ARRÊT N° 518
R. G. : 05 / 05258
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MENDE 16 novembre 2005
X...
C /
Y...
AGF VIE GROUPAMA D'OC SA CLINIQUE DU GEVAUDAN SA SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE 1re Chambre A
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2008
APPELANT :
Monsieur Didier
X...
né le 13 novembre 1947 à BONNIERES (78)
...
48100 MARVEJOLS
représenté par la SCP CURAT-JARRICOT, avoués à la Cour assisté de Me Xavier BARGE, avocat au barreau de CLERMONT FERRAND
INTIMÉS :
Monsieur Aldo
Y...
...
48100 LE MONASTIER PIN MORIES
représenté par la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués à la Cour assisté de Me Philippe POUGET, avocat au barreau de MENDE
AGF VIE poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social 78 allée Jean Jaurès Case Postale 8. 18. 42 31044 TOULOUSE CEDEX 9
n'ayant pas constitué avoué assignée à personne habilitée
GROUPAMA D'OC poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social 50 avenue Colonel Teyssier 81004 ALBI CEDEX
représentée par la SCP GUIZARD-SERVAIS, avoués à la Cour assistée de Me Jacques DOMERGUE, avocat au barreau de MENDE
SA CLINIQUE DU GEVAUDAN poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social Montrodat 48100 MARVEJOLS
représentée par la SCP P. PERICCHI, avoués à la Cour assistée de la SCP DELRAN BRUN-MAIRIN DELRAN, avocats au barreau de NÎMES
SA SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social 86 Boulevard Haussmann 75380 PARIS CEDEX 08
n'ayant pas constitué avoué assignée et réassignée à personne habilitée
Après que l'instruction ait été clôturée par ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat en date du 25 Avril 2008 révoquée sur le siège en raison d'une cause grave invoquée conjointement par les avoués des parties et clôturée à nouveau au jour de l'audience avant l'ouverture des débats,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Pierre BOUYSSIC, Président, Mme Christine JEAN, Conseiller, M. Serge BERTHET, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Véronique VILLALBA, Greffier lors des débats et du prononcé de la décision,
DÉBATS :
à l'audience publique du 20 Mai 2008, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 Septembre 2008, Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au Greffe de la Cour d'Appel,
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé et signé par M. Serge BERTHET, Conseiller, en l'absence du Président légitiment empêché, publiquement, le 23 Septembre 2008, date indiquée à l'issue des débats, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du Nouveau Code de Procédure Civile, par mise à disposition au Greffe de la Cour.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 7 février 1999, Monsieur Aldo
Y...
, né le 21 avril 1956, a été victime d'un accident de ski à LAGUIOLE (12) qui a entraîné une fracture déplacée de la diaphyse fémorale gauche. Transporté à l'hôpital de RODEZ, il a été transféré à sa demande sur MARVEJOLS (48). Il était opéré le 8 février 1999 à la Clinique du Gévaudan à MARVEJOLS par le Docteur
X...
qui réalisait un enclouage centro-médullaire. Le lendemain, il se plaignait de douleurs à la jambe gauche qui s'amplifiaient malgré la mise sous morphine. Le Docteur
X...
prescrivait un écho-doppler le 10 février puis une artériographie le 11 février. Monsieur
Y...
était évacué sur MONTPELLIER dans l'après-midi du 11 février 1999 où un diagnostic définitif de syndrome aigu de loge était posé et une intervention à type d'aponévrotomie de décharge réalisée, suivie de douze autres opérations.
Monsieur
Y...
a assigné en référé le Docteur
X...
, la Clinique du Gévaudan ainsi que GROUPAMA, gestionnaire de son régime de Sécurité Sociale, par exploits des 14 et 19 avril 2000 pour obtenir la désignation d'un expert aux fins de rechercher les causes des graves lésions dont il reste atteint et d'évaluer son préjudice. Le Docteur
C...
était commis. Il déposait son rapport le 25 avril 2000.
Par exploits du 28 décembre 2000 et 7 février 2001, Monsieur
Y...
a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de NÎMES le Docteur
X...
et la Compagnie GROUPAMA D'OC aux fins de voir reconnaître la responsabilité du Docteur
X...
pour manquement à son obligation contractuelle de soins consciencieux et attentifs et d'obtenir la réparation de son préjudice.
Par jugement du 27 mars 2002, le Tribunal de Grande Instance de MENDE a ordonné un complément d'expertise confié au Docteur
C...
qui a cette fois refusé la mission pour des raisons personnelles. Le Docteur
D...
commis en ses lieu et place a déposé son rapport le 25 novembre 2002.
Par exploit du 20 avril 2003, le Docteur
X...
a appelé en garantie la Clinique du Gévaudan.
Suivant jugement prononcé le 16 novembre 2005, le Tribunal de Grande Instance de MENDE a statué comme suit :
" Vu l'article 1147 du Code Civil ;
Déclare Monsieur le Docteur Didier
X...
responsable des susdits dommages subis par Monsieur Aldo
Y...
;
Condamne en conséquence Monsieur le Docteur Didier
X...
à payer à Monsieur Aldo
Y...
les susdites sommes de 491. 613, 73 € et de 33. 864, 45 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ses susdits chefs de préjudice, sommes qui seront productives d'intérêts au taux légal passé un délai d'un mois à compter de la date de signification du présent jugement ;
Condamne Monsieur le Docteur Didier
X...
aux dépens exposés par Monsieur Aldo
Y...
, y compris ceux qui l'ont été pour la mise en cause des Compagnies GROUPAMA D'OC et AGF ;
En application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, condamne Monsieur le Docteur Didier
X...
à payer à Monsieur Aldo
Y...
une somme de 1. 400 € ;
Condamne, par contre, Monsieur Aldo
Y...
aux dépens résultant de la mise en cause de la Compagnie AGF VIE, et au paiement d'une somme de 500 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Lui donne acte de son désistement à l'égard de cette compagnie ;
Déboute Monsieur le Docteur Didier
X...
de son appel en garantie formé à l'encontre de la Clinique du Gévaudan, le condamne aux dépens exposés par cette dernière et, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à lui payer une somme de 900 € ;
Vu l'article L 131-2 du Code des Assurances, deuxième alinéa, dans sa rédaction résultant de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992 ;
Fixe aux sommes respectives de 15. 167, 26 €, 17. 511, 14 € et 72. 133, 36 € les prestations servies par la Société SUISSE, la Compagnie AGF et la Compagnie GROUPAMA à Monsieur Aldo
Y...
;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, mais uniquement pour la moitié des dommages et intérêts alloués à Monsieur
Y...
".
Monsieur
X...
a régulièrement relevé appel de cette décision.
Pour l'exposé du détail des prétentions et moyens des parties devant la Cour, il est expressément fait référence, tenant la révocation de la clôture prononcée à l'audience, avant le déroulement des débats à la demande conjointe des parties et la nouvelle clôture fixée au 20 mai 2008, à leurs conclusions récapitulatives signifiées le :
- 1er juin 2007 pour la Clinique du Gévaudan,
-28 décembre 2007 pour Monsieur
Y...
,
-25 avril 2008 pour Monsieur
X...
,
-19 mai 2008 pour la Compagnie GROUPAMA D'OC.
Monsieur
X...
demande à la Cour, à titre principal, de débouter Monsieur
Y...
de ses demandes tendant à voir reconnaître sa responsabilité et obtenir sa condamnation à réparation.
Subsidiairement, il entend voir retenir à son encontre un retard de diagnostic et fixer un pourcentage applicable aux seuls dommages consécutifs à cette perte de chance.
A titre infiniment subsidiaire, Monsieur
X...
conclut à la réformation de la décision déférée en ce qu'elle a fixé un préjudice indemnisable, selon lui non justifié, et au débouté des demandes infondées de Monsieur
Y...
.
Il demande, avant dire droit sur l'évaluation du préjudice, qu'il soit fait injonction à GROUPAMA de verser aux débats un état définitif et capitalisé de ses débours.
Monsieur
X...
entend voir dire et juger que la SA Clinique du Gévaudan sera tenue de le garantir de toutes condamnations éventuelles en principal, intérêts, frais et dépens.
Il sollicite l'allocation d'une somme de 1. 500 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Monsieur
Y...
conclut à la confirmation du jugement déféré, au visa de la loi du 4 mars 2002, en ce qu'il a déclaré Monsieur
X...
responsable des dommages qu'il a subis. Formant appel incident du chef de l'évaluation de son préjudice corporel, il présente les demandes suivantes :
" Fixer le montant total des préjudices patrimoniaux subis à la somme totale de : 552. 898, 72 €
- PGPF : 470. 907, 30 €- PGPA : 27. 655, 60 €- DSA : 53. 471, 37 €- FVA : 864, 45 € ;
Condamner le Docteur
X...
à lui payer la somme de 477. 042, 68 € après déduction de la créance de l'organisme social via GROUPAMA au titre des débours sur le poste DSA, et de la pension d'invalidité sur le poste PGPF ;
Fixer son préjudice extra-patrimonial à la somme de 145. 163, 52 € à savoir :
- déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 20. 163, 52 €
- souffrances endurées : 18. 000, 00 €
- déficit fonctionnel permanent (DFP) : 54. 000, 00 €
- préjudice esthétique permanent (PEP) : 15. 000, 00 €
- préjudice d'agrément : 38. 000, 00 € ;
Condamner le Docteur
X...
à lui payer la somme de 145. 163, 52 € en réparation de son préjudice extra-patrimonial ;
Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la demande ;
Confirmer le jugement pour le surplus ;
Débouter le Docteur
X...
et la Clinique du Gévaudan de leurs demandes, fins et conclusions contraires ;
Condamner le Docteur
X...
à lui payer la somme de 5. 000 € ainsi qu'aux entiers dépens ".
La Clinique du Gévaudan conclut à titre principal à la confirmation de la décision déférée. Subsidiairement, quant au retard de diagnostic et à la perte de chance, elle entend voir constater qu'il n'y a eu aucune consigne particulière du Docteur
X...
après sa visite du 10 février 1999 et demande le débouté de l'appel en garantie formé par Monsieur
X...
. Elle sollicite l'allocation d'une somme de 2. 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
A titre très subsidiaire, sur le quantum de la réparation, elle fait siens les moyens développés par le Docteur
X...
concernant l'évaluation du préjudice et l'absence de lien entre la fracture initiale et le syndrome de loge apparu ultérieurement.
Elle demande de retenir une perte de chance, de fixer un pourcentage applicable aux seuls dommages consécutifs à cette perte et donc de réduire très sensiblement les indemnités sollicitées par Monsieur
Y...
.
La Société GROUPAMA D'OC s'en rapporte à l'appréciation de la Cour sur les mérites de l'appel du Docteur
X...
. Au cas de confirmation du jugement déféré, elle entend voir retenir sa créance pour la somme de 84. 663, 72 € selon décompte arrêté au 17 mars 2008 et obtenir condamnation de Monsieur
X...
au paiement de cette somme. Elle sollicite l'allocation d'une somme de 1. 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par ordonnance du 11 octobre 2006, le Conseiller de la mise en état a constaté le désistement d'appel de Monsieur
X...
à l'encontre de la SA AGF VIE.
La SA SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS, nouvelle dénomination de la Société SUISSE ACCIDENT, a été assignée puis réassignée à personne habilitée.
Il sera statué par arrêt réputé contradictoire en application de l'article 474 du Code Civil.
***
MOTIFS :
Sur la responsabilité du Docteur
X...
Attendu que tenant la date de l'intervention chirurgicale pratiquée par le Docteur
X...
le 8 février 1999 et celles des actes en cause, entre l'opération initiale et le transfert sur MONTPELLIER le 11 février 1999, tous antérieurs au 5 septembre 2001, les dispositions de l'article 1142-1 du Code de la Santé Publique issues de la loi du 4 mars 2002 ne sont pas applicables en la cause ;
Attendu qu'il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant pour le praticien l'engagement de donner des soins attentifs, consciencieux et, sous réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ; que la violation, même involontaire, de cette obligation contractuelle est sanctionnée par une responsabilité de même nature ; qu'il appartient au malade de prouver la faute commise par le médecin qui subordonne l'admission de la responsabilité de ce dernier ;
Attendu qu'en l'espèce, les deux rapports d'expertise mettent en exergue que dès le lendemain de l'opération réalisée par le Docteur
X...
, Monsieur
Y...
s'est plaint de violentes douleurs du membre inférieur gauche avec des pics hyperthermiques à 40°, douleurs qui ont persisté les jours suivants et résisté à la morphine ; qu'après l'opération du 8 février 1999, le Docteur
X...
a vu Monsieur
Y...
le 9 février au matin puis le 10 février à 8 heures ; que lors de cette visite, il a constaté la douleur persistante du mollet gauche oedématé et dur ; que le Docteur
X...
a demandé un examen écho-doppler réalisé 10 heures après et qui n'a pu permettre d'affirmer ou d'infirmer l'existence d'une thrombose veineuse ; que le Docteur
X...
n'a alors prescrit aucun examen ni exploration complémentaire ; que Monsieur
Y...
est resté en observation dans le même établissement jusqu'au lendemain sans diligence du médecin ni investigation complémentaire ; que l'expert
D...
fixe la date d'apparition des premiers signes pouvant faire redouter l'installation d'un syndrome de loge à cette journée du 10 février ; que dans le certificat établi par le Docteur
Z...
qui a pratiqué l'aponévrotomie à MONTPELLIER, celui-ci précise que le syndrome évoluait depuis au moins 36 heures soit depuis le 10 février, ce qui corrobore les conclusions du Docteur
D...
; que le compte rendu opératoire de ce même chirurgien, en date du 11 février 1999, date de 24 heures, le syndrome de loge soit également du 10 février ; que contrairement aux affirmations de Monsieur
X...
, le constat de la persistance de la douleur malgré la pompe à morphine et du mollet dur à l'issue de l'examen clinique du matin du 10 février et l'absence de caractère significatif de l'écho-doppler auraient dû, comme relevé par le Docteur
D...
, conduire le Docteur
X...
à ordonner une artériographie et des examens complémentaires comme la prise de pression de loge dès le 10 février 1999 en fin de journée et à demander sans délai le transfert du patient si ces investigations ne pouvaient être réalisées sur place ; que même le rapport du premier expert, le Docteur
C...
, lequel s'est par la suite désisté, et qui retient à décharge du Docteur
X...
un " tableau difficile à étiqueter ", relève que l'artériographie aurait pu être demandée plus tôt et qu'une prise de pression des loges musculaires aurait permis un diagnostic plus précis ;
que le Docteur
X...
n'a pris aucune décision d'intervention malgré l'urgence médicalement avérée et connue dans laquelle il faut opérer un syndrome de loge installé et en dépit du résultat non exploitable du doppler ; que revenu le soir à la Clinique, le Docteur
X...
ne s'est pas inquiété de l'évolution de l'état de Monsieur
Y...
; que le syndrome de loge n'a été diagnostiqué que le lendemain à 8 heures après la visite habituelle ; que le manquement de ce médecin à ses obligations de soins attentifs et de diligences de nature à permettre l'établissement du diagnostic du syndrome de loge alors qu'il était informé de la persistance de douleurs du patient au niveau du mollet gauche résistantes à la morphine et qu'il avait constaté un aspect dur de ce mollet avec oedème est caractérisé ; que l'expert judiciaire
D...
a mis en exergue que seules les mesures de pression permettent un diagnostic positif ;
Attendu que le lendemain, le Docteur
X...
, après avoir diagnostiqué le syndrome de loge, a prescrit une artériographie alors que l'aponévrotomie aurait pu être faite sans cet examen préalable ne servant qu'à faire un diagnostic différentiel et que le temps passé éloignait l'intervention des 6 heures d'ischémie au delà desquelles les lésions deviennent irréversibles ; que si la possibilité de récupération était déjà faible, en tout cas elle n'est pas formellement exclue par l'expert judiciaire ; qu'il est en revanche certain que le retard décisionnel dû à la demande d'artériographie et à celle tardive de transférer Monsieur
Y...
sur MONTPELLIER (le 11 février à 12h15 soit plus de quatre heures après le diagnostic auxquelles s'ajoutaient le temps de trajet connu du Docteur
X...
) ont définitivement et irrémédiablement causé la lésion de la loge postérieure et donc de l'arthrodèse tibio-astragalienne ;
Attendu que même en faisant abstraction du retard décisionnel du 11 février, le défaut de diligences du Docteur
X...
au cours de la journée du 10 février 1999 ci-dessus caractérisé a fait obstacle à l'établissement du diagnostic et à la réalisation de l'aponévrotomie, une intervention bénigne parfois réalisée sous anesthésie locale et qui pouvait être accomplie à MARVEJOLS ; que ce manquement aux obligations du médecin est à l'origine de la perte définitive de la mobilité active et passive et de la sensibilité de la jambe et du pied gauches de Monsieur
Y...
; que le Docteur
X...
doit être déclaré responsable du préjudice subi par ce dernier en conséquence non d'un simple retard de diagnostic mais d'un manquement à son devoir d'assurer des soins attentifs fondés sur les données acquises de la science comme à celui d'élaborer son diagnostic en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées ; que contrairement aux assertions de l'appelant et à ses critiques acerbes mais infondées sur ce point du jugement, la faute retenue réside dans l'absence de surveillance attentive du patient comme de prescription des mesures d'investigation de nature à poser son diagnostic et de décision de transfert pour les réaliser, malgré les douleurs et l'état anormaux présentés par le patient dès le 10 février au matin, qui sont à l'origine des lésions irréversibles ; que le Tribunal a donc à juste titre retenu à l'encontre de Monsieur
X...
l'existence d'une faute caractérisée résultant de l'absence d'accomplissement des diligences normalement attendues du médecin ;
***
- Sur l'appel en garantie de Monsieur
X...
contre la Clinique du Gévaudan
Attendu que Monsieur
X...
reproche à la Clinique du Gévaudan de ne pas l'avoir averti ou alerté de l'état du patient dans la nuit du 10 février alors qu'il se déplaçait habituellement en cas d'appel et qu'il était cette nuit là à la Clinique, au chevet d'un autre patient ;
Attendu que la Clinique du Gévaudan n'a pas été appelée à l'expertise du Docteur
D...
puisqu'elle n'a pas été assignée au fond par Monsieur
Y...
et qu'elle n'était alors pas dans la cause ;
Attendu que comme précédemment relevé, il est établi que le Docteur
X...
a visité Monsieur
Y...
le 10 février à 8 heures et qu'il a constaté la persistance de douleurs résistantes à la morphine ainsi qu'un membre inférieur oedématé et dur ; qu'hormis la prescription d'un écho-doppler, le Docteur
X...
n'a adressé aucune consigne particulière à l'équipe infirmière de l'aviser immédiatement de l'apparition de certains symptômes ; que les infirmiers avaient pourtant relevé dans le registre d'observations et dès la nuit du 9 au 10 février, des douleurs importantes de la jambe gauche avec mollet dur et pied chaud signalées au Docteur
X...
, des pics de température entre 38° et 40° ; qu'il n'appartient pas au personnel infirmier d'établir un diagnostic ni de devancer ou de suppléer le médecin dans l'accomplissement de ses diligences ; qu'il appartient à celui-ci de préciser aux infirmiers quels sont les symptômes dont l'apparition doit lui être signalée sans délai tenant les observations précédemment consignées et l'examen clinique pratiquée par lui ; qu'en l'espèce, des consignes précises s'imposaient en conséquence des signes anormaux présentés par le patient dès le 10 février, constatés par le médecin dès le matin et du délai maximum de 6 heures qui s'impose pour pratiquer une aponévrotomie ; que de plus, après les résultats non significatifs de l'écho-doppler le 10 février vers 18H30, le Docteur
X...
se devait de revoir son patient ou à tout le moins de s'informer de l'évolution de l'état de celui-ci, de prescrire les investigations complémentaires et décisions que les devoirs de diligence et de soins attentifs du médecin lui imposaient, et en tout cas de signaler à l'équipe infirmière les signes à surveiller et à porter à sa connaissance sans délai, notamment en l'espèce des troubles sensitifs révélateurs d'une atteinte nerveuse caractéristique du syndrome de loge ;
Attendu qu'aucune faute du personnel de la Clinique du Gévaudan dans l'organisation des soins ou la surveillance de Monsieur
Y...
n'est caractérisée ; que Monsieur
X...
ne peut imputer au personnel de la Clinique les conséquences de sa propre faute ; que la confusion entre des douleurs au pied et un déficit neurologique majeur n'aurait pu se produire si le Docteur
X...
alerté par l'examen clinique du matin et les observations de la nuit précédente avait informé le personnel infirmier de la nécessité de lui signaler l'apparition de troubles sensitifs qui sont les premiers à se révéler en cas de syndrome de loge ; que depuis la visite du matin, le Docteur
X...
ne s'était nullement inquiété de l'état de son patient pourtant affecté de signes cliniques pour le moins révélateurs d'une évolution anormale des suites opératoires ;
Attendu que le Tribunal a donc à juste titre débouté Monsieur
X...
de son appel en garantie contre la Clinique du Gévaudan ;
- Sur le préjudice et sa réparation
Attendu qu'il résulte des constatations qui précèdent que la faute du Docteur
X...
est à l'origine directe non d'une simple perte de chance mais de séquelles définitives dont Monsieur
Y...
est atteint à la suite du syndrome de loge ; que la réparation doit couvrir l'intégralité du préjudice sans appauvrissement ni enrichissement de la victime ;
Attendu que l'expert judiciaire
D...
a exclusivement retenu les conséquences du syndrome de loge sans y inclure les suites normales de la fracture du fémur ni d'autres atteintes ; qu'il conclut en ces termes :
- date de consolidation des blessures du 4 octobre 2002,
- ITT du 7 octobre 1999 au 14 juin 2000 puis du 7 mars 2002 au 4 octobre 2002,
- IPP de 30 %,
- pretium doloris de 5, 5 sur 7
- préjudice esthétique de 4 sur 7
- inaptitude de la victime à exercer son activité professionnelle d'agriculteur,
- nécessité d'aménager une voiture avec boîte à vitesse automatique,
- préjudice d'agrément résultant de l'impossibilité définitive de courir, de marcher sans chaussure orthopédique et donc de pratiquer des loisirs ;
Attendu que Monsieur
Y...
était âgé de 43 ans à la date des actes médicaux en cause et de 47 ans à la date de consolidation ; qu'il exerçait la profession d'apiculteur ; qu'en considération de son âge et de sa situation, des conclusions expertales et des pièces produites, des dispositions de la loi du 21 décembre 2006 sur le recours des tiers payeurs, son préjudice corporel sera réparé comme suit :
I-Préjudices patrimoniaux :
1) avant consolidation
-frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation :
Attendu que la créance de GROUPAMA D'OC, organisme social de Monsieur
Y...
, s'élève au titre des frais de santé à 53. 471, 37 € dont le remboursement est sollicité contre Monsieur
X...
; qu'aucune demande n'est présentée par Monsieur
Y...
au titre de frais à charge ; que le Tribunal a à tort déduit la créance de l'organisme social sans l'avoir préalablement intégrée au préjudice,
- perte de gains professionnels actuels :
Attendu que l'ITT a duré 17 mois et demi, déduction faite de la période d'incapacité normale de 6 mois consécutive à une fracture du fémur du même type que celle de Monsieur
Y...
;
Attendu que doit être indemnisée la perte effective de revenus subie par la victime qui ne peut donc, contrairement aux assertions de l'appelant, être évaluée sur la base du forfait fiscal, le principe même du forfait étant en opposition avec les revenus réels ; que l'évaluation parla juridiction de la perte de gains doit être effectuée in concreto ;
Attendu que Monsieur
Y...
a perçu au titre de l'ITT d'une part de la Société SUISSE, en exécution du contrat d'assurance par lui contracté, des indemnités journalières de 15. 167, 26 € et d'autre part de la Compagnie AGF des indemnités journalières de 8. 791, 14 € soit au total la somme de 23. 958, 4 € qui doit être prise en compte pour chiffrer sa perte réelle de revenus ;
Attendu que Monsieur
Y...
justifie avoir subi en 2006 un sinistre inondation à la suite duquel il a perdu divers papiers et documents ; que Monsieur A..., expert comptable, a établi un compte de résultat de l'activité de l'entreprise de Monsieur
Y...
pour 1998 dont il atteste le caractère sincère et véritable à partir des éléments fournis soit les feuilles de trésorerie mensuelles établies par Monsieur
Y...
et le carnet des factures de vente ; que ce carnet, bien qu'en mauvais état, a pu être produit aux débats ; qu'il est lisible et exploitable ; que le détail des ventes fait ainsi ressortir un total de 404. 003 F hors taxes, Monsieur
Y...
devant rembourser la TVA perçue auquel s'ajoute une subvention de 3. 538, 46 F ; que toutes les factures figurent dans le carnet versé aux débats ; que les charges correspondant notamment aux achats de marchandises, fournitures, salaires, fermages s'élèvent à 235. 833, 47 F, montant qu'aucun élément ne permet de contredire alors qu'aucune des charges mentionnées n'apparaît en sa nature ou en son montant anormale et que les dépenses ont été comptabilisées à la date de leurs décaissements ; qu'il ressort donc un bénéfice de 171. 708 F par an soit 14. 309 F ou 2. 181 € par mois qui est corroboré par la constatation de ce que Monsieur
Y...
était propriétaire d'une villa et d'un bâtiment industriel, qu'il pratiquait le ski, faisait du 4x4, du parapente, activités de loisirs d'un certain coût ;
Attendu que sa perte de revenus s'établit donc à : 2. 181 € x 17 mois + (2. 181 € x 15 jours) : 30, soit 38. 167, 5 €, montant duquel il y a lieu de déduire les indemnités journalières perçues de 23. 958, 4 € ; qu'une indemnité de 14. 209 € doit donc être allouée en réparation de la perte effective de gains pendant l'ITT ;
2) préjudices patrimoniaux permanents
a) frais de véhicule adapté :
Attendu que l'expert judiciaire retient que l'handicap dont Monsieur
Y...
reste atteint justifie l'aménagement d'un véhicule avec boîte de vitesse automatique ; que la somme de 864, 45 € demandée de ce chef est justifiée par le devis produit ; qu'elle doit donc être allouée ;
b) perte de gains professionnels futurs :
Attendu que la victime doit être indemnisée de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans le domaine professionnel à la suite du dommage ;
Attendu qu'il résulte de deux rapports d'expertise que Monsieur
Y...
a définitivement perdu la mobilité active et passive de la jambe et du pied gauches ainsi que leur sensibilité ; qu'il n'est plus apte à exercer son activité professionnelle d'apiculteur ;
Attendu que Monsieur
Y...
s'est vu reconnaître un taux d'incapacité de 80 % par la COTOREP et a perçu une pension d'invalidité pour inaptitude à sa profession s'élevant depuis février 2004 jusqu'au 17 mars 2008 à 24. 622, 25 € soit 6. 030 € par an ;
Attendu que Monsieur
Y...
a toujours été agriculteur ; que l'expert
D...
relève que Monsieur
Y...
est capable d'exercer un autre métier après reconversion professionnelle ; qu'il doit toutefois être tenu compte de la difficulté actuelle d'obtenir une formation qualifiante après 45 ans, sans avoir fait d'études spécifiques, et en étant atteint d'un handicap ;
Attendu que tenant compte du revenu annuel de 26. 172 € (171. 708 F) ci-dessus retenu, de la capacité professionnelle résiduelle, de la perception de la pension d'invalidité, la perte annuelle de gains professionnels doit être évaluée à 14. 000 € par an soit après capitalisation selon l'âge de 47 ans à la date de consolidation : 14. 000 € x 16, 075 (en application du barème fiscal 2007 fondant les prétentions de Monsieur
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comme de Monsieur
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) ce qui correspond à la somme de 225. 050 € ; que ce poste de dommage a donc été surévalué par le Tribunal qui n'a d'ailleurs développé aucun motif sur la réparation du dommage ;
Attendu que l'allocation adulte handicapé n'a pas à être déduite puisqu'elle correspond à une aide au titre de la solidarité nationale sans caractère indemnitaire ;
II-Préjudices extra-patrimoniaux
a) préjudices extra-patrimoniaux temporaires
* déficit fonctionnel temporaire :
Attendu que ce poste de préjudice, dégagé de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime, traduit l'incapacité fonctionnelle subie par la victime jusqu'à sa consolidation ; qu'il correspond aux périodes d'hospitalisation mais aussi à la " perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante " de la victime pendant la durée de l'ITT ;
Attendu que ce poste de dommage sera en l'espèce indemnisé sur la base de 600 € par mois par une indemnité de 10. 500 € ;
* sur les souffrances endurées :
Attendu que l'expert judiciaire
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a chiffré à 5, 5 sur 7 ce poste de dommage qui résulte des fortes douleurs ressenties depuis le début du syndrome de loge jusqu'à la date de consolidation, des treizes interventions chirurgicales et des soins subis ; que l'indemnité allouée de ce chef par le Tribunal sera portée à 18. 000 € ;
b) préjudices extra-patrimoniaux permanents
* déficit fonctionnel permanent :
Attendu que ce poste de dommage non économique est lié au déficit définitif résultant de la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel de la victime ; que l'IPP subie par Monsieur
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est chiffrée par l'expert à 30 %, pourcentage non contesté par l'appelant ; qu'il est consécutif à la perte de mobilité de la jambe et du pied gauche causée par le syndrome de loge ; que le membre inférieur gauche correspond désormais, selon l'expert
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, à " une prothèse physiologique " ; que ce préjudice sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 48. 000 € ;
* préjudice esthétique permanent :
Attendu que ce dommage résulte pour Monsieur
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de la boiterie permanente, de la nécessité de porter une chaussure orthopédique et des cicatrices de la jambe et du pied ; que chiffré à 4 sur 7 par l'expert judiciaire, il est entièrement réparé par l'indemnité de 9. 000 € allouée par le Tribunal ;
* préjudice d'agrément :
Attendu qu'en conséquence de la nature et de l'importance des séquelles constatées par l'expert, Monsieur
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ne peut plus courir ni marcher sans appareillage ni pratiquer les activités sportives exercées auparavant : parapente, 4x4, marche et cueillette des champignons ; que le préjudice d'agrément est retenu par l'expert et justifié par les pièces produites notamment les attestations et la licence de la Fédération Française de Vol Libre ; qu'il sera alloué de chef une somme de 20. 000 € ;
Attendu qu'en définitive, la réparation du préjudice corporel de Monsieur
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s'établit donc comme suit :
- Préjudices patrimoniaux :
- dépenses de santé ou frais à charge : néant
-perte de gains professionnels :
* actuels : 14. 209, 00 € (déduction faites des indemnités journalières perçues)
* futurs : 225. 050, 00 € (déduction faite de la pension d'invalidité)
- frais de véhicule adapté : 864, 45 €
- Préjudices extra-patrimoniaux :
- déficit fonctionnel temporaire : 10. 500, 00 €
- déficit fonctionnel permanent : 48. 000, 00 €
- souffrances endurées : 18. 000, 00 €
- préjudice esthétique permanent : 9. 000, 00 €
- préjudice d'agrément : 20. 000, 00 €
Total : 345. 623, 45 € arrondi à 345. 624, 00 € ;
Attendu que le jugement déféré sera donc réformé des chefs de l'évaluation du préjudice corporel de Monsieur
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et donc du quantum de la condamnation à paiement de Monsieur
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; que celui-ci devra en outre être condamné à payer à GROUPAMA D'OC la somme de 84. 663, 72 € en remboursement des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation, de la rente et de la pension d'invalidité réglées en conséquence de la faute médicale imputable à Monsieur
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;
Attendu que l'équité justifie d'allouer à Monsieur
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la somme supplémentaire de 2. 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, celles de 600 € à GROUPAMA D'OC et de 1. 000 € à la Clinique du Gévaudan sur le fondement de ce même texte ;
Attendu que l'appelant succombe sur l'essentiel de ses prétentions et supportera les dépens ;
*** PAR CES MOTIFS,
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,
Dit l'appel régulier et recevable en la forme ;
Dit que Monsieur
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a commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles de médecin ;
Réforme le jugement déféré des seuls chefs de l'évaluation du préjudice corporel de Monsieur
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et du quantum de la condamnation à paiement de Monsieur
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;
Statuant à nouveau de ces chefs ;
Condamne Monsieur
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à payer :
- à Monsieur
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outre intérêts de droit à compter du présent arrêt la somme de 345. 624 € en réparation de son préjudice corporel, déduction faite des frais déboursés par l'organisme social, des indemnités journalières et de la pension d'invalidité, et celle de 2. 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en sus de l'indemnité allouée à ce titre par le Tribunal,
- à GROUPAMA D'OC : la somme de 84. 663, 72 € en remboursement de ses débours et celle supplémentaire de 600 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamne Monsieur
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à payer à la Clinique du Gévaudan la somme supplémentaire de 1. 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamne Monsieur
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aux dépens qui seront distraits au profit de la SCP PERICCHI, de la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU et de la SCP GUIZARD-SERVAIS, avoués, sur leurs affirmations de droit ;
Arrêt signé par M. BERTHET, Conseiller, par suite d'un empêchement du Président, et par Mme VILLALBA, Greffier.