Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 14 MARS 2017
(n° 083/2017, 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/20381
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Septembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - 3ème chambre - 3ème section - RG n° 13/18115
APPELANTE
SASU AMEFA FRANCE SAS à associé unique,
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Saint Etienne sous le numéro 404 745 275
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée et assistée de Me Ingrid ZAFRANI de la SELARL HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2431
INTIMÉE
SAS SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION TARRERIAS BONJEAN
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de B 397 879 909 sous le numéro 397 879 909
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Grégoire GOUSSU de la SELARL AMAR GOUSSU STAUB, avocat au barreau de PARIS, toque : P0515
Assistée de Me Cédric KOSSO-VANLATHEM, avocat au barreau de PARIS, toque : P0515
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 Janvier 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Benjamin RAJBAUT, Président
Monsieur David PEYRON, Président de chambre
Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
contradictoire
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par M. Benjamin RAJBAUT, président et par Mme Karine ABELKALON, greffier.
***
E X P O S É D U L I T I G E
La SASU Amefa France a pour activité la création et la commercialisation de couverts de table et de couteaux de cuisine et commerciale depuis 2007, sous la dénomination 'S-KISS' un ensemble de couverts (couteaux, fourchettes, cuillères) qu'elle revendique au titre du droit d'auteur ;
La SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean, immatriculée le 04 août 1994, se présente comme l'un des leaders français de la coutellerie, disposant de deux usines fabriquant plus de 150.000 pièces par jour, concevant, fabriquant et commercialisant également des couverts de table ;
Apprenant que cette société proposait à la vente dans les magasins à l'enseigne [Établissement 1] et Alinéa, des couverts 'EVA' et 'ACCRA' qu'elle estime être une reproduction de ses articles 'S-KISS', la SASU Amefa France a fait réaliser deux constats d'achat les 27 juillet et 02 août 2012 avant de mettre en demeure, le 25 septembre 2012, les sociétés Habitat France et Alinéa de cesser la commercialisation de cette gamme de couverts ;
Par procès-verbal de constat du 15 mars 2013, la SASU Amefa France a fait constater que des modèles référencés 'SELECT', reprenant selon elle les caractéristiques de ses couverts ' 'S-KISS' étaient commercialisés par la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean sur le site Internet 'www.cdiscount.com' ;
Par acte du 18 novembre 2013, la SASU Amefa France assignait la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale ;
Reconventionnellement, cette dernière a présenté une demande en dommages et intérêts en réparation d'actes de dénigrement et de désorganisation de son réseau commercial, constitutifs de concurrence déloyale ;
Par jugement contradictoire du 11 septembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :
dit que la SASU Amefa France ne justifie pas être titulaire de droits d'auteur sur les couverts 'S-KISS',
déclaré irrecevables les demandes de la SASU Amefa France au titre de la contrefaçon de droits d'auteur sur les articles de couverts 'S-KISS',
débouté la SASU Amefa France de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
condamné la SASU Amefa France à verser à la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,
condamné la SASU Amefa France à payer à la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire ;
La SASU Amefa France a interjeté appel de ce jugement le 15 octobre 2015 ;
Par ses dernières conclusions n°4, transmises par RPVA le 23 décembre 2016, la SASU Amefa France demande :
d'infirmer le jugement entrepris,
de dire qu'elle est titulaire de droits d'auteur sur son modèle 'S-KISS' et que la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean est irrecevable à soulever le défaut d'originalité du modèle 'S-KISS',
de dire que la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean a porté atteinte à ses droits d'auteur sur son modèle 'S-KISS' et a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
de condamner la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean à lui payer la somme de 1.600.000 € en réparation du préjudice subi résultant des actes des contrefaçon et la somme de 150.000 € en réparation du préjudice subi résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
de faire défense à la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean de commercialiser tout modèle de couvert constituant une reproduction des caractéristiques des modèles 'S-KISS' dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, ce sous astreinte de 150 € par infraction constatée comme s'entendant de chaque fait de commercialisation d'un modèle de couvert,
d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir par extrait dans trois journaux à son choix et aux frais avancés de la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean à concurrence de 5.000 € par insertion,
de condamner la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean à lui payer la somme de 20.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Par ses dernières conclusions d'intimée n° 3, transmises par RPVA le 16 décembre 2016, la SAS Société d'Exploitation Tarrerias Bonjean (ci-après SETB) demande :
de débouter la SASU Amefa France de sa fin de non recevoir,
de confirmer le jugement sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale commis par la SASU Amefa France et statuant à nouveau sur ce point :
de condamner la SASU Amefa France à lui verser la somme de 85.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du dit préjudice,
À titre subsidiaire :
de dire que la SASU Amefa France ne démontre pas l'existence d'un quelconque préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de droit d'auteur et/ou des actes de concurrence déloyale et parasitaire allégués prétendument commis par elle,
de débouter en conséquence la SASU Amefa France de l'intégralité de ses demandes en toutes fins qu'elles comportent,
En tout état de cause :
d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 journaux ou périodiques à son choix et aux frais de la SASU Amefa France, sans que le coût global des insertions ne puisse excéder la somme de 30.000 € HT, ainsi que sur la page d'accueil du site Internet '[Site Web 1]' et de tout autre site Internet exploité par la SASU Amefa France, pendant une durée d'un mois, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, dans un encart qui ne saurait être inférieur à 20 cm², dans une police de taille 12, et ce sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard en se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte,
de condamner la SASU Amefa France à lui verser la somme de 25.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 03 janvier 2017 ;
M O T I F S D E L ' A R R Ê T
Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ;
I : SUR LA TITULARITÉ DE DROITS D'AUTEUR DE LA SASU AMEFA FRANCE :
Considérant que les premiers juges ont déclaré la SASU Amefa France irrecevable en ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur sur les modèles de couverts de table et de couteaux 'S-KISS' au motif qu'elle ne fournissait pas d'éléments précis sur le processus de conception des articles litigieux et qu'elle ne pouvait donc pas se prévaloir d'un travail de création apte à rapporter la preuve des droits d'auteur qu'elle revendique sur les articles 'S-KISS' ;
Considérant que la SASU Amefa France détaille la genèse de sa gamme 'S-KISS' qu'elle décrit comme une évolution d'un de ses modèles phares 'SILHOUETTE' en versant aux débats l'attestation du designer qui a créé ce modèle, Mme [J] [E] et un certain nombre de pièces ;
Qu'elle ajoute avoir commercialisé les modèles 'S-KISS' à compter du mois de septembre 2008, lesquels sont toujours commercialisés à ce jour, de telle sorte qu'elle affirme être bien investie des droits d'auteurs sur ces modèles, divulgués sous son nom ;
Considérant que la SAS SETB réplique que la SASU Amefa France ne démontre pas avoir créé en mars 2007 les couverts 'S-KISS' argués en contrefaçon, les pièces produites n'étant pas probantes faute notamment d'avoir des dates certaines ;
Qu'elle conteste également la présomption prétorienne de titularité des droits d'auteur au profit des personnes morales en faisant valoir que la seule date certaine de première commercialisation de ce modèle de couverts est celle du 17 septembre 2008 et que la SASU Amefa France ne démontre pas que la date de création remonterait au 15 mars ou au 23 avril 2007 ;
Considérant ceci exposé, que l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs, fussent-ils identités, fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété intellectuelle de l'auteur ;
Considérant que pour bénéficier de cette présomption simple, il appartient à la personne morale d'identifier précisément l'oeuvre qu'elle revendique et de justifier de la date à laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation en établissant que les caractéristiques de l'oeuvre revendiquée sont identiques à celles dont elle rapporte la preuve de la commercialisation sous son nom ;
Considérant qu'en l'espèce il est constant, comme l'admet la SAS SETB elle-même, que la première date de commercialisation non équivoque par la SASU Amefa France sous son nom, des modèles de couverts de table 'S-KISS' tels qu'identifiés, est celle du 17 septembre 2008, de telle sorte qu'en l'absence de toute revendication du ou des auteurs, même identifiés, la SASU Amefa France bénéficie à compter de cette date, de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d'auteur sur les couverts de table 'S-KISS', objet de la présente action en contrefaçon de droits d'auteur, indépendamment de tout débat sur le processus de création de ces couverts ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que la SASU Amefa France ne justifiait pas être titulaire de droits d'auteur sur les couverts 'S-KISS' et en ce qu'il a déclaré irrecevables ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur sur ces articles ;
Que statuant à nouveau il sera jugé que la SASU Amefa France bénéficie de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d'auteur sur les modèles de couverts de table de la gamme 'S-KISS' à compter du 17 septembre 2008 et qu'elle est donc bien recevable en son action en concurrence déloyale pour atteinte à ses droits d'auteur ;
II : SUR L'ORIGINALITÉ DES MODÈLES REVENDIQUÉS :
Considérant que la SAS SETB soulève l'absence d'originalité des modèles 'S-KISS' en affirmant n'avoir jamais reconnu précédemment cette originalité, faisant valoir que le litige antérieur ayant abouti à une transaction en 2011 ne portait que sur un autre modèle 'SILHOUETTE' au demeurant créé par un autre designer que celui des modèles 'S-KISS' ;
Qu'elle ajoute que ses propres couverts 'SELECT', accusés de contrefaire les modèles 'S-KISS', ont été créés antérieurement à ceux-ci et que les caractéristiques revendiquées par la SASU Amefa France sont connues depuis 1996 ;
Considérant que la SASU Amefa France revendique le parti pris esthétique de conférer à chacun des couverts une allure contemporaine et longiligne en alliant l'élégance du design à un aspect et une prise en main massive, robuste ;
Qu'elle revendique également au titre de l'originalité de ces couverts, la combinaison des caractéristiques suivantes :
la courbure significative du manche des couverts dont la base est légèrement incurvée,
l'épaisseur des manches,
la forme 'taille de guêpe' des manches,
les lignes et designs des têtes de chaque couvert,
une section du manche en biseau marquée tout en état douce,
un profil longiligne,
et pour la cuillère et la fourchette, une double cambrure du manche, caractéristique provenant de sa gamme antérieure 'SILHOUETTE' ;
Qu'elle en conclut que le parti pris esthétique et cette combinaison font de chacun de ces couverts une oeuvre originale, protégeable au titre du Livre I du code de la propriété intellectuelle ;
Qu'elle soutient que la SAS SETB est irrecevable à contester cette originalité alors qu'elle a reconnu au sein d'un protocole d'accord antérieur l'originalité du modèle 'SILHOUETTE' contenant les mêmes caractéristiques que 'S-KISS' à l'exception des sections du manche en biseau et de la double cambrure du manche qui rendent ce modèle encore plus original ;
Qu'elle affirme que la SAS SETB ne rapporte pas la preuve de l'antériorité de son modèle 'SELECT' faute de justifier d'une date de commercialisation antérieure à la sienne et que l'examen de l'ensemble des autres modèles invoqués permet de constater qu'aucun d'entre eux ne présente l'ensemble des caractéristiques originales du modèle 'S-KISS' ;
Considérant ceci exposé, que le fait que la SAS SETB ait pu reconnaître les droits d'auteur sur des modèles de couverts de table 'SILHOUETTE' dans un protocole d'accord transactionnel signé en 2011 ne lui interdit pas dans le cadre du présent litige, d'invoquer l'absence d'originalité des modèles de couverts de table 'S-KISS' ;
Qu'il est en effet constant qu'il s'agit de modèles différents conçus par des designers différents : M. [Q] [A] pour les modèles 'SILHOUETTE' (selon l'attestation non contestée de ce dernier en pièce 24 de la SAS SETB) et Mme [J] [E] pour les modèles 'S-KISS' (selon l'attestation non contestée de cette dernière en pièce 2 de la SASU Amefa France) ;
Que le seul fait que les modèles 'SILHOUETTE' aient pu être reconnus originaux et comme tels, protégeables au titre du droit d'auteur, ne signifie pas qu'automatiquement les modèles 'S-KISS', qui en seraient une déclinaison selon la SASU Amefa France, bénéficieraient de la même originalité ;
Que bien au contraire si les modèles 'S-KISS' ne sont qu'une déclinaison des modèles plus anciens 'SILHOUETTE', ils ne peuvent revendiquer une quelconque originalité par rapport aux modèles 'SILHOUETTE' ;
Considérant qu'ainsi la SASU Amefa France reconnaît elle-même en pages 6 et 7 de ses conclusions que les modèles 'S-KISS' ne sont qu'une simple évolution de son modèle phare 'SILHOUETTE' créé en 2000 par la société COUZON aux droits de laquelle elle vient afin de s'inscrire dans la même lignée caractéristique de la 'double courbure particulière du manche' (page 7 de ses conclusions) ;
Que la SASU Amefa France admet elle-même (page 6) que la quasi totalité des éléments caractéristiques de l'originalité revendiquée pour ses modèles 'S-KISS' existaient déjà comme éléments caractéristiques de l'originalité de son modèle antérieur 'SILHOUETTE', à savoir :
la courbure significative du manche des couverts dont la base est légèrement incurvée,
l'épaisseur des manches,
la forme 'taille de guêpe' des manches,
les lignes et designs des têtes de chaque couvert ;
Que la SASU Amefa France admet également en page 12 de ses conclusions que la double cambrure du manche pour la cuillère et la fourchette provient également de la gamme 'SILHOUETTE' ;
Qu'il apparaît donc que ces éléments ne sont que la reprise banale des éléments caractéristiques du modèle antérieur 'SILHOUETTE', à l'exception de la 'section du manche en biseau marquée' et du 'profil longiligne' (page 7 de ses conclusions) ;
Considérant que le fait de concevoir des couverts de table présentant une section du manche en biseau marquée n'est pas original puisqu'on retrouve déjà cette caractéristique dans plusieurs modèles de couverts déposés à l'INPI les 12 août 1996 et 28 octobre 1997 par la société Puiforcat Orfèvre (pièces 7 à 9 de la SAS SETB) et le 25 mai 2001 par la société STIRN (pièce 6) ;
Que le profil longiligne des couverts se retrouve également déjà dans plusieurs modèles de couverts déposés à l'INPI et revendiquant expressément cette caractéristique, ainsi la description des modèles de cuillère et de fourchette déposés le 09 juin 2004 par la société Atelier Pardoux ('l'esthétique se particularise entre autre par la nature du galbe du manche, son aspect plus massif à la base et plus effilé vers l'extrémité' : pièces 14 et 15) ;
Qu'ainsi le 'parti pris esthétique' revendiqué au titre de l'originalité et résultant selon la SASU Amefa France d'une 'allure contemporaine et longiligne' (page 12 de ses conclusions) était banal au moment de la commercialisation du modèle 'S-KISS' et ne présente donc aucune originalité ;
Considérant que si la combinaison d'éléments courants peut bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur, encore faut-il démontrer que cette combinaison présente en elle-même un caractère original révélateur de la personnalité créatrice de son auteur ;
Qu'en l'espèce si la SASU Amefa France affirme que son 'parti pris esthétique' (dont il a été dit qu'il n'était pas original) et la combinaison des éléments (également banals en eux-mêmes) qu'elle invoque au titre de la protection de ses couverts 'S-KISS' par le droit d'auteur fait 'de chacun de ces couverts une oeuvre originale, digne d'être protégée au titre du Livre I du Code de la propriété intellectuelle' (page 13 de ses conclusions), force est de constater qu'elle ne procède que par affirmations et ne démontre pas en quoi cette combinaison présenterait un quelconque aspect original ;
Considérant en conséquence que la SASU Amefa France échoue à démontrer l'originalité des couverts 'S-KISS' qui ne peuvent bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur et que dès lors elle ne peut qu'être déboutée de l'ensemble de ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur fondées sur ces modèles de couverts de table ;
III : SUR LES ACTES DE CONCURRENCE DÉLOYALE ET PARASITAIRE :
Considérant que les premiers juges ont rejeté les demandes de la SASU Amefa France au motif que celle-ci, qui ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif, ne fait pas état de circonstances ou de modalités de commercialisation des produits susceptibles de générer un risque de confusion sur leur origine et qu'elle ne fournit aucune pièce ni sur ses processus et coûts de fabrication, ni sur ses investissements, ni sur une prétendue baisse de son chiffre d'affaires ;
Considérant que la SASU Amefa France reprend devant la cour ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire en affirmant que la SAS SETB a commercialisé des modèles de couverts constituant une copie quasi-servile de sa ligne de couverts, ce qui constitue un risque de confusion pour le consommateur, encore aggravé par le fait que le modèle litigieux est commercialisé dans un matériau similaire et dans des points de vente sensiblement similaires ;
Qu'elle ajoute que son modèle 'S-KISS' constitue une réelle valeur économique, fruit de ses investissements dont elle justifie et que la SASU SETB a détourné ces investissements à son profit, échappant aux frais d'études et de conception du modèle, se plaçant dans son sillage pour commercialiser son modèle de couverts à un prix nettement inférieur ;
Considérant que la SAS SETB conclut à la confirmation du jugement entrepris de ce chef en faisant valoir que les actes allégués au titre de la concurrence déloyale ne sont pas distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon et qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être retenu, ni de parasitisme puisqu'elle commercialisait ses propres couverts 'SELECT' depuis le 26 juin 2002, soit six ans avant la première commercialisation des couverts 'S-KISS' par la SASU Amefa France ;
Considérant ceci exposé, que l'action en concurrence déloyale, qui est ouverte à celui qui, comme en l'espèce, ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif, peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif ;
Mais considérant que le simple fait de copier un produit concurrent qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ou de commercialiser une gamme de produits se rapprochant par leur composition d'une gamme de produits concurrent ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale et que la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce ;
Considérant en premier lieu que la comparaison des couverts de table de la gamme 'S-KISS' avec ceux de la gamme 'SELECT', à laquelle s'est livrée la cour ne démontre pas que ces derniers seraient une copie 'quasi-servile' des premiers comme le soutient la SASU Amefa France, le sens du biseau du manche étant inversé et, pour les couteaux, l'extrémité de la lame étant plus pointue pour le modèle 'SELECT' ;
Qu'en second lieu il ressort des pièces versées aux débats que les couverts de la gamme 'SELECT' ont été fournis à la SAS SETB par la société chinoise Jettern qui les présentait déjà sous sa référence 'SELENE' (référence du designer : WAVE) dans un catalogue daté de 2007 (pièce 2 de la SAS SETB) ainsi qu'il en est justifié par la mention du Copyright du dit catalogue ; que la photographie des couverts 'SELENE' sur ce catalogue permet à la cour de s'assurer que ce modèle de couverts correspond bien en effet aux couverts commercialisés par la SAS SETB sous sa propre référence 'SELECT' ;
Qu'il apparaît donc que les couverts 'SELECT', qui ne constituent pas une copie quasi-servile des couverts 'S-KISS', préexistent à ces derniers puisque leur fournisseur les commercialisait avant même que soient mis sur le marché les couverts 'S-KISS', de telle sorte qu'il n'est démontré du fait de cette commercialisation aucun acte fautif tant de concurrence déloyale que de concurrence parasitaire ;
Que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la SASU Amefa France de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;
IV : SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DES LA SAS SETB :
Considérant que les premiers juges ont retenu à l'encontre de la SASU Amefa France des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la SAS SETB résultant du dénigrement causé par les lettres de mise en demeure adressées par cette société à ses distributeurs, révélant sa volonté de désorganiser son réseau ;
Considérant que la SASU Amefa France conteste sa condamnation pour concurrence déloyale en exposant que se considérant comme titulaire de droits d'auteur sur ses modèles de couvert, elle était tout à fait en droit d'indiquer aux distributeurs des couverts litigieux l'existence de ses droits de propriété intellectuelle et les conséquences de commercialiser des modèles identiques ou similaires et ce quand bien même elle avait eu connaissance du nom du fabricant ;
Qu'elle soutient que les termes employés n'étaient ni dénigrants, ni excessifs mais appelaient l'attention sur une irrégularité dont elle s'estimait victime, ainsi que les actions entreprises sur ce fondement ;
Qu'elle ajoute qu'il n'est absolument pas démontré un lien de causalité entre une prétendue baisse du chiffre d'affaires de la SAS SETB et le présent litige ;
Considérant que la SAS SETB conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'actes de dénigrement commis par la SASU Amefa France, le seul but recherché par les mises en demeure adressées à ses distributeurs étant de jeter le discrédit sur elle ;
Qu'elle ajoute que du fait du procès-verbal de constat d'achat qu'elle avait fait réaliser, la SASU Amefa France connaissait son existence et que c'est à elle qu'elle aurait pu adresser une mise en demeure mais que cette société s'en est délibérément abstenue, préférant tenter de désorganiser son réseau en contactant ses distributeurs ;
Qu'elle fait encore valoir que les termes employés dans ces lettres de mise en demeure sont dénués de toute mesure et revêtent un ton particulièrement comminatoire, allant au-delà d'une simple mise en garde ;
Qu'elle expose que de tels agissements sont constitutifs de dénigrement et caractérisent une faute sur le fondement des dispositions de l'article 1240 nouveau du code civil ;
Qu'elle est appelante incidente du jugement sur le quantum des dommages et intérêts en faisant valoir que son distributeur principal, la société Habitat France a cessé toute relation commerciale avec elle à la suite de cette mise en demeure, ce qui a entraîné une baisse de son chiffre d'affaires et une perte de sa marge réalisée sur ce client qu'elle évalue à la somme de 78.000 € ;
Qu'elle fait également valoir l'existence d'un préjudice moral subi du fait de l'atteinte portée à sa réputation, à sa crédibilité et à son image de marque qu'elle évalue à la somme de 7.000 €, réclamant au total la somme de 85.000 € à titre de dommages et intérêts ;
Qu'elle réclame en outre la publication judiciaire de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou périodiques et, sous astreinte, sur la page d'accueil du site Internet '[Site Web 1]' pendant une durée d'un mois ;
Considérant ceci exposé, qu'il ressort des pièces versées aux débats (pièces 6 et 7 de la SASU Amefa France) que le 25 septembre 2012, le conseil en propriété industrielle de la SASU Amefa France a adressé aux deux principaux distributeurs de la SAS SETB, les sociétés Alinéa et Habitat France, une lettre identique invoquant des droits d'auteur et de dessins et modèles communautaires sur les modèles de couverts 'S-KISS' commercialisés par la SASU Amefa France et estimant que ces distributeurs commercialisaient une copie servile de ses modèles ;
Qu'avant même toute décision judiciaire établissant l'existence d'une contrefaçon, la SASU Amefa France par l'intermédiaire de son conseil, accuse ainsi ces deux distributeurs de commettre des actes de contrefaçon tant de droits d'auteur que de dessins et modèles communautaires et les met en demeure de retirer sous quinzaine l'ensemble des produits considérés comme contrefaisants et de communiquer les coordonnées de leur fournisseur, les menaçant d''exercer toute action en justice nécessaire à la protection des droits' dont la SASU Amefa France se prétend titulaire ;
Considérant qu'outre le fait que cette lettre se réfère à des dessins et modèles communautaires que la SASU Amefa France n'a jamais invoqués au soutien de son action en contrefaçon, il apparaît que ces lettres, par leur ton comminatoire et menaçant, vont au-delà d'une simple mise en garde adressée à des distributeurs de produits argués de contrefaçon ;
Qu'au surplus à la date à laquelle ces mises en demeure ont été adressées, la SASU Amefa France connaissait l'identité de la SAS SETB puisqu'elle avait fait procéder le 02 août 2012 à un procès-verbal de constat d'achat (pièce 5) dans un magasin [Établissement 1] à [Localité 1] à la lecture duquel il apparaissait qu'elle savait déjà que la SAS SETB était le fournisseur des couverts argués de contrefaçon, ce que les photographies prises par l'huissier instrumentaire permettaient d'ailleurs de confirmer ;
Qu'ainsi il était tout à fait loisible à la SASU Amefa France d'adresser sa mise en demeure directement à la SAS SETB plutôt que de le faire auprès des distributeurs de cette dernière ; qu'il apparaît que ces mises en demeure ont conduit ces deux distributeurs à interroger leur fournisseur (pièces 12 et 13 de la SAS SETB) et, pour la société Habitat France, à cesser toute relation commerciale avec la SAS SETB ;
Considérant que c'est donc par des motifs pertinents et exacts tant en fait qu'en droit que la cour adopte, que les premiers juges ont dit que le comportement de la SASU Amefa France a eu pour effet de dénigrer les produits de la SAS SETB auprès d'acteurs importants de son réseau de commercialisation, ce qui constitue un acte de concurrence déloyale ;
Considérant qu'il ressort de l'examen des pièces comptables produites (pièces 16 et 18 de la SAS SETB) que le chiffre d'affaires de la SAS SETB avec la société Habitat France qui avait été de 192.843,37 € pour l'exercice comptable allant du 01 octobre 2011 au 30 septembre 2012, est tombé à 106.819,59 € pour l'exercice comptable suivant 2012/2013 et a été nul pour l'exercice comptable 2013/2014 ;
Que c'est à juste titre que les premiers juges en ont conclu que les conséquences négatives de la mise en demeure du 25 septembre 2012 sur les relations commerciales de la SAS SETB avec la société Habitat France sont suffisamment établies ;
Que toutefois elle n'a évalué qu'à la somme de 15.000 € le préjudice économique en résultant au motif que les produits concernés sont des articles de grande distribution dégageant une faible marge ;
Considérant qu'il ressort de l'attestation établie le 21 janvier 2016 par l'expert-comptable de la SAS SETB (pièce 19) que le taux de marge commerciale en la matière est de 41,03 %, ce qui correspond à la somme de 78.000 € ;
Mais considérant qu'il convient de retenir une marge brute tenant compte également des charges fixes qui doivent venir en déduction dans l'évaluation du préjudice économique subi ;
Considérant qu'en l'état des éléments qui lui sont fournis, la cour évalue ces charges fixes à la somme de 8.000 €, de telle sorte que le préjudice économique sera fixé à la somme de 70.000 € ;
Considérant que les actes de concurrence déloyale ont également causé à la SAS SETB un préjudice moral distinct résultant de l'atteinte portée à son image de marque auprès de ses distributeurs et que la cour évalue, en l'état des éléments qui lui sont fournis, à la somme de 5.000 € ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris sera partiellement infirmé sur le quantum des dommages et intérêts alloués à la SAS SETB et que statuant à nouveau, la SASU Amefa France sera condamnée à verser à la SAS SETB la somme globale de 75.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices économique et moral subis ;
Considérant que le préjudice ainsi subi par la SAS SETB se trouve suffisamment réparé par l'octroi de dommages et intérêts et que cette société sera déboutée de sa demande de publication judiciaire à titre de mesure réparatrice complémentaire ;
V : SUR LES AUTRES DEMANDES :
Considérant que dans la mesure où la SASU Amefa France est déboutée de l'ensemble de ses demandes tant en contrefaçon qu'en concurrence déloyale et parasitaire, elle ne peut qu'être déboutée de sa demande de publication judiciaire du présent arrêt à titre de mesure réparatrice complémentaire ;
Considérant qu'il est équitable d'allouer à la SAS SETB la somme complémentaire de 5.000 € au titre des frais par elle exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;
Considérant que la SASU Amefa France sera pour sa part, déboutée de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que la SASU Amefa France, partie perdante en son appel, sera condamnée au paiement des dépens d'appel, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur la charge des dépens de la procédure de première instance ;
P A R C E S M O T I F S
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement ;
Infirme partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a :
dit que la SASU Amefa France ne justifie pas être titulaire de droits d'auteur sur les couverts 'S-KISS',
déclaré irrecevable les demandes de la SASU Amefa France au titre de la contrefaçon de droits d'auteur sur les articles de couverts 'S-KISS',
condamné la SASU Amefa France à verser à la SAS SETB une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale ;
Statuant à nouveau de ces chefs :
Dit que la SASU Amefa France bénéficie à compter du 17 septembre 2008 de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d'auteur sur les couverts de table 'S-KISS' ;
Déclare la SASU Amefa France recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur sur les couverts de table 'S-KISS' ;
Déclare la SAS SETB recevable à soulever le défaut d'originalité des modèles 'S-KISS' ;
Dit que faute d'originalité, les modèles de couverts de table référencés 'S-KISS' ne peuvent bénéficier de la protection du Livre I du code de la propriété intellectuelle ;
Déboute en conséquence la SASU Amefa France de l'ensemble de ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur sur ses modèles de couverts de table 'S-KISS' ;
Déboute la SASU Amefa France de sa demande de publication judiciaire du présent arrêt ;
Évalue à la somme de SOIXANTE DIX MILLE EUROS (70.000 €) le préjudice économique et à la somme de CINQ MILLE EUROS (5.000 €) le préjudice moral subi par la SAS SETB du fait des actes de concurrence déloyale commis à son encontre par la SASU Amefa France ;
Condamne la SASU Amefa France à payer à la SAS SETB la somme globale de SOIXANTE QUINZE MILLE EUROS (75.000 €) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale dont elle est victime ;
Déboute la SAS SETB de sa demande de publication judiciaire du présent arrêt ;
Confirme pour le surplus le jugement entrepris ;
Condamne la SASU Amefa France à payer à la SAS SETB la somme complémentaire de CINQ MILLE EUROS (5.000 €) au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens ;
Déboute la SASU Amefa France de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SASU Amefa France aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER