RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 2019
(n° 153/2019,18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général 17/15539 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B34LU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juin 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/03665
APPELANTS
Monsieur [A] [E]
Né le [Date naissance 1] 1934 à [Localité 10]
De nationalité française
Retraité
Demeurant [Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assisté de Me Alexandra NERI du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J025
Société [Z] LLC
société de droit américain
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
745, 5th Avenue, Suite 1205 NY
[Localité 2] (USA)
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assistée de Me Alexandra NERI du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J025
INTIMÉS
Monsieur [G] [H]
Né le [Date naissance 2] 1968
De nationalité française
Expert [R]
Demeurant [Adresse 6]
[Localité 7]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté de Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047
Madame [K] [Q]
Née le [Date naissance 3] 1945
De nationalité française
Auteur graphiste
Demeurant [Adresse 9]
[Localité 5]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047
Madame [O] [Y]
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Muriel ANTOINE LALANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1831
Madame [J] [Y]
Demeurant [Adresse 8]
[Localité 8]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Muriel ANTOINE LALANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1831
Monsieur [J] [Y]
Demeurant [Adresse 1]
[Localité 8]
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assisté de Me Muriel ANTOINE LALANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1831
Monsieur [U] [Y]
Demeurant [Adresse 11]
[Localité 3]
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Représenté par Me Muriel ANTOINE LALANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1831
Société [8]
Société de droit étranger
Prise en la personne de ses représentaux légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée et assistée de Me Vincent VARET de la SELARL PASSA -VARET AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1258
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 Octobre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur [professionnel F] [professionnel Q], Président de chambre
Mme [professionnel M] [professionnel O], Conseillère
M. [professionnel V] [professionnel Z], Conseiller
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme [professionnel H] [professionnel E]
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par [professionnel F] [professionnel Q], Président de chambre et par [professionnel H] [professionnel E], greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
Après avoir travaillé pour la société [F] [I] comme modéliste et dessinatrice de 1919 à 1932, [M] [Z], créatrice de bijoux, a été embauchée en 1932 au sein de la société [C] [D], maison de joaillerie fondée à [Localité 9] en 1930 par [C] [D].
En 1941, [C] [D] et son fils [B] [D] furent arrêtés et déportés.
[M] [Z] a créé en janvier 1941 une nouvelle société '[M] [Z] SARL' et a poursuivi la création de bijoux.
A la fin de la seconde guerre mondiale, après le décès de [C] [D] et la libération de son fils [B] [D], [M] [Z] s'est associée en 1946 avec celui-ci.
En 1955 est créée la société à responsabilité limitée [B] [D]- [M] [Z], dont ils sont co-gérants, sous le numéro 55B8661, société qui fut ensuite mise en liquidation en 1975.
[M] [Z], décédée en [Date naissance 5], avait désigné [P] [V] comme son légataire universel.
Par contrat du 13 avril 1991, [B] [D] et [P] [V], 'copropriétaires par moitié des dessins de bijoux créées et fabriqués par la société [D]-[Z], aujourd'hui liquidée' ont cédé à monsieur [A] [E] 'l'intégralité des droits de propriété incorporelle attachés aux dessins dont ils sont co-propriétaires'.
Par contrat du 8 avril 1999, monsieur [A] [E] a cédé ses droits à la société américaine [4]., devenue la société [Z] LLC.
[P] [V], légataire universel de [M] [Z], est décédé le [Date naissance 4] 2007, et a désigné comme légataire universel [T] [Y] ; ce dernier par voie de succession est devenu propriétaire d'un appartement situé [Adresse 4] et des biens s'y trouvant, notamment de nombreux dessins, ébauches, plâtres, maquettes, croquis, correspondances, carnets de rendez-vous et de commandes ayant appartenu à [M] [Z].
Par contrat du 23 septembre 2008, [T] [Y] a cédé à monsieur [G] [H], bijoutier et expert [R], gérant de l'EURL [6], la totalité des archives de madame [Z] qu'il détenait, pour la somme de 70.000 euros.
Monsieur [G] [H] a co-écrit avec madame [K] [Q] un ouvrage intitulé '[M] [Z]' publié en 2011 aux Editions la Bibliothèque des Arts ; il a développé une activité liée à l'expertise et à la certification des bijoux créés par [M] [Z], qu'il exerce au sein de la boutique « [6] » située [Adresse 10].
La société [Z] LLC a écrit le 5 avril 2012 à monsieur [G] [H] en indiquant qu'elle disposait 'de l'intégralité des droits de propriété intellectuelle sur l'ensemble des dessins et bijoux créés par madame [M] [Z]', que la reproduction ou la représentation de ses dessins dans l'ouvrage intitulé '[M] [Z]' constituait des actes de contrefaçon, qu'il en irait de même des reproductions de dessins et bijoux dans des catalogues et brochures, que l'utilisation des archives de [M] [Z] afin de proposer des services d'authentification et d'expertise de bijoux était 'une activité parasitaire de nature à empêcher la jouissance paisible des droits acquis par la société [Z] LLC'.
Elle a écrit le même jour une lettre similaire à monsieur [T] [Y], lequel est décédé en 2012.
Par acte du 26 février 2013 la société [Z] LLC et monsieur [A] [E] ont fait assigner monsieur [G] [H] devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon des dessins de bijoux de [M] [Z] au sein de l'ouvrage '[M] [Z]' publié aux [5] sous le nom de monsieur [G] [H] et de [K] [Q] et du catalogue de la vente aux enchères [7] du 14 mai 2012, ainsi que pour des faits de parasitisme par l'utilisation des archives de la société [D]-[Z].
Les demandeurs ont par la suite fait intervenir en la cause les ayants droit de [T] [Y], [7], enfin madame [K] [Q] et la Bibliothèques des Arts SARL [2].
Monsieur [C] [D] est intervenu volontairement aux côtés des demandeurs, la société [1] aux côtés de la société [5].
Monsieur [C] [D] a été autorisé, par ordonnances des 21 et 29 décembre 2015, à faire procéder à des mesures d'instruction par huissier de justice au sein de la boutique '[6]' dans laquelle monsieur [G] [H] exerce son activité d'expert en joaillerie.
Ces deux ordonnances ont été rétractées et les saisies effectuées ont fait l'objet d'une main levée.
Le juge de la mise en état a, par ordonnance du 28 avril 2016, rejeté la demande de monsieur [C] [D] tendant à la production par monsieur [G] [H] des archives en sa possession.
Par jugement du 8 juin 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :
dit la société [Z] LLC irrecevable dans son action en contrefaçon de droit d'auteur sur les bijoux et dessins créés par [M] [Z] envers monsieur [G] [H], madame [K] [Q] et les sociétés [5] SARL [1],
débouté la société [Z] LLC de ses demandes fondées sur le parasitisme à l'égard de monsieur [G] [H],
annulé la marque verbale européenne « [Z] » n° 3043254 pour atteinte au patronyme de [M] [Z], et dit la société [Z] LLC irrecevable dans ses demandes en contrefaçon de cette marque envers les consorts [Y],
dit que la partie la plus diligente transmettra la présente décision au Registre des marques de l'Union européenne, une fois la décision devenue définitive,
fait interdiction à la société [Z] LLC d'utiliser le signe « [Z]» à titre de marque sur le territoire de l'Union européenne pour désigner les articles de bijouterie, et d'exploiter ce signe distinctif comme nom commercial et nom de domaine dans son commerce de bijoux sur le territoire français, ce dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1500 euros par infraction,
dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,
dit irrecevable la demande des consorts [Y] tendant au retrait de la marque verbale européenne n° 11880119 déposée auprès de l'EUIPO par la société [Z] LLC,
rejeté la demande en publication judiciaire,
rejeté les demandes en procédure abusive et en amende civile,
dit les demandes en garantie en défense sans objet,
condamné in solidum la société [Z] LLC, messieurs [D] et [E] à payer à monsieur [G] [H] la somme de 15.000 euros, aux consorts [Y] la somme globale de 8.000 euros, aux sociétés [5] SARL [1] la somme de 2000 euros à chacune, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
rejeté les autres demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire de la décision,
condamné in solidum la société [Z] LLC, messieurs [D] et [E] aux dépens.
La société [Z] LLC et monsieur [A] [E] ont fait appel de ce jugement, le 28 juillet 2017.
Par ordonnance du 27 février 2018, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d'appel de la société [Z] LLC et de monsieur [A] [E] à l'égard des sociétés [5].
Par ordonnance du 29 mai 2018, le 1er président de la cour d'appel a rejeté la demande de suspension de l'exécution provisoire présentée par la société [Z].
Par conclusions du 1er juillet 2019, la société [Z] LLC et monsieur [A] [E] demandent à la cour de :
dire l'appel recevable et bien fondé,
réformer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 8 juin 2017 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :
/ rejeté la demande formulée par Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y], venant aux droits de Monsieur [T] [Y], tendant à voir prononcer le retrait de la marque n°11880119 de la société [Z] LLC. ;
/ rejeté les demandes en publication judiciaire, en procédure abusive et en amende civile ;
/ dit les demandes en garantie des défendeurs en première instance sans objet ;
/ rejeté les autres demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
déclarer mal fondés les appels incidents formés par Monsieur [H], Madame [Q], Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y] et les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
Statuant à nouveau réformer :
Sur les actes de contrefaçon des droits d'auteur à l'encontre de la société [Z] LLC.:
' juger que la reproduction et la représentation de bijoux et dessins de bijoux de [M] [Z] dans l'ouvrage intitulé "[M] [Z]" sous le nom de Monsieur [G] [H] et de Madame [K] [Q] et, constituent des actes de contrefaçon des droits d'auteur de la société [Z] LLC. ;
' interdire toute autre reproduction, représentation ou exploitation de quelque manière que ce soit des bijoux et dessins de bijoux de [M] [Z] en violation des droits d'auteur de la société [Z] LLC, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir;
' condamner solidairement Monsieur [G] [H] et Madame [K] [Q] à payer à la société [Z] LLC la somme de 450.000 euros en réparation de son préjudice résultant desdits actes de contrefaçon;
' rendre la décision à intervenir opposable à la société [7].
Sur les actes de parasitisme à l'encontre de la société [Z] LLC. :
' juger que l'usage des documents commerciaux et des livres de rendez-vous, de commande et de vente de la société "[D]-[Z]" / "[M] [Z]" / "[M] [D]" par Monsieur [H] afin de contacter les clients de la société [Z] LLC. et s'immiscer dans leur relations commerciales, ainsi que le fait de se présenter auprès de ces derniers et du cercle professionnel concerné comme étant l'unique expert des bijoux et dessins créés par [M] [Z], constituent des agissements parasitaires ;
' interdire à Monsieur [H] l'usage parasitaire des documents commerciaux et des livres de rendez-vous, de commande et de vente de la société "[D]-[Z]" / "[M] [Z]" / "[M] [D] ci-dessus décrit ;
En conséquence,
' condamner Monsieur [G] [H] à payer à la société [Z] LLC la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice causé à la société [Z] LLC du fait des actes de parasitisme ;
Sur les actes de contrefaçon et de dépôt frauduleux de marque à l'encontre de la société [Z] LLC
À titre liminaire
' juger que la société [3]. disposait d'un droit antérieur à titre de marque sur les signes "[Z]", et notamment sur la marque n°3043254, pour avoir acquis des droits légitimes sur ceux-ci et les avoir déposées et exploitées de bonne foi ;
' juger irrecevables Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y], venant aux droits de Monsieur [T] [Y], à agir en nullité de la marque "[Z]" n°3043254 de la société [Z] LLC. ;
' à titre subsidiaire, dire et juger Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y], venant aux droits de Monsieur [T] [Y], forclos à agir en nullité de la marque "[Z]" n°3043254 de la société [Z] LLC. ;
' à titre très subsidiaire, dire et juger que la marque n°3043254 de la société [Z] LLC. n'entraine aucun risque de confusion ;
Sur le fond
' déclarer valable la marque de l'Union européenne "[Z]" n°3043254 de la société [Z] LLC.
' juger que le dépôt de la marque française "[M] [Z]" n°3812940 constitue un acte de contrefaçon de la marque "[Z]" n°3043254 appartenant à la société [Z] LLC et en prononcer la nullité ;
' juger à tout le moins que le dépôt de la marque française "[M] [Z]" n°3812940 a été effectué en fraude des droits de la société [Z] LLC;
' interdire à Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y], venant aux droits de Monsieur [T] [Y], l'usage du signe "[M] [Z]" à titre de marque ou pour tout autre usage commercial ;
' condamner Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y], venant aux droits de Monsieur [T] [Y], en vertu de leur succession, à payer à la société [Z] LLC. la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice ;
En tout état de cause,
' rejeter les demandes de Monsieur [H], Madame [Q], Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y] visant à la condamnation de la société [Z] pour procédure abusive et l'intégralité des leurs demandes, fins et conclusions.
' condamner Monsieur [G] [H] à verser la somme de 150.000 Euros à la société [Z] LLC et à Monsieur [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner Madame [K] [Q] à verser la somme de 30.000 Euros à la société [Z] LLC au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner Madame [J] [Y], Madame [O] [Y], Monsieur [J] [Y] et Monsieur [U] [Y], venant aux droits de Monsieur [T] [Y], en vertu de leur succession, à verser la somme de 80.000 Euros à la société [Z] LLC au titre de l'article 700 du code de procédure civile
' les condamner aux dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions du 10 juillet 2019, monsieur [H] et madame [Q] demandent à la cour de:
déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société [Z] LLC et monsieur [A] [E];
confirmer le jugement du 8 juin 2017 en toutes ses dispositions relatives à monsieur [H] et madame [Q] sauf en ce qu'il a débouté monsieur [H] de sa demande pour procédure abusive et limité celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence,
I. IN LIMINE LITIS
déclarer la société [Z] LLC et Monsieur [A] [E] irrecevables à agir ;
II. SUR LE FOND
II.1 Sur la contrefaçon des droits d'auteur
constater que les appelants n'établissent pas la preuve de la titularité des droits revendiqués ;
juger que la société [Z] LLC ne bénéficie pas de présomption de titularité des droits d'auteurs concernant les oeuvres revendiquées ;
juger que l'ouvrage "[M] [Z]" et le catalogue de vente aux enchères mis en cause par les demandeurs ne contienne aucune contrefaçon de dessins de bijoux sur lesquels les appelants pourraient avoir des droits;
juger que l'exploitation des 'uvres par monsieur [G] [H] et madame [K] [Q] au sein de l'ouvrage intitulé "[M] [Z]" est justifiée par l'article 10 de la CEDH ;
constater que les appelants, s'étant désistés de leurs demandes vis-à-vis des éditeurs de l'ouvrage intitulé "[M] [Z]", responsables de sa diffusion, ne peuvent justifier d'aucun préjudice vis-à-vis de monsieur [G] [H] et de madame [K] [Q] du fait de la diffusion dudit ouvrage.
En conséquence,
débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes;
A titre subsidiaire,
ordonner la communication des copies de dessins déposées auprès de Maîtres [X] & [N], Huissiers de justice à [Localité 9].
II.2 Sur les actes de parasitisme
débouter la société [Z] LLC de l'ensemble de ses demandes;
A titre reconventionnel,
condamner solidairement les appelants à verser à monsieur [G] [H] la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause,
condamner la société [Z] LLC et monsieur [A] [E] à verser à monsieur [G] [H] la somme de 60.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société [Z] LLC et Monsieur [A] [E] en tous les dépens.
Par conclusions du 28 juin 2019, mesdames [O] et [J] [Y], messieurs [J] et [U] [Y] demandent à la cour de :
confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 8 juin 2017, sauf en ce qu'il a :
/ rejeté la demande de publication judiciaire sur le site Internet www.[01].com
/ rejeté la demande en nullité de la marque de l'Union européenne [Z] n°11880119.
Y ajoutant,
ordonner la publication permanente d'un message à caractère informatif sur la page d'accueil du site internet www.[01].com dans les termes suivants « La société [Z] LLC précise qu'elle n'a aucun lien avec la personne de Madame [M] [Z], ni avec ses héritiers », en anglais et en français ;
ordonner le retrait du dépôt de la marque communautaire [Z] n°11880119 par la société [Z] LLC déposée en fraude des droits antérieurs des défendeurs sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement à intervenir.
En toute hypothèse ;
juger la société [Z] LLC irrecevable à tout le moins mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
l'en débouter purement et simplement ;
juger les héritiers de Monsieur [T] [Y] recevables et fondés en leurs demandes reconventionnelles ;
condamner la société [Z] LLC à payer aux intimés, héritiers de monsieur [T] [Y] la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
condamner la société [Z] LLC à payer aux intimés, héritiers de monsieur [T] [Y] la somme de 50 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
condamner la société [Z] LLC aux entiers dépens dont distraction de ces derniers au profit de la Maître [professionnel D] [professionnel X], conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 septembre 2019.
MOTIVATION
Sur la recevabilité de l'action de la société [Z] LLC et de monsieur [E] au titre du droit d'auteur
Monsieur [H] et madame [Q] soutiennent que la société [Z] LLC et monsieur [E] sont irrecevables à agir, monsieur [E] en ce qu'il ne formule pas de demande devant la cour, la société [Z] LLC en ce qu'il n'est pas justifié de sa titularité de droits sur l'ensemble des dessins de [M] [Z].
Les appelants déclarent que monsieur [E] est recevable à agir, les intimés contestant les droits qu'il a acquis de messieurs [D] et [V] avant de les transmettre à la société [W] LLC; il en est de même pour la société [Z] LLC, qui a acquis de la société [W] LLC l'intégralité des droits de propriété intellectuelle sur les dessins et bijoux créés par [M] [Z].
Le contrat conclu le 13 avril 1991 entre monsieur [E] d'une part, messieurs [D] et [V] d'autre part, rappelle que ces derniers sont 'copropriétaires par moitié des dessins de bijoux créés et fabriqués par la société [D]-[Z], aujourd'hui liquidée', que monsieur [D] a acquis ses droits 'lors de la liquidation de la société [D] [Z]' et monsieur [V] les siens 'dans la succession de madame [Z] qui, elle-même, les avait acquis lors de la liquidation de la société [D] [Z]' ; ce contrat indique qu'ils cèdent à monsieur [E] 'l'intégralité des droits de propriété incorporelle attachés aux dessins dont ils sont co-propriétaires'.
Ce contrat n'englobe donc pas notamment les dessins de madame [Z] qu'elle aurait dessinés après la liquidation de la société [D]-[Z], ceux qui n'auraient pas été créés et fabriqués par la société [D]-[Z].
Aussi, les appelants ne peuvent-ils soutenir que ce contrat de 1991 portait aussi sur les droits de propriété intellectuelle sur les dessins retrouvés plus tard par [T] [Y] dans l'appartement de [P] [V], ni que messieurs [D] et [V] disposaient de la propriété incorporelle de ses dessins quand bien même ils n'en possédaient pas la propriété matérielle.
Par le contrat du 8 avril 1999, monsieur [E] a cédé à la société [W] Inc les droits d'exploitation sur les dessins, ce contrat définissant spécifiquement les dessins comme 'les dessins et croquis des bijoux créés par [M] [Z] entre 1933 et 1974 au cours de sa vie, incluant les dessins et croquis créés par [M] [Z] dans la cadre de la première société [D]-[Z], et dont les originaux des dessins et croquis sont en la possession de [E] et sont objets du DEPOT'.
Les droits de la société [W] Inc ont ensuite été cédés à la société [Z] LLC.
Il s'en suit que la société [Z] LLC n'a pu acquérir que les droits dont étaient copropriétaires messieurs [D] et [V] et qu'ils ont cédés en 1991 à monsieur [E] ; de même, celui-ci n'a pu céder en 1999 que les droits sur les dessins et croquis qui étaient en sa possession, l'article 3.5 du contrat de 1999 précisant que monsieur [E] garantissait 'que les dessins, objets du dépôt, représentent la totalité des dessins attribués à [E] par le Premier Accord', et les appelants reconnaissant du reste dans leurs écritures que monsieur [E] a cédé par ce dernier contrat les droits qu'il 'avait lui-même acquis de [B] [D] et [P] [V], aux termes du contrat du 13 avril 1991'.
Or, ce n'est qu'à la suite du décès le 4 septembre 2007 de monsieur [V] et dans le cadre de sa succession que [T] [Y], désigné comme son légataire universel, a reçu la propriété de l'appartement du [Adresse 3] dans le 18ème arrondissement de [Localité 9], dans lequel se trouvaient les archives de [M] [Z].
L'existence d'autres dessins de madame [Z] que ceux objets des contrats de 1991 et 1999 est du reste reconnu par le dirigeant de la société [Z] LLC, monsieur [W], déclarant 'lorsque [A] [E] nous a vendu les archives de [D], il ne savait pas qu'il y en avait d'autres.'
Par ce contrat de 1999, monsieur [E] a cédé (§2.5) 'les dessins originaux ou les copies conservés par [E]', et les dessins étant définis (§2.1) comme, selon la traduction de ce contrat (pièce 3bis appelants) 'les dessins et croquis des bijoux créés par [M] [Z] entre 1933 et 1974 au cours de sa vie, incluant les dessins et croquis créés par [M] [Z] dans le cadre de la première société [D]-[Z], et dont les originaux des dessins et croquis sont en la possession de [E] et sont objets du DEPÔT'.
Ce contrat précise (§2.2) que le DEPÔT est 'un lot complet DES DESSINS, dont les originaux sont conservés par [E], remis à [W] ou à son représentant à la signature des présentes, sera déposé à l'initiative et aux frais de [W], à l'étude de Maître [X] & [N], Huissiers de Justice à [Localité 9].
[E] remettra aussi, en dépôt, une déclaration signée dans la forme prévue à l'annexe 2'.
Si la société [Z] LLC et monsieur [E] ont fait état à l'audience de plaidoiries d'une pièce 3.1 qui constituerait une annexe 2 de la pièce 3, soit le contrat du 8 avril 1999, les parties intimées ont soutenu que cette pièce ne leur avait pas été communiquée ; cette pièce 3.1 ne figure pas sur la liste des pièces communiquées par les appelants, au contraire des autres pièces déclinées (4.1, 4.2..., 5.1, 5.2...), elle n'est pas citée dans les conclusions (contrairement aux autres pièces déclinées) qui ne lui consacrent aucun développement, de sorte que la cour ne peut se fonder sur cette pièce.
Par ailleurs, la société [Z] LLC et monsieur [E] n'ont pas justifié des pièces qui avaient été déposées à l'étude d'huissier.
En conséquence, le tribunal a justement retenu que la société [Z] LLC et monsieur [E] ne démontraient pas que les cessions de 1991 et 1999 couvraient les archives et dessins sur lesquelles portent le litige actuel.
S'agissant du bénéfice de la présomption de titularité de droits d'auteur au profit de la société [Z] LLC, la personne morale qui le revendique doit rapporter la preuve d'actes d'exploitation commerciale sous son nom.
Le versement par la société [Z] LLC d'extraits de trois catalogues de vente aux enchères de bijoux en Suisse (2004) et aux Etats-Unis (1996) présentant cette société comme productrice exclusive des modèles de bijoux [Z] ne peut suffire à caractériser un acte d'exploitation lui permettant de bénéficier de la présomption de titularité des droits d'auteur.
Les pièces 20 et 21 des appelants ne justifient pas de l'exploitation par la société [Z] LLC de l'ensemble des bijoux sous son nom, ou ne font pas état de dessins qui seraient contrefaits, sur lesquels elle bénéficierait de la présomption de titularité.
Aussi, faute pour la société [Z] LLC de pouvoir revendiquer le bénéfice de cette présomption, et alors qu'elle ne justifie pas être titulaire de droits sur les archives que monsieur [H] a acquis en 2008 auprès de monsieur [T] [Y], elle sera déclarée irrecevable à agir sur le fondement du droit d'auteur, et le jugement sera confirmé sur ce point.
Monsieur [E] sera pour les mêmes raisons déclaré irrecevable à agir.
Sur la nullité de la marque [Z] n°3043254
Les appelants soutiennent que la société [Z] LLC disposant de droits antérieurs sur le signe [Z], le tribunal ne pouvait annuler sa marque n°3043254. Ils affirment que sa marque ne pouvait voir prononcer cette annulation sur demande des ayant droits de [M] [Z], les demandeurs à la nullité ne portant pas ce nom. Ils soutiennent que les consorts [Y] sont irrecevables à solliciter la nullité, qu'ils sont forclos et prescrits, la marque ayant été déposée de bonne foi et [T] [Y] en étant informé depuis 2007 ou 2008. Ils soutiennent que leur marque ne porte pas atteinte au nom patronymique de [M] [Z], en l'absence de risque de confusion, et le signe [Z] constituant un actif économique dont la société [Z] LLC est devenue titulaire légitime.
Les consorts [Y] revendiquent, en qualité de légataires universels du fait du testament de [M] [Z], disposer du droit de faire respecter son nom. Ils affirment qu'il existait, au moment du dépôt de la marque contestée, un risque de confusion avec la personne de [M] [Z] dans l'esprit du public concerné par les produits de bijouterie. Ils ajoutent que la société [Z] LLC ne propose pas sur son site que des produits créés par [M] [Z], mais aussi des reproductions à côté des originaux, ce qui induit un risque de confusion. Selon eux, la cession des droits sur les marques [D]-[Z] n'autorisait pas l'enregistrement de la marque [Z], et ils contestent l'appropriation par la société [Z] LLC du nom [Z].
Sur ce
La marque verbale européenne [Z] n° 304 32 54 a été déposée le 19 février 2003 et enregistrée le 1er juillet 2004 en classe 14, pour les articles de bijouterie, par la société [Z] LLC.
Les consorts [Y] soutiennent qu'en leurs qualités d'héritiers du légataire universel de [M] [Z], ils disposent du droit de faire respecter le nom, la qualité et l'oeuvre de l'auteur ; cependant, le nom d'un auteur ne constitue pas une oeuvre de l'esprit, et le dépôt d'une marque verbale reprenant ce nom ne peut, en soi, constituer une atteinte à cette oeuvre.
Dès lors, la titularité du droit moral attaché à des oeuvres de l'esprit ne permet pas à celui qui en bénéficie d'agir en défense du nom patronymique de l'auteur.
Les consorts [Y] sont les ayant droits de [T] [Y], qui était le légataire universel de [P] [V], lui-même légataire universel [M] [Z] ; ils ne sont descendants ni en ligne directe ni en ligne collatérale de [M] [Z].
Ils ne portent pas le nom de [Z], ni n'ont vocation à le porter.
Aussi, ils n'ont pas intérêt à agir sur le fondement des articles L711-4 g) et L714-3 du code de la propriété intellectuelle, en nullité de l'enregistrement de la marque [Z] n°304 32 54 au motif que l'adoption de ce signe comme marque porterait atteinte à des droits antérieurs sur le nom patronymique de [M] [Z], et seront déclarés irrecevables.
Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a reçu la demande des consorts [Y] en nullité de la marque verbale européenne [Z] n° 304 32 54.
Il sera également réformé en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction à l'encontre de la société [Z] LLC.
Sur la déchéance de la marque [Z] n°3043254
L'article 954 du code de procédure civile indique notamment que
'la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion'.
En l'espèce, les consorts [Y] soutiennent dans le corps de leurs conclusions que la marque en cause doit être déchue pour défaut d'usage sérieux, mais cette demande ne figure pas dans le dispositif de leurs conclusions, de sorte que la cour n'a pas à statuer sur cette prétention.
Sur la contrefaçon de la marque [Z] n°3043254 par le dépôt de la marque '[M] [Z]' n°3812940
Les appelants relèvent que la marque [Z] n°3043254 a été déposée avant la marque [M] [Z] n°3812940, et que le seul ajout du prénom [M] ne peut distinguer les deux marques, le nom [Z], connu dans le domaine de la joaillerie, étant dominant des deux signes. Ils ajoutent que le risque de confusion est d'autant plus grand que la marque [Z] jouit d'une renommée certaine, et font état de la complémentarité des produits et services respectivement visés. Ils détaillent les mesures réparatrices sollicitées.
Les consorts [Y] soulignent que les appelants se limitent à prendre prétexte du dépôt de la marque [M] [Z], sans démontrer un usage de ce signe dans la vie des affaires. Ils font état de l'absence d'identité des signes et de similarité des produits pour en déduire qu'il n'existe pas de risque de confusion.
Sur ce
La marque verbale européenne '[Z]' n° 304 32 54 a été déposée le 19 février 2003 et enregistrée le 1er juillet 2004 par la société [Z] LLC. Elle vise, en classe 14, les articles de bijouterie.
La marque française '[M] [Z]' n°3812940 a été déposée le 9 mars 2011 par [T] [Y], elle vise :
- en classe 9 : supports d'enregistrement magnétiques, disques acoustiques ou optiques ;
- en classe 16 : photographies, ; livres ; brochures ;
- en classe 41 : publication de livres ; productions de films sur bandes vidéo ;
- en classe 42 : authentification d'oeuvres d'art.
L'article 9 du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire prévoit notamment que ' la marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires: ...
b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ;...'
L'article L717-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que 'constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 11 et 13 du règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire'.
Il convient de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion, incluant le risque d'association, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte notamment des éléments distinctifs et dominants de celles-ci.
Au plan visuel, les marques en présence ont en commun le terme [Z], qui constitue la marque première et est le second signe de la marque seconde. Les deux signes ont des longueurs différentes, la marque première étant composée d'un signe de 9 lettres, la marque seconde de deux signes de 17 lettres.
Au plan phonétique, les signes ont en commun les syllabes [BEL] [PE] [RRON] mais se distinguent par leur longueur, 3 syllabes pour la marque première, 5 syllabes pour la marque seconde. Si leur sonorité d'attaque est différente, elles présentent une chute identique.
Au plan intellectuel, le signe [M] évoque un prénom féminin, complétant le signe [Z], qui évoque alors un nom patronymique correspondant au signe de la marque première.
Le signe [Z] constitue alors l'élément dominant de la marque seconde, qui donne à la marque contestée son caractère distinctif, ce d'autant que le prénom [M] est d'usage assez courant en France, et qu'il ressort des dires des deux parties que le nom de [Z] -qui correspond à la marque première - est connu dans le domaine des articles de bijouterie, visés par la marque première.
Au vu de ce qui précède, il existe une grande proximité entre les signes, qui n'est du reste pas contestée par les consorts [Y].
Les appelants ne soutiennent pas que les produits et services visés dans les classes 9, 16 et 41 par l'enregistrement de la marque seconde présentent une quelconque proximité avec les articles de bijouterie de la marque première.
S'agissant du service 'authentification d'oeuvres d'art' de la classe 42 visé par la marque seconde, il ne présente pas de lien obligatoire avec les 'articles de bijouterie' de la marque première, la nature d'articles de bijouterie n'induisant pas nécessairement qu'ils bénéficient de prestation d'authentification d'oeuvres d'art.
Le public n'est pas incité à penser que ces services, qui ne sont pas visés par la même classe, sont proposés par la même entité.
Quelle que soit la renommée de [M] [Z], le fait que certains bijoux puissent constituer des oeuvres d'art, et à ce titre soient susceptibles de bénéficier d'un service d'authentification d'oeuvre d'art, est insuffisant pour retenir la complémentarité et donc la similarité entre ces produits.
Dès lors, il apparaît que les services visés par la marque seconde sont distincts de ceux d'articles de bijouterie de la marque première, ce qui est de nature à exclure, malgré la proximité des signes, l'existence d'un risque de confusion.
L'enregistrement de la marque '[M] [Z]' n°3812940 ne constitue donc pas une contrefaçon de la marque [Z] n°3043254, les appelants seront déboutés de cette demande.
Sur le caractère frauduleux du dépôt de la marque '[M] [Z]' n°3812940
La société [Z] LLC et monsieur [E] soutiennent que la marque '[M] [Z]' n°3812940 a été déposée frauduleusement par [T] [Y], lequel savait que la société [Z] LLC avait acquis les droits sur les marques [D]-[Z] et [Z]. Ils ajoutent que [T] [Y] connaissait les investissements engagés par cette société, et n'avait pas besoin de déposer cette marque pour défendre la mémoire et l'oeuvre de [M] [Z], ce dépôt ayant été effectué dans le but de gêner la société appelante.
Les consorts [Y] avancent que la réunion des éléments constitutifs de la fraude n'est pas démontrée, et que [T] [Y], qui n'avait pas connaissance de l'existence de la marque revendiquée par la société [Z] LLC, a enregistré cette marque de bonne foi. Ils ajoutent que les parties ne poursuivent pas la même finalité, et que la société [Z] LLC ne justifie pas qu'elle souhaitait mener une activité de certification de bijoux.
Sur ce
Un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité.
Cependant, la simple publication de l'enregistrement de la marque [Z] n°3043254 ne constitue pas un acte propre à caractériser la connaissance par [T] [Y] de cette marque, il doit être justifié d'éléments factuels précis tendant à démontrer que l'exploitation de cette marque était connue de celui-ci.
Il n'est justifié par aucune pièce versée par les appelants que [T] [Y], retraité âgé de 75 ans lors du dépôt de la marque [M] [Z], dont il n'est pas contesté qu'il était profane dans le domaine de la joaillerie quand il est devenu en 2008 le légataire universel de [P] [V], décédé en 2007, connaissait l'existence de la marque [Z] n°3043254 lors de ce dépôt.
Le dépôt de la marque seconde présente une logique avec la convention passé en 2008 avec monsieur [H], révélant le souci de [T] [Y] d'encourager la diffusion de la connaissance de la vie et de l'oeuvre de [M] [Z].
Il n'est de plus pas démontré que la société [Z] LLC avait fait montre de son intention de développer son activité dans la certification de bijoux, de sorte que le dépôt par [T] [Y] de cette marque seconde ne révèle pas qu'il a été effectué dans le but de nuire à cette société et d'entraver son développement.
Par conséquent, la société [Z] LLC sera déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'adage 'fraus omnia corrumpit' aux fins d'annulation de la marque '[M] [Z]'.
Sur le caractère frauduleux du dépôt de la marque communautaire '[Z]' n°11880119
Les consorts [Y] soutiennent que la marque communautaire '[Z]' n°11880119 a été déposée par la société [Z] LLC pour les services d'authentification et de certification d'objets de joaillerie, après la délivrance de l'assignation, alors qu'eux-mêmes sont titulaires de la marque [M] [Z] pour les mêmes services, ce que la société [Z] LLC ne pouvait ignorer. Ils affirment que ce dépôt a été effectué afin de leur nuire, qu'ils sont recevables à demander son retrait même si cette marque ne leur a pas été opposée.
La société [Z] LLC et monsieur [E] soutiennent que cette demande est irrecevable, comme l'a relevé le tribunal, la marque communautaire '[Z]' n°11880119 n'ayant pas été opposée aux consorts [Y]. Ils avancent que toute demande tendant à obtenir la nullité d'une marque communautaire pour dépôt frauduleux doit être présentée à l'office européen des marques, et qu'en l'espèce ce dépôt a été effectué sans intention frauduleuse.
Sur ce
C'est par une juste appréciation que le tribunal a considéré que la marque [Z] n°11880119 n'était pas opposée dans le cadre de ce litige par la société [Z] LLC et monsieur [E], de sorte que la demande tendant à contester la validité de cette marque ne peut constituer une demande reconventionnelle.
Les consorts [Y] ne sauraient utilement faire état de la possibilité que la société [Z] LLC leur oppose, dans le futur, cette marque, pour justifier cette demande.
L'article 52 du règlement précité 207/2009 sur la marque communautaire précise notamment que
'1. La nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:...
b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque'. ...
et le jugement ayant relevé qu'une procédure d'opposition étant pendante devant l'EUIPO, il sera confirmé en ce qu'il a déclaré cette demande irrecevable.
Sur le parasitisme
La société [Z] LLC soutient que monsieur [H] fait des documents commerciaux, livres de rendez-vous, de commande et de vente, une utilisation parasitaire et s'inscrit dans son sillage. Elle fait état des investissements importants qu'elle a engagés pour la promotion du nom et des créations de [M] [Z], comme l'ouverture d'une boutique-musée à New York, la publication de catalogues, ce dont témoignent les articles et interviews publiés dans le monde entier. Selon elle, monsieur [H] profite ainsi sans bourse délier de ses investissements notamment en publiant des communiqués de presse sur sa propre boutique afin d'attirer la clientèle et de la détourner de la société [Z] LLC, en présentant sa boutique comme le premier lieu consacré à [M] [Z] et lui-même comme le seul propriétaire de ses archives. Elle lui reproche aussi d'avoir contacté ses clients et partenaires commerciaux.
Les intimés [H] et [Q] contestent toute faute commise par monsieur [H]. Ils avancent qu'il exerce une activité d'expert indépendant et ne prétend pas être le seul à expertiser les oeuvres de [M] [Z]. Ils soutiennent que ses activités d'exploitation des archives de [M] [Z] ne peuvent constituer une activité parasitaire.
Ils dénient tout discrédit de la société [Z] LLC, la publication sur son compte d'extraits du jugement ne relevant pas du parasitisme, et monsieur [H] ne tirerait pas profit des investissements de la société appelante, ni ne chercherait à le faire. Selon eux, la renommée des créations de [M] [Z] est antérieure à la société [Z] LLC et n'est pas de son fait, celle-ci ayant pu jouer un rôle dans la promotion de son oeuvre, au même titre que monsieur [H].
Sur ce
Le parasitisme est fondé sur l'article 1240 du code civil, il est constitué lorsqu'une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.
S'il n'est pas contesté que la société [Z] LLC a réalisé des investissements dans le cadre de ses activités de promotion et de vente des créations de [M] [Z], [G] [H] justifie également avoir acquis régulièrement de [T] [Y], pour la somme de 70.000 euros, la totalité de ses archives par convention du 23 septembre 2008, ce qui révèle en soi les investissements qu'il a lui-même engagés.
Il est rappelé que l'article 2 de cette convention précise que 'ces archives sont cédées en vue de permettre une meilleure connaissance de l'oeuvre et de la vie de Madame [M] [Z] et en conséquence une meilleure promotion de la vente des bijoux', et son article 4 que monsieur [H] s'est engagé 'à participer à la promotion de la vente, l'édition de tous catalogues, livres ou expositions, sur la vie et l'oeuvre de madame [M] [Z]'.
Le fait pour monsieur [H] de prendre l'attache d'une société de ventes volontaires afin de compléter ou de préciser les informations contenues dans son catalogue de vente portant sur un bijou réalisé par [M] [Z], sur l'histoire de ses dessins, ou sur un certificat portant sur une de ses créations, ne peut révéler un quelconque comportement parasitaire de sa part. Il sera à cet égard relevé que la réponse du dirigeant de [Z] LLC au courriel de monsieur [H] portant sur un certificat émis par cette société montre une bonne entente et le fait que les rapports entre eux étaient emprunts de cordialité.
La communication aux dirigeants de la société [Z] LLC d'informations sur des créations de [M] [Z] présentées à une vente aux enchères, en mettant en copie les interlocuteurs concernés de cette salle de vente, n'est pas non plus de nature à révéler que monsieur [H] a, ce faisant, cherché à se placer dans le sillage de la société [Z] LLC, ce message révélant que les informations sont transmises afin de souligner la grande valeur des bijoux en vente.
Le communiqué de presse annonçant l'ouverture de la boutique de monsieur [H], présentée comme le 'premier lieu parisien' consacré à [M] [Z] ne constitue pas un fait de parasitisme à l'égard de la société [Z] LLC, à laquelle il ne fait aucunement référence.
De même, la page wikipedia consacrée à [M] [Z], dont monsieur [H] ne conteste pas être le principal auteur, comme le fait de se présenter dans le livre qu'il a co-écrit avec madame [Q] sur [M] [Z] comme le propriétaire de 'l'ensemble des archives découvertes dans l'appartement qui abritait ses effets personnels' et de ses cahiers de rendez-vous, ne saurait révéler qu'il a cherché à tirer indûment profit des investissements engagés par la société [Z] en diffusant des informations erronées.
Les indications contenues dans ce livre, relevées par les appelants comme discréditant la société [Z] LLC, sont trop indirectes pour porter atteinte à son image, le dénigrement n'étant en outre pas reproché à monsieur [H] dans le dispositif des conclusions des appelants.
Enfin, la reproduction sur la page 'linkedin' de monsieur [H] d'un article écrit par un journaliste faisant partiellement état de la décision rendue en première instance, et précisant notamment qu'un appel avait été interjeté, ne peut non plus caractériser le fait, pour monsieur [H], de se placer dans le sillage de la société [Z] Llc et de profiter indûment de ses investissements.
Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société [Z] LLC de sa demande présentée au titre du parasitisme.
Sur les autres demandes
Au vu de ce qui précède, il ne sera pas fait droit aux mesures de publication et de condamnation sollicitées.
L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'exercer une voie de recours en justice légalement ouverte, est susceptible de constituer un abus. En l'espèce, il n'est pas démontré que l'appel interjeté par la société [Z] LLC et monsieur [E] ait été abusif. Monsieur [H] et madame [Q] et les consorts [Y] seront donc déboutés de leur demande à ce titre.
Les condamnations prononcées en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens seront confirmées.
La société [Z] LLC et monsieur [E] succombant pour l'essentiel au principal, ils seront condamnés au paiement des dépens d'appel.
La société [Z] LLC sera condamnée, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au versement d'une somme de 15000 euros à monsieur [H] ; elle sera condamnée avec monsieur [E] au versement, sur le même fondement, de la somme de 8000 euros aux consorts [Y].
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a déclaré les consorts [Y] recevables à agir en nullité de la marque de la société [Z] n°3043254, prononcé son annulation et une mesure d'interdiction à l'encontre de la société [Z] LLC assortie d'une astreinte,
L'infirme de ces seuls chefs, statuant à nouveau,
Déclare les consorts [Y] irrecevables à agir en nullité de la marque de la société [Z] n°3043254,
Y ajoutant,
Rejette toutes les autres demandes,
Condamne la société [Z] LLC à verser à monsieur [G] [H] la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [Z] LLC et monsieur [E] à verser aux consorts [Y] la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [Z] LLC et Monsieur [A] [E] en tous les dépens dont distraction de ces derniers au profit de la Maître [professionnel D] [professionnel X], conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER