COUR D'APPEL DE NÎMES CHAMBRE CIVILE 1ère Chambre A ARRÊT DU 15 MARS 2011
ARRÊT N 148 R. G. : 09/ 05070 CJ
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NÎMES 20 octobre 2009
SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE AGRICOLE PROVENCE LANGUEDOC GROUPAMA SUD C/ X... SARL JO. PRO. CHIM
APPELANTES : SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE AGRICOLE PROVENCE LANGUEDOC, dite Sté CAPL agissant en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège 92 Rue Joseph Vernet-B P 346 84025 AVIGNON CEDEX 01 Rep/ assistant : SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN (avoué à la Cour) Rep/ assistant : Me Christian BONNENFANT (avocat au barreau d'AVIGNON) GROUPAMA SUD, Caisse Régionale de Réassurance Mutuelle Agricole du Sud, agissant en la personne de son Directeur Général en exercice domicilié es qualité au siège social Maison de l'Agriculture-Place Chaptal 34261 MONTPELLIER CEDEX 02 Rep/ assistant : SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN (avoué à la Cour) Rep/ assistant : Me Christian BONNENFANT (avocat au barreau d'AVIGNON)
INTIMÉES : Madame Cathy X... épouse Y... née le 09 Avril 1955 à NÎMES (30)... 30190 SAINT GENIES DE MALGOIRES Rep/ assistant : SCP P. PERICCHI (avoués à la Cour) Rep/ assistant : Me Jacques TARTANSON (avocat au barreau d'AVIGNON) SARL JO. PRO. CHIM. poursuites et diligences de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité au siège social 11 Allée Léon Foucault-ZI de Chalancon II 84270 VEDENE Rep/ assistant : SCP GUIZARD-SERVAIS (avoués à la Cour) Rep/ assistant : Me SILEM, (avocat au barreau de CARPENTRAS)
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 07 Janvier 2011
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : M. Dominique BRUZY, Président, Mme Christine JEAN, Conseiller, M. Serge BERTHET, Conseiller, GREFFIER : Mme Véronique VILLALBA, Greffier, lors des débats et Mme Véronique LAURENT-VICAL, Greffier, lors du prononcé de la décision.
DÉBATS : à l'audience publique du 18 Janvier 2011, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 Mars 2011 Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT : Arrêt contradictoire, prononcé et signé par M. Dominique BRUZY, Président, publiquement, le 15 Mars 2011, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour
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EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES Le 28 septembre 2006, Mme Y... a acquis auprès de la société Coopérative Agricole de Provence, dite CAPL, 20 litres de chlore ; un employé de CAPL a, par erreur, déposé dans le coffre du véhicule de Mme Y... un bidon de 20 litres d'acide chlorhydrique au lieu du chlore liquide acquis par celle-ci. Affirmant que son véhicule a été détérioré par les vapeurs d'acide provenant de ce bidon, Mme Y... a, par exploits des 18 février et 3 mars 2008, fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance d'AVIGNON la société venderesse et son assureur, la compagnie GROUPAMA SUD, en réparation de son préjudice. La société CAPL a, par exploit du 12 mars 2008, appelé en la cause et en garantie la SARL JO. PRO. CHIM comme fournisseur du bidon d'acide chlorhydrique, en invoquant le défaut de conformité du bouchon qui aurait fui. Par jugement en date du 29 octobre 2009, le Tribunal saisi a :- déclaré la société CAPL responsable du préjudice subi par Mme Y... à la suite de la remise d'un bidon d'acide chlorhydrique au lieu d'un bidon de chlore liquide,- condamné in solidum la société CAPL et la compagnie Groupama à payer à Mme Y... les sommes de : * 12. 291, 45 € au titre des travaux de reprise outre intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2008, * 250 € au titre de l'immobilisation du véhicule, * 1. 000 € au titre du préjudice moral, * 1. 500 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile. L'exécution provisoire du jugement a été ordonnée et les dépens ont été mis à la charge de la société CAPL et de GROUPAMA. L'appel en garantie a été rejeté. La société CAPL et la compagnie d'assurances GROUPAMA ont relevé appel de cette décision. Pour l'exposé du détail des prétentions et moyens des parties devant la Cour, il est expressément fait référence à leurs conclusions récapitulatives signifiées le :-9 juin 2010 pour la société CAPL et la compagnie d'assurances GROUPAMA SUD,-23 juillet 2010 pour la SARL PRO. JO. CHIM,-9 septembre 2010 pour Mme Y.... Les appelantes demandent la réformation du jugement déféré pour voir dire que la société CAPL est exonérée de toute responsabilité dans la réalisation du dommage pour acceptation de la chose vendue couvrant la non-conformité apparente et subsidiairement le rejet de la demande à défaut d'établissement contradictoire de la réalité des dommages et du coût des travaux de réparation. À défaut, elles entendent voir dire et juger que Mme Y... doit supporter une part importante dans la responsabilité des dommages dont elle demande réparation. Elles demandent la condamnation de la société JO. PRO. CHIM à relever et garantir la société CAPL de toute condamnation et sollicite l'allocation d'une somme de 2. 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile. La société JO. PRO. CHIM conclut à sa mise hors de cause et sollicite à l'encontre de CAPL et de Mme Y... l'allocation d'une somme de 4. 800 € au titre de ses frais irrépétibles. Mme Y... conclut à la confirmation du jugement déféré, au rejet des demandes de la société JO. PRO. CHIM et demande la condamnation de la société CAPL et de GROUPAMA à lui payer la somme de 2. 000 € au titre de ses frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens.
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MOTIFS
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE
Le cabinet NÎMES EXPERT mandaté par l'assureur de Mme Y..., dont le rapport a été versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties, a constaté que les parties métalliques du coffre de la partie arrière du véhicule de celle-ci sont fortement corrodées, que le système du toit ouvrant présente également une corrosion importante et a conclu que les dommages relevés sont compatibles avec le déversement de produits corrosifs dans le coffre du véhicule ; la société POLYEXPERT, mandatée par le même assureur, qui a procédé à ses opérations en présence de GROUPAMA SUD, assureur de CAPL, retient que les éléments métalliques non peints du coffre ont été soumis à une importante corrosion résultant de la fuite du bouchon du bidon malgré le maintien du bouchon et de la bague de sécurité non enlevée. La société CAPL et son assureur font valoir que la cliente s'est rendue compte de l'erreur dès qu'elle est arrivée à son domicile et qu'enseignante, elle ne pouvait pas ignorer les effets rongeurs de cet acide qui attaque tous les métaux de sorte qu'en conservant le bidon sans informer dès le lendemain le vendeur ni le sommer de le reprendre il y a eu acceptation de la chose vendue couvrant le défaut apparent de non-conformité. Elle ajoute que la cliente a fait voyager le bidon en position inclinée alors qu'il avait été placé en position droite et calé dans son coffre à la livraison et qu'elle l'a laissé ainsi toute une journée, qu'elle a utilisé le véhicule jusqu'au 17 octobre en dépit du premier diagnostic du garagiste le 4 octobre, sans aucune prestation de dépollution laissant ainsi aggraver les dommages. Elle conclut à l'exonération de toute responsabilité de sa part ou à tout le moins à une part conséquente de responsabilité à charge de Mme Y.... Mme Y... invoque quant à elle la responsabilité du vendeur professionnel qui a manqué à l'obligation de délivrance conforme et qui est tenu du défaut grave affectant le bouchon du bidon ayant fui alors que la bague de sécurité était toujours en place. Elle fait valoir que le bidon ne comporte aucune indication concernant les conditions de transport et de stockage, qu'il a été entreposé dans un local à usage de dépendance de son domicile et que sa qualité d'enseignante ne peut laisser entendre des connaissances particulières sur la nature du produit ou ses effets. Elle ajoute qu'il ressort clairement du rapport de l'expert mandaté par son assureur que le bidon a fui à partir du bouchon qui était encore en place avec sa bague de sécurité et qui n'est donc pas conforme alors que le produit contenu est dangereux. Il est établi et non contesté que la société CAPL a manqué à son obligation contractuelle de délivrance puisque le produit remis n'était pas conforme à celui vendu à Mme Y.... Le moyen tiré de l'acceptation de la chose vendue couvrant selon l'appelante le défaut apparent de non-conformité doit être écarté car Mme Y... a informé le vendeur de l'erreur commise par l'employé de ce dernier dès le 4 octobre 2006 et de ce que le produit était entreposé dans une pièce à usage de dépendance de son domicile où il a d'ailleurs été examiné par l'expert de l'assureur et elle a demandé à CAPL réparation du dommage. Il n'y a donc eu aucune acceptation du produit remis qui ne correspondait pas à celui acquis. C'est d'ailleurs à la suite des réclamations de Mme Y... que la société CAPL a déclaré le sinistre à son assureur par lettre du 10 novembre 2006. Au surplus, il appartenait à CAPL en tant que vendeur professionnel d'informer l'acquéreur des précautions à prendre pour le transport ou la conservation de l'acide chlorhydrique, produit dangereux, dont l'emballage doit être sécurisé afin d'éviter tout dommage pouvant résulter d'une fuite. Il ressort du rapport d'expertise, régulièrement communiqué aux débats et établi par POLYEXPERT à la suite des opérations diligentées en présence de la compagnie GROUPAMA SUD, assureur de la société venderesse, et auxquelles celle-ci a été convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception, qu'une importante corrosion a affecté les éléments métalliques non peints du coffre du véhicule ainsi que le mécanisme permettant de rabattre le toit dans le coffre, en raison d'une fuite du bouchon du bidon malgré le maintien du bouchon et de la bague de sécurité, ce dont il résulte que Mme Y... n'a ni ouvert ni détérioré le bidon et que la fermeture de celui-ci, intacte lors de son examen contradictoire par l'expert, n'était pas étanche à la date de la vente. L'expert a contradictoirement constaté que le bidon fuyait au niveau du bouchon. La qualité d'enseignante de l'acquéreur ne lui confère aucune compétence sur la nature ou les risques du produit. Le rapport d'expertise contradictoire relève que le bidon ne porte mention d'aucune recommandation pour son transport ou son stockage. Mme Y..., profane, non informée des risques de ce produit ni de la fuite du bouchon, a transporté le bidon dans le coffre de son véhicule pour le ramener au vendeur le 4 octobre 2006 ce qu'elle n'a pas finalement fait pour se rendre chez le garagiste en raison des fortes odeurs et des anomalies présentées par son véhicule qui ont déclenché un voyant lumineux. Les dommages ont été causés par l'effet corrosif immédiat du produit même s'ils n'ont pu être constatés, pour certains, qu'au moment de la réparation du capteur par le garagiste. Le Tribunal a donc, à bon droit, retenu l'absence de faute de Mme Y..., non professionnelle et non informée, en lien de causalité avec la réalisation du dommage et la responsabilité entière de la société CAPL, vendeur professionnel.
SUR LE DOMMAGE ET SA RÉPARATION
Les dommages constatés résultent des émanations de vapeur d'acide chlorhydrique, produit fortement corrosif, déposé dans le coffre de Mme Y... au lieu du chlore acquis. L'estimation du coût des travaux de remise en état du véhicule par l'expert mandaté par l'assureur de Madame Y..., correspondant au prix facturé par le garage GARDONNENQUE AUTO le 30 juin 2007 et réglé, n'est contredit par aucun élément objectif. Le véhicule a été contradictoirement examiné au garage PEUGEOT où les pièces endommagées ont été conservées. Le préjudice de jouissance résultant de l'immobilisation du véhicule et le dommage moral causé par les tracasseries et soucis générés par la procédure ont été exactement appréciés par le Tribunal.
SUR L'APPEL EN GARANTIE
Le Tribunal a mis hors de cause la société JO. PRO. CHIM, appelée en garantie par la société CAPL, au motif que celle-ci ne produisait aucun bon de commande ni bordereau de livraison ni facture faisant preuve de l'origine du bidon d'acide chlorhydrique. Devant la Cour, la société appelante produit une facture de 72 jerrycans de 20 litres et 12 jerrycans de 5 litres d'acide chlorhydrique Plein sud en date du 17 juin 2006, vendus et livrés par JO. PRO. CHIM à CAPL le 8 août 2006. La vente à Mme Y..., en date du 28 septembre 2006, a porté sur un bidon de 20 l de ce produit et la facture mentionne bien un bidon de 20 l de'chlore liquide Plein Sud'(pièce annexée au rapport POLYEXPERT du 12 novembre 2007 mentionné sous le N 1 du bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions récapitulatives de Mme Y... déposées le 9 septembre 2010..) La similitude du produit et de son conditionnement sur les factures d'achat et de vente, la proximité des dates d'achat et de revente constituent des présomptions graves, précises et concordantes de la provenance du produit incriminé qui justifient de retenir que le bidon litigieux a été acquis par CAPL auprès de JO. PRO. CHIM. Cette société invoque encore l'ignorance des conditions de transport, de conservation et de stockage du bidon au domicile de la cliente et des causes de fuite du bouchon ainsi que l'absence de preuve d'un lien de causalité entre les dommages et l'acide chlorhydrique. Or, elle ne produit aucun élément pour contredire les constatations des dommages par NÎMES Expertise ni celles de POLYEXPERT, concernant la fuite du bouchon du bidon non ouvert et le lien de causalité avec les dommages affectant le véhicule de l'acquéreur, alors que ces rapports ont été régulièrement communiqués aux débats dès la première instance et qu'ils sont corroborés par la nature et la localisation dans le véhicule des dommages réparés par la SARL GARDONNENQUE AUTO dont la facture est également produite. La société JO. PRO. CHIM n'a sollicité aucun examen du bidon ni fait établir aucun constat ou avis critique alors que le bidon était conservé au domicile de l'acquéreur pendant la procédure. La fuite du bouchon du bidon d'acide chlorhydrique malgré la bague de sécurité non enlevée constatée par POLYEXPERT est à l'origine du dommage résultant de l'effet corrosif de ce produit et engage la responsabilité du fournisseur professionnel à l'égard de son cocontractant à l'encontre duquel aucun fait de détérioration du bidon à l'origine du dommage n'est établie et en l'absence de cause étrangère ; si le bouchon avait été étanche, l'erreur de l'employé de CAPL n'aurait eu aucune conséquence dommageable. La faute de Mme Y... n'est pas établie et ne saurait être caractérisée par de simples interrogations exprimées par JO. PRO. CHIM. Le jugement déféré sera donc réformé en ce qu'il a rejeté l'appel en garantie formé par CAPL.
SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS
Une somme supplémentaire de 1. 200 € sera allouée à Mme Y... en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Les dépens de l'action principale seront supportés par la société CAPL et GROUPAMA SUD. Ceux de l'appel en garantie seront mis à la charge de JO. PRO. CHIM.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Dit l'appel régulier et recevable en la forme, Réforme le jugement déféré du seul chef du rejet de l'appel en garantie formé par la SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE AGRICOLE PROVENCE LANGUEDOC, dite CAPL, Statuant à nouveau sur ce point, Condamne la société JO. PRO. CHIM à relever et garantir la SARL CAPL de toutes les condamnations prononcées contre elle, Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions, Dit que la société CAPL et GROUPAMA SUD supporteront les dépens de l'instance principale engagée par Mme Y..., Dit que la société JO. PRO. CHIM supportera la charge des dépens de l'appel en garantie formé par CAPL, Autorise le recouvrement direct par les SCP PERICCHI, FONTAINE-MACALUSO-JULLIEN, avoués, dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Arrêt signé par M. BRUZY, Président et par Mme LAURENT-VICAL, Greffier.