidence sur l'issue du litige prud'hommal.

Enfin, Monsieur [H], déjà bénéficiaire à l'époque de décisions d'aide juridictionnelle totale, ne justifie pas du versement d'honoraires à son avocat pour les diligences effectuées en vain sur le plan pénal. Aucun préjudice n'est donc caractérisé sur ce plan.

** Sur le défaut de conseil dans les prétentions et les moyens soulevés à l'occasion de la procédure prud'hommale

S'agissant des défauts de conseil allégués, la motivation de l'arrêt rendu le 1er février 2017 par la cour d'appel qui vient d'être rappelée exclut toute possibilité qu'une juridiction ait pu ordonner la communication forcée des dits documents par la société PFP, dans la mesure où ceux-ci, non signés, n'étaient établis que dans le cadre d'une transaction, exclusive de toute utilisation à des fins probatoires dans le cadre d'une procédure contentieuse.

Concernant l'absence de développements sur des manoeuvres qualifiées d'escroquerie au jugement imputées à l'EURL PFP, le seul fait d'avoir évoqué dans le cadre de l'instance prud'hommale la plainte déposée pour vol, dont le classement sans suite était en outre connu des juridictions, ne caractérise pas une telle infraction.

Dans la mesure où la chambre sociale a exclu tout lien de subordination, le recours à la notion de travail dissimulé n'aurait pas été de nature à modifier sa décision. S'agissant de la documentation extraite de sites internet, la chambre sociale a relevé que Monsieur [H] avait une activité principale pour le compte d'une autre entreprise de presse, excluant donc la qualification de l'activité déployée pour l'EURL PFP d'activité principale.

Enfin, Monsieur [H] n'explique ni ne démontre en quoi l'EURL PFP aurait commis des actes de contrefaçon à son égard, ni en quoi de tels actes, à les supposer démontrés, étaient de nature à avoir une incidence sur l'issue du litige prud'hommal.

Il échoue donc à démontrer la réalité des fautes qu'il reproche à Maître [R].

*** Sur le manque de diligence tenant à la radiation

Préalablement, il convient de relever que Monsieur [H] évoque un problème général de délai de traitement de son dossier, en faisant valoir s'agissant de la première instance que 9 renvois ont été ordonnés. Il n'énonce néanmoins aucune faute de son conseil à ce stade, le seul fait que plusieurs renvois aient été accordés n'impliquant aucune faute de sa part, d'autant plus que la procédure est orale devant le conseil de prud'hommes.

Il résulte des pièces que Monsieur [H] a saisi la chambre sociale d'un appel le 1er octobre 2013. L'affaire a été fixée pour la première fois à l'audience le 16 février 2015, celui-ci devant déposer ses conclusions avant le 16 octobre 2014 (selon avis en date du 9 juillet 2014). Le 18 septembre 2014, Maître [R], qui intervenait à l'aide juridictionnelle devant le conseil des prud'hommes, a adressé à Monsieur [H] un dossier d'aide juridictionnelle. Il a rédigé des conclusions le 16 février 2015, produites aujourd'hui par Monsieur [H]. L'affaire n'ayant pas été retenue à l'audience, elle a fait l'objet d'une ordonnance de radiation le jour même. Monsieur [H] s'est ensuite adressé à son avocat et au greffe pour obtenir des nouvelles de son affaire. Au 6 janvier 2016, aucune demande de remise au rôle n'avait été adressée à la cour. Le 29 mars 2016, une décision d'aide juridictionnelle totale au profit de Monsieur [H] désignant Maître [R] pour l'instance devant la chambre sociale a été rendue. L'affaire a fait l'objet d'une remise au rôle et, par courrier du greffe le 13 juillet 2016, l'affaire a été rappelée à l'audience du 7 décembre 2016.

S'il est exact que l'affaire a fait l'objet d'une radiation du rôle pendant plus d'un an et que la société intimée ne donne aucune explication dans ses écritures, il résulte des propres pièces de Monsieur [H] qu'en réalité, Maître [R] était légitimement dans l'attente de la décision du bureau d'aide juridictionnelle, ou, à défaut d'aide juridictionnelle totale, du paiement de ses honoraires. La remise au rôle a été effectuée dans des délais raisonnables dès que la décision du bureau d'aide juridictionnelle a été rendue et en conséquence, aucune faute n'est caractérisée à la charge de l'avocat, les longueurs qu'a connue la procédure ne lui étant pas imputables.

**** Sur le défaut de conseil quant aux conséquences négatives de l'appel

Monsieur [H] reproche à son avocat de ne pas l'avoir averti des risques de condamnation encourus en raison de l'appel, l'arrêt l'ayant condamné, sur appel incident, au paiement de dommages-intérêts de 1500 euros pour procédure abusive, motivés par la production déloyale de pièces déjà évoquée, ainsi qu'à une indemnité de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il s'avère que les conclusions à hauteur d'appel de l'EURL PFP sont produites par Monsieur [H], qui en a eu connaissance. La demande de condamnation au paiement de dommages-intérêts, rejetée en première instance au motif que les documents litigieux avaient été écartés des débats et que Monsieur [H] était débouté de ses demandes, était parfaitement connue de Monsieur [H], ainsi que la motivation de l'appel incident tenant aux conditions d'obtention des documents versés aux débats. Le risque de condamnation était ainsi connu de Monsieur [H] qui ne peut reprocher une faute à son avocat.

En conséquence, sur la seule faute caractérisée à la charge de Maître [R] tenant au dépôt tardif de la plainte en dénonciation calomnieuse, aucun préjudice n'est démontré de telle sorte que les conditions permettant d'engager la responsabilité de l'avocat ne sont pas réunies.

Le jugement qui a débouté Monsieur [H] de ses demandes et l'a condamné aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera en conséquence confirmé.

Monsieur [H] succombant en son recours, il sera condamné aux dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à payer à la société intimée une somme qu'il est équitable de fixer à 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu le 16 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions contestées ;

Condamne Monsieur [H] aux dépens de la procédure d'appel ;

Condamne Monsieur [H] à payer à la Selarl Jean-[R]-Saoudi la somme de 1500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur WEISSMANN, Président de Chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : R. WEISSMANN.-

Minute en onze pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/01189
Date de la décision : 02/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-02;23.01189 ?
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