REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 4
ARRÊT DU 18 FEVRIER 2020
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11770 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3QR3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Décembre 2016 -Tribunal d'Instance de Paris 14ème - RG n° 11-15-000513
APPELANTE
SA BPIFRANCE FINANCEMENT
SIRET : 320 252 489 01075
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Thierry MEILLAT du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J033
Ayant pour avocat plaidant Me Hélène de NAZELLE avocat au barreau de PARIS,
toque: J033
INTIMÉE
Madame [A] [M]
Née le [Date naissance 1] 1940 à [Localité 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Aude BOURUET AUBERTOT de l'AARPI BGBA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0026
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Janvier 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
- M. Christian PAUL-LOUBIÈRE, président de chambre
- Mme Marie MONGIN, conseillère
- M. François BOUYX, conseiller
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christian PAUL-LOUBIÈRE dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffiers :
- lors des débats : Mme Viviane REA
- lors du délibéré : Cynthia GESTY
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christian PAUL-LOUBIERE, président et par Mme Cynthia Gesty, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Madame [A] [M] (ci-après, "Madame [M]") a été embauchée par la Caisse Centrale de Crédit Hôtelier, Commercial et Industriel (ci-après, le "Crédit Hôtelier"), aux droits de laquelle vient la société Bpifrance Financement, à compter du 13 novembre 1961.
Le Crédit Hôtelier est propriétaire d'un appartement, sis [Adresse 2]
(75014).
En date du 1er février 1970, le Crédit Hôtelier a donné cet appartement à bail à Madame [M] en raison de sa qualité de salariée de la société, moyennant le paiement d'un loyer mensuel.
En 2015, le montant de ce loyer mensuel est de 324,95 euros hors charges, et de 460,95 euros charges incluses.
Madame [M] a acquis ses droits à la retraite le 31 mai 2000.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 25 juillet 2014, Bpifrance Financement, souhaitant vendre le logement libre de toute occupation, a indiqué à Madame [M] qu'elle était tenue de libérer l'appartement pour le 31 juillet 2015.
Selon une dernière lettre du 3 juillet 2015, Bpifrance Financement a rappelé à Madame [M] qu'elle ne bénéficiait pas d'un bail d'habitation et l'a mise en demeure de respecter le congé donné le 25 juillet 2014 et de libérer l'appartement le 31 juillet 2015 au plus tard.
Madame [M] n'a pas quitté les lieux.
Par acte d'huissier en date du 21 août 2015, la société BPI France Financement SA a fait assigner Madame [A] [M], devant le tribunal d'instance de Paris 14ème aux fins d'obtenir':
- Son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef dudit appartement, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir et si besoin avec l'assistance de la force publique,
- Fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 324,95 euros,
- Dire que l'ensemble de ces sommes produira intérêt au taux légal à compter du 31 juillet 2015,
- La condamner à lui payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont le coût du commandement de payer.
Le 13 décembre 2016, ce tribunal a prononcé le jugement contradictoire suivant :
- Dit la société BPI France Financement SA prescrite et donc irrecevable en son action,
- Condamne la société BPI France Financement SA à payer à Madame [A] [M] une somme de 2,000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société BPI France Financement SA aux dépens ;
- Déboute les parties de leurs autres demandes ;
La SA BPI France Financement a interjeté appel de cette décision, par déclaration du 13 juin 2017 reçue, par voie électronique au greffe de la cour et enregistrée le 15 juin.
Dans le dernier état de ses écritures récapitulatives, déposées par voie électronique le 17 novembre 2017, la SA BPI France Financement demande à la cour de':
- Infirmer le jugement du Tribunal d'Instance du 14ème arrondissement de Paris du 13 décembre 2016 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau :
- Constater que l'action intentée par Bpifrance Financement n'est pas prescrite.
En conséquence :
- Déclarer que l'action intentée par Bpifrance Financement est recevable,
- Constater que l'appartement occupé par Madame [M] est un accessoire de son contrat de travail,
- Constater que le contrat de travail de Madame [M] a pris fin le 31 mai 2000,
- Constater le refus de Madame [M] de quitter l'appartement sis [Adresse 2],
- Constater que Madame [M] est donc occupant sans droit ni titre.
En conséquence,
- Ordonner l'expulsion de Madame [M], et tous occupants de son chef, occupant(s)
sans droit ni titre de l'appartement sis [Adresse 2], et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir et si besoin avec l'assistance de la force publique ;
- Fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 324,95 euros ;
- Dire que l'ensemble de ces sommes produira intérêt au taux légal à compter du 31 juillet
2015 ;
- Condamner Madame [M] à verser à la société Bpifrance Financement une somme
de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiersdépens de l'instance, en ce compris les frais du commandement de payer,
- Rejeter l'ensemble des demandes reconventionnelles de Madame [M].
Aux termes de ses conclusions récapitulatives, déposées par voie électronique le 20 septembre 2017, Mme [A] [M] demande à la cour de':
A TITRE PRINCIPAL
Vu l'article 2224 du Code civil,
Déclarer IRRECEVABLE comm
e prescrite l'action de la société BPI France Financement
tendant à voir dire que l'appartement occupé par Madame [M] et un accessoire à son
contrat de travail et à voir ordonner son expulsion.
Confirmer sur ce point le jugement rendu le 13 décembre 2016 par le Tribunal d'Instance du 14ème arrondissement de Paris.
Déclarer en conséquence mal fondée la société BPI France Financement en son appel et
l'en débouter.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
Vu l'article 1156 du Code civil,
Vu la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux critères du logement de fonction,
Vu les dispositions de la loi d'ordre public du 6 juillet 1989 modifiée,
Dire et juger que le bail consenti par la société BPI France Financement relève de la
législation sur les baux d'habitation.
Déclarer MAL FONDEE la société BPI France Financement en l'ensemble de ses demandes et l'en débouter.
Déclarer nul et de nul effet le congé délivré le 25 juillet 2014 par la société BPI France
Financement à Madame [M].
A TITRE PLUS SUBSIDIAIRE
Vu les articles L 412-3 et L 412-4 du Code des procédures civiles d'exécution,
Accorder à Madame [M] trois ans de délai pour quitter les lieux.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
Infirmer le jugement rendu le 13 décembre 2016 par le Tribunal d'Instance du 14eme arrondissement de Paris en ce qu'il a déboutée Madame [M] de sa demande de dommages et intérêts et statuant à nouveau :
Vu l'article 1382 du Code civil ancienne rédaction,
Condamner la société BPI France Financement à payer à Madame [M] la somme de
20.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La condamner également à payer à Madame [M] la somme de 3.500 euros au titre de
l'article 700 du CPC.
La condamner enfin en tous les dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 juillet 2019.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures devant la cour ci-dessus évoquées, auxquelles il est expressément renvoyé pour répondre aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile, étant précisé que les moyens des parties développés dans leurs conclusions seront rappelés dans la motivation de la décision lors de l'examen successif de chaque chef de prétentions.
En vertu des dispositions de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour n'est tenue de statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
SUR CE,
·Sur la prescription de l'action diligentée par la société Bpifrance Financement:
Considérant que la société Bpifrance Financement conclut à l'infirmation du jugement entrepris qui a jugé que son action était irrecevable comme prescrite, faisant valoir, en appel, que l'article 2227 du Code civil dispose que le droit de propriété est imprescriptible et que l'action du propriétaire, pour obtenir l'expulsion d'un occupant sans droit ni titre, n'est pas soumise à prescription';
Considérant que Mme [M] soulève à nouveau la prescription de l'action au motif qu'elle est soumise à l'article 2224 du Code civil régissant la prescription quinquennale des actions personnelles ou mobilières';
Qu'elle conclut à l'irrecevabilité de l'action de la société Bpifrance Financement et à la confirmation du jugement déféré de chef';
Considérant que, selon l'article 2224 du Code civil, issu des dispositions de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »';
Que selon l'article 2227 du même code, issu de la même loi': «'Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'»';
Que l'article 2222 du même code, issu de la même loi,'dispose que : « La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.
En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. »';
Qu'il résulte de la combinaison de ces textes que lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf dispositions contraires, du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure;
Mais considérant, en l'espèce, que Mme [A] [M] ayant pris sa retraite le 31 mai 2000, le délai de prescription a commencé à courir à compter de ce jour';
Qu'à cette date, la prescription était régie par l'ancien article 2262 du Code civil qui prévoyait': «'Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi'»';
Qu'ainsi la prescription applicable à l'action de la société Bpifrance Financement était soumise à un délai de 30 ans à compter du 31 mai 2000 pour expirer le 31 mai 2030';
Qu'en effet, la société Bpifrance Financement qui se prévaut du départ à la retraite de son ancienne salariée pour justifier sa demande d'expulsion, avait, compte tenu de sa qualité d'employeur et de bailleur, nécessairement connaissance de cet événement au jour de sa réalisation';
Considérant, dans le présent litige, que l'action de la société Bpifrance Financement, telle qu'elle est qualifiée par elle, tend à l'expulsion de l'occupante d'un logement de fonction constituant l'accessoire d'un contrat de travail qui a pris fin, le terme de la convention interdisant à l'ancienne salariée de se maintenir dans les lieux';
Que l'action conduite ne constitue donc pas une action de nature réelle immobilière mais bien une action personnelle dérivant d'un contrat de sorte qu'elle est soumise à la prescription quinquennale de droit commun ;
Et considérant que ce délai a été réduit par l'effet de la loi du 17 juin 2008': passant de 30 ans (2262 ancien du Code civil) à 5 ans (2224 actuel du Code civil issu de la loi de 2008);
Qu'en application de l'article 2224 du Code civil, le délai de 30 ans a couru à compter du 31 mai 2000, date à laquelle le contrat de travail de Mme [A] [M] a sans contestation pris fin - permettant en l'espèce à Bpifrance Financement d'exercer une action - pour expirer au 31 mai 2030';
Qu'il s'est ainsi écoulé presque 8 ans sous l'empire de l'ancienne loi jusqu'au 19 juin 2008 date de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle (lendemain de la publication de la loi au Journal Officiel)';
Qu'un nouveau délai de 5 ans a eu vocation à s'appliquer à compter du 19 juin 2008';
Que le délai total de 13 ans ne dépassant pas le délai antérieur de 30 ans, la prescription extinctive a donc eu effet au jour du 19 juin 2013 - l'action intentée par Bpifrance Financement le 21 août 2015, se trouvant dès lors éteinte par l'effet de la prescription';
Qu'il s'ensuit, comme l'a retenu à bon droit le premier juge, que ses demandes sont irrecevables';
Qu'il conviendra de confirmer le jugement déféré';
·Sur la demande de Mme [A] [M] :
Considérant, selon Mme [A] [M], que la société Bpifrance Financement qui a été déboutée à quatre reprises en première instance des demandes introduites à l'encontre de quatre de ses anciennes salariées, qui a interjeté appels de tous ces jugements, a fait preuve d'acharnement juridique à l'encontre de personnes'en grande faiblesse';
Qu'il s'agit ici, non d'erreurs excusables, mais d'actes délibérés, gravement dommageables pour elle, âgée de 77 ans et dont les ressources sont modestes';
Qu'en donnant congé 14 années après la mise à la retraite de Mme [M], Bpifrance Financement a commis une faute génératrice d'un préjudice qu'il est justifié de réparer par l'octroi d'une somme de 20.000 euros de dommages et intérêts';
Considérant que la société Bpifrance Financement s'oppose à cette demande expliquant que la preuve d'un abus du droit d'agir n'est pas établie à son encontre';
Mais considérant que le droit fondamental de saisir une juridiction d'un litige et d'exercer un recours à l'encontre de la décision rendue ne dégénère en abus que lorsqu'il révèle l'intention de nuire ou la malice de son auteur';
Qu'ici, la société Bpifrance Financement a seulement utilisé les voies de droit qui lui étaient offertes pour reprendre possession des lieux occupés par son ancienne salariée sans qu'il soit établi qu'elle ait été animée par une intention malveillante et nuisible';
Que le premier juge a rejeté à bon droit cette demande et son jugement sera confirmé de ce chef';
·Sur les frais irrépétibles de procédure et les dépens':
Considérant qu'il résulte des dispositions cumulées des articles 696 et 700 du code de procédure civile que, sauf dispositions contraires motivées sur l'équité, la partie perdante est condamnée aux dépens de la procédure et doit en outre supporter les frais irrépétibles, tels que les frais d'avocat, avancés par son adversaire pour les besoins de sa défense en justice ;
Que compte tenu tant de l'importance du litige, de sa durée, des diligences accomplies et de l'équité, que du sens de l'arrêt, il apparaît justifié de'confirmer le jugement déféré sur les dépens et l'application qui y a été équitablement faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
Qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [A] [M], partie intimée, l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés, par elle, en appel';
Qu'il y a lieu de lui allouer, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3 500 euros au titre de l'instance d'appel';
Que la demande faite, au même titre, par la société Bpifrance Financement sera rejetée'et que le sens de l'arrêt justifie de la condamner aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS':
La cour,
Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Bpifrance Financement à payer la somme de 3 500 euros à Mme [A] [M], sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel';
Déboute les parties de toutes demandes, fins ou prétentions, plus amples ou contraires.
La greffière, Le président,