No 269
RG 544 / CIV / 04
Grosses délivrées à
Mes Loyant et Hayoun
le
Expédition délivrée à
Me Maisonnier
le
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 22 mai 2008
Madame Roselyne LASSUS-IGNACIO, conseillère à la Cour d'Appel de Papeete, assistée de Mme Maeva SUHAS-TEVERO, greffier ;
En audience publique tenue au Palais de Justice ;
A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :
Entre :
Monsieur Brahman Hiro X..., né le 5 mars 1964 à Papeete, de nationalité française, retraité, demeurant à Punaauia PK 10, 800 côté mer ;
Appelant par requête en date du 20 septembre 2004, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'Appel le 20 septembre 2004, sous le numéro de rôle 04 / 00544, ensuite d'un jugement no 02 / 00701 du Tribunal Civil de première instance de Papeete en date du 3 mars 2004 ;
Représenté par Me MAISONNIER, avocat au Barreau de Papeete ;
d'une part ;
Et :
1- Madame Nola Jessie X... dite Namo, née le 24 décembre 1935 à Papeete, décédé en cours d'instance ;
2- Monsieur Richard Y... X..., né le 1er juin 1938 à Papeete, de nationalité française, retraité, demeurant à Afaahiti Taravao ;
3- Monsieur Z... X..., né le 4 juin 1948 à Papeete, de nationalité française, chef de service, demeurant 27 Del Aventura Irvine 32606-8828 92710 Californie (USA) ;
4- Madame A... (lieva) Leona X..., née le 15 juin 1952 à Papeete, de nationalité française, demeurant à 91-917 Nohoihoewa Place 96706 Ewa Beach Hawaii ;
5- B... Katia Moana X... épouse C..., née le 19 mars 1955 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;
6- Madame Rosita D... X... épouse J..., née le 20 février 1957 à Papeete, de nationalité française, demeurant 1033 1 / 2 Cadieux Grosse Pointe Park Michigan 48230 Usa ;
7- Madame Bélinda Elise X..., née le 22 juillet 1958 à Papeete, de nationalité française, demeurant à Iaorana Villa faré no 10, représentée par M. Gérard J..., curateur ;
Représentée par Me HAYOUN, avocat au Barreau de Papeete ;
8- Monsieur E... Oututaihia X..., né le 11 avril 1965 à Taravao, de nationalité française, magasinier, demeurant à Paea ;
9- Madame Flora F... X..., née le 9 juillet 1969 à Papeete, de nationalité française, demeurant à Taravao ;
10- Mademoiselle Andréa Carol G..., née le 21 février 1958 à Auckland-Nouvelle Zélande, de nationalité française, assistante dentaire, demeurant à Pirae résidence Aute, lot no 5 ;
11- Monsieur Michael Karim Teva H..., anciennement X..., steward, demeurant à Papara PK 40, 200 côté mer, Atimaono, époux de B... SHANG, né le 5 novembre 1962 ;
Les numéros 10 et 11, tous deux enfants de Madame Nola Jessie X..., née le 24 décembre 1935 à Papeete, de nationalité française, divorcée non remariée de Monsieur Brian James G..., décédée en cours d'instance d'appel ;
Les numéros 1 à 6 et 8 à 11, représentés par Me LOYANT, avocat postulant au Barreau de Papeete et la Société LE PORZOU DAVID ERGAN, avocats à la Cour d'Appel de RENNES ;
Intimés ;
d'autre part ;
Après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 13 mars 2008, devant M. SELMES, président de chambre, M. MOYER, conseiller et Mme LASSUS-IGNACIO, conseillère, assistés de Mme SUHAS-TEVERO, greffier, le prononcé de l'arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
A R R E T,
LES FAITS ET LA PROCEDURE :
Nola, Richard, Stanley, Lieva, Katia, Rosita, Bordeaux, Flora, Brahman et Bélinda X..., héritiers de Y... Tetuanui X..., étaient propriétaires indivis d'un important ensemble immobilier situé à PUNAAUIA, qui avait été donné à bail à l'ETAT Français (Ministère de la défense) et où était exploité un centre d'accueil et de loisirs appelé IA ORANA VILLA.
L'ETAT a dénoncé le bail le 9 juin 2000.
L'ensemble immobilier a ensuite été donné à bail précaire à Brahman X..., un des indivisaires, et à son demi frère (étranger à l'indivision) jusqu'au 1er juin 2003.
Nola, Richard, Stanley, Lieva, Katia, Rosita, Bordeaux, Flora X... (les consorts X...) ont trouvé des acquéreurs pour l'ensemble au prix de 900 millions de francs Pacifique.
Brahman X..., qui tentait d'acquérir une partie du bien indivis, ainsi que sa s œ ur Bélinda ont refusé de donner leur accord pour la vente du bien, et les autres indivisaires ont saisi le Tribunal afin d'être autorisés à passer l'acte sans le consentement de Brahman et Bélinda X... sur le fondement de l'article 815-5 du Code Civil, et d'obtenir des dommages et intérêts.
Bélinda X... s'est ensuite désolidarisée de Brahman X... et a rejoint les demandeurs.
Par jugement du 3 mars 2004 le Tribunal de Première Instance de PAPEETE a fait droit à la demande principale, a débouté les consorts X... de leur demande de dommages et intérêts et a condamné Brahman X... à payer 300 000 FCFP pour frais et honoraires non compris dans les dépens.
Brahman X... a relevé appel de ce jugement le 20 septembre 2004.
Les consorts X... ont conclu le 13 mai 2005. Ils sollicitaient la confirmation du jugement, mais formaient un appel incident pour obtenir des dommages et intérêts pour résistance et appels abusifs, et une indemnité sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de POLYNESIE FRANCAISE.
Brahman X... s'est désisté de son appel, mais avec des réserves le 7 décembre 2005.
LES MOYENS ET DEMANDES DES PARTIES DEVANT LA COUR :
Brahman X... a " renoncé " à son appel le 7 décembre 2005.
Il fait valoir que le premier compromis de vente était caduc, qu'un autre acquéreur s'était présenté et qu'un nouveau compromis a été signé par l'ensemble des héritiers X..., lui-même s'engageant à renoncer à la procédure d'appel.
Toutefois il précise qu'il n'acquiesce pas au jugement qui porte sur un compromis différent de celui qui a été signé et il demande à la cour de dire que chaque partie supportera ses frais et dépens.
Dans ses écritures récapitulatives du 22 octobre 2007 Brahman X... reprend son argumentation de première instance, soutient que les conditions de l'article 815-5 du Code Civil n'étaient pas réunies et que la demande des consorts X... n'était pas fondée et qu'elle est devenue sans objet.
Il précise qu'aux termes du compromis conclu entre l'indivision et les nouveaux acquéreurs, il devait se désister de son appel, mais que chaque partie devait supporter la charge de ses frais et dépens.
Pour s'opposer aux demandes indemnitaires des intimés il fait valoir que ceux-ci ne respectent pas ses droits d'indivisaire, qui lui permettaient légitimement de refuser la vente de l'immeuble, alors même qu'aucun péril ne pesait sur l'indivision justifiant la demande faite au Tribunal.
Quant à l'indemnité d'occupation, il fait valoir qu'il n'exploite pas les lieux, que la location avait été consentie à la Société Immobilière de PUNAAUIA qui est d'ailleurs poursuivie parallèlement devant le Tribunal en condamnation au paiement des loyers (réglés mais refusés par l'indivision) et en validité de saisie attribution.
Il demande donc à la cour de lui donner acte de ce qu'il renonce à la procédure d'appel, de rejeter les prétentions des consorts X..., y compris en ce qui concerne les frais et honoraires auxquels il a été condamné en première instance, et de dire que chaque partie supportera ses frais et dépens.
Les consorts X..., intimés :
A la suite du décès de Nola X..., sont désormais dans la cause comme intimés ses deux enfants Andrea Carol G... et Michael Karim Teva H... " anciennement X... " (sic), aux côtés de Stanley, Lieva, Katia, Rosita, Bordeaux et Flora X....
Richard X... étant décédé, les consorts X... font savoir à la cour que sa veuve et unique héritière refuse de poursuivre l'instance et leur conseil a modifié la liste des intimés concluants.
Les " consorts X... " sont donc à ce jour Andrea Carol G..., Michael Karim Teva H... " anciennement X... ", Stanley, Lieva, Katia, Rosita, Bordeaux et Flora X....
Les consorts X... rappellent les man œ uvres dilatoires de Brahman X..., qui ont découragé leurs premiers acquéreurs.
Ils font observer que Brahman X... s'était engagé à se désister de son appel dans les 48 h de la signature du compromis conclu les 18, 25 et 30 mai 2005, mais qu'il n'a exécuté son obligation qu'avec 6 mois de retard, et encore en excluant de ce désistement les frais et les dépens.
Ils rappellent que le désistement a pour effet de rendre exécutoire et définitif le jugement de première instance de sorte que si l'autorisation relative à la vente est devenue sans objet, la condamnation sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de POLYNESIE FRANCAISE reste exécutoire.
La vente de l'immeuble a été réalisée au prix de 850 millions au lieu des 900 prévus initialement, et ils demandent que Brahman X... soit condamné à leur verser la différence de 50 millions de FCFP en réparation de la perte financière occasionnée par les man œ uvres de Brahman X....
Les consorts X... rappellent aussi que l'immeuble avait été loué à Brahman X... et son associé au prix de 1 000 000 FCFP par mois du 18 mai 2001 au 31 mai 2003. Or Brahman X... l'a occupé et exploité jusqu'en juin 2006.
Ils sollicitent en conséquence une indemnité d'occupation égale au loyer initial, soit au total 36 millions de FCFP.
Ils réclament également des dommages et intérêts destinés à compenser le fait que les co-indivisaires n'ont pas pu percevoir pendant plus de trois ans leur part d'indivision, en raison des procédés illégaux d'obstruction mis en œ uvre par Brahman X... pour s'opposer à la vente ; ce préjudice doit s'évaluer selon eux sur la base de 4 % d'intérêt annuel pendant 3 ans, sur 900 millions, soit 108 millions.
La résistance abusive de Brahman X... justifie en outre selon les intimés 100 millions de dommages et intérêts, pour compenser le préjudice subi par certains d'entre eux dont la vie a été bouleversée.
Enfin ils sollicitent 1 000 000 FCFP sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de POLYNESIE FRANCAISE et la condamnation de Brahman X... aux dépens d'appel.
Les consorts X... demandent encore à la cour de dire que ces sommes seront réparties au prorata des droits des parties dans les successions de leur grand père et père conformément au testament de leur père, " à l'exception bien sûr de la part de Brahman X... qui sera allouée à parts égales à ses frères et s œ urs ".
Bélinda X..., placée sous curatelle renforcée, intervient par son curateur Gérard J..., et s'associe aux demandes des intimés.
MOTIFS DE LA DECISION :
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée.
Sur les parties en cause :
La cour constate l'intervention en cause d'appel des ayants droit de Nola X..., Andréa Carol G... et Michael Karim Teva H... " anciennement X... " et de Bélinda X... assistée de son curateur Gérard J...aux côtés des intimés.
Il est également constaté que la veuve de Richard X... a renoncé à la procédure d'appel.
Sur la portée de la " renonciation " de Brahman X... à la procédure d'appel :
Brahman X... ne s'est désisté de son appel que sur la question de la vente de l'immeuble mais a fermement contesté devoir les frais et honoraires.
Le désistement n'était donc que partiel et la cour reste saisie de la question relative à la mise en œ uvre de l'article sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de la Polynésie française, qui sera examinée ultérieurement au chapitre " frais et honoraires " du présent arrêt.
Sur les dommages et intérêts sollicités par les consorts X... :
Toutes les demandes de dommages et intérêts formées par les consorts X... sont fondées sur le refus, abusif selon eux, de Brahman X... de donner son accord pour la vente de l'immeuble au prix de 900 millions de FCFP en 2002.
Il s'agit donc de rechercher si le refus de Brahman X... était fautif et s'il a causé un préjudice aux autres membres de l'indivision.
Il résulte des pièces du dossier qu'apparemment Brahman X... désirait acquérir une partie de l'immeuble pour une somme jugée dérisoire par ses frères et s œ urs, avec un paiement différé de deux ans.
Cependant Brahman X... ne s'explique pas sur les raisons réelles de son refus, se bornant à arguer de ses propres droits d'indivisaire, sans juger utile d'exposer ses motifs à la cour.
Ce refus sans raison sérieuse doit donc être jugé fautif ; il a entraîné pour les autres membres de l'indivision un préjudice financier, l'immeuble ayant été vendu à un prix inférieur à celui escompté et avec plusieurs années de retard.
Toutefois compte tenu de l'aléa de toute vente immobilière, surtout d'une telle ampleur, et alors qu'il n'avait pas été signé entre vendeurs et acquéreurs un compromis de vente (les acquéreurs ayant seulement formulé par écrit à deux reprises leur offre d'achat, jugée sérieuse par le notaire) il convient de considérer ce chef de préjudice comme une simple perte de chance de vendre l'immeuble.
En réparation de ce chef de préjudice, Brahman X... doit verser à l'indivision 40 millions de FCFP.
Il est constant que les cohéritiers n'ont pu user des liquidités provenant de la vente pendant au moins trois ans ; toutefois, le préjudice qui en résulte ne peut être évalué sur la base du revenu de placements financiers aléatoires, et la cour dispose des éléments suffisants pour fixer cette indemnité à 10 000 000 FCFP.
Sur l'indemnité d'occupation :
Il n'est pas contesté que, ainsi qu'il le soutient, Brahman X... n'est pas le seul occupant de la propriété, donnée à bail à la Société Immobilière de PUNAAUIA, pas plus qu'il n'est discuté que cette société fait l'objet d'une action en paiement parallèle.
La demande, en ce qu'elle est formulée contre Brahman X... seul, n'est pas recevable.
Sur le caractère abusif de la résistance de Brahman X... et de l'appel :
Les consorts X... ne rapportent pas la preuve que le droit d'agir en justice exercé par Brahman X... a dégénéré en abus ; en outre ils ne justifient d'aucun autre préjudice que celui résultant dans la tardiveté de l'encaissement de leur part de succession, préjudice réparé ci-dessus, de sorte que la demande de dommages et intérêts formée par les intimés doit être rejetée.
Quant à la tardiveté du désistement d'appel, il n'est pas démontré qu'elle a causé le moindre préjudice aux consorts X....
Sur les frais et honoraires :
Contrairement à ce que soutient Brahman X..., il ne résulte d'aucune convention, d'aucune transaction, que chaque partie devait supporter ses propres frais et dépens.
Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a mis à la charge de Brahman X... les frais et honoraires non compris dans les dépens pour la procédure devant le Tribunal.
Il est inéquitable de laisser à la charge des consorts X... les frais et honoraires qu'ils ont exposés en appel et Brahman X... doit être condamné à leur payer 500 000 FCFP supplémentaires sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de POLYNESIE FRANCAISE.
La totalité des dépens est à la charge de Brahman X....
Sur la répartition des sommes dues à l'indivision :
Faute pour la cour de connaître les droits des parties dans la succession, il convient de dire que les diverses indemnités dues par Brahman X... seront versées au notaire chargé de la liquidation de la succession et répartie par ses soins aux intéressés à proportion de leurs droits, la part de Brahman X... étant divisée à parts égales entre chacun des autres héritiers.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort ;
- Constate l'intervention volontaire en cause d'appel de Andrea Carol G... et Michael Karim Teva H... " anciennement X... ", venant aux droits de Nola X..., décédée ;
- Constate que Bélinda X... assistée de son curateur Gérard J...intervient aux côtés des intimés ;
- Constate que Makirina I..., veuve et seule héritière de Richard X... n'entend pas poursuivre la procédure contre Brahman X....
Dit que l'appel est régulier ;
Vu le désistement partiel d'appel de Brahman X...,
- Constate que l'autorisation de passer la vente sans l'accord de Brahman X... est sans objet ;
- Confirme le jugement en ce qu'il a condamné Brahman X... à payer aux consorts X... TROIS CENT MILLE (300 000) FRANCS PACIFIQUE pour frais et honoraires non compris dans les dépens.
Réformant le jugement déféré pour le surplus,
- Condamne Brahman X... à payer à Andréa Carol G..., Michael Karim Teva H... " anciennement X... ", Stanley, Lieva, Katia, Rosita, Bordeaux et Flora X... QUARANTE MILLIONS (40. 000. 000) FRANCS PACIFIQUE de dommages et intérêts pour perte de chance et DIX MILLIONS (10. 000. 000) FRANCS PACIFIQUE en réparation de leur préjudice financier ;
- Condamne Brahman X... à payer aux consorts X... CINQ CENT MILLE (500 000) FRANCS PACIFIQUE supplémentaires pour la procédure devant la cour ;
- Dit que les diverses indemnités dues par Brahman X... seront payées au notaire chargé de la liquidation de la succession et réparties versées par les soins du notaire en proportion des droits des indivisaires, la part de Brahman X... étant divisée à parts égales entre chacun des autres héritiers ;
- Dit que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation est irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre Brahman X... seul.
- Condamne Brahman X... aux dépens de première instance et d'appel.
Rejette toute autre demande.
Prononcé à Papeete, le 22 mai 2008.
Le Greffier, Le Président,
M. SUHAS-TEVERO JP. SELMES