RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre B
ARRÊT DU 17 Janvier 2008
(no , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/00373
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Octobre 2005 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS (4ème Section) RG no 19.203/00
APPELANTE
ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE (E.N.I.M.)
3 Place de Fontenoy
75700 PARIS
représentée par Melle THOMAS en vertu d'un pouvoir spécial
INTIME
Monsieur Boualem X...
...
ALGER
A L G E R I E
représenté par Me Zohra MAHI, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1961
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
58-62, rue de Mouzaia
75935 PARIS CEDEX 19
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Décembre 2007, en audience publique, les parties représentées ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseiller
Madame Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller,
Greffier : Madame Claire AUBIN-PANDELLÉ, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Madame Claire AUBIN- PANDELLÉ, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur Boualem X..., né le 4 mai 1933, inscrit au Quartier des Affaires maritimes de Dunkerque, a navigué sous pavillon français en tant que mécanicien entre le 24 juillet 1951 et le 19 juillet 1963.
Par décision du 22 février 1994, l'E.N.I.M. a rejeté la demande de liquidation de pension formée par Monsieur Boualem X... au motif que celui-ci a acquis des droits auprès du régime de protection sociale des gens de mer algérien.
Par jugement en date du 19 juin 1996, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris l'a débouté de sa demande. Ayant interjeté appel de ce jugement, Monsieur Boualem X... s'est ensuite désisté dès lors que l'E.N.I.M. déclarait revenir sur sa décision et avoir revu les droits de celui-ci.
Par lettre du 2 juillet 1998, l'E.N.I.M. informait Monsieur Boualem X... que la pension spéciale ne pourrait être liquidée qu'autant qu'il aura demandé la liquidation de sa retraite acquise auprès du régime général de sécurité sociale.
La pension a ensuite été liquidée sur la base de douze annuités et, par lettre du 22 juin 2000, l'E.N.I.M. rejetait la demande de pension spéciale au motif que ce n'est qu'à défaut de droit à pension de retraite servie par un régime légal ou réglementaire de sécurité sociale que la concession et l'entrée en jouissance de la pension spéciale interviennent à compter du 60ème anniversaire.
Monsieur Boualem X... a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris aux fins de contester le point de départ de la pension de vieillesse et demander que celle-ci prenne effet au 4 mai 1993. A l'audience, il sollicitait également que les annuités soient doublées en raison de ses services rendus pendant la guerre d'Algérie.
Par jugement en date du 19 octobre 2005, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a :
- dit que Monsieur X... Boualem doit bénéficier d'une pension proportionnelle et non spéciale en raison de ses états de services durant la guerre d'Algérie,
- dit que l'E.N.I.M. devra régulariser la situation de Monsieur X... Boualem de ce chef,
- condamné l'E.N.I.M. à payer à Monsieur X... Boualem la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par déclaration reçue au Greffe de la Cour le 29 mars 2006, l'E.N.I.M. a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions déposées au Greffe le 9 août 2007 et soutenues oralement à l'audience par son représentant, l'E.N.I.M. demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de dire que les droits à pension de Monsieur X... ont été correctement liquidés compte tenu de la législation propre au régime spécial des marins.
Après avoir rappelé que les marins peuvent obtenir plusieurs sortes de pension et les modalités de la pension spéciale, l'Etablissement soutient que la période 1954-1962 relative à l'Algérie n'entre pas dans le champ d'application de l'article R 6 du CPRM et que la loi no99-882 du 18 octobre 1999 ne concerne pas les pensions de retraite des régimes obligatoires quels qu'ils soient et n'a pas vocation à étendre le principe de bonification de durée aux services accomplis pendant la guerre d'Algérie. Il en déduit que l'intimé ayant réuni entre le 24 juin 1951 et le 19 juillet 1963 12 ans, 1 mois et 21 jours de services valables pour pension sur la Caisse de retraite des marins, soit 12 annuités, cette durée de service ne lui ouvre droit qu'à une pension spéciale dès lors qu'aucune bonification ne peut lui être accordée. Il ajoute qu'eu égard à l'article 8 du CRPM, la date d'entrée en jouissance de la pension spéciale ne peut être fixée qu'à la date d'obtention de la pension de la CRAM de Nord-Picardie, soit le 1er juin 1999.
A l'audience, Monsieur Boualem X... représenté par son Conseil demande à la Cour, à titre principal, de confirmer le jugement entrepris et de condamner l'E.N.I.M. à lui payer 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et 3 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Subsidiairement, il demande à la Cour de dire que le point de départ de la jouissance de la pension qui lui est due doit être le 1er juin 1989 et d'enjoindre à l'appelant de régulariser sa situation de ce chef tout en condamnant l'Etablissement à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 €.
L'intimé rappelle que, comme devant le tribunal, sa demande principale concerne la nature de la pension dont il doit bénéficier, spéciale ou proportionnelle et sa demande subsidiaire vise la date d'effet de la pension quelle qu'elle soit. Il soutient que ses années de service pendant la guerre d'Algérie doivent être prises en compte pour bonification et que les dispositions conjuguées des articles R 173-6 du code de la sécurité sociale, L 87 du code des pensions civiles et militaires et L 31 du code des pensions des marins empêche de subordonner le paiement de la pension due par l'appelant à la liquidation d'une pension du régime général.
SUR CE
1/. Sur la nature de la pension due par l'E.N.I.M. à Monsieur Boualem X....
Considérant que la combinaison des articles L 5 et R3 du code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche et de plaisance dispose que le droit à pension proportionnelle est acquis après quinze années de service quelle que soit la date à laquelle ils ont été accomplis et cinquante ans d'âge ;
Considérant que l'article L 11 du code des pensions dispose que le temps de navigation active et professionnelle accompli sur des bâtiments français pourvus d'un rôle d'équipage dans des conditions fixées par voie réglementaire, entre en compte pour sa durée effective sous réserve, entre autres dispositions, qu'entrent en compte pour le double de leur durée les services militaires et les temps de navigation active et professionnelle accomplis, en période de guerre, dans les conditions fixées par voie réglementaire ; qu'il est précisé que cette dernière disposition "s'applique à tous les marins du commerce et de la pêche pensionnés antérieurement ou non à l'accomplissement des services susvisés ;
Considérant que la loi no 99-882 du 18 octobre 1999 substituant l'expression "aux opérations effectuées en Afrique du Nord" celle "à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc" modifie strictement le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que le législateur a rappelé que "La République française reconnaît dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs les services rendus par les personnes qui ont participé sous son autorité à la guerre d'Algérie" ;
Considérant, cependant, qu'au-delà de la reconnaissance de la qualité de combattants des personnes ayant participé aux opérations militaires, en Algérie, le législateur a voulu donner solennellement la qualification de "guerre" aux "opérations en Algérie" pour mettre fin aux différends sur le sujet ; que le qualificatif de "guerre" s'applique désormais à toute la période comprise entre novembre 1954 et le 8 avril 1962 en Algérie quelles que soient les demandes concernant cette période ;
Considérant, dès lors, que l'article 11 du code des pensions de retraite des marins doit trouver application en l'espèce dès lors qu'il n'est pas contesté que Monsieur Boualem X... a accompli ses services dans la marine marchande sous pavillon français entre le 24 juillet 1951 et le 8 avril 1962 et donc pendant la période de guerre entre novembre 1954 et le 8 avril 1962 ; qu'il a donc droit à la bonification de la durée de ses services ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que cette période comptant double, Monsieur Boualem X... a accompli 19 années de service et doit donc bénéficier de la pension proportionnelle et non de la pension spéciale comme le soutient l'E.N.I.M. ;
2/. Sur la date de jouissance de la pension proportionnelle due par l'E.N.I.M.
Considérant que l'article R3 susvisé dispose que la jouissance de la pension proportionnelle est différée jusqu'à ce que l'intéressé ait atteint l'âge de cinquante-cinq ans ou jusqu'à la cessation de l'activité si celle-ci est postérieure ;
Considérant que l'Etablissement appelant soutient que le versement de la pension ne peut être accordé qu'à partir de la date de jouissance d'une autre pension, en l'espèce la pension du régime général en application de l'article L 8 du code des pensions de retraite des marins ;
Considérant que ledit article L 8 ne concerne que l'entrée en jouissance de la pension spéciale ; qu'en revanche, l'article R 3 du même code fixant la date d'entrée en jouissance de la pension proportionnelle à l'âge de 55 ans ; que Monsieur Boualem X... étant né le 4 mai 1933, doit bénéficier de cette pension proportionnelle à compter du 1er juin 1988 ;
Considérant, cependant, que par les motifs pertinents que la Cour adopte, le tribunal a exactement retenu que la date du 1er juin 1989 est celle qui doit être retenue pour l'entrée en jouissance de la pension proportionnelle par Monsieur Boualem X... ;
Considérant, en conséquence, que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;
3/. Sur les demandes de dommages et intérêts pour appel abusif.
Considérant que Monsieur Boualem X... a sollicité pour la première fois en 1993 la liquidation de sa pension auprès de l'E.N.I.M. qui, en cours d'instance d'appel d'un jugement ayant rejeté le recours du demandeur, a proposé de régulariser la situation de celui-ci l'incitant à se désister ce qu'a constaté la Cour de ce siège par arrêt en date du 18 décembre 1997 ; que , face à la résistance de l'E.N.I.M., Monsieur Boualem X... a été contraint de saisir de nouveau le tribunal des affaires de sécurité sociale ; que, malgré la "résistance abusive" stigmatisée par le tribunal, l'E.N.I.M. a interjeté appel pour contester, entre autres dispositions du jugement, la date d'entrée en jouissance de la pension alors même que c'est justement le comportement de l'Etablissement lui-même qui l'a incité à repousser au maximum la date de cette entrée en jouissance ;
Considérant, pour ces motifs, que l'appel interjeté par l'E.N.I.M. est abusif ; que Monsieur Boualem X... a été victime d'un délai supplémentaire pour que lui soit allouée la pension à laquelle il a droit ; qu'il subit un préjudice qui sera réparé par la condamnation de l'Etablissement à lui payer la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts ;
Considérant, en outre, qu'il est équitable que Monsieur Boualem X... n'assume pas les frais qu'il a dû engager en cause d'appel ; que l'E.N.I.M. sera condamné à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
CONDAMNE l'Etablissement National des Invalides de la Marine à payer à Monsieur Boualem X... la somme de mille cinq cents euros (1 500 €) à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
CONDAMNE l'Etablissement National des Invalides de la Marine à payer à Monsieur Boualem X... la somme de mille cinq cents euros (1 500 €) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
DIT qu'il y a lieu de faire application à son taux maximum de l'article R 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.
Le Greffier, Le Président,