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29/08/2024 | FRANCE | N°22/00051

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 29 août 2024, 22/00051


N° de minute : 2024/35



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 29 août 2024



Chambre sociale









N° RG 22/00051 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TFU



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 juin 2022 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG n° 20/132)



Saisine de la cour : 19 juillet 2022





APPELANT



M. [F] [R]

né le 30 juin 1971 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Myriam-Emmanuelle LAGUILLON, membre

de la SELARL LEXNEA, avocat au barreau de BORDEAUX, substituée par Me Pierre Henri CUENOT, avocat au barreau de NOUMEA



INTIMÉS



S.A. LE NICKEL (SLN), représentée par son Directeur Général en exercic...

N° de minute : 2024/35

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 29 août 2024

Chambre sociale

N° RG 22/00051 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TFU

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 juin 2022 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG n° 20/132)

Saisine de la cour : 19 juillet 2022

APPELANT

M. [F] [R]

né le 30 juin 1971 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Myriam-Emmanuelle LAGUILLON, membre de la SELARL LEXNEA, avocat au barreau de BORDEAUX, substituée par Me Pierre Henri CUENOT, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

S.A. LE NICKEL (SLN), représentée par son Directeur Général en exercice

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Fabien CHAMBARLHAC, membre de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES DES ACCIDENTS DE TRAVAIL DE LA NOUVELLE-CALEDONIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 2]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 9 novembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.

29/08/2024 : Copie revêtue de la forme exécutoire : - Me LAGUILLON ;

Expéditions : - Me CHAMBARLHAC ; La CAFAT ;

- M. [R] et SLN (LR/AR)

- Copie CA ; Copie TT

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 25/01/2024 ayant été prorogé au 12/02/2024, puis au 11/03/2024, puis au 15/04/2024, puis au 16/05/2024, puis au 20/06/2024, puis au 22/07/2024 et au 29/08/2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

Selon lettre d'engagement datée du 26 janvier 1995, M. [R] a été embauché par la société Le Nickel en qualité de mécanicien entretien, à dater du 1er février 1995, avec reprise d'ancienneté à compter du 1er mai 1994, et affecté à l'usine de [Adresse 3]. Il a été ultérieurement promu chef d'équipe mécanicien d'entretien.

Par lettre datée du 31 juillet 2017, la société Le Nickel a notifié à M. [R] une mise à pied disciplinaire de trois jours ouvrés pour faits d'insubordination commis les 2 et 28 juin 2017.

Par lettre datée du 6 novembre 2017, elle a notifié au salarié une mise à pied disciplinaire d'un jour pour une absence injustifiée le 14 août 2017.

Par lettre datée du 22 mai 2019, elle a notifié à M. [R] une mise à pied disciplinaire d'un jour pour une insubordination commise le 12 avril 2019.

Par lettre datée du 15 novembre 2019, la société Le Nickel a convoqué M. [R] à un entretien préalable à une mesure disciplinaire pour aller jusqu'au licenciement, fixé au 21 novembre 2019. Le salarié ayant refusé de recevoir la lettre de convocation, l'employeur l'a convoqué à un nouvel entretien préalable fixé au 25 novembre 2019, suivant lettre datée du 18 novembre 2019.

A l'occasion d'un entretien tenu le 21 novembre 2019 avec la directrice des relations humaines de l'entreprise, en présence d'un délégué syndical, M. [R] a fondu en larmes et a été conduit à l'infirmerie.

Selon « certificat médical initial » du 21 novembre, M. [R] a été placé en arrêt de travail par le docteur [H], médecin généraliste pour un « malaise lors d'un entretien professionnel » pour la période du 21 novembre 2019 au 29 novembre 2019. Cet arrêt de travail sera successivement prorogé au-delà du 25 février 2020.

Le 26 novembre 2019, l'employeur a adressé une déclaration d'accident du travail pour un accident survenu le 21 novembre 2019 dans laquelle les « causes et les circonstances » de l'accident étaient décrites comme suit : « Effondrement psychologique lors d'un entretien avec la hiérarchie et ressources humaines (entretien disciplinaire) ». Concomitamment, la société Le Nickel a transmis à la CAFAT un courrier dans lequel elle a émis des « réserves concernant l'accident du travail » de M. [R].

Selon lettre datée du 12 décembre 2019, la CAFAT a informé M. [R] que l'accident dont il avait été victime le 21 novembre 2019 ne pouvait « être pris en charge par l'assurance Accidents du travail pour le(s) motifs suivant(s) :

- absence de fait accidentel

En effet, l'accident du travail est légalement caractérisé par l'action violente et soudaine d'une cause extérieure provoquant au cours du travail, une blessure de l'organisme humain pouvant être reliée à l'activité professionnelle. Un entretien professionnel ne constitue pas un fait accidentel. »

Par lettre du 13 décembre 2019, l'employeur a notifié à M. [R] une rétrogradation disciplinaire sur un emploi de « mécanicien d'entretien, PE3, palier 0 » à compter du 1er janvier 2020, en l'avertissant qu'il disposait d'un délai expirant le 18 décembre 2019 pour faire part de son acceptation et qu'en cas de refus de sa part, il serait amené à prendre une autre sanction pouvant être un licenciement.

Dans une lettre datée du 17 décembre, M. [R] a contesté avoir commis une quelconque faute le 24 octobre 2019.

Selon lettre datée du 19 décembre 2019, la société Le Nickel a notifié à M. [R] son licenciement pour « faute grave », tout en le dispensant « à titre exceptionnel », d'exécuter son préavis.

Le 24 février 2020, la commission de conciliation et de recours gracieux, sur recours du salarié, a reconnu un caractère professionnel à l'accident du 21 novembre 2019.

Selon requête introductive d'instance déposée le 22 juillet 2020, M. [R], qui affirmait avoir été victime de faits de harcèlement moral et imputait l'accident de travail du 21 novembre 2019 à la faute inexcusable de son employeur, a recherché la responsabilité de son employeur et sollicité l'annulation du licenciement (RG 20/132).

Selon requête introductive d'instance déposée le 2 octobre 2020, la société Le Nickel a contesté le caractère professionnel de l'accident du 21 novembre 2019 (RG 20/182).

Selon jugement en date du 24 juin 2022, le tribunal du travail de Nouméa a :

- ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 20/132 et RG 20/182,

- déclaré recevable la demande de l'employeur tendant à dire que les faits du 21 novembre 2019 n'étaient pas constitutifs d'un accident de travail dans sa relation avec la CAFAT et dans sa relation avec M. [R],

- dit que la décision de la commission de conciliation et de recours gracieux de la CAFAT de prise en charge au titre l'accident de travail était définitive dans ses relations avec la victime,

- dit cependant que M. [R] n'avait pas fait l'objet d'un accident de travail le 21 novembre 2019,

- dit qu'il n'avait pas fait l'objet d'actes de harcèlement moral,

- dit qu'il n'y avait pas lieu d'annuler les mises à pied disciplinaires antérieures au licenciement,

- dit que son licenciement pour faute grave était irrégulier mais justifié,

- débouté M. [R] de toutes ses demandes à l'exception de celle pour irrégularité de licenciement,

- condamné la société Le Nickel à lui payer la somme de 375.510 FCFP au titre de l'indemnité pour procédure irrégulière,

- dit n'y avoir lieu à paiement de frais irrépétibles,

- fait masse des dépens et qu'ils seraient partagés par moitié entre les parties.

Les premiers juges ont retenu en substance :

- que M. [R] ayant été informé depuis le 15 novembre de l'entretien en vue d'une sanction disciplinaire, il n'était pas démontré qu'il avait subi un choc psychologique le 21 novembre 2019 et il ne pouvait pas être retenu qu'il avait été victime d'un accident du travail ;

- que les trois mises à pied disciplinaires, justifiées par des faits répétés d'insubordination du salarié, étaient étrangères à tout acte de harcèlement et n'étaient pas disproportionnées ;

- que le 24 octobre 2019, M. [R] avait commis une insubordination caractérisée en découpant une tôle pendant son temps de travail, sans lien avec un travail ou un chantier de l'entreprise ;

- qu'aucun élément objectif sérieux ne démontrait que les faits dénoncés par M. [R] étaient constitutifs de faits de harcèlement moral ;

- que la procédure de licenciement n'était pas régulière puisque M. [R] n'avait pas été reconvoqué à la suite de son refus d'accepter la mesure de rétrogradation proposée ;

- que l'insubordination du 24 octobre 2019 caractérisait une faute grave, compte tenu des précédentes mises à pied et le licenciement était légitime.

Selon requête déposée le 19 juillet 2022, M. [R] a interjeté appel de cette décision en intimant la société Le Nickel et la CAFAT.

Aux termes de son mémoire transmis le 21 juin 2023, M. [R] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- dire et juger que M. [R] a été victime d'une situation de harcèlement moral ;

- condamner la société Le Nickel à lui payer et porter la somme de 3.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la société Le Nickel à payer et porter à M. [R] la somme de 300.000 FCFP à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à l'absence de prévention par l'employeur des faits de harcèlement ;

- annuler les sanctions suivantes s'inscrivant dans le cadre du harcèlement moral subi par M. [R] :

la mise à pied disciplinaire de trois jours le 31 juillet 2017

la mise à pied disciplinaire d'un jour le 22 mai 2019

la mise à pied disciplinaire d'un jour le 6 novembre 2019 ;

- dire et juger que l'accident du travail dont a été victime M. [R] est la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur ;

- fixer la rente d'incapacité permanente à son maximum légal ;

- ordonner une expertise afin de chiffrer les préjudices subis par M. [R] ;

- désigner un médecin expert ;

- allouer à M. [R] en réparation des préjudices personnels qu'il subit du fait de son accident, des dommages et intérêts dont les montants seront évalués notamment au regard du rapport du médecin expert ;

- dire et juger que les frais d'expertise seront mis à la charge de la CAFAT ;

- dire et juger que le licenciement de M. [R] est irrégulier ;

- condamner la société Le Nickel à régler à M. [R] la somme de 373.510 FCFP (correspondant à un mois de salaire) pour l'irrégularité résultant de l'absence de réel

entretien préalable au licenciement ;

- dire et juger que le licenciement de M. [R] a été causé par son refus de subir

des actes de harcèlement moral ;

- dire et juger que l'employeur ne justifie d'aucune faute grave alors qu'il a licencié M.

[R] durant une période de suspension de son contrat de travail ;

- dire et juger que le licenciement dont M. [R] a fait l'objet est nul ;

- ordonner la réintégration de M. [R] au poste qu'il occupait avant la rupture suivant des conditions contractuelles, salariales et de travail identiques, et ce, sous astreinte de 15.000 FCFP par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société Le Nickel à régler à M. [R] les salaires et congés payés qu'il aurait dû percevoir s'il avait continué à travailler à compter de la date du licenciement

jusqu'à la date de sa réintégration effective au sein de l'entreprise ;

à titre subsidiaire,

- condamner la société Le Nickel à payer et porter à M. [R] les sommes suivantes :

1.362.065 FCFP à titre d'indemnité de licenciement

373.510 FCFP à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement

12.000.000 FCFP à titre dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse ;

- dire et juger que le licenciement de M. [R] a été prononcé dans des conditions

brutales et vexatoires ;

- condamner la société Le Nickel à lui payer et porter la somme de 1.126.530 FCFP à titre de dommages et intérêts ;

- dire et juger qu'en application de l'article 1153-1 du code civil, l'ensemble des sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- prononcer la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil ;

- condamner l'employeur à verser la somme de 840.000 FCFP au demandeur au titre

de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel ainsi qu'aux entiers dépens ;

- débouter la société Le Nickel de ses demandes reconventionnelles.

Selon conclusions transmises le 25 avril 2023, la société Le Nickel prie la cour de :

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. [R] à verser à la société Le Nickel une somme de 500.000 FCFP en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Suivant conclusions déposées le 27 juillet 2023, la CAFAT demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas reconnu le caractère professionnel de l'accident dont a été victime M. [R] le 21 novembre 2019 ;

- constater qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour s'agissant des autres demandes formulées par M. [R].

Sur ce, la cour,

1) M. [R] affirme avoir été victime d'une « situation de harcèlement managérial » ou encore de « comportements anormaux, de pressions et de sanctions injustifiées de sa hiérarchie depuis 2017 » et expose que les mises à pied qui lui ont été infligées s'inscrivaient dans ce processus de harcèlement.

L'article Lp 114-1 du code du travail applicable en Nouvelle-Calédonie dispose : « Sont constitutifs de harcèlement moral et interdits, les agissements répétés à rencontre d'une personne, ayant pour objet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, de compromettre son avenir professionnel. »

Cette définition est plus restrictive que celle adoptée par le code du travail métropolitain. Les règles sur la charge de la preuve posées par ce code, auxquelles l'appelant fait allusion lorsqu'il soutient qu'il lui suffit d'apporter des éléments laissant seulement présumer l'existence d'un harcèlement moral, n'ont pas vocation à régir le présent litige. La cour doit, selon les termes de l'article Lp 114-7 du code du travail local, « former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. »

A l'appui de ses prétentions, M. [R] soumet à la cour les mêmes pièces que celles qui ont été examinées par les premiers juges

Les premiers juges, qui ont procédé à une analyse précise des éléments sur lesquels s'appuyait M. [R], ont noté que les témoignages produits n'étaient pas circonstanciés et qu'ils n'articulaient aucun fait précis. Le même constat s'impose à la cour qui fait sienne l'analyse du tribunal. Notamment, l'attestation de M. [G] en date du 27 janvier 2021 n'apporte aucun éclairage supplémentaire : ce témoin écrit que M. [R] « a tellement subi pendant des années » mais ne fournit aucun exemple du mauvais traitement auquel son collègue aurait été soumis et les annexes n° 34, 36 et suivantes relatent des événements survenus postérieurement à l'arrêt de travail et au licenciement de M. [R] : aucun d'entre eux n'évoque la situation de M. [R].

M. [R] affirme dans ses conclusions avoir fait « l'objet de la part de ses supérieurs d'un traitement anormal qui traduisait un usage mal intentionné de leur pouvoir de direction à son égard » (page 35). En dehors de sa contestation des mises à pied disciplinaires prononcées à son encontre et de l'entretien du 21 novembre 2021 à la suite duquel il a été placé en arrêt de travail, l'appelant n'illustre pas le « traitement anormal » dont il aurait été victime.

2) M. [R] sollicite l'annulation des sanctions suivantes :

la mise à pied disciplinaire de trois jours prononcée le 31 juillet 2017

la mise à pied disciplinaire d'un jour prononcée le 22 mai 2019

la mise à pied disciplinaire d'un jour prononcée le 6 novembre 2019,

qui, selon lui, s'inscrivent « pleinement » dans la situation de harcèlement moral qu'il dénonce.

Ainsi que l'ont déjà souligné les premiers juges, la chronologie proposée par M. [R] est inexacte puisqu'aucune mise à pied ne lui a été notifiée le 6 novembre 2019, soit dans les semaines qui ont précédé son licenciement, mais que cette sanction est intervenue le 6 novembre 2017.

Selon les termes de la lettre du 31 juillet 2017, la mise à pied disciplinaire de trois jours avait été motivée d'une part par le comportement adopté par M. [R] et certains de ses collègues qui, pour protester contre une réorganisation du service IEU, avaient voulu empêcher la tenue d'une réunion d'information organisée le 2 juin 2017, avaient garé leur véhicule de service « en marche avant et avec la musique à un niveau de volume inacceptable » et avaient refusé de baisser le son, d'autre part par le refus réitéré à deux reprises de M. [R] d'exécuter le travail confié par le contremaître le 28 juin 2017.

Si M. [R] écrit qu'il a « toujours, avec l'aide de son syndicat, contesté les sanctions qui lui étaient notifiées et demandé le respect de ses droits », il ne fournit aucune version des événements litigieux des 2 et 28 juin 2017, ni la moindre explication sur les comportements qui lui sont prêtés, alors que l'action perturbatrice de M. [R] lors de la réunion du 2 juin 2017 est attestée par MM. [N] et [T] et l'insubordination admise par M. [O]. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu à annulation d'une sanction disciplinaire justifiée au regard des insubordinations répétées du salarié.

Le 6 novembre 2017, il a été sanctionné en raison d'une « absence au poste de travail le lundi 14 août 2017 sans avoir prévenu (sa) hiérarchie qui plus est ». Dans une lettre datée du 3 novembre 2017, l'intéressé a expliqué qu'il s'était « permis de prendre un jour de mise à pied » au motif qu'il s'était senti « démoralisé, découragé ». L'employeur a légitimement pu sanctionner un tel abandon de poste par une mise à pied.

La dernière mise à pied prononcée le 22 mai 2019 avait été motivée par une « insubordination caractérisée le vendredi 12 avril 2019 en ne vous présentant pas à une réunion organisée par votre hiérarchie en début de poste pour la passation des consignes relatives au travail à effectuer durant la journée ». L'épisode est décrit dans un courriel de M. [T] en date du 12 avril 2019 : il résulte de ce message que M. [R] avait eu le même comportement la veille. M. [R] ne fournit dans ses écritures aucune explication sur son attitude. La sanction prononcée dans ces circonstances n'appelle aucune réserve.

En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces mises à pied disciplinaires.

3) Il résulte de ce qui précède que M. [R] ne démontre pas avoir été victime d'un harcèlement moral au sens de l'article Lp 114-1 du code du travail. Il sera débouté de la demande de dommages et intérêts formulée à ce titre.

4) Contestant la décision entreprise sur ce point, M. [R], qui affirme avoir perdu connaissance durant l'entretien qu'il avait eu avec la directrice des ressources humaines, soutient qu'il a été victime d'un accident du travail le 21 novembre 2019.

Si le dossier ne démontre nullement que M. [R] a perdu connaissance au cours de l'entretien, il n'en demeure pas moins qu'il s'est mis à pleurer au cours de l'entretien et que son transfert à l'infirmerie a été jugé opportun. Le docteur [H] qui a placé M. [R] en arrêt de travail a retenu dans le certificat médical initial que le salarié avait été victime d'un « malaise » au cours de l'entretien.

Dès lors que M. [R] prétend avoir ressenti une brusque défaillance de ses forces, combinée à des tremblements au niveau du bras droit et des palpitations du coeur (courrier adressé à l'inspection du travail), ce qui correspond au malaise évoqué par le médecin traitant, au cours de l'entretien avec sa hiérarchie, c'est-à-dire aux temps et lieu de travail, et que la réalité d'un choc psychologique a été médicalement admise, il convient de retenir que le salarié a été victime d'un accident du travail.

5) M. [R] impute son accident du travail à une faute inexcusable de son employeur.

Non seulement, la cour n'a pas retenu que M. [R] avait été victime d'un harcèlement moral mais encore le dossier montre que l'intéressé entendait braver sa hiérarchie, ainsi qu'en attestent trois mises à pied pour insubordination. L'employeur n'avait aucun motif de craindre qu'un entretien au cours duquel une menace de licenciement serait mentionnée, exposerait M. [R] à un choc émotionnel.

A aucun moment, M. [G], le délégué syndical qui accompagnait M. [R], n'expose, dans sa lettre à l'inspection du travail ou dans son attestation ultérieure, que ses supérieurs auraient eu à son égard un comportement agressif ou méprisant. Dans ces conditions, aucune faute inexcusable ne sera imputée à la société Le Nickel. Toutes les demandes formulées par l'appelant à ce titre seront rejetées.

6) L'article Lp 127-2 du code du travail prévoit que le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie.

L'article Lp 127-3 dispose qu'au cours des périodes de suspension, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail à durée indéterminée que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat, pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

Il résulte de la combinaison de ces textes que, dans la mesure où le contrat de travail était suspendu du fait de l'accident du travail du 21 novembre 2019, M. [R] ne pouvait être licencié que pour faute grave.

Il est admis qu'une faute grave résulte d'une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail qui rend impossible le maintien dans l'entreprise.

Dès lors que la société Le Nickel avait dans un premier temps choisi de sanctionner la faute reprochée au salarié par une rétrogradation disciplinaire sur un emploi de « mécanicien d'entretien, PE3, palier 0 » à compter du 1er janvier 2020, il s'en déduit que l'employeur ne tenait pas le maintien de M. [R] dans l'entreprise pour impossible. La conduite même de la procédure disciplinaire par l'employeur n'est pas compatible avec la qualification de faute grave retenue dans la lettre de licenciement.

En conséquence, la cour retiendra que la faute éventuellement commise le 24 octobre 2019 par M. [R] n'autorisait pas un licenciement durant la période de suspension du contrat de travail.

L'article Lp 127-8 ajoutant que « toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de l'article Lp 127-3 est nulle, la cour constatera la nullité du licenciement notifié par lettre du 19 décembre 2019. La réintégration du salarié, que celui-ci sollicite, sera ordonnée.

7) Dès lors que le licenciement a été annulé, M. [R] ne peut prétendre à aucune indemnité pour l'irrégularité de la procédure de licenciement.

8) La nullité du licenciement ne sanctionnant pas en l'espèce la méconnaissance d'une liberté ou d'un droit à valeur constitutionnelle, M. [R] a droit à la réparation du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé. Les revenus perçus par l'intéressé entre le licenciement et la réintégration effective ont vocation à être déduits de l'indemnité due par l'employeur. La cour ne saurait entériner la demande de M. [R], telle qu'il la formule dans ses conclusions, et condamner la société Le Nickel à régler à M. [R] « les salaires et congés payés qu'il aurait dû percevoir s'il avait continué à travailler à compter de la date du licenciement jusqu'à la date de sa réintégration effective au sein de l'entreprise ». La réouverture des débats sera ordonnée afin que les parties s'expliquent sur le montant de l'indemnité dite d'éviction due à M. [R].

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [R] de ses demandes formulées au titre du harcèlement moral et de sa demande en annulation des mises à pied disciplinaires ;

Infirme pour le surplus le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Déclare que l'accident dont M. [R] a été victime le 24 octobre 2019 a un caractère professionnel ;

Déboute M. [R] de son action en responsabilité fondée sur la faute inexcusable de la société Le Nickel et de ses demandes incidentes ;

Déclare nul le licenciement notifié suivant lettre datée du 19 décembre 2019 ;

Ordonne la réintégration de M. [R] dans l'entreprise ;

Déboute M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour l'irrégularité de la procédure de licenciement ;

Sursoit à statuer sur les conséquences pécuniaires de la nullité du licenciement ;

Ordonne la réouverture des débats et enjoint aux parties de s'expliquer sur le montant de l'indemnité d'éviction ;

Renvoie l'affaire à la mise en état ;

Réserve les dépens.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00051
Date de la décision : 29/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-29;22.00051 ?
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