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25/11/2014 | FRANCE | N°13/04029

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 25 novembre 2014, 13/04029


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2014



(n°14/223, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/04029



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Janvier 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/03301





APPELANTES



SAS GUCCI FRANCE

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 632 032 348


Prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L001...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2014

(n°14/223, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/04029

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Janvier 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/03301

APPELANTES

SAS GUCCI FRANCE

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 632 032 348

Prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée de Me Grégoire TRIET de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Société GUCCIO GUCCI SPA

Immatriculée au RCS de Florence sous le numéro 03031300159

Prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2] (ITALIE)

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée de Me Grégoire TRIET de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

INTIMÉE

SAS VETIR

Prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Dominique OLIVIER de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

Assistée de Me Arnaud CASALONGA de la SAS CASALONGA, avocat au barreau de PARIS, toque : K0177

Assistée de Me Floriane CODEVELLE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2330

COMPOSITION DE LA COUR :

Après le rapport oral dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile et en application des dispositions des articles 786 et 907 du même code, l'affaire a été débattue le 07 octobre 2014, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Benjamin RAJBAUT, président, et Madame Anne-Marie GABER, conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Benjamin RAJBAUT, président,

Madame Anne-Marie GABER, conseillère

Madame Nathalie AUROY, conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Karine ABELKALON

ARRÊT :

contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, président et par Madame Karine ABELKALON, greffier présent lors du prononcé.

***

Vu le jugement contradictoire du 17 janvier 2013 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 27 février 2013 par la SAS GUCCI FRANCE (ci-après dite GUCCI) et la société de droit italien GUCCIO GUCCI SpA (ci-après dite GUCCIO GUCCI),

Vu les dernières conclusions (n°4) du 24 juin 2014 des sociétés appelantes,

Vu les dernières conclusions (n°3) du 20 juin 2014 de la société VETIR, intimée et incidemment appelante,

Vu l'ordonnance de clôture du 1er juillet 2014,

SUR CE, LA COUR,

Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement entrepris et aux écritures des parties ;

Qu'il sera simplement rappelé que la société GUCCIO GUCCI est titulaire de la marque française tridimensionnelle n° 93 466 769 $gt; ainsi représentée :

déposée le 28 avril 1993 et renouvelée le 27 mars 2003, pour désigner notamment en classe 25 les chaussures, lesquelles sont distribuées en France par la société GUCCI ;

Qu'ayant découvert l'offre en vente par la société VETIR, d'un modèle de mocassins dans des boutiques à l'enseigne 'GEMO', selon elle, très similaire aux chaussures commercialisées par la société GUCCI et qui reproduirait sa marque représentant un mors de cheval, la société GUCCIO GUCCI a fait procéder à deux constats par huissier de justice les 25 et 26 novembre 2010, le premier, sur le site internet 'gemo.fr' exploité par la société VETIR, et, le second, dans un des magasins de cette société, puis, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 28 décembre 2010, à une saisie-contrefaçon dans les locaux de ladite société le 20 janvier 2011 ;

Considérant que, dans ces circonstances, les sociétés GUCCIO GUCCI et GUCCI, ont fait assigner le 17 février 2011 la société VETIR en contrefaçon de marque et concurrence déloyale ;

Que le tribunal, par le jugement dont appel, a, entre autres dispositions :

rejeté la demande de nullité de la saisie contrefaçon,

déclaré nul, pour défaut de caractère distinctif, l'enregistrement de la marque en cause pour désigner les chaussures en classe 25, irrecevable la société GUCCIO GUCCI en ses demandes au titre de la contrefaçon,

débouté les sociétés GUCCIO GUCCI et GUCCI de leurs demandes en concurrence déloyale et parasitisme, et de publication judiciaire,

débouté la société VETIR de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive et condamné solidairement les sociétés GUCCIO GUCCI et GUCCI à lui payer 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que les sociétés appelantes, quoique poursuivant l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré la société GUCCI recevable à agir au titre des agissements déloyaux et parasitaires, ne poursuivent plus la nullité du procès verbal de saisie et la décision entreprise sera confirmée de ce chef ;

Que, pour le surplus, les appelantes, qui sollicitent le rejet des demandes en nullité de la marque opposée, réitèrent purement et simplement leurs prétentions de première instance, portant leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile à 100.000 euros pour chacune d'elles ; qu'elles demandent ainsi de dire :

à titre principal, que l'importation, la détention, la promotion, l'offre à la vente et la vente, des articles litigieux revêtus d'un signe reproduisant ou, à tout le moins, imitant cette marque constituent des actes de contrefaçon, et condamner, en conséquence, la société VETIR à verser à la société GUCCIO GUCCI 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon,

subsidiairement, qu'en commercialisant des articles qui reprennent illicitement les caractéristiques des articles conçus par la société GUCCIO GUCCI créant une confusion portant atteinte à son image et se plaçant dans son sillage, la société VETIR a commis des agissements déloyaux et parasitaires, et la condamner, en conséquence, à lui payer 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ces agissements,

en toute hypothèse, que par l'importation, l'offre à la vente et la vente des articles litigieux la société VETIR a commis des agissements déloyaux et parasitaires à l'encontre de la société GUCCI, la condamner à payer à cette dernière 3.399.000 euros en réparation du préjudice économique subi du fait du manque à gagner commercial et du détournement de sa clientèle en raison de la commercialisation des articles contrefaisants, prononcer des mesures d'interdiction et de rappel des produits litigieux, sous astreinte ainsi que des mesures de destruction et de publication,

Que la société VETIR porte, dans le cadre de appel incident, chacune de ses demandes pour procédure abusive et frais irrépétibles à hauteur de 100.000 euros ; qu'il sera précisé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ses prétentions qui tendraient à voir écarter des débats certaines pièces adverses, dès lors qu'elles ne sont pas énoncées dans le dispositif de ses écritures , étant observé qu'en tout état de cause ces moyens relèvent de l'appréciation au fond de la portée probatoire de ces éléments, contradictoirement produits aux débats ;

Sur la nullité de la marque opposée

Sur la fraude

Considérant que les premiers juges qui ont annulé la marque dont s'agit pour défaut de distinctivité ont estimé qu'il n'était pas nécessaire de statuer sur le grief de dépôt frauduleux, lequel est réitéré en cause d'appel par la société VETIR qui soutient que la société GUCCIO GUCCI savait que le mors dit 'filet à olive' représentant sa marque aurait été largement utilisé par d'autres opérateurs économiques sur le marché concerné, tant en France qu'à l'étranger, depuis les années 1960 et avait l'intention d'empêcher ses concurrents de l'utiliser pour orner des articles de maroquinerie, se réservant ainsi par fraude un monopole sur un signe qui appartiendrait au fonds commun de la mode ; que la société VETIR ajoute qu'il s'agirait d'une marque 'de barrage' et que la société GUCCIO GUCCI aurait postérieurement déposé à titre de marques d'autres formes de mors, ce qui conforterait sa volonté de s'approprier frauduleusement le signe opposé, particulièrement à la mode, d'autant qu'elle aurait attendu plus de 40 ans pour le déposer et ne justifierait pas d'un intérêt légitime, faute d'établir la réalité d'un usage ancien et continu de ce signe en France avant son dépôt, faisant valoir qu'aucune pièce ne serait communiquée pour la période antérieure à 1991 et que seuls 13 extraits de magazines le seraient pour la période de 1991 à la date du dépôt (28 avril 1993) ;

Mais considérant que les sociétés appelantes rappellent à juste titre que la notion de fraude est d'interprétation stricte, que l'intention frauduleuse ne se présume pas et qu'il n'est pas sérieusement contesté que le fait de déposer plusieurs marques n'est pas en soi répréhensible ; qu'à cet égard il ressort des pièces produites que si la société GUCCIO GUCCI a effectivement déposé diverses autres formes de mors à titre de marque pour désigner notamment des chaussures, de nombreuses formes distinctes de mors demeurent disponibles, y compris pour la représentation d'un mors de type 'filet à olives' ; qu'il ne saurait donc être valablement retenu que le dépôt critiqué traduirait une volonté d'exclure toute possibilité d'autre dépôt de ce type de mors pour les produits en cause ;

Considérant que le seul fait d'avoir déposé la marque fin avril 1993, alors notamment qu'une société française commercialisait en 1974 un accessoire de maroquinerie similaire et que des concurrents paraissent avoir utilisé, antérieurement au dépôt, dès la fin des années 1960, sur le marché de la chaussure des mors pouvant apparaître proches, ainsi qu'il résulte en particulier de :

procès verbaux de constats des 13 octobre et 22 novembre 2010 concernant d'anciens catalogues italiens spécialisés (6 catalogues saisonniers 'ARS SUTORIA', concernant en particulier les années 1966, 1967,1968 ou 1991 et 7 catalogues mensuels 'FOTO SHOE' relatifs aux années 1981,1984 ou 1992) outre un catalogue en langue anglaise ('AMERICA FOTO SHOE' de 1980 ),

d'un catalogue 'ARS SUTORIA' de mars 1993, mais également d'extraits de revues françaises 'CHAUSSER' de 1974 et 1976, de deux numéros 'ELLE' (reproduisant également le mocassin Gucci) et d'un numéro 'HEBDO cuir' de 1991, voire d'un numéro de 'L'OFFICIEL' en 1976 et 1992,

ne saurait suffire à démontrer une intention frauduleuse du déposant, étant observé que les exemples reproduits par les appelantes en pages 22 à 25 de leurs écritures tendent à montrer que l'exploitation antérieure d'un mors 'filet à olive' similaire sur une chaussure présentait un caractère très ponctuel et concernait essentiellement l'année 1993, soit la période précédant immédiatement le dépôt litigieux ;

Considérant qu'au contraire, même si tous les documents produits par les appelantes ne sont pas nécessairement pertinents, à raison notamment de leur date ou origine, il est établi que des mocassins 'Gucci', présentant de manière suffisamment identifiable, sur leur empeigne le signe invoqué, étaient notamment :

divulgués dans le magazine 'VOGUE' du mois de mai 1955, même si cette revue est de langue anglaise, et en France ainsi qu'il ressort en particulier de deux photographies, reproduites dans un livre de 2006 consacré à la maison GUCCI, mais extraites de films dont il est justifié qu'ils ont été diffusés sur le territoire national en 1957 et 1980 (le détail de ces documents étant reproduit en pages 15 et 16 des écritures des appelantes),

régulièrement représentés dans les catalogues 'GUCCI', notamment selon les extraits en langue anglaise produits, étant observé que si tous ne comportent pas de date, il apparaît que ceux datés de 1976/1977 et 1980/1981 mentionnent l'existence d'une boutique en France et ceux datés de 1979/1980, 1982/1983 et 1983/1984 celle de '[Localité 1]', ce qui laisse sérieusement supposer qu'ils ont été diffusés en France nonobstant les assertions adverses de la société VETIR ,

figurés de manière régulière dans plusieurs magazines français grand public ou de mode à partir d'avril 1991 (4 numéros de L'OFFICIEL, un numéro de Marie-Claire, 4 numéros de VOGUE et 4 numéros de ELLE) pour partie reproduits en pages 21 à 23 des écritures des appelantes ;

Qu'il s'infère de l'ensemble de ces éléments preuve suffisante d'une diffusion ancienne et suivie en France, antérieure au dépôt litigieux, du signe opposé pour la commercialisation de mocassins 'GUCCI', tendant à démontrer que ce dépôt, même s'il est intervenu de nombreuses années après la première exploitation, s'inscrivait alors dans la poursuite d'un objectif légitime de protection de cet usage, non dénué de logique en l'état d'une utilisation consécutive susceptible de s'intensifier, même si elle s'avérait limitée, d'un signe semblable par des tiers ; qu'il sera ajouté que la mauvaise foi ne saurait se déduire d'une attitude postérieure du déposant telle une prétendue interruption d'utilisation du signe de 1997 à 2005, au demeurant non démontrée en l'état de l'édition de catalogues des collections GUCCI montrant la reproduction du signe durant ces années ;

Considérant, en définitive, que la société intimée ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que la société GUCCIO GUCCI n'aurait eu, au moment du dépôt, pour but que de nuire à ses concurrents, ou de les priver fautivement d'un signe; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d' annuler la marque critiquée pour dépôt frauduleux ;

Sur le caractère distinctif

Considérant qu'il n'est pas contesté que le droit des marques étant un droit d'occupation, rien ne s'oppose à ce qu'un signe exempt d'originalité ou de nouveauté soit déposé à titre de marque, dès lors que ce signe est arbitraire au regard des produits ou services qu'il est appelé à désigner, ni que le signe en cause ne constitue pas la désignation générique et nécessaire des chaussures ou la représentation d'une forme imposée par la nature ou la fonction de ces produits ;

Que la société VETIR prétend par contre qu'au jour de son dépôt le signe serait devenu usuel pour désigner des chaussures et qu'ainsi il n'aurait pas été apte à garantir leur origine pour le consommateur d'attention moyenne, à supposer même que ce dernier ait pu être habitué à voir des mocassins de la société GUCCIO GUCCI avec ce signe ; qu'elle demande la confirmation de la décision entreprise de ce chef faisant valoir que le signe déposé ne divergerait pas suffisamment des normes du secteur, compte tenu de l'apposition par de nombreux opérateurs économiques sur l'empeigne de leurs chaussures de mors identiques ou similaires, qu'il ne serait perçu que dans sa fonction décorative ou esthétique et qu'en tout état de cause cet accessoire de chaussure ne permettrait pas à lui seul d'identifier un produit GUCCI ; qu'elle ajoute qu'il ne serait pas plus établi que ce signe aurait acquis par l'usage un caractère distinctif en France durant la période comprise entre le dépôt (28 avril 1993) et le commencement des faits litigieux (février 2010) ;

Mais considérant que si le droit des marques n'a pas pour objet de conférer un monopole à la personne qui la première a apposé le signe sur les produits désignés, et si le signe litigieux a pu être utilisé, à l'instar d'autres mors de cheval ou d'éléments figuratifs issus de l'univers équestre, en particulier sur des chaussures, par d'autres opérateurs, les pièces produites par la société VETIR ne démontrent pas qu'il serait effectivement devenu usuel dans les habitudes loyales et constantes du commerce à la date du dépôt, ni que l'exploitation antérieure par des tiers aurait été suffisamment, à la fois, étendue et similaire au regard du large et durable usage qui en était fait sur des mocassins GUCCI, pour que le consommateur, même moyennement avisé des produits en cause (chaussures), puisse le percevoir comme banal ; qu'en effet la présentation de chaussures de tiers présentant sur l'empeigne un signe parfois proche demeurait ponctuelle et les propres pièces de la société VETIR, tels les extraits du catalogue 'ELLE' des 2 et 30 septembre 1991, présentant plusieurs mocassins à boucle ou avec un mors, montrent que l'on figure naturellement en ce cas aussi une chaussure 'GUCCI'et que des formes distinctes peuvent être représentées sur l'empeigne de ces mocassins dits 'à mors' ;

Qu'en réalité, pour ces produits le signe particulier opposé demeure ainsi reconnaissable d'autant il a été précédemment rappelé que le public français a pu connaître de longue date les mocassins à mors 'GUCCI' et le voyait distinctement reproduit de manière régulière depuis au moins deux ans dans des publicités 'GUCCI' parues dans des magazines de grande diffusion ; que même si ce signe constitue également un élément décoratif de la chaussure, il ne pouvait dès lors renvoyer qu'à l'origine de ce produit, la mention de la marque verbale 'GUCCI', généralement rappelée dans les articles de presse présentant les chaussures avec l'apposition du mors opposé ne pouvant que renforcer cette perception le consommateur même moyennement attentif étant incité à l'associer à un produit 'GUCCI' ;

Considérant qu'il s'infère de l'ensemble de ces éléments que le signe tel que déposé n'était pas d'un usage généralisé et ne pouvait, en conséquence, être considéré comme usuel au moment de son dépôt et que sa fonction décorative n'excluait pas qu'il soit perçu comme indicateur de l'origine du produit ; qu'il sera ajouté que la capacité distinctive de ce signe, en particulier pour les chaussures seules en cause, demeurait par l'usage qui en a été fait jusqu'au jour des faits argués de contrefaçon, mais également jusqu'au jour où la marque opposée a été contestée dans le cadre de l'action en contrefaçon, date à laquelle il convient en fait de se placer pour apprécier sa validité ; qu'il sera en effet relevé que si des modèles de chaussures de tiers ont pu présenter l'apposition d'un mors, la représentation telle que déposée a continué à être largement associée aux mocassins 'GUCCI', divers articles de presse française évoquant par ailleurs 'le fameux double mors' ou 'image emblématique de la maison' GUCCI et le fait qu'en 2006 ce 'mors greffé sur l'empeigne [...] plébiscité dès son lancement [...] renaît en colorama' ; que ce signe présente ainsi un caractère suffisamment distinctif pour satisfaire la fonction d'indication d'origine de la marque, en particulier pour les produits concernés par le présent litige, et la demande en nullité pour défaut de distinctivité ne saurait, en conséquence, prospérer et le jugement entreprise devant être infirmé sur ce point ;

Sur les atteintes à la marque

Sur la reproduction

Considérant que le signe incriminé ne saurait être considéré comme identique à la marque opposée que lorsque, pris dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu'elles peuvent passer inaperçues aux yeux d'un consommateur moyen ;

Considérant qu'en l'espèce ce consommateur, normalement averti en matière de chaussures savait notamment par les articles grand public ou les publications internet (selon extraits produits aux débats) que d'autres modèles de mocassins, parfois présentés aux côtés de chaussures 'GUCCI', pouvaient présenter sur les empeignes des mors de même type mais de formes différentes, et que les chaussures 'GUCCI' pouvaient elles-mêmes présenter des mors différents ; que le consommateur concerné était ainsi incité à porter plus particulièrement attention à la forme du mors apposé, d'autant qu'il s'agit d'un élément mis en valeur, comme élément décoratif du produit, sur son empeigne ;

Qu'il en résulte que même s'il n'a pas sous les yeux simultanément les deux signes en présence, il percevra facilement les différences de représentation de l'attache incriminée, dont l'anneau présente un décrochage souligné par son épaisseur, avec une apparence un peu écrasée, le canon adopte une forme arquée et les anneaux ou oeillets de l'articulation sont nettement distincts l'un étant largement épaissi par rapport à l'autre ; qu'une telle présentation est inexistante dans le signe tel que déposé, et ces différences confèrent immédiatement une impression d'ensemble totalement distincte de forme du mors représenté, le signe adopté par la société VETIR ne donnant pas à voir la forme d'ensemble spécifique de grande simplicité du dépôt, montrant une ligne très épurée du mors avec des anneaux en forme de 'D' majuscule, lisses, d'épaisseur constante tout comme les oeillets parfaitement symétriques au niveau de l'articulation, et une forme conique droite du canon ;

Considérant qu'il ne saurait, en conséquence, être admis que les différences entre le signe déposé et l'attache en forme de mors apposée par la société VETIR seraient insignifiantes et la contrefaçon par reproduction ne saurait dès lors être constituée ;

Sur l'imitation

Considérant que les appelantes invoquent à titre subsidiaire l'existence d'une contrefaçon de marque par imitation ; que cependant le titulaire d'un signe déposé ne saurait se fonder sur ses droits de marque pour prétendre à un monopole d'exploitation, qui serait attentatoire tant à la liberté d'expression des créateurs qu'à la liberté du commerce et de l'industrie, de tout signe en forme de mors de cheval dans le domaine de la chaussure ;

Qu'en l'espèce, si le mors apposé sur la chaussure de la société VETIR évoque, comme le signe déposé, un mors du type filet à olive, il se présente globalement de manière différente de la forme particulière du mors de la marque opposée, ainsi que précédemment relevé, à raison de différences de structures sensibles, qu'un consommateur même d'attention moyenne normalement informé et raisonnablement avisé de la catégorie de produits concernés percevra immédiatement, excluant tout risque de confusion avec la marque connue invoquée ;

Qu'il s'ensuit que la contrefaçon de la marque par imitation n'est plus pas caractérisée, que l'action en concurrence déloyale du distributeur, à raison d'atteintes à la marque, ne s'avère ainsi pas fondée, et que toutes les demandes de ces chefs ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les agissements déloyaux et parasitaires

Considérant que le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant, notamment, à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, préjudiciable à l'exercice paisible et loyal du commerce ;

Considérant que les appelantes soutiennent qu'elles seraient fondées à invoquer des agissements déloyaux et parasitaires à raison de la commercialisation par la société VETIR de mocassins en cuir grainé blanc ou noir, qui reprendraient, selon elles, les caractéristiques des mocassins souples, plats et à semelle gomme GUCCIO GUCCI qui seraient distribués en France par la société GUCCI et constitueraient des produits cultes de la maison GUCCI, et de recherche du bénéfice sans bourse délier de sa notoriété ainsi que de ses investissements publicitaires ; que la société VETIR prétend que les appelantes n'auraient commercialisé de mocassin en cuir grainé souple blanc ou noir que concomitamment à la commercialisation incriminée et ne sauraient valablement revendiquer un genre de chaussures savoir le mocassin à mors ;

Considérant que les pièces produites montrent suffisamment que le mocassin incriminé constitue un modèle banal de mocassin ainsi que pertinemment retenu par le tribunal, et n'évoque pas un modèle spécifique des appelantes, étant relevé qu'à supposer même qu'il soit admis que des mocassins 'GUCCI' souples grainés en blanc ou en noir aient été divulgués au public antérieurement à la commercialisation des mocassins objets de opérations de saisie contrefaçon (qui portent visiblement la griffe 'G CLUB' ou 'TOUT SOUPLEMENT'), l'examen de leur reproduction montrent que seule la semelle serait susceptible de distinguer les nouveaux mocassins 'GUCCI' d'autres mocassins en ce qu'elle montre des picots à l'arrière de la chaussure, également visibles à l'avant, alors que la semelle des chaussures VETIR, quoique crantée, ne montre pas cette allure particulière conférée par la présence de picots ; que, de même, les mocassins VETIR ne reprennent pas la bande de cuir rajoutée sur ces modèles 'GUCCI', mettant en valeur le mors sur l'empeigne ;

Qu'il sera ajouté que l'examen notamment des catalogues 'GUCCI' confirme la grande variété de présentations possibles de mocassins 'GUCCI' et il ne peut être admis qu'il existerait de ce chef une forme spécifique qui les distinguerait d'autres mocassins, si ce n'est la présence du mors tel que protégé ; que néanmoins ces catalogues montrent que d'autres mors peuvent être apposés sur des chaussures 'GUCCI'(la société GUCCIO GUCCI étant titulaire de plusieurs marques représentant des mors différents) et l'impression résultant de l'apposition sur l'empeigne du décor très épuré actuellement revendiqué, même s'il constitue le signe le plus ancien et le plus utilisé par la société GUCCI pour ses mocassins, n'est pas repris sur les chaussures VETIR, puisqu'ainsi que précédemment retenu l'attache de ces dernières montre globalement un mors à filet olive d'une forme différente, à l'instar d'autres représentation possibles du même type de filet (ainsi qu'il ressort au demeurant des pièces des appelantes) ;

Considérant qu'il s'infère de l'ensemble de ces constatations, auxquelles la cour s'est livrée, que le consommateur ne serait pas fondé à associer les mocassins incriminés à des modèles 'GUCCI' présentant le mors revendiqué, même si celui-ci est largement connu, et la décision entreprise ne peut qu'être confirmée en ce qu'elle a retenu que les chaussures litigieuses ne sont pas de nature évoquer ces modèles dans l'esprit du public ; qu'en réalité la société VETIR apparaît avoir banalement agrémenté un genre de chaussures d'une décoration de l'univers du cheval, non protégée par la marque opposée (visuellement suffisamment distincte), ce qui ne s'avère pas inhabituel dans le domaine concerné, et l'effet d'ensemble demeure à suffisance différent pour exclure tout risque de confusion, ou même d'association entre les modèles en cause, d'autant qu'ils n'empruntent pas les mêmes circuits de distribution et ne sont pas vendus à des prix raisonnablement comparables (19,99 euros au lieu de 290 euros selon les appelantes) ;

Considérant que n'est pas plus établie la volonté de la société VETIR de se placer dans le sillage des appelantes, étant observé que ne saurait être considéré comme fautif le simple fait de s'inscrire dans les tendances de la mode et de commercialiser à bas prix un mocassin souple, dans des couleurs basiques pour des chaussures (noir ou blanc), orné d'un mors qui n'est pas protégé, pour s'adresser à une clientèle distincte, de l'enseigne 'GEMO', ou de grandes surfaces et de zones commerciales périphériques très éloignées selon les déclarations mêmes des appelantes $gt; ;

Que la décision entreprise sera, en conséquence, approuvée en ce qu'elle a débouté les sociétés GUCCIO GUCCI et GUCCI de toutes leurs demandes pour parasitisme et concurrence déloyale, ainsi que de publication judiciaire ;

Sur l'abus de procédure

Considérant que le droit d'ester en justice n'est susceptible de dégénérer en abus ouvrant droit à réparation que s'il est exercé de mauvaise foi, par intention de nuire ou par légèreté blâmable équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont pas en l'espèce démontrées par la société VETIR à l'encontre des sociétés appelantes, même si celles -ci succombent en leur action en contrefaçon et concurrence déloyale ou parasitaire ;

Que les demandes en dommages-intérêts formées de ce chef seront, en conséquence, par confirmation du jugement dont appel, rejetées ;

PAR CES MOTIFS,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de la saisie contrefaçon, débouté les sociétés GUCCIO GUCCI SpA et GUCCI FRANCE de leurs demandes en concurrence déloyale et parasitisme et de publication judiciaire, débouté la société VETIR de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, et condamné solidairement les sociétés GUCCIO GUCCI SpA et GUCCI FRANCE au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

Dit n'y avoir lieu à nullité de la marque française tridimensionnelle n° 93 466 769 déposée le 28 avril 1993 par la société GUCCIO GUCCI SpA pour désigner les chaussures en classe 25 ;

Déclare la société GUCCIO GUCCI SpA recevable en ses demandes au titre de la contrefaçon de marque ;

Déboute les sociétés GUCCIO GUCCI SpA et GUCCI FRANCE de toutes leurs demandes fondées sur l'atteinte à la marque précitée ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne in solidum les sociétés GUCCIO GUCCI SpA et GUCCI FRANCE aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

LE PRÉSIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 13/04029
Date de la décision : 25/11/2014

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°13/04029 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-11-25;13.04029 ?
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