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31/05/2022 | FRANCE | N°19/16115

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 4, 31 mai 2022, 19/16115


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 4



ARRÊT DU 31 MAI 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/16115 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAQ7D



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juillet 2019 -Tribunal d'Instance de PARIS 17ème - RG n° 11-18-07-0085





APPELANTES



Madame [K] [Y] Née [J]

[Adresse 3]

[Locali

té 5]



Madame [I] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentés et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme PAPPAS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0531





INTIMEE



Madame [B] [D]

N...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 4

ARRÊT DU 31 MAI 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/16115 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAQ7D

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juillet 2019 -Tribunal d'Instance de PARIS 17ème - RG n° 11-18-07-0085

APPELANTES

Madame [K] [Y] Née [J]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Madame [I] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentés et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme PAPPAS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0531

INTIMEE

Madame [B] [D]

Née le 15 octobre 1959 à [Localité 8] (54)

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée et ayant pour avocat plaidant Me Marianne DESEINE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0224

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Michel CHALACHIN, Président de chambre et Mme Marie MONGIN, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Michel CHALACHIN, Président de chambre

Mme Marie MONGIN, Conseillère

M. François BOUYX, Conseiller

qui en ont délibéré.

Le rapport ayant été fait par M. Chalachin, président, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Cynthia GESTY

ARRÊT : contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel CHALACHIN, Président de chambre et par Mme Cynthia GESTY, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 24 janvier 2009 à effet du 1er février 2009, M. [L] [J] a donné à bail à Mme [B] [D] un logement situé [Adresse 2] à [Localité 4].

M. [J] est décédé le 11 janvier 2010, laissant pour lui succéder ses deux filles, Mmes [K] [J] épouse [Y] et Mme [I] [J].

Par lettre remise en mains propres à Mme [D] le 7 juillet 2017, les bailleresses ont délivré à la locataire un congé à effet du 1er février 2018 aux fins de reprise pour permettre à M. [X] [Y], époux de Mme [K] [J], d'y habiter.

Par acte d'huissier du 14 mars 2018, les bailleresses ont fait assigner la locataire devant le tribunal d'instance de Paris afin de voir valider le congé et faire expulser les occupants du logement.

Par jugement du 12 juillet 2019, le tribunal a débouté les bailleresses de leurs demandes et les a condamnées à payer à Mme [D] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 1er août 2019, Mmes [J] ont interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions notifiées le 4 avril 2022, les appelantes demandent à la cour de:

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- constater que Mme [D] comparaît sans avoir fourni l'adresse de son domicile actuel,

- dire qu'il a été régulièrement donné congé pour reprise au 1er février 2018 et que Mme [D] est occupante sans droit ni titre du logement depuis cette date,

- la dire irrecevable en sa comparution et ses conclusions et rejeter celles-ci,

- la condamner, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à fournir l'adresse de son domicile actuel,

- fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 1 952 euros par mois, charges en sus, ou à toute somme supérieure au loyer, à compter du 1er février 2018, jusqu'au 18 janvier 2022, avec intérêts de droit à compter de l'arrêt et capitalisation des intérêts,

- subsidiairement, la condamner au paiement d'un montant équivalent aux loyers du bail en réparation de leur privation de jouissance jusqu'au 18 janvier 2022, outre 16 572 euros en réparation de leur préjudice économique consécutif et 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral,

- débouter Mme [D] de ses demandes,

- la condamner au paiement de la somme de 10 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 28 mars 2022, Mme [D] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- dire et juger sans objet les demandes visant à faire injonction à la locataire de libérer les lieux, d'expulsion et d'autorisation de faire procéder à la séquestration des meubles,

- débouter Mmes [J] de toutes leurs demandes,

- les condamner solidairement au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

Mme [D] a quitté les lieux le 18 janvier 2022.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2022.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de constater que, en cours de délibéré, Mme [D] a communiqué sa nouvelle adresse, régularisant ainsi ses dernières conclusions.

Le tribunal a refusé de valider le congé au motif que les bailleresses ne démontraient pas que M. [Y] allait établir sa résidence principale dans l'appartement loué à Mme [D], alors que ce logement constituait la résidence principale de celle-ci.

Aux termes de l'article 15-I de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction applicable à la date de délivrance du congé, lorsqu'un bailleur délivre un congé pour reprendre le logement, il doit justifier du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise.

Le droit de reprise du bailleur suppose l'habitation du logement à titre principal et non comme résidence secondaire.

En l'occurrence, le congé litigieux était motivé par la nécessité de faire habiter M. [Y] dans les lieux, celui-ci exerçant son activité de conducteur de travaux à [Localité 4] et demeurant à l'époque [Adresse 1], dans un studio dont il était locataire.

Le premier juge a estimé que M. [Y] n'avait pas la réelle intention d'établir sa résidence principale dans l'appartement litigieux puisqu'il louait son studio de [Localité 6] en tant que résidence secondaire, son épouse demeurant à [Localité 5].

Les appelantes reprochent au tribunal d'avoir effectué un contrôle a priori du motif du congé, alors que seul un contrôle a posteriori de la réalité de ce motif serait envisageable ; mais l'article 15-I précité, dans sa rédaction issue de la loi dite 'Alur' du 24 mars 2014, permet au juge de s'assurer du caractère réel et sérieux de la décision de reprise avant même la date d'effet du congé en cas de contestation.

A cet égard, les appelantes soutiennent que le premier juge aurait agi d'office, alors que Mme [D] n'avait pas formulé de contestation précise quant au motif du congé ; mais, d'une part, dans une lettre du 28 janvier 2018, la locataire avait clairement indiqué aux bailleresses qu'elle contestait la validité du congé 'pour de multiples raisons', et d'autre part, devant le tribunal, Mme [D] avait invoqué le fait que M. [Y] ne disposait que d'une résidence secondaire en région parisienne ; le premier juge a donc à bon droit statué sur le caractère réel et sérieux de la décision de reprise puisqu'il était saisi d'une contestation quant au motif invoqué.

Pour ce qui concerne le motif invoqué par les bailleresses dans le congé, il convient de se placer à la date de sa délivrance pour apprécier si ce motif était réel et sérieux.

A cette date, M. [Y] exerçait son activité de conseil en bâtiment en tant qu'auto-entrepreneur en région parisienne, et ce depuis le 27 mai 2014.

Mme [D] soutient en premier lieu que les bailleresses auraient pu lui délivrer congé dès l'été 2014, à effet du 31 janvier 2015, puisqu'il venait de débuter son activité en région parisienne ; mais, à cette époque, M. [Y], qui entamait tout juste une nouvelle activité en tant qu'auto-entrepreneur, ne pouvait être certain de la réussite de ce projet et aurait donc eu du mal à justifier, auprès de la locataire, de la viabilité de celui-ci.

Mme [D] affirme ensuite que l'intention des intimées était de réaliser des réaménagements des appartements qui appartenaient à leur père afin de les vendre au meilleur prix, si bien que leur but n'était pas d'y installer M. [Y].

Elle rappelle à cet égard que, en mars 2015, Mmes [J] avaient le projet de réaménager le 4ème étage de l'immeuble en réunissant l'appartement qu'elle occupait et l'appartement contigu au sien ; elles lui ont alors proposé une résiliation anticipée de son bail moyennant le paiement d'une indemnité, mais elle a refusé ; depuis, d'autres appartements du 4ème étage ont été réaménagés pour être vendus.

Mais le fait que les bailleresses, en 2015, aient proposé une résiliation du bail à Mme [D] ne suffit pas à remettre en cause la sincérité du motif invoqué dans le congé du 7 juillet 2017 ; en effet, les intimées expliquent que, en 2015, alors que l'activité professionnelle de M. [Y] s'intensifiait, les époux [Y] avaient pensé réunir les deux appartements en question pour accueillir leur famille composée de cinq personnes ; face au refus de Mme [D], M. [Y] avait dû prendre à bail un studio à [Localité 6], son épouse demeurant à [Localité 5] avec leurs enfants ; aucun élément ne permet de remettre en question cette version des faits.

De plus, le fait que d'autres appartements du 4ème étage aient été vendus ne démontre pas que le congé ait été délivré dans le but de mettre son logement en vente après réaménagement ; d'ailleurs, l'un des autres appartements de ce palier est occupé par Mme [I] [J], ce qui prouve que tous les appartements n'étaient pas destinés à la vente.

Par ailleurs, le seul fait que M. [Y] ait pris à bail, en 2016, un studio à usage de résidence secondaire ne permet pas d'en déduire que son intention était d'utiliser le bien occupé par Mme [D] en résidence secondaire ; en effet, l'intitulé du bail qu'il avait signé importait peu dès lors que ce contrat avait été conclu à titre provisoire, dans l'attente de la date où un congé pourrait être délivré à l'appelante ; M. [Y], qui justifie travailler toute la semaine en région parisienne, est parfaitement en droit d'établir sa résidence principale sur [Localité 4], même si son épouse et ses enfants vivent en province ; en se fondant sur l'intitulé du bail dont disposait M. [Y] à la date du congé, le premier juge a présumé que le bien objet du litige allait lui servir de résidence secondaire, alors que rien ne l'empêchait de déclarer l'appartement du [Adresse 2] comme résidence principale ; d'ailleurs, M. [Y] a pris un nouveau bien à bail à [Localité 7] en tant que résidence principale depuis le 27 juillet 2019, puisque son activité professionnelle l'amène à passer plus de temps en région parisienne qu'à [Localité 5].

Enfin, Mme [D] conteste les explications données par les intimées quant au fait que le studio qu'elle occupe permettrait à M. [Y] de vivre dans ce logement avec sa fille étudiante sur [Localité 4] ; elle souligne à cet égard que le logement occupé actuellement par M. [Y] à [Localité 7] comporte quatre pièces ; mais, d'une part, ce dernier appartement est partagé avec un colocataire, qui occupe donc deux pièces, alors que M. [Y] occupe deux autres pièces avec sa fille ; d'autre part, les intimées produisent un projet d'aménagement du lot occupé par Mme [D] qui permettrait de transformer ce studio de 40m² loi Carrez (mais 48 m² au sol) en un trois pièces doté de deux chambres de 10m² au sol chacune ; le seul fait qu'il s'agisse actuellement d'un studio ne permet donc pas à l'appelante de mettre en doute le caractère réel et sérieux du motif du congé qui lui a été délivré.

Par conséquent, le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a débouté Mmes [J] de leurs demandes.

Les intimées demandent l'application de l'article VIII du bail prévoyant le paiement d'une indemnité d'occupation égale à deux fois le loyer quotidien jusqu'à la libération des lieux; Mme [D] soutient que cette clause serait réputée non-écrite en vertu de l'article 4 i) de la loi du 6 juillet 1989 ; mais cette disposition, qui déclare non-écrites les clauses prévoyant des pénalités à la charge du preneur, n'a été introduite dans la loi de 1989 que par la loi dite Alur du 24 mars 2014, et n'a été déclarée applicable qu'aux contrats renouvelés ou tacitement reconduits après l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015, ce qui n'est pas le cas du bail litigieux qui avait été reconduit le 1er février 2015 ; ladite disposition n'est donc pas applicable en l'espèce.

Toutefois, cette clause apparaît manifestement excessive compte tenu du préjudice effectivement subi par les bailleresses.

Eu égard aux circonstances de l'espèce, le montant de l'indemnité d'occupation due par Mme [D] depuis le 1er février 2018 doit être fixé au montant du loyer et des charges qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi.

A défaut d'application de la clause pénale, les intimées réclament le paiement d'une indemnité pour préjudice économique dû à la nécessité de louer un studio sur [Localité 6] dont le loyer était supérieur à celui qui était généré, après déduction de 25 % de fiscalité, par le studio loué à Mme [D], puis à la nécessité de déménager dans un appartement plus grand à [Localité 7], dont le loyer était encore plus élevé ; mais Mmes [J] ne démontrent pas que M. [Y] se soit trouvé dans l'impossibilité de louer, en région parisienne, un bien équivalent à celui loué à Mme [D], pour un prix approchant le revenu locatif net généré par le studio de l'[Adresse 2], qui est situé dans un des quartiers les plus onéreux de la capitale ; les intimées ne peuvent non plus faire peser sur Mme [D] le choix de M. [Y] de loger dans un appartement plus grand que celui loué à l'appelante ; dans ces conditions, leur demande doit être rejetée.

Les intimées ne peuvent non plus prétendre obtenir une indemnité pour préjudice moral, le fait de devoir habiter à [Localité 6] ou à [Localité 7] plutôt que dans le [Localité 4] n'engendrant aucun préjudice indemnisable.

L'appelante, qui succombe en sa contestation du congé, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

L'équité commande de rejeter la demande de Mmes [J] fondée sur ce texte.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Constate que Mme [D] a libéré les lieux et communiqué sa nouvelle adresse,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

Déclare valable et régulier le congé qui a été délivré à Mme [B] [D] le 7 juillet 2017 à effet du 1er février 2018 et dit que Mme [D] a occupé sans droit ni titre les lieux appartenant à Mmes [J] depuis cette date jusqu'au 18 janvier 2022,

Condamne Mme [D] à payer à Mmes [J] une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer et des charges qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi, à compter du 1er février 2018 et jusqu'au 18 janvier 2022,

Déboute Mmes [J] de leurs demandes plus amples ou contraires,

Y ajoutant :

Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [D] aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 19/16115
Date de la décision : 31/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-31;19.16115 ?
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