Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRET DU 06 MARS 2013
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/19854
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Octobre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/14816
APPELANTE
SAS EUROLINE
prise en la personne de son Président
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER (Me Charles-hubert OLIVIER) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0029)
assistée de Me Evelyne AVAKIAN de la SELURL F.K.R (avocat au barreau de PARIS, toque : E0166)
INTIMÉES
SARL LUNA
prise en la personne de son gérant
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Dominique OLIVIER de la AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG (avocat au barreau de PARIS, toque : L0069)
assistée de Me Marianne GABRIEL de la SELAS CASALONGA (avocat au barreau de PARIS, toque : K0177)
SA MINELLI
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 9]
[Localité 1]
Représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY (Me Alain FISSELIER) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0044)
assistée de Me Stephan FESCHET (avocat au barreau de PARIS, toque : G272)
COMPOSITION DE LA COUR :
Après le rapport oral dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile et en application des dispositions de l'article 786 et 907 du même code, l'affaire a été débattue le 21 Janvier 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Marie GABER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président,
Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Claude HOUDIN
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président, et par Madame Marie-Claude HOUDIN, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
Vu le jugement contradictoire du 7 octobre 2011 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 7 novembre 2011 par la SAS EUROLINE,
Vu les dernières conclusions du 12 novembre 2012 de la société appelante,
Vu les dernières conclusions du 24 juillet 2012 de la société MINELLI, intimée et incidemment appelante,
Vu les dernières conclusions du 23 novembre 2012 de la société LUNA, intimée et incidemment appelante,
Vu l'ordonnance de clôture du 11 décembre 2012,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que la société LUNA ayant découvert que la société MINELLI proposait à la vente des sacs à mains sous la référence MS 510 constituant, selon elle, la reproduction servile d'un sac qu'elle commercialise sous la référence 871313, décliné dans un autre taille sous la référence 8710292, et sur lequel elle revendique des droits de création, a fait procéder à une saisie-contrefaçon le 3 avril 2009 dans une boutique de la société MINELLI ;
Qu'elle a, dans ces circonstances, fait assigner le 30 septembre 2009, la société MINELLI devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur, concurrence déloyale et parasitisme, et la société MINELLI a appelé en garantie son fournisseur, la société EUROLINE, le 21 novembre 2009, la jonction des affaires ayant été prononcée le 21 octobre 2010 ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, a reconnu l'originalité du sac commercialisé par la société LUNA, et, a, entre autres dispositions :
- condamné la société MINELLI pour contrefaçon, prononcé des mesures d'interdiction et de publication, la société EUROLINE étant condamnée à garantir la société MINELLI, et non la société LUNA comme indiqué par erreur au dispositif,
- rejeté, faute de fait distinct, la demande au titre de la concurrence déloyale ;
Considérant que les sociétés EUROLINE et MINELLI soutiennent que la société LUNA ne pourrait cependant se prévaloir de droits d'auteur sur le sac revendiqué, tandis que cette dernière prétend qu'elle aurait été insuffisamment indemnisée et que la société MINELLI aurait en outre commis des fautes distinctes de la contrefaçon ;
Considérant qu'il convient, préalablement, de dire n'y avoir lieu d'écarter des débats une attestation régulièrement communiquée par la société LUNA, au seul motif qu'elle émanerait de l'épouse de son gérant, ni le catalogue original visé par la société EUROLINE dans ses conclusions, seule une copie, dont il est admis qu'elle a été communiquée en temps utile, étant en définitive versée aux débats ;
Considérant que si la qualité à agir de la société LUNA au titre du droit d'auteur est contestée, cette dernière justifie commercialiser le sac en cause sous les références précitées, celui référencé 8710292 figurant dans son catalogue automne-hiver 2008 de la marque 'SABRINA', et étant commercialisé, selon factures et attestation produites, sous cette référence et sous la référence 8710313 depuis le 30/09/08, l'attestation précitée comportant en annexe, outre des factures d'achat des sacs, la reproduction de photographies de face, de dos, de côté et de dessus du sac en cause ;
Considérant que les sociétés EUROLINE et MINELLI dénient cependant à la société LUNA le bénéfice de la présomption simple selon laquelle, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, la personne morale qui exploite l'oeuvre sous son nom est réputée, en l'absence de revendication de la personne physique qui prétendrait l'avoir créée, être titulaire du droit d'auteur attaché à cette oeuvre, faisant valoir qu'elle ne justifierait pas avoir donné des instructions précises pour sa fabrication en Chine ;
Que la société EUROLINE invoque, en outre, la préexistence de ce modèle en Chine et produit à cet égard la copie sus évoquée d'un catalogue de 2006 d'une société chinoise spécialisée dans la fabrication de sacs à main, présentant un sac référencé YLA06-537-13 vu de face, qui aurait été fabriqué en août de la même année, selon attestation du représentant de cette société ; que ces éléments ne permettent toutefois pas de réellement identifier ce sac comme reproduisant toutes les caractéristiques du sac revendiqué, étant observé qu'il n'est produit aucun dessin ni fiche technique à l'appui de l'attestation du fabricant ;
Que la société LUNA produit, par contre, l'attestation de sa salariée, qui indique avoir dessiné un sac pour le compte de la société LUNA, y joignant divers croquis ; que si ces croquis ne sont pas des dessins techniques, avec des dimensions ou montrant l'intérieur du sac, ils donnent des indications suffisamment précises sur la détermination de la forme globale du sac vu de face, de dos, de côté et du dessus, correspondant aux caractéristiques du sac revendiqué produit en original ; que la datation de janvier 2008 apposée par cette salariée s'avère, par ailleurs, cohérente avec la date de commercialisation dûment établie par la société LUNA, qui a débuté fin septembre 2008, étant observé qu'il importe peu que son catalogue automne-hiver ne précise pas '2008/2009" mais seulement '2008", dès lors que manifestement elle a diffusé le modèle dès l'automne 2008 ; que cette date est en outre suffisamment confortée par des documents d'importation de juillet et septembre 2008 dont la conformité aux originaux n'est plus discutée, les déclarations douanières portant les références de factures des 18 juillet 2008 VT080034 et 23 septembre 2008 VT 080047, émanant d'une société chinoise visant, entre autres, chacune respectivement les références 8710292 et 8710303 invoquées, les conditions de leur règlement s'avérant indifférentes ; qu'il sera ajouté que le seul fait que l'attestation de création précitée, émane de l'épouse du gérant de la société LUNA ne saurait la priver de toute valeur probante, comme constitutive d'une preuve que la société se serait constituée à elle-même, alors qu'elle émane d'une personne distincte, dont il n'est pas prétendu qu'elle dispose du pouvoir de la représenter ;
Considérant, en définitive, qu'aucun élément ne permet de réellement contredire les éléments concordants produits par la société LUNA, lesquels s'avèrent de nature à établir, à suffisance, l'existence d'une exploitation, par elle, non équivoque du modèle de sac invoqué ; que la décision entreprise sera, en conséquence, approuvée, en ce qu'elle a dit que la société LUNA doit bénéficier de la présomption de titularité des droits de création revendiqués ;
Considérant que le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale n'est pas sérieusement discuté, mais les sociétés MINELLI et EUROLINE dénient au modèle de sac revendiqué toute originalité ;
Mais considérant que la société LUNA ne prétend pas s'approprier un genre de sac de forme rectangulaire et souple, mais un modèle de sac particulier dont l'originalité résiderait dans la combinaison d'éléments déjà rappelés par les premiers juges, en pages 5 et 6 de la décision entreprise, auxquels il est expressément référé ;
Que les sacs préexistant de [B] [Y] et les dépôts de modèles DESIGN SPORTSWEARS, FURLA, VUITTON opposés par la société MINELLI pour justifier de la prétendue banalité du sac revendiqué, présentent, comme le modèle apparaissant sur la copie du catalogue chinois de 2006 produit par la société EUROLINE ou les sacs par elle présentés sur ses catalogues 2007/2008, une forme souple, et donnent à voir, en particulier, pour certains des anses fixées par boucles métalliques avec une fermeture à glissière sur une face, et pour d'autres, une bande de cuir sur le côté avec un aspect froncé ; qu'aucun ne réunit visiblement l'ensemble des caractéristiques du modèle opposé, pas plus que les photographies de sacs VUITTON, produites par la société EUROLINE, dont la pertinence n'est par ailleurs pas établie, faute de date certaine, celle-ci ne pouvant résulter d'une simple mention manuscrite apposée sur la pièce 5 ;
Qu'il résulte de l'examen auquel la Cour s'est livrée que si des éléments qui composent le modèle de sac référencé 871313 et 8710292 sont effectivement connus et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de la maroquinerie, en revanche, leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation de la Cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère à ce modèle une physionomie propre qui le distingue des autres modèles du même genre et qui traduit suffisamment un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ;
Qu'il s'ensuit, que le jugement déféré sera approuvé en ce qu'il a admis que le
modèle de sac référencé 871313 et 8710292 offre l'originalité requise pour accéder à la protection au titre du droit d'auteur ;
Considérant que la contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances et non des
différences ; qu'il ressort de la comparaison à laquelle la Cour a procédé que le sac incriminé, commercialisé par la société MINELLI reproduit, en dépit de différences de détails, portant essentiellement sur la forme des rivets et leur ajout sur chacune des quatre pièces de cuir cousues sur chacun des quatre coins supérieur du sac, dans la même combinaison, l'ensemble des caractéristiques du modèle invoqué, ainsi qu'exactement retenu par les premiers juges, et produit, au côté de ce modèle, une telle impression globale de ressemblance que la société LUNA est fondée à conclure à une reproduction quasi servile, ce qui n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté ; que le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a retenu des actes de contrefaçon à la charge de la société MINELLI, étant observé que la société EUROLINE ne dénie pas devoir la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
Considérant que la décision critiquée sera également approuvée en ce qu'elle a rejeté les demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ; qu'en effet contrairement à ce que soutient la société LUNA aucune faute distincte n'est établie à l'encontre de la société MINELLI ; qu'en particulier il n'est nullement démontré que le bas prix de 49 euros pratiqué par cette société constituerait un vil prix, alors même qu'il est prétendu que le sac litigieux ne serait pas en cuir mais en 'synthétique' ; que le fait de rependre trois couleurs, usuelles dans le domaine de la maroquinerie ('choco', noir et taupe) sur les six couleurs dans lesquelles le modèle original serait décliné, ne saurait caractériser un effet de gamme mais constitue seulement, tout comme la banalisation du sac à raison d'une qualité moindre de la copie commercialisée, un élément à prendre en compte dans l'appréciation du préjudice subi du fait de la contrefaçon ;
Considérant, sur ce point, que les premiers juges ont justement rappelé les prix de gros (59 et 69 euros HT) et de détail (140 et 165 euros) pratiqués par la société LUNA selon la taille du modèle, et le nombre de sacs contrefaisant (1.700) tel qu'il résulte des opérations de saisie contrefaçon ; que, certes, doivent notamment être pris en compte outre la banalisation du modèle, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, qui a vendu, selon les documents comptables produits lors de la saisie 795 sacs (182 COCO, 207 NOIR et 406 TAUPE) et en l'état de ces éléments d'appréciation, les dommages et intérêts alloués à hauteur de 15.000 euros par les premiers juges s'avèrent sous évalués ; qu'ils doivent toutefois être fixés, par réformation du jugement déféré sur ce point, à la seule somme de 30.000 euros de nature à réparer l'entier préjudice subi ;
Qu'une mesure de publication judiciaire ne s'impose pas, et la décision sera également infirmée de ce chef ,dès lors qu'il n'apparaît pas qu'ont pu perdurer des actes illicites, autres que la vente isolée relativement ancienne, du 26 octobre 2009; d'un sac ;
Que la mesure accessoire d'interdiction prononcée par le tribunal est par contre, au regard de la nécessité de prévenir tout éventuel renouvellement des actes illicites, pertinente et proportionnée et sera confirmée, les premiers juges ayant exactement retenu qu'il n'y a pas lieu d'y ajouter une mesure de retrait et de destruction, dont la nécessité n'est pas plus démontrée en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en celles relatives au montant des dommages-intérêts et à la publication judiciaire ;
ET statuant à nouveau dans cette limite,
CONDAMNE la société MINELLI à payer à la société LUNA la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour contrefaçon ;
DIT n'y avoir lieu à publication judiciaire ;
REJETTE toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;
CONDAMNE la société MINELLI aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la société LUNA une indemnité complémentaire de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, rappelant que la société EUROLINE doit garantir la société MINELLI de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,