Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRET DU 30 JANVIER 2013
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/01355
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/12639
APPELANTE
SAS PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON-GIBOD agissant par Me Matthieu BOCCON GIBOD (avocat au barreau de PARIS, toque : C2477)
assistée de Me Frédéric DUMONT de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : P0221)
INTIMÉE
SARL CLAIRJOIE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Jean-Loup PEYTAVI (avocat au barreau de PARIS Toque : B1106)
assistée de Me Vanessa BOUCHARA du CABINET BOUCHARA - Avocats (avocat au barreau de PARIS, toque : C0594)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Décembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président de chambre
Mme Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Marie-Claude HOUDIN
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, président, et par Mme Marie-Claude HOUDIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu l'appel interjeté le 24 janvier 2011 par la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUE (SAS), ci-après la société PIERRE FABRE, du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 17 décembre 2010 ;
Vu les dernières conclusions de la société PIERRE FABRE, appelante, signifiées le 12 novembre 2012 ;
Vu les dernières conclusions de la société CLAIRJOIE (SARL), intimée, signifiées le 20 novembre 2012 ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 27 novembre 2012 ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu'il est expressément référé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;
Qu'il suffit de rappeler que la société PIERRE FABRE, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits cosmétiques et titulaire de la marque française verbale ARGANE déposée le 22 avril 1983, enregistrée sous le n° 1 234 523 et régulièrement renouvelée, en dernier lieu le 25 février 2003, pour désigner en classe 3 les produits cosmétiques pour l'hygiène et les soins de la peau, à l'exception du cuir chevelu et en classe 5 les produits pour l'hygiène et les soins de la peau, à l'exception du cuir chevelu, ayant constaté que la société CLAIRJOIE offrait à la vente un baume de beauté sous la dénomination 'Karité-Argane' constituant selon elle une imitation de sa marque, l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Paris, suivant acte du 11 août 2009, aux griefs de contrefaçon de marque et de parasitisme ;
Que la société CLAIRJOIE ayant invoqué en défense la nullité de la marque opposée, d'une part pour dépôt frauduleux, d'autre part pour défaut de caractère distinctif, le tribunal, par le jugement dont appel, l'a suivie sur ce second moyen et a déclaré nul l'enregistrement de la marque verbale ARGANE, a débouté en conséquence la société PIERRE FABRE de ses demandes en contrefaçon, a écarté par ailleurs le grief de parasitisme et a rejeté enfin la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Qu'en cause d'appel, la société PIERRE FABRE renonce aux prétentions du chef de parasitisme mais maintient, telles que précédemment soutenues devant les premiers juges, ses demandes en contrefaçon, tandis que la société CLAIRJOIE persiste à poursuivre la nullité du dépôt pour fraude et, en toute hypothèse, pour défaut de caractère distinctif, fait valoir, à titre subsidiaire, la déchéance par dégénérescence de la marque ARGANE, conclut en conséquence au débouté de la société appelante et demande au fondement de procédure abusive 20.000 euros de dommages-intérêts outre une mesure de publication judiciaire ;
Sur la demande en contrefaçon de la marque ARGANE,
Considérant qu'il n'est pas contesté et qu'il est au demeurant établi au vu des deux procès-verbaux de constat réalisés par huissier de justice le 3 juillet 2009, que la société CLAIRJOIE expose à la vente sur le site de commerce en ligne qu'elle exploite à l'adresse www.clairjoie.com, un produit dénommé 'Baume ultra-nourrissant Karité-Argane';
Considérant que la société PIERRE FABRE, revendiquant ses droits de marque sur la dénomination ARGANE, soutient que le risque de confusion est avéré dès lors que le signe 'Karité -Argane', constitué de l'élément verbal 'Argane' avec pour ajout le terme descriptif et usuel 'Karité' et utilisé pour un produit identique ou similaire à ceux couverts par la marque ARGANE, sera perçu comme une déclinaison de cette marque pour distinguer une gamme de produits à base de karité et que la contrefaçon est ainsi caractérisée au sens des dispositions de l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que la société CLAIRJOIE excipe de la nullité de la marque opposée pour défaut de caractère distinctif et fait à cet égard valoir que le terme 'argane', qui définit le fruit de l'arganier, espèce d'arbre poussant exclusivement dans une région du sud marocain, dont est extraite une huile réputée pour ses vertus cosmétiques, est descriptif d'une caractéristique des produits désignés par la marque en ce qu'elle indique la composition de ces produits ;
Qu'elle ajoute pour conclure de plus fort à la nullité de la marque que le dépôt de la dénomination ARGANE le 22 avril 1983 pour des produits d'hygiène et de soin de la peau est entaché de fraude car, dès avant cette date, l' 'argane' était connue pour désigner une huile bienfaisante pour la peau, qu'ainsi, en se constituant un droit privatif sur ce terme descriptif, la société PIERRE FABRE visait à nuire aux intérêts des opérateurs économiques du secteur concerné en les privant d'un terme nécessaire à l'exercice de leur activité ;
Mais considérant que la fraude ne se présume pas et qu'en l'espèce, la société CLAIRJOIE, fondée en 2005, se garde de démontrer que le dépôt effectué en 1983 procède d'une intention de nuire à ses droits ou à ses intérêts ;
Que force est d'observer que, sous couvert de dépôt frauduleux, la société CLAIRJOIE invoque surabondamment le défaut de caractère distinctif de la marque, dont la sanction réside, précisément, dans la nullité de la marque dès lors qu'un signe descriptif doit demeurer disponible et ne saurait faire l'objet d'un monopole d'exploitation ;
Qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la fraude n'est pas fondé ;
Considérant que le caractère distinctif de la marque doit être examiné, compte tenu de la date de l'enregistrement, par référence à la loi du 31 décembre 1964 dont il importe de relever, à titre liminaire, qu'elle dispose en son article 1er alinéa 1er que sont considérés comme marques de fabrique, de commerce ou de service (...) tous signes matériels servant à distinguer les produits, objets ou services d'une entreprise quelconque ;
Qu'il s'en infère que seul est susceptible de faire l'objet d'un droit privatif de marque le signe qui revêt, au regard des produits et/ou services désignés par la marque, un caractère distinctif, c'est-à-dire le signe qui est apte, conformément à la fonction de la marque, à garantir au consommateur l'identité d'origine des produits et/ou services marqués, en lui permettant de les distinguer, sans confusion possible, de ceux provenant d'une autre entreprise ;
Considérant que l'article 3 alinéa 2 de la loi précitée précise à cet égard que, ne peuvent être considérées comme des marques, car dépourvues de caractère distinctif, celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit et du service ou qui comportent des indications propres à tromper le public ainsi que celles qui sont composées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service ou la composition du produit ;
Considérant, étant rappelé que le caractère distinctif de la marque s'apprécie à la date du dépôt et au regard des produits et services qu'elle est destinée à distinguer, qu'il ressort en l'espèce des pièces de la procédure que le terme 'argane ' était référencé dans les dictionnaires de langue française dès le 19 ème siècle, qu'ainsi, le Dictionnaire étymologique des mots français d'origine orientale de 1876, le Dictionnaire général des sciences théoriques et appliquées de 1864, le Dictionnaire de la langue française d'[J] [R] de 1889, définissent le mot Argan ou Argane comme un végétal du Maroc et de l'Atlas ;
Que le mot 'argane' apparaissait également, à la même époque, dans les Annales des voyages de la Géographie et de l'Histoire ([Localité 7] 1811) où il est fait état de l'huile d'argane, employée dans les fabriques de savon de [Localité 5], dans le Précis de la géographie universelle ou description de toutes les parties du monde ([Localité 7] 1813), dans la Revue pharmaceutique de 1854 et dans l'Essai sur les végétaux utiles de 1853, où est encore invoquée l'utilisation de l'huile d'argane dans la fabrication du savon ;
Qu'il est par ailleurs relevé que le Grand dictionnaire universel du XIX ème siècle de [N] [W] indique sous le terme Arganier qu'on extrait de l'amande, renfermée dans le noyau, une huile très appréciée et ajoute que l'huile d'argan est utilisée dans la savonnerie et la parfumerie, que l'ouvrage intitulé Matières premières usuelles du règne végétal- Thérapeutique-Hygiène-Industrie , paru en 1943, enseigne que l'Arganier , du mot arabe ou schleuh 'argane', est un petit arbre toujours vert dont le port rappelle celui de l'olivier et que l'huile d'argan donne un très beau savon dur, de couleur un peu jaunâtre, moussant peu et comparable au savon d'huile d'olive et que l'édition de 1959 du dictionnaire [R] propose du terme Argan ou Argane la même définition que celle énoncée dans l'édition, précédemment évoquée, de 1889 ;
Qu'enfin, plus récemment, l'ouvrage de l'écrivain [B] [D] publié en langue française aux EDITIONS DU SEUIL en 1982 sous le titre 'La mère du printemps' relate l'emploi par les femmes d'un mélange d'argile et d'huile d'argane' dont elles s'enduisent le corps ;
Considérant que le tribunal a exactement déduit de ces éléments que contrairement à ce que prétend la société PIERRE FABRE, le mot 'argane' ne constitue pas un néologisme qui aurait été créé en 1983 et consistant à substantiver, en la féminisant, l'expression 'huile d'argan', produit que [N] FABRE aurait découvert en visitant le Maroc peu auparavant, mais un mot d'origine arabe, orthographié également 'argan', répertorié depuis le 19ème siècle dans les dictionnaires de la langue française ainsi que dans différents ouvrages de langue française pour désigner un arbre dont est extraite du fruit une huile, dénommée 'huile d'argane' ou 'huile d'argan', utilisée notamment pour la fabrication du savon ;
Qu'il s'ensuit qu'à la date du dépôt attaqué, le terme 'argane' constituait la désignation nécessaire et générique d'une substance végétale employée pour l'hygiène et les soins de la peau et devait demeurer à la libre disposition des acteurs de l'activité économique concernée désireux de l'introduire dans la composition de leurs produits ;
Qu'il s'en infère, toujours à la date du dépôt, que le terme 'argane', susceptible d'être perçu comme indiquant la qualité essentielle ou la composition des produits pour l'hygiène et les soins de la peau, à l'exception du cuir chevelu qu'il était destiné à désigner, était inapte, pour ces produits, à remplir la fonction essentielle de la marque qui est de permettre au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement avisé, de distinguer sans confusion possible les produits couverts par la marque de ceux provenant d'une autre entreprise ;
Considérant que la société PIERRE FABRE soutient, subsidiairement, au fondement de l'article 6 quinquies C§ 1 de la Convention d'Union de [Localité 7], que la marque ARGANE a acquis, par l'usage intense qui en a été fait pendant plus de 25 ans, le caractère distinctif qui lui aurait fait défaut au moment du dépôt ;
Qu'elle souligne à cet égard qu'elle a été la première société spécialisée dans les produits cosmétiques à exploiter industriellement, en France, l'huile d'argan qui ne connaissait alors qu'un usage artisanal au Maroc, qu'elle a consacré des investissements publicitaires de l'ordre de 500.000 euros aux produits de la gamme ARGANE, lesquels génèrent un chiffre d'affaires en constante progression ;
Mais considérant que le tribunal a exactement et pertinemment observé que le succès commercial des produits de la gamme ARGANE est insuffisant à démontrer que le terme 'argane' serait désormais regardé par les utilisateurs de produits cosmétiques non pas comme désignant le composant essentiel de ces produits mais comme indiquant l'origine économique de ces produits ;
Que force est en outre de relever que la marque ARGANE n'est pas exploitée seule mais sous la marque ombrelle GALENIC et qu'une telle circonstance fait douter de plus fort, que le terme 'argane', ait pu, avec l'usage, perdre son caractère descriptif pour acquérir un caractère distinctif ;
Considérant que le jugement mérite en conséquence confirmation en ce qu'il a déclaré nul, pour l'ensemble des produits couverts en classe 3 et classe 5, l'enregistrement n° 1 234 523 de la marque verbale française ARGANE déposée le 22 avril 1983 et débouté subséquemment, comme dénuée de fondement, l'action en contrefaçon de cette marque ;
Considérant que la demande subsidiaire en déchéance de la marque ARGANE pour dégénérescence est, au regard du sens de l'arrêt, sans objet ;
Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive,
Considérant que le droit d'ester en justice, qui comporte le droit de former appel, n'est susceptible de dégénérer en abus ouvrant droit à réparation que s'il est exercé de mauvaise foi, par intention de nuire ou par légèreté blâmable équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont pas établies à la charge de la société PIERRE FABRE qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits ;
Que la société CLAIRJOIE est dès lors mal fondée, ainsi que l'a exactement jugé le tribunal, à agir en dommages-intérêts pour procédure abusive et sera déboutée de la demande de 20.000 euros formée de ce chef ;
Qu'elle n'est pas davantage fondée, ne justifiant d'aucun préjudice des suites de la présente procédure, à demander une mesure de publication judiciaire, qui apparaît dans les circonstances de la cause inutile sinon vexatoire ;
Considérant, étant rappelé que la société appelante se désiste de ses demandes du chef de parasitisme, que la décision entreprise est en définitive confirmée en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme dans les limites de l'appel le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne la société PIERRE FABRE aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société CLAIRJOIE une indemnité complémentaire de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT