Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 22 JUIN 2011
(n° 169 , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/24271
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mars 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 07/12696
APPELANTE
La société VETROTECH SAINT GOBAIN (INTERNATIONAL) AG
Société de droit suisse
agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 3] (SUISSE)
dont le domicile est élu en la SCP MONIN D AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour
assistée de Me Pierre LENOIR, avocat au barreau de Paris, toque : J022
plaidant pour la Partnership ALLEN & OVERY LLP
INTIMÉE
La société INTERVER SECURITE, SA
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoués à la Cour
assistée de Me Geoffroy GAULTIER, avocat au barreau de Paris, toque : R17
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Mai 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, Président
Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Melle Aurélie GESLIN
ARRÊT :- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Mademoiselle Aurélie GESLIN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
***
LA COUR,
Vu l'appel relevé par la société de droit suisse Vetrotech Saint Gobain (International)du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3èmechambre, 3èmesection, n° de RG : 07/12696), rendu le 25 mars 2009 ;
Vu les dernières conclusions de l'appelante (28 mars 2011) ;
Vu les dernières conclusions (14 février 2011) de la s.a. Interver Sécurité, intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 26 avril 2011 ;
* *
SUR QUOI,
Considérant que la société Vetrotech Saint Gobain (International)(ci-après : Vetrotech), titulaire du brevet européen n° 6 620 781 désignant la France, déposé le 5 août 1993 et délivré le 19 mai 1999, intitulé « éléments de protection thermique transparents » et concernant le domaine des vitrages de protection contre le feu et leur procédé de fabrication, soupçonnant la société Interver Sécurité(ci-après : Interver) de fabriquer et commercialiser en France des vitrages obtenus par un procédé reproduisant les caractéristiques de la revendication 11 de son brevet, a fait procéder à une saisie contrefaçon - partiellement annulée par arrêt de cette cour du 16 février 2007 - puis a assigné cette société en contrefaçon des revendications 11 et 12 de ce brevet ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, ayant retenu que, faute de reproduction de toutes les caractéristiques de la revendication 11, la contrefaçon alléguée n'était pas établie, a débouté la société Vetrotech de sa demande principale fondée sur la contrefaçon ; qu'il a constaté en outre que les vitrages saisis ne reproduisaient pas la revendication 1 du brevet opposé et rejeté en conséquence sa demande subsidiaire tendant à voir ordonner à la société défenderesse de prouver que le procédé qu'elle utilise est différent du procédé breveté ; que les premiers juges ont en revanche accueilli la demande reconventionnelle de dommages-intérêts de la société Interver pour procédure abusive en retenant qu'elle avait permis à la société Vetrotech d'obtenir une série de renseignements sur le procédé de fabrication de sa concurrente ;
Considérant que le brevet n° 0 620 781 concerne un type de vitrage de protection contre le feu constitué par au moins une couche de protection disposée entre deux feuilles de verre ; que, devant la cour, la société Vetrotech limite le champ de son action en contrefaçon à la revendication 11 de ce brevet qui concerne le procédé de fabrication de la couche de protection, dont les caractéristiques se présentent comme suit :
« a) un procédé de fabrication d'un élément de protection thermique transparent au moyen d'un silicate alcalin hydraté,
caractérisé en ce que :
b) le silicate alcalin est mêlé à un durcisseur qui contient ou libère du dioxyde de silicium,
c) le tout formant une masse apte à la coulée,
d) laquelle masse est introduite dans un creux de moulage entre deux éléments de support puis durcie, sans perte de sa teneur en eau, en une couche de polysilicate solide et que
e) dans le polysilicate durci à c'ur, le rapport molaire entre le dioxyde de silicium et les oxydes de métal alcalin est ajusté à une proportion supérieure à 4 : 1 » ;
Considérant que l'appelante reproche au tribunal d'avoir jugé que la société Interver ne contrefait pas les caractéristiques c) et d) de la revendication ci-dessus reproduite au motif que le procédé utilisé par cette société ne met pas en 'uvre une composition comprenant entre 44 et 60 % d'eau, alors que cette revendication 11 ne contient pas de caractéristique mentionnant cette précision, laquelle ne se trouve que dans la revendication 1, non opposée, qui définit, non pas le procédé de fabrication, mais le produit ;
Considérant que la société Interver conclut pour l'essentiel à la confirmation du jugement ;
Sur la contrefaçon :
Considérant, en premier lieu, s'agissant de la composition chimique de l'élément de protection thermique transparent visé par le procédé de fabrication de la revendication 11, que celle-ci est caractérisée en ce qu'elle mêle le silicate alcalin à un durcisseur qui contient ou libère du dioxyde de silicium ;
Considérant que la société Interver fabrique des vitrages anti-incendie comportant un élément de protection thermique transparent qui consiste en un gel obtenu par le mélange de deux produits appelés le « nanosil » et le « nanodur » ;
Considérant que la nature de ces deux composants a été révélée au cours des opérations de saisie contrefaçon du 23 janvier 2006 par une note écrite remise à l'huissier instrumentaire par M. [L], directeur administratif et financier, en réponse à la question posée par Me [R] lui demandant : « comment procédez-vous pour former le mélange qui constitue le gel ' » ;
Considérant que la société Interver soutient à juste titre, au contraire de ce qu'a jugé à tort le tribunal, que cette note doit être écartée des débats dans la mesure où elle constitue une déclaration en réponse à l'une des vingt-quatre questions relatives à la composition du verre saisi, à son référencement, à son procédé de fabrication, à la période sur laquelle s'est réalisée celle-ci et à l'étendue de la commercialisation du verre posées par l'huissier instrumentaire en outrepassant les termes de sa mission, ainsi que l'a jugé cette cour dans son arrêt du 16 février 2007 qui a annulé partiellement le procès-verbal de saisie contrefaçon et ordonné le retrait du procès-verbal des déclarations provoquées par les vingt-quatre questions posées hors des limites de sa mission par l'huissier instrumentaire ;
Considérant qu'il en résulte que les commentaires du Professeur [G] tirés des éléments contenus dans cette note, qui en est le support nécessaire, ne peuvent être retenus ;
Considérant que les informations produites en défense par la société de droit Helvétique ISG Interver Special Glass Ltd, distincte de la société intimée, dans le cadre d'une procédure menée contre elle par la société Vetrotech devant le Tribunal de Zurich sur le fondement du même brevet sont inopposables à la société intimée dès lors qu'il n'est pas allégué qu'elles s'appliqueraient strictement aux mêmes composants que ceux qui sont en cause dans le présent litige ;
Considérant qu'il suit de tout ce qui précède que la preuve, qui incombe à la société Vetrotech, que le gel mis en 'uvre par la société Interver dans la fabrication de ses vitres anti-feu comprendrait un silicate alcalin mêlé à un durcisseur qui contient ou libère du dioxyde de silicium selon la caractéristique b) de la revendication 11 de son brevet n'est pas régulièrement rapportée ;
Considérant, en second lieu, s'agissant de l'aptitude à la coulée, que le tribunal a exactement et pertinemment rappelé le principe suivant lequel les caractéristiques d'une revendication s'interprètent à la lumière de la description ;
Considérant, la revendication 11 ne précisant pas comment la caractéristique d'aptitude à la coulée est obtenue, que force est de chercher dans la description les informations utiles pour parvenir à cette qualité particulièrement recherchée du matériau constitutif de l'élément de protection thermique transparent qu'il s'agit de fabriquer ;
Considérant que la description (page 7, lignes 7 à 10) mentionne que « grâce à la haute teneur en eau, la masse est très fluide et peut être coulée, même dans l'interstice de verres de sécurité feuilletés où la distance entre les plaques de verre est faible » ; que la description établit ainsi un lien nécessaire entre l'aptitude à la coulée et la haute teneur en eau, sans toutefois apporter d'enseignement plus précis sur les limites admissibles exactes de la teneur en eau ;
Considérant que l'élément de protection dont le procédé de fabrication est revendiquée est produit au moyen d'un silicate alcalin hydraté mêlé à un durcisseur formant une masse coulée entre deux feuilles de verre puis durcie, sans perte de teneur en eau, en une couche de polysilicate solide dans lequel le rapport molaire entre le dioxyde de silicium et les oxydes de métal alcalin est ajusté à une proportion supérieure à 4 : 1 ;
Que le même brevet porte sur un produit, objet de la revendication 1, qui consiste, selon la description (page 4, lignes 23 à 29) « en ce que la couche de protection est un polysilicate durci formé d'un silicate alcalin et d'au moins un durcisseur, que le polysilicate contient une fraction molaire de dioxyde de silicium et d'oxyde de métal alcalin supérieur à 4 : 1, et que la couche de protection une fois durcie contient encore sensiblement la quantité totale d'eau présente à l'origine dans le mélange aqueux de silicate alcalin et de durcisseur, la proportion d'eau étant de 44 à maximum 60% en poids [...] » ;
Considérant que le rapprochement de ces deux textes montre que le procédé de la revendication 11 porte sur un produit défini exactement comme le produit objet de la revendication 1 ; que l'affirmation de l'indépendance des deux revendications par la société Vetrotech apparaît ainsi artificielle ;
Considérant, en réalité, ainsi que l'a pertinemment retenu le tribunal, que l'homme du métier cherchant à fabriquer les vitrages transparents selon le procédé revendiqué cherchera nécessairement dans la description les indications nécessaires pour obtenir le mélange le plus adéquat pour obtenir le résultat escompté ; qu'il ne trouvera que dans la partie de la description relative au produit breveté l'information lui permettant de préciser la limite inférieure, soit 44 %, de la haute teneur en eau requise pour l'aptitude à la coulée visée dans la partie de la description se rapportant à la revendication 11 ;
Considérant en effet, selon la description (page 6, lignes1 à 5), : « La couche de polysilicate durci contient de 44 à 60 % en poids d'eau. Ceci confère à l'élément de protection thermique transparent muni d'une couche de protection selon l'invention une très haute résistance au feu, car la quantité d'eau disponible pour le processus d'évaporation est relativement importante ;
Que, dès lors, l'homme du métier mettant en 'uvre la revendication 11, qui ne cherche pas à fabriquer un élément de protection faiblement résistant au feu, n'envisagera pas de vérifier si l'aptitude à la coulée peut être obtenue avec une teneur en eau inférieure à 44 % ;
Considérant qu'il est constant que la teneur en eau du gel mis en 'uvre par la société Interver n'atteint pas cette limite inférieure puisqu'elle s'établit à 39,8 % ;
Considérant que la société Vetrotech soutient subsidiairement que l'aptitude à la coulée du produit de la société Interver n'a été préservée, malgré sa teneur en eau inférieure à 44 %, que par le remplacement d'une partie de la quantité d'eau par du glycérol, ce qui constitue une contrefaçon par équivalence ;
Mais considérant qu'il ressort des écritures de l'appelante elle-même (page 38 de ses dernières écritures) que « le procédé litigieux contient 39,8 % d'eau et 14,1 % de glycérol. Ainsi, il convient de déterminer si le glycérol présent dans le procédé remplit la fonction d'aptitude à la coulée de la même façon que le feraient 4,2 à 20,2 % d'eau » ; que force est de constater que la société Vetrotech n'apporte aucune réponse à la question qu'elle-même juge déterminante ;
Considérant qu'il résulte des explications non contredites de la société Interver que, si le glycérol présente une certaine viscosité pouvant contribuer à la fluidité du gel, ce produit n'a ni les mêmes caractéristiques ni la même fonction que l'eau et ne peut dès lors être reconnu comme un équivalent, ce qui a été retenu à juste titre par le tribunal pour écarter la thèse de la contrefaçon par équivalent ;
Considérant, selon ce qui précède, qu'il n'est pas démontré que les caractéristiques b et c de la revendication 11 du brevet de la société Vetrotech sont reproduites dans le procédé argué de contrefaçon mis en 'uvre par la société Interver, ce qui suffit à justifier la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Vetrotech de ses demandes de ce chef ;
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Interver :
Considérant que c'est par une exacte appréciation des circonstances de la cause et des règles de droit applicables que le tribunal, par des motifs exacts, suffisants et pertinents que la cour fait siens, a notamment tiré les conséquences appropriées de la nullité partielle de la saisie contrefaçon prononcée par cette cour en raison des investigations illicites auxquelles elle a servi de prétexte ; que les premiers juges ont exactement mesuré le préjudice commercial subi par la société Interver du fait que cette procédure a permis à la société Vetrotech, sa concurrente, d'obtenir indûment des informations sur ses procédés de fabrication ;
Considérant, en définitive, que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;
* *
PAR CES MOTIFS :
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
CONDAMNE la société Vetrotech Saint Gobain (International) aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Interver Sécurité 50.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,