Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 7
ARRET DU 22 FEVRIER 2012
(n°10, 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/13422
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Juin 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/04031
APPELANT
Monsieur [F] [C]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD (avocat au barreau de PARIS, toque : C2477)
Assisté de Me Laurent MERLET de la SCP Bénazeraf - Merlet (avocat au barreau de PARIS, toque : P0327)
INTIMES ET APPELANTS INCIDENTS
Société D'EXPLOITATION DE L'HEBDOMADAIRE 'LE POINT SEBDO'
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représenté par Me Chantal-rodene BODIN CASALIS (avocat au barreau de PARIS, toque : C0401)
Assisté de Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : P0141)
Monsieur [Z] [P]
[Adresse 7]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représenté par Me Chantal-rodene BODIN CASALIS (avocat au barreau de PARIS, toque : C0401)
Assisté de Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : P0141)
Monsieur [Y] [R]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Chantal-rodene BODIN CASALIS (avocat au barreau de PARIS, toque : C0401)
Assisté de Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : P0141)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Janvier 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Alain VERLEENE, Président,
Gilles CROISSANT, Conseiller,
François REYGROBELLET, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffiers, Valène JOLLY lors des débats et Nathalie COCHAIN-ALIX au prononcé :
MINISTERE PUBLIC : représenté lors des débats par Jean-François CORMAILLE DE VALBRAY, qui a fait connaître son avis et représenté lors du prononcé par Brigitte GIZARDIN.
François REYGROBELLET, Conseiller, a été entendu en son rapport.
ARRET :
- contradictoirement,
- prononcé publiquement par Alain VERLEENE, Président,
- signé par Alain VERLEENE, président et par Nathalie COCHAIN-ALIX, greffier présent lors du prononcé.
******************
Vu l'assignation introductive d'instance délivrée le 9 mars 2010 à [Z] [P], directeur de publication de l'Hebdomadaire LE POINT, à [Y] [R], journaliste, et à la société d'exploitation de l'Hebdomadaire LE POINT SEBDO, aux fins de les voir condamnés au visa de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 outre aux dépens, à deux publications judiciaires et au paiement des sommes de 40.000 euros au titre de dommages et intérêts, de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, à raison de la reproduction dans les éditions du POINT datées des10 décembre 2009 et 4 février 2010 d'extraits d'actes d'une procédure pénale.
Vu le jugement rendu le 21 juin 2010 par le tribunal de grande instance de Paris, auquel il est référé pour l'exposé détaillé des faits et prétentions initiales des parties, qui a rejeté les fins de non recevoir soulevées en défense, débouté M. [C] de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Vu l'appel régulièrement interjeté par [F] [C].
Vu l'appel incident de [Z] [P], d'[Y] [R] et de la société d'exploitation de l'Hebdomatoire 'LE POINT SEBDO'.
Vu les conclusions auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens au terme desquelles :
[F] [C] demande :
- l'infirmation du jugement et le débouté des intimés, de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- la publication d'un communiqué judiciaire dans l'Hebdomadaire LE POINT et sur le site internet de l'Hebdomadaire,
- la condamnation solidaire des intimés à lui payer les sommes de 40.000 euros (au total) au titre des dommages et intérêts de 6.000 euros selon l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;
[Z] [P], [Y] [R] et la société LE POINT SEBDO demandent :
- l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré [F] [C] recevable en son action,
- la confirmation du jugement en ce qu'il a été prononcé le débouté des demandes de M. [C],
- la condamnation de M. [C] aux dépens et au paiement de la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la restitution de l'intégralité des sommes versées à Monsieur [C] en exécution de l'intégralité des sommes à lui versées suite aux décisions intervenues dans la procédure tierce de référé,
Sur les faits
Le tribunal a exactement rappelé dans sa décision que l'Hebdomadaire LE POINT, dans ses éditions des 10 décembre 2009 et 4 février 2010 a publié deux articles, émanant du journaliste [R], respectivement titrés 'Enquête sur un ami très cher' et 'Comment gagner un milliard'.
Ces deux articles contiennent des citations et extraits de procès verbaux d'auditions effectués par la police judiciaire sur réquisition du Procureur de la République de Nanterre qui, courant le quatrième trimestre de l'année 2007, a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire sur des (supposés) faits d'abus de faiblesse commis au préjudice de Mme [A] [L].
La Cour adopte expressément le descriptif des deux articles tel qu'il figure aux pages 4 et 5 du jugement.
Il sera mentionné par la Cour qu'il est constant :
- que l'enquête de M. Le Procureur de la République de Nanterre a été classée sans suite courant le mois de septembre 2009,
- que sur l'initiative de la fille de Mme [L], citation directe a été délivrée à M. [C], du chef d'abus de faiblesse envers Mme [L] pour une audience du tribunal de grande instance de NANTERRE du 3 septembre 2009,
- que le 3 septembre 2009, le montant de la consignation fut fixé et l'examen de l'affaire renvoyé au 11 décembre,
- qu'à cette date, l'expertise médicale de la supposée victime fut décidée et l'affaire à nouveau renvoyée au 15 avril 2010.
C'est selon cette chronologie, incluant le calendrier de procédure du dossier engagée par la seule partie privée [E]-[L] contre M. [C], que doivent être appréciées les exceptions d'irrecevabilité de l'action et les prétentions des parties.
I) Sur l'irrecevablilité à agir de M. [C]
A été repris devant la Cour par les intimés :
- que l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 ne pouvait être poursuivi que par le ministère public, M.[C] ne pouvant agir de sa propre initiative,
- que M. [C] ne justifiait d'aucun préjudice.
La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, si l'action publique est l'exclusive du ministère public, une personne privée, s'estimant lésée, dispose de la faculté légale de s'adresser au juge civil pour obtenir réparation suite à l'inobservation de ce texte de la loi sur la presse.
Il n'y a lieu de déroger à ces pratiques jurisprudentielles, pérennes, qui garantissent le droit conventionnel de l'accès au juge (article 6 de la Convention Européenne dite CEDH)
Sur l'irrecevabilité de l'action pour défaut de préjudice, la Cour adoptera expressément la motivation des premiers juges (cf jugement page 7). A bon droit, ils ont jugé que figurent dans l'assignation de M.[C], les précisions et indications démontrant qu'il poursuit devant le juge civil la publication d'extraits de procès verbaux, en violation de l'article 38 de la loi sur la presse, qui porteraient atteinte à ses droits de la défense et à son droit à un procès équitable dans le respect de la présomption d'innocence, le privant des garanties du débat judiciaire.
En conséquence, selon les premiers juges, sous couvert d'une fin de non recevoir, les défendeurs contesteraient en réalité la pertinence de cette argumentation. Cette contestation ne peut être tranchée qu'au terme d'un examen au fond.
La Cour, après avoir relevé qu'en cause d'appel, les intimés appelants incidents, ont réitéré l'argumentation, à bon droit rejetée, confirmera le jugement en ce qu'il a jugé recevable l'action de M. [C].
II) Sur l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée
Il est certain qu'ont été publiés dans les deux articles poursuivis des extraits d'auditions de personnes entendues dans le cadre de l'enquête préliminaire décidée par le Procureur de la République du TGI de Nanterre et clôturée au mois de septembre 2009 par une décision de classement sans suite.
Le 11 décembre 2009, ces procès verbaux sont mentionnés par le tribunal correctionnel de NANTERRE comme devant être mis à la disposition des experts commis pour examiner Mme [L]. Ce qui signifie que le tribunal exerçait son droit d'accès à ces pièces de procédure qu'il estimait nécessaire à la résolution du litige opposant Mme [E]-[L] à M. [C].
Il s'impose qu'à la date de parution du premier article, seul le procureur de la République de tribunal de Nanterre était le destinataire légal de cette procédure.
Il est ensuite constant que les actes de cette enquête n'avaient pas été lus publiquement à l'audience correctionnelle au temps de parution du second article alors qu'ils faisaient corps avec la procédure.
Relèvent de l'article 38 :
A) dans l'article du 10 décembre 2009 :
-Page 60-
Première colonne : citation de l'acte de poursuite qui présente M. [C] comme 'usant de son influence et de la situation de faiblesse de [A] [L] (et ayant) obtenu de celle-ci qu'elle dispose à son profit de sommes et de valeurs qui dépassent l'entendement'
Deuxième et troisième colonnes : extraits des déclarations de M. [C] alors qu'il était en garde à vue les 24 et 25 septembre 2008 à la brigade financière et fin de la troisième colonne se poursuivant en page 62 et de la comptable Mme [M].
-Page 62-
- Sous le titre 'exclusif ce que [A] [L] a dit à la police' des extraits de l'audition de Mme [L] faite le 23 mai 2008 à la police judiciaire,
- Dans les trois colonnes de cette page : extraits des déclarations de M. [C] (alors qu'il répondait, étant en garde à vue à la police judiciaire),
-Page 63-
- Première et deuxième colonne : extraits du témoignage de l''ancien dirigeant de l'Oréal naguère chargé de gérer le patrimoine de [A] [L]' M. [W] et reprise d'extraits du témoignage reçu de la comptable [M],
- Troisième colonne : extrait d'un rapport, daté du 1er décembre 2008 de la Brigade Financière énonçant 'qu'existe un faisceau de présomption quant à la réalité d'un abus de faiblesse commis par M. [C]',
B) Dans l'article du 4 février 2010
- aux pages 53 à 56- : des extraits des auditions de '[N] [X], de [K] [T], de [O] [H] et d'[I] [V]', respectivement comptable, secrétaire et infirmière de Mme [L].
La Cour précise que l'évocation en page 56 et 57 du contenu de courriers saisis chez M. [C] n'a pas le caractère d'actes de procédure.
Ces précisions fournies, il incombe pour la Cour de se prononcer sur le bien fondé de la motivation du tribunal pour débouter M. [C].
Les premiers juges ont fondé leur décision, après rappel de l'article 10 de la Convention sur leur appréciation :
1) que 'les extraits, dont la reproduction est incriminée, ont été inclus par le journaliste au sein de deux articles successifs qui sont chacun le fruit d'une enquête journalistique et ambitionnent de présenter aux lecteurs des informations, des analyses et des commentaires sur une affaire pénale qui doit être prochainement soumise à une juridiction, met en jeu des intérêts financiers considérables et concerne le détenteur d'une des principales fortunes françaises et un photographe et écrivain ayant, ainsi qu'il le fait écrire, 'un succès et une notoriété incontestable' ;
2) Ensuite, 'admettre (pour le tribunal) que ces deux ensembles journalistiques ne soient examinés que sur le fondement de l'infraction purement matérielle réprimée par l'article 38 de la loi, conduirait à empêcher le journaliste et directeur de publication d'engager le débat que mérite le travail journalistique' et les priverait des moyens de défense reconnus par la loi aux personnes poursuivies pour diffamation ou pour atteinte à la présomption d'innocence.
Le tribunal retient comme significatif le fait que dans ses écritures, le demandeur fait grief aux dispositions citées en extraits de porter atteinte à sa présomption d'innocent et d'être présentées comme 'accablantes' et 'particulièrement accusatrices'.
Pour le tribunal, il s'en déduit que le demandeur 'à défaut du fondement qu'il a choisi, admet qu'il lui était loisible d'engager une autre procédure (diffamation, article 9.1 du code civil) de nature à permettre un débat équitable'.
En conséquence, 'faire droit à sa demande constituerait une restriction à la liberté d'expression dénuée de toute nécessité dans un état démocratique'.
La Cour rappelle que l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée s'apprécie selon l'article 10 de la Convention Européenne car est incriminé le fait de publication.
En l'état du droit positif, l'ingérence, que constituerait une condamnation civile des intimés doit, selon le paragraphe 2 dudit article de la Convention :
1) être prévue par la loi,
2) être inspirée par un ou des buts légitimes,
3) être nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ce ou ces buts.
Il est constant que la nécessaire articulation de l'article 10 de la Convention avec l'article 38 de la loi sur la presse fait ressortir la prohibition, temporaire, édictée par ce texte, non au plan des infractions formelles, comme le tribunal l'a énoncé, mais à celui des infractions supposant un examen concret des trois critères conventionnels susvisés. La vérification que l'ingérence était nécessaire pour protéger la réputation et les droits d'autrui et garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire doit être effectuée par le juge judiciaire.
Cet examen dépasse d'évidence le cadre de celui réservé aux infractions dites 'formelles'.
Au cas d'espèce :
- l'article du 10 décembre 2009 est publié la veille de l'audience du tribunal correctionnel de Nanterre devant se prononcer sur la recevabilité de l'action engagée par la fille de Mme [L] contre M. [C] du chef d'abus de faiblesse envers sa mère,
- cet article a pour support factuel essentiel des extraits (cf supra) de procès verbaux auxquels une force probante est toujours reconnue dans l'esprit du public car ils émanent de l'autorité publique et non de simples particuliers.
Dans ces extraits, M. [C] est présenté comme une personne à l'égard de laquelle 'existe un faisceau de présomptions quant à la réalité d'un abus de faiblesse'. Cette citation, extraite d'un rapport de la Brigade Financière qui date du 1er décembre 2008 sert de conclusion à l'article. De plus, cet article est centré :
- sur la réfutation de ce que M. [C] a dit lors de sa garde à vue des 24 et 25 septembre 2008,
- sur l'évocation des témoignages de Mme [M] et de [W] dont des extraits sont qualifiés d' 'accablants' pour M. [C],
- sur l'appréciation de la défense de M. [C] qu'elle est 'plus osée encore' ou qu'il a concédé un 'demi aveu' (3ème colonne page 62)
- sur l'appréciation de l'audition de Mme [L] du 13 mai 2008 décrite comme 'ignorante du montant des dons consentis à M. [C]', ne se rappelant plus de l'avoir désigné comme le bénéficiaire d'assurance vie pour un montant de 515 millions d'euros, et ayant des 'trous de mémoires qui tranchent sur le portrait que M. [C] brossera d'elle devant les enquêteurs'.
Il est alors compris par le lecteur que M. [C] ne dit pas la vérité à propos de l'état de santé mentale de Mme [L].
Il sera rappelé par la cour qu'au mois de septembre 2009, le procureur de la République de Nanterre a décidé de classer la procédure de l'enquête dont des extraits sont cependant publiés. En introduction, le journaliste citant l'acte de poursuite, publie 'qu'usant de son influence ainsi que de la situation de faiblesse de [A] [L], M. [C] a obtenu de celle-ci, alors que son état de santé se dégradait, qu'elle dispose à son profit de sommes et valeurs qui dépassent l'entendement'. Il doit être constaté que, tant dans l'introduction que la conclusion de l'article, la culpabilité de M. [C] est doublement suggérée.
Il s'impose que ces choix de citation et de présentation du directeur de publication et ceux du journaliste ont consisté à présenter M. [C] auprès du lectorat de la publication comme ayant abusé de la faiblesse de Mme [L], la veille de la comparution de M. [C] devant le tribunal correctionnel de Nanterre chargé de se prononcer sur la pertinence et le bien fondé des accusations formulées contre lui par la fille de Mme [L].
Cette nécessaire prise en compte de ces éléments et événements n'a pas été effectuée par le tribunal qui a fait prévaloir le but informatif poursuivi sur les moyens employés. Pour la cour, il a, à tort, apprécié qu' 'une enquête journalistique consacrée à une affaire pénale mettant en jeu des intérêts financiers considérables' justifiait les procédés illégaux ayant consisté à choisir au sein de procès verbaux d'une enquête des extraits présentant comme auteur d'abus de faiblesse M. [C] alors qu'aucune décision de justice n'étant en ce sens intervenue.
La motivation du tribunal équivaut à légitimer la pratique, légalement prohibée de publication d'extraits d'une procédure avant leur lecture publique à l'audience d'une part, en fonction de l'intérêt du sujet traité et d'autre part, en retenant que M. [C] invoque une atteinte à sa présomption d'innocence.
Ce raisonnement est à l'inverse de ce que la Cour de Strasbourg apprécie en validant l'ingérence si elle est nécessaire pour protéger la réputation et les droits d'autrui d'une part, et garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire d'autre part.
La cour ne souscrit pas à la motivation du tribunal pour ce motif qu'elle n'est pas conforme à la jurisprudence européenne issue de l'arrêt prononcé le 12 avril 2006.
L'article du 10 décembre 2009 en ce qu'il présente M. [C] comme auteur d'abus de faiblesse envers Mme [L] dans le contexte précité attente à l'évidence à son droit à un procès équitable dans le respect de sa présomption d'innocence.
Cette atteinte selon l'article est exclusivement fondée sur la publication d'extraits de procès verbaux qui légalement ne comptent pas les journalistes comme leur destinataires obligés quand ils ne sont pas partie à la procédure.
La Cour rappelle qu'est attaché, pour le lecteur moyennement informé du fonctionnement judiciaire, aux actes d'enquête judiciaires, un crédit renforcé et un effet probatoire certain.
Pour la Cour, en définitive, la date de parution, les choix de citation et la présentation de M. [C] comme coupable selon les pièces d'une enquête judiciaire, toutefois classée sans suite, a eu la conséquence d'influencer l'exercice, légalement et conventionnellement garanti, de ses droits de la défense, qui suppose qu'avant d'être entendu par un juge, il ne soit pas présenté comme coupable d'abus de faiblesse envers Mme [L].
M. [C] est placé dans la nécessité de s'expliquer sur des éléments à charge non encore publiquement débattus dans une enceinte de justice et contenus dans une enquête, alors secrète, accomplie sous la direction d'un magistrat qui, selon le droit européen ne remplit pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif.
Il n'y a lieu de considérer, comme le tribunal, que M. [C] déposait d'autres possibilités pour agir. Ayant le droit de saisir le juge civil sur le fondement de l'article 38, le demandeur ne peut se voir suggérer d'agir par d'autres voies de procédure au motif erroné que son action contreviendrait à l'article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.
Pour ces motifs, l'action de M. [C] est jugé fondée concernant le premier article.
Le jugement sera en conséquence infirmé.
L'indemnisation du demandeur sera traitée dans une prochaine rubrique.
Le second article, paru le 4 février 2010, a été apprécié au niveau de la motivation par les premiers juges comme le premier alors que des différences de contenu, de présentation et de contexte les distinguaient.
Il incombe aussi, pour la Cour, de rappeler que sur son assignation en référé à propos de ce deuxième article, M. [C] a obtenu en partie satisfaction. Le 7 juillet 2011, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de MM [P], [R] et de la société d'exploitation de l'hebdomadaire LE POINT contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris ayant confirmé l'ordonnance de référé du 2 mars 2010 ayant partiellement accueilli ses demandes.
Juges du fond, les premiers juges ont, ainsi qu'il a été explicité au présent arrêt, fait le choix d'une motivation unique pour rejeter les demandes de M.[C].
L'approche judiciaire devant être fondée sur les faits, sans globalisation ou emprunt à des généralités, la Cour observe que :
1) si la date de publication n'est pas contemporaine comme le premier article d'une des échéances judiciaires de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de NANTERRE, le directeur de publication a fait le choix de consacrer la une du Point à l'article de M. [R].
La première page de couverture annonce la publication des 'accusations du personnel de Madame'.
Ceci signifie la volonté éditoriale de communiquer cette information à tous ceux qui apercevront la publication sans nécessairement la lire.
Il s'impose que le choix du directeur de publication fut de communiquer au delà du lectorat de la publication.
2) Antérieure de deux mois par rapport à la tenue de l'audience du 15 avril, cet article rappelle (en pages 50 et 51) cette date d'audience comme 'l'épilogue de l'affaire'
Ceci établit la volonté des intimés de situer cet article comme la diffusion d'éléments à charge avant l'audience publique du 15 avril 2010. Est proclamée la nécessité éditoriale de publier non plus de courts extraits mais des accusations détaillées aux procès verbaux d'enquête.
3) Annoncé comme une exclusivité les dépositions des témoins, reçues par la police judiciaire, les 24 janvier, 7 février, 30 janvier 2008, sont publiées par de larges extraits dans la totalité des pages 53 à 55 et annoncées comme les 'femmes qui accusent'.
Il s'ensuit que cet article au niveau du procédé d'annonce en une, des choix de présentation et de publication, non de courtes citations mais de pans entiers de déclarations, est une communication d'importance directement dirigée contre M. [C] qui n'avait pu s'expliquer ' sur les accusations du personnel'devant un juge.
Ces quatre dépositions, partiellement reproduites, ont une optique unique : l'accusation. L'article qui les accompagne souligne à plusieurs reprises le poids particulier qui s'y attache ('Plusieurs de ses anciens employés l'ont affirmé à la police. 'Le Point' révèle leur témoignages' ; 'De multiples témoignages ont surgi depuis lors -Le Point en publie en exclusivité plusieurs extraits (voir pages suivantes). Femmes de chambre, infirmière, secrétaires, chauffeur, comptable, tous décrivent l''emprise' exercée par [C] ; 'sous serment, employés et domestiques ont évoqué des demandes d'argent insistantes').
Cette publication correspond à l'exclusive préoccupation de présenter M. [C] comme accusé en des termes probants par des tiers, le personnel de Mme [L], en fait non concerné par l'affaire opposant la fille de Mme [L] à M. [C].
Le lecteur est ainsi amené à considérer ces faits comme avérés. Il s'impose que ce second article est une charge accusatrice réitérée envers M. [C] deux mois avant une audience au cours de laquelle 'l'épilogue' de l'affaire devait avoir lieu.
Cette publication était en conséquence susceptible de porter atteinte au droit de [F] [C] à un procès équitable dans le respect des droits de sa défense et de la présomption d'innocence.
Une condamnation au visa de l'article 38 de la loi sur la presse n'est pas contraire à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au cas présent pour ces motifs.
Le jugement sera en conséquence infirmé.
Les prétentions contraires des intimés qui tendent à justifier l'inexacte motivation du jugement seront en conséquence rejetées.
III) Sur l'indemnisation
Ayant subi un préjudice moral, sa réparation sera pleine et entière par la condamnation des intimés :
- au paiement solidaire d'un euro pour chacune des publications.
La Cour ordonnera la publication, sous astreinte, d'un communiqué dont les termes sont détaillés au dispositif de l'arrêt.
Il est équitable de condamner les intimés au paiement de la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant à l'instance, les intimés seront condamnés aux dépens.
Le surplus des demandes du demandeur et l'intégralité de celles des intimés seront rejetés car non fondées.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels,
Confirme le jugement en ce qu'il a jugé recevable l'action de M. [C],
Infirmant pour le surplus,
Dit l'appel de M. [C] fondé,
Juge que la reproduction par l'hebdomadaire LE POINT dans ses numéros 1943 du 10 décembre 2009 et 1951 du 4 février 2010 d'actes de procédure constitue une violation de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 portant une atteinte grave aux droits de la défense de Monsieur [F] [C] et au droit de bénéficier d'un procès équitable tel que garanti par l'article 6 de la Convention,
Vu les articles 38 de la loi du 29 juillet 1881, 6 et 10 alinéa 1 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme,
Dit que [Z] [P], [Y] [R] et la société Edition du Point ont commis une faute,
Condamne in solidum la société éditrice de l'hebdomadaire LE POINT, [Z] [P] et [Y] [R] à verser à Monsieur [F] [C] la somme de 1 euro à titre de réparation du préjudice moral résultant de la publication illicite d'actes de procédure correctionnelle au sens de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 dans le numéro 1943 de l'hebdomadaire LE POINT du 10 décembre 2009,
Les condamne, in solidum, à verser à [F] [C] une somme identique de 1 euro au titre de la réparation du préjudice moral résultant de la publication illicite d'actes de procédure correctionnelle au sens de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 dans le numéro 1951 de l'hebdomadaire LE POINT du 4 février 2010,
Ordonne la publication aux frais des intimés dans le numéro de l'hebdomadaire LE POINT à paraître un mois après la signification de l'arrêt, sous astreinte de 5.000 euros par numéro de retard du communiqué suivant :
'Par arrêt en date du 22 février 2012, la Chambre 2-7, chambre de la presse, de la Cour d'appel de Paris a condamné la société éditrice du Point, [Z] [P] et [Y] [R] à publier le présent communiqué judiciaire pour avoir reproduit dans les numéros 1943 du 10 décembre 2009 et 1951 du 4 février 2010 du Point, 'en violation de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881, des pièces de procédure extraites du dossier de l'affaire '[L]' portant une atteinte grave aux droits de la défense de Monsieur [F] [C] et à son droit de bénéficier d'un procès équitable',
Dit et juge que ce communiqué, qui devra paraître en dehors de toute publicité, sera publié sur l'intégralité d'une page 'Société', en caractères gras noirs sur fond blanc de 0,5 cm de hauteur, dans un encadré sous le titre 'Le Point, [Y] [R] et [Z] [P] condamnés à la demande de [F] [C]', lui-même en caractères gras noirs de 2 cm de hauteur,
Ordonne la publication de ce même communiqué sur le site www.lepoint.fr dans la rubrique 'Actualités -Société' pendant sept jours, sous le titre ' Le Point, [Y] [R] et [Z] [P] condamnés à la demande de [F] [C]', qui devra figurer en dehors de toute publicité, être rédigé en caractères gras de police 12 et être accessible dans le mois suivant la signification de l'arrêt,
Condamne in solidum la société éditrice de l'hebdomadaire LE POINT, Messieurs [Z] [P] et [Y] [R] au paiement d'une somme de 6.000 euros à M. [C] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne sous la même solidarité aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement pour ces deniers pourra être poursuivie par la SCP Baskal Chalut Natal, avoués associés constitués avant le 1er janvier 2012, en application de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes de M. [C],
Déboute les intimés de leurs demandes et conclusions.
LE PRESIDENT LE GREFFIER