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16/06/2022 | FRANCE | N°19/140927

France | France, Cour d'appel de Paris, G3, 16 juin 2022, 19/140927


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 3

ARRET DU 16 JUIN 2022

(no 220 , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/14092 - No Portalis 35L7-V-B7D-CAKAB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2019 -Tribunal d'Instance d'IVRY SUR SEINE - RG no 1118004674

APPELANTS

Monsieur [V] [B]
Né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 12] (Tunisie)
[Adresse 11]
[Localité 3]

Représenté par Me Frédériq

ue ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Ayant pour avocat plaidant Me Dominique CECCALDI, avocat au barreau de PARI...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 3

ARRET DU 16 JUIN 2022

(no 220 , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/14092 - No Portalis 35L7-V-B7D-CAKAB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2019 -Tribunal d'Instance d'IVRY SUR SEINE - RG no 1118004674

APPELANTS

Monsieur [V] [B]
Né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 12] (Tunisie)
[Adresse 11]
[Localité 3]

Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Ayant pour avocat plaidant Me Dominique CECCALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0526

Madame [N] [T]
Née le [Date naissance 6] 1970 à [Localité 10] (Allemagne)
[Adresse 7]
[Localité 5]

Représenté et assisté par Me François AUDARD de la SCP AUDARD MOUGIN, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : 156

INTIMEE

Madame [K] [S]
Née le [Date naissance 2] 1988 à [Localité 9] (Vietnam)
[Adresse 4]
[Localité 8]

Représentée et assistée par Me Florian CANDAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1869 substitué à l'audience par Me Morgann GORRANTON, même cabinet, même toque

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne-Laure MEANO, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
François LEPLAT, président de chambre
Anne-Laure MEANO, présidente assesseur
Bérengère DOLBEAU, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE

ARRET :

- Rendu par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne-Laure MEANO, Présidente assesseur pour François LEPLAT, Président de chambre empêché, et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****
EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat sous seing privé en date du 19 avril 2016, à effet du 1er mai 2016, M.[V] [B] a signé un contrat de bail avec Mme [S] [K], portant sur un logement dont il était propriétaire en indivision avec Mme [N] [T], son ancienne concubine, situé [Adresse 4] à [Localité 8].

Par acte d'huissier en date du 5 avril 2018 régulièrement dénoncé au représentant de l'Etat dans le département le 9 avril 2018 conformément à l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989, M. [V] [B] "et Mme [N] [T]" (ce point étant discuté devant la cour) ont assigné Mme [S] [K] devant le tribunal d'instance d'Ivry sur Seine aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la résiliation du bail, en tant que de besoin l'expulsion de la défenderesse et de tous occupants de son chef, paiement d'une indemnité d'occupation et condamnation à payer les sommes de 23.609,30 euros en réparation du préjudice subi du fait de dégâts matériels affectant les locaux.

Par jugement contradictoire entrepris du 18 juin 2019 le tribunal d'instance d'Ivry sur Seine a ainsi statué :

Prononce la résiliation du bail d'habitation au 6 février 2018 ;
Condamne M. [V] [B] et de Mme [N] [T] à verser à Mme [S] [K] une somme de 20.900 au titre d'un trop perçu de loyers ;
Déboute Mme [S] [K] du surplus de ses demandes ;
Déboute M. [V] [B] et de Mme [N] [T] de l'ensemble de leurs demandes ;
Condamne M. [V] [B] et de Mme [N] [T] à verser à Mme [S] [K] une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [V] [B] et Mme [N] [T] aux dépens de l'instance ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 10 juillet 2019 par M. [V] [B] ;
Vu l'appel interjeté le 18 juillet 2019 par Mme [N] [T] ;
Vu l'ordonnance de jonction du 16 janvier 2020 ;

Vu les dernières écritures remises au greffe le 10 mars 2020 par lesquelles M. [V] [B], appelant, demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris du 18 juin 2019 en ce qu'il a en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail au 6 février 2018 et débouté l'intimée de toute demande de dommages et intérêts au titre d'un prétendu trouble de jouissance;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'intimée de toute demande fondée sur un préjudice résultant d'une pseudo expulsion illicite, demande chiffrée à 17 387,37 euros ;

Dire et juger que la résiliation du bail intervenue est imputable à la locataire ;

A titre subsidiaire sur la résiliation,

Constater que la locataire n'a jamais dénoncé le bail intervenu ;

Dire et juger Mme [S] [K] totalement responsable des dégâts survenus dans l'appartement et la condamner à payer au concluant la somme de 23 609,30 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait des dégâts matériels affectant les locaux ;

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [N] [T] et M. [V] [B] à verser à l'intimée une somme de 20 900 euros au titre d'un trop perçu de loyer et débouter celle-ci de toutes demandes à ce titre ;

En tout état de cause et en tant que de besoin, ordonner la compensation entre les condamnations réciproques susceptibles d'intervenir entre les parties au cas où par impossible la cour ferait droit aux prétentions de l'intimée à l'encontre des concluants ;

Déclarer irrecevable et particulièrement mal fondée l'intimée en ses demandes reconventionnelles ;

En tant que de besoin déclarer irrecevable et débouter Mme [N] [T] des fins de son appel en ce qu'il vise à solliciter la nullité du jugement entrepris ou à titre subsidiaire son inopposabilité à son égard pour un prétendu défaut de représentation dans le cadre de la procédure ;

Déclarer irrecevable et plus généralement débouter Mme [N] [T] de toutes prétentions formulées à l'encontre de M. [V] [B] ;

Condamner l'intimée à payer à M. [V] [B] d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [S] [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières écritures remises au greffe le 9 mars 2020 au terme desquelles Mme [N] [T] demande à la cour de :

Vu l'article 117 in fine du code de procédure civile ;

Déclarer nul et de nul effet tous les actes de procédure pour défaut de représentation de Mme [N] [T] dans la procédure ayant conduit au jugement du tribunal d'instance d'Ivry sur Seine en date du 18 juin 2019 entre les consorts M. [V] [B] et Mme [N] [T] d'une part et Mme [S] [K] d'autre part ;

Déclarer en conséquence, nul le susdit jugement du tribunal d'instance d'Ivry sur Seine en date du 18 juin 2019, comme procédant d'actes affectés d'une nullité de fond ;

Subsidiairement, et pour le cas où la Cour ne prononcerait pas la nullité du jugement, déclarer le jugement du 18 juin 2019 inopposable à Mme [N] [T], cette dernière n'ayant pas été valablement représentée dans le cadre de la procédure ;

Très subsidiairement, sur le fondement de l'article 1199 du code civil, infirmer le jugement
en ce qu'il condamne Mme [N] [T] au titre d'un trop perçu de loyer, tandis qu'elle n'est pas signataire du bail ;

A titre infiniment subsidiaire, condamner M. [V] [B] à garantir Mme [N] [T] des condamnations éventuellement prononcées à son encontre ;

Condamner M. [V] [B] au paiement d'une somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le condamner aux entiers dépens d'appel et de première instance.

Vu les dernières écritures remises au greffe le 22 avril 2020 au terme desquelles Mme [S] [K], intimée, forme appel incident et demande à la cour de :

A titre principal,

Infirmer le jugement du 18 juin 2019 rendu par le tribunal d'instance d'Ivry sur Seine dont appel rendu par M. [V] [B] et de Mme [N] [T], en ce qu'il déboute Mme [S] [K] :
- sur sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice résultant de son expulsion par M. [V] [B] et de Mme [N] [T] ;
- sur sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice de jouissance en raison de la destination réelle du bien loué à savoir un local à usage commercial, ce qui n'a pas été précisé par M. [V] [B] et de Mme [N] [T] de manière délibérée ;

Et statuant à nouveau :

Condamner in solidum M. [V] [B] et de Mme [N] [T] à régler à Mme [S] [K] la somme de 10 000 euros au titre de dommage et intérêts pour l'expulsion illicite de son logement situé [Adresse 4] à [Localité 8] ;
Condamner in solidum M. [V] [B] et de Mme [N] [T] à régler à Mme [S] [K] la somme de 17 387,37 euros au titre de son préjudice de jouissance ;

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement du 18 juin 2019 rendu par le tribunal d'instance d'Ivry sur Seine dont appel rendu par M. [V] [B] et de Mme [N] [T] ;

Sur le point suivant :
Prononcer la résiliation du bail d'habitation au 6 février 2018 ;

En tout état de cause,

Débouter M. [V] [B] et de Mme [N] [T] de toutes leurs demandes ;
Débouter Mme [N] [T] de sa demande de nullité du jugement du 18 juin 2019 ;
Déclarer Mme [S] [K] recevable en ses demandes, fins et conclusions ;
Confirmer le jugement du 18 juin 2019 rendu par le tribunal d'instance d'Ivry sur Seine dont appel rendu par M. [V] [B] et de Mme [N] [T] en ce qu'il a décidé :
Condamner in solidum M. [V] [B] et de Mme [N] [T] à restituer à Mme [S] [K] la somme de 20 900 euros au titre des loyers indus ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

Et statuant à nouveau :

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant toutes voies de recours et sans constitution de garantie ;
Condamner in solidum M. [V] [B] et de Mme [N] [T] à régler à Mme [S] [K] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner in solidum M. [V] [B] et Mme [N] [T] en tous les dépens dont le montant pourra être directement recouvré par Me Florian Candan , avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 novembre 2021.

Le 16 décembre 2021, M. [B] a remis au greffe des conclusions d'incident demandant la révocation de l'ordonnance de clôture pour pouvoir répliquer aux dernières conclusions du conseil de Mme [S] déposées selon lui la veille de l'ordonnance de clôture, c'est-à-dire le 17 novembre 2021.

Les parties adverses n'ont pas répliqué sur l'incident.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu'elles ont remises au greffe et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à " constater ", " donner acte ", " dire et juger " en ce qu'elles ne sont pas, exception faite des cas prévus par la loi, des prétentions, mais uniquement des moyens, comme c'est le cas en l'espèce.

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par le conseil de M. [B]

Contrairement à ce qui est soutenu, les dernières conclusions remises par Mme [S] au greffe sont ses conclusions dites « no3», remises au greffe le 22 avril 2020, soit un an et demi avant l'ordonnance de clôture.

Le conseil de celle-ci s'est borné à redéposer le même jeu de conclusion le 17 novembre 2022, en raison d'une incertitude de sa part sur son accusé de réception.

Aucune cause grave survenue postérieurement à l'ordonnance de clôture, au sens de l'article 803 du code de procédure civile, ne justifie donc la révocation de celle-ci, et il ne résulte des éléments du dossier aucune atteinte au principe du contradictoire.
La demande sera donc rejetée.

Sur les nullités invoquées par Mme [T]

En substance Mme [T], qui invoque les articles 117 à 121 du code de procédure civile, soutient que M. [Z] [P], avocat, ne disposait pas du pouvoir de la représenter pour introduire l'action devant le premier juge puis dans le cadre de la première instance ; Mme [T] indique n'avoir eu connaissance de la procédure en résiliation du bail et de ce qu'elle était prétendument représentée que lorsque le jugement lui a été signifié.

M. [B] soutient que M. [Z] [P] bénéficiait bien d'un mandat, au moins apparent, de la part de Mme [T] qui était parfaitement au courant de cette procédure et y avait consenti ; il ajoute qu'elle y avait d'ailleurs intérêt en tant que propriétaire indivise du local donné à bail, notamment puisqu'elle avait le droit à la moitié des loyers et que la locataire manquait à ses obligations, ce dont elle avait connaissance puisqu'elle l'a elle même rappelé à l'avocat dans un courriel.

Sur la nullité de l'assignation et de "tous les actes de procédure ayant conduit au jugement"

Il résulte des articles 117, 118 et 119 du code de procédure civile que le défaut de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice est une irrégularité de fond affectant la validité des actes de procédure, pouvant être soulevée même sans grief et en tout état de cause.

L'article 789 du code de procédure civile, auquel renvoie l'article 907 du même code, dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1o Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge. (...)
6o Statuer sur les fins de non-recevoir.

Ainsi, les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions de procédure, au sens du chapitre II, titre V, livre 1er, du code de procédure civile, postérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état, à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

L'exception de nullité de l'assignation du 5 avril 2018, ainsi que d'"autres actes" soulevée par Mme [T] relevait donc de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état, et n'est plus recevable devant la cour.

Sur la nullité du jugement

La nullité du jugement découle selon Mme [T] de la nullité de l'assignation.
Toutefois la demande en ce sens a été déclarée irrecevable par la cour.

Par ailleurs, l'article 416 du code de procédure civile dispense les avocats de justifier qu'ils ont reçu mandat pour représenter le plaideur ; à l'égard du juge et de la partie adverse, l'avocat bénéficie d'un mandat apparent.
En l'espèce, le jugement entrepris indique que M. [B] et Mme [T] sont représentés par Maître [Z] [P] avocat du barreau de Paris.

Le premier juge a rouvert les débats au motif que l'ensemble des pièces produites, notamment le bail, ne faisait figurer que le nom de M. [B] et a invité les parties à présenter leurs observations sur la qualité à agir de Mme [T]; la preuve de ce que le bien loué était la propriété indivise de M. [B] et Mme [T], ce qui n'est pas contesté, a alors été produite.

En outre, Mme [T] admet qu'elle avait connaissance du bail et avait donc intérêt à agir pour la préservation de l'immeuble contrairement à ce qu'elle soutient, quand bien même elle n'est pas signataire du bail.

Au demeurant, il résulte des courriels et courriers produits par M. [B] que Mme [T] était en relation avec M. [P], avocat, qui lui a adressé, par courrier du 28 mars 2018 le projet d'assignation de Mme [S] en vue de la présente affaire, tandis qu'il adressait parallèlement la même demande à M. [B], par courriel.
Parallèlement, les éléments du dossiers démontrent que le bien immobilier litigieux a fait l'objet d'un compromis de vente par acte notarié du 5 août 2016 entre d'une part M. [B] et Mme [T] et d'autre part Mme [S], dont l'adresse indiquée à l'acte est celle du bien litigieux ; le 11 juin 2018, celle-ci a assigné devant le tribunal de grande instance de Créteil M. [B] et Mme [T] en restitution du dépôt de garantie et paiement de la clause pénale; Mme [T] était alors assistée par le même conseil et lui a d'ailleurs adressé, le 21 juin 2018, un courriel lui transmettant l'assignation de Mme [S] concernant ce bien, faisant état de ce que la locataire avait fait preuve "d'un comportement répréhensible par la loi (sous-location du bien, hébergement de clandestins etc)" et lui indique " M. [B] vous enverra les documents en sa possession ».
Maître [P] bénéficiait donc également d'un mandat, à tout le moins apparent, dans sa relation avec Mme [T] pour la représenter dans l'instance relative au bail.

En tout état de cause, l'immeuble se trouvant sous le régime de l'indivision et inoccupé par la locataire depuis février 2018, l'action devant le tribunal d'instance visant à faire prononcer la résiliation du bail, l'expulsion et le paiement d'indemnités d'occupation et de sommes en réparation de dégâts matériels avait le caractère d'une mesure conservatoire, ayant pour objet de soustraire le bien indivis à un péril, de sorte que M. [B] pouvait y procéder seul, ayant au demeurant géré le bail sans opposition de la part de Mme [T] qui avait connaissance de celui-ci comme le montre le courriel qu'elle produit, adressé par elle le 21 juin 2018 au notaire qui l'informait de la proposition d'achat du bien formée par la locataire, et par lequel elle demandait à être mise en contact avec la locataire.

Au vu de ces éléments il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du jugement ; pour les mêmes raisons la demande en inopposabilité du jugement sera également rejetée, la critique de sa condamnation par Mme [T] étant examinée au titre de l'effet dévolutif de l'appel, ci-après.

Sur l'opposabilité du contrat de bail à Mme [T]

Mme [T] demande subsidiairement l'infirmation du jugement sur le fondement de l'article 1199 du code civil, en ce qu'il la condamne au remboursement du trop perçu des loyers alors qu'elle n'est pas signataire du bail.
Aux termes de cet article, le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties, les tiers ne pouvant se voir contraints de l'exécuter.

Par ailleurs, il résulte de l'article 815-3 du même code que la conclusion et le renouvellement d'un bail autre que portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal sur un immeuble, doivent être décidé à la majorité des deux tiers des droits indivis; si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, qui cependant ne peut couvrir la conclusion ou le renouvellement des baux.

Si le bail d'un bien indivis consenti irrégulièrement par un seul des indivisaires n'est pas nul, il est inopposable aux autres indivisaires.

En l'espèce, M. [B] est seul signataire du bail litigieux ; il n'allègue ni ne démontre que Mme [T] lui avait donné un mandat pour y procéder ni même son accord ; l'existence d'un mandat général d'administration de sa part ne résulte pas davantage des pièces produites ; de plus aucun mandat tacite ne peut être donné en matière de conclusion d'un bail.

Par conséquent le bail litigieux n'est pas opposable à Mme [T] et aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre en exécution de celui-ci.

Sur la résiliation du bail

Devant la cour les parties ne remettent pas en question la décision du premier juge de prononcer la résiliation du bail à la date du 6 février 2018 ; elles s'opposent seulement sur la cause de celle-ci, ce qui n'a d'incidence, en l'espèce, que sur les demandes de dommages et intérêts pour dégâts matériels et pour expulsion illicite, puisqu'il n'est pas contesté que les loyers et éventuelles indemnités d'occupation ne sont dûs que jusqu'au mois de février 2018.

M. [B] soutient que la locataire a quitté les lieux sans donner congé, laissant ainsi des tiers s'y introduire, ce qui a nécessité une intervention policière le 6 février 2018 , à la suite de laquelle il n'a eu d'autre choix que de changer la serrure pour des raisons de sécurité, fin février 2018.

Mme [S] estime avoir subi une expulsion illicite, exposant avoir quitté les lieux en septembre 2017 pour des raisons de santé liées au mauvais état des lieux mal isolés et humides, mais sans avoir eu l'intention de donner congé, et indiquant que les clefs ont été changées sans qu'elle en soit informée ni qu'elle en ait le double.

Aux termes de l'article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

L'obligation de jouissance paisible du lieu par le locataire est prévue par l'article 1728 du code civil ; le locataire ne doit pas causer de troubles ou nuisances aux autres locataires de l'immeuble ou au voisinage immédiat, et il ne doit pas altérer par des dégradations ou des pertes le bien loué, ni le transformer. De manière générale, le preneur est tenu d'user de la chose louée "en bon père de famille" et "raisonnablement"; il doit s'abstenir de tout comportement pouvant nuire au logement donné à bail et à la tranquillité des lieux dans lesquels s'exécute le contrat de bail.
Pour mémoire, ce texte doit se combiner avec l'article 1735 du code civil selon lequel "le preneur est tenu des dégradations et des pertes qui arrivent par le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires."

Pour sa part, le bailleur est tenu de délivrer au preneur la chose louée et de lui assurer la jouissance paisible du logement ce qui résulte de l'article 1719 du code civil, cette obligation, qui persiste tout au long du bail et ne cesse qu'en cas de force majeure.

Il résulte de ces dispositions que le juge peut prononcer la résiliation d'un bail dès lors qu'il est établi qu'une des parties a gravement manqué à ses obligations contractuelles.

Il résulte des éléments du dossier que :
- le 6 février 2018, la police des frontières a ouvert l'appartement litigieux et a procédé à la perquisition et à l'évacuation des lieux qui étaient occupés par des personnes en situation irrégulière, un serrurier ayant sécurisé la porte d'entrée de l'appartement avec des planches de bois, cette affaire faisant l'objet d'une instruction judiciaire au tribunal de grande instance de Béthune dans laquelle M. [B] s'est constitué partie civile;
-Mme [S] ne rapporte aucune preuve de ses allégations selon lesquelles les lieux étaient humides ou mal isolés, de nature à affecter sa santé et celle de sa fille et justifiant qu'elle les ait quittés de septembre 2017 à février 2018, étant rappelé qu'elle indique elle même, au contraire, qu'elle n'envisageait pas de donner congé.

Mme [S] a quitté les les locaux pendant plusieurs mois de sorte qu'ils ont été occupés par des squatters, ce qui a nécessité une intervention policière ; elle a ainsi commis un manquement grave à son obligation de jouissance paisible des lieux donnés à bail, justifiant la résiliation du bail à la date du 6 février 2018.

Sur la demande formée par Mme [S] au titre de l'expulsion illicite

Il résulte des éléments du dossier qu'à la suite de l'intervention des services de police, M. [B] a fait changer la serrure fin février 2018, si bien que Mme [S] n'a pas pu pénétrer dans les locaux lorsqu'elle a tenté d'y revenir, ce qui est attesté notamment par procès-verbal de constat d'huissier de justice du 5 mars 2018.

L'expulsion est une opération étroitement encadrée qui n'autorise aucune initiative personnelle du propriétaire, si ce n'est celle de s'adresser à la justice pour obtenir l'autorisation nécessaire, le simple constat d'une reprise illicite des lieux ouvrant droit à réparation ; une expulsion illégale constitue, nonobstant l'absence de titre d'occupation des lieux, une violation du domicile et une atteinte au respect de la vie privée qui ouvre ipso facto droit à réparation (Civ 3.6 juillet 2017, pourvoi no16-15.752, publié).

En l'espèce, quand bien même le changement de serrure intervenait dans un contexte d'urgence, M. [B] n'invoquant cependant pas de force majeure, Mme [S] ne s'est pas vu remettre les clés et n'a pas été mise en situation de reprendre possession des lieux qui, quand bien même elle ne s'y trouvait pas lors des mois précédents, constituaient son domicile ; la cour relève d'ailleurs que l'attestation produite par M. [B], établie par un voisin, M. [F], indique que "Mme [S] est revenue le 24 février 2018 avec M. [B] afin de récupérer sa télévision et sa machine à laver".

Au vu de ces éléments, Mme [S] a subi une expulsion illicite résultant des agissements de M. [B] et ouvrant droit à réparation. Le préjudice subi justifie l'octroi d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur la demande formée par M. [B] au titre des dégâts matériels

L'état des lieux d'entrée fait état d'un logement en bon état ou état moyen.
Aucun état de lieux de sortie n'a été réalisé par les parties, aucune d'elles n'ayant tenté de prendre une initiative à ce sujet ; il appartient au bailleur de démontrer que les dégâts qu'il constate sont imputables au locataire.

M. [B] produit un devis de travaux du 5 mars 2018 pour un montant total de 23.609,30 euros, pour la rénovation d'un logement dont l'adresse n'est pas indiquée, ainsi que des photographies non datées et sans références fiables, lesquelles ne sont donc pas explicites par elles-mêmes et ne rapportent pas la preuve des manquements de Mme [S].

Cependant, il est établi que Mme [S] avait reçu les lieux en bon état et qu'elle a manqué à son obligation de jouissance paisible en laissant s'y introduire des squatters, ce qui a nécessité l'intervention de la police et des dégâts subséquents à celle-ci, justifiant que Mme [S] soit condamnée à payer à M. [B] et Mme [T], la somme totale de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Il n'y aura pas lieu à compensation des dettes des parties puisque Mme [T] n'est tenue d'aucune somme au titre de l'expulsion illicite.

Sur le trouble de jouissance invoqué par Mme [S]

Mme [S] demande des dommages-intérêts d'un montant de 17.387,37 euros au titre du trouble de jouissance résultant de la surface habitable réduite du local loué, de 23 m² selon elle au lieu de 93 m2 indiqué dans le bail, soutenant qu'en réalité le local était initialement destiné à un commerce sur un espace de 70 m².

Il résulte des pièces produites par Mme [S] que le bien loué est un appartement réalisé dans un ancien atelier professionnel, le service urbanisme de la commune de [Localité 8] n'ayant pas été saisi d'une demande de changement destination comme il a été indiqué à Mme [S] par courrier du 20 mars 2018.

Elle produit également une attestation de surface établie par une société de géomètre expert le 25 octobre 2004 d'où il résulte que le bien litigieux est bien un appartement de quatre pièces principales, en duplex, comportant un double séjour, une cuisine avec placard et un WC, un placard avec deux chambres et une salle de bains, pour une surface totale de 93 m², ce qui est conforme aux mentions portées au contrat de bail.
L'état des lieux d'entrée confirme, comme le contrat de bail, que le bien donné en location est effectivement aménagé en appartement et il n'est pas soutenu ni démontré que les équipements essentiels à l'habitation faisaient défaut.

Comme il a déjà été dit plus haut Mme [S] ne produit en outre aucune pièce justifiant avoir subi des problèmes d'insalubrité, ou tenant à l'indécence des lieux ou à leur humidité prétendue.

Au regard de ces éléments, Mme [S] ne démontre pas avoir subi un préjudice de jouissance justifiant l'octroi de dommages et intérêts.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande à ce titre.

Sur la demande de restitution de loyers indus

Les parties produisent deux exemplaires du contrat de bail, tous deux signés et complétés par la mention "lu et approuvé" mais comportant des indications différentes quant au montant des loyers : le contrat produit par Mme [S] mentionne un loyer mensuel de 1.100 € , tandis que celui produit par M. [B] indique un loyer mensuel de 1.200 € et « payé 1100 € après déduction pour travaux pendant trois ans : 3600 €", M. [B] précisant qu'il n'y a pas eu de travaux. Aucune somme n'est mentionnée au titre des charges, qui ne sont pas débattues par les parties.

M. [B], qui admet un trop perçu au titre des loyers, estime qu'il doit le conserver à titre de dommages et intérêts « à défaut de résiliation du bail par le fait du locataire, le bailleur pouvant le mener jusqu'à son terme et bénéficier de ce revenu économique".
Cette demande et ce moyen ne sauraient être accueillis, les loyers étant dus par le locataire en contrepartie de son occupation des lieux en exécution du bail et non à titre de dommages et intérêts.

Les parties ne donnant aucune explication sur l'existence de ces deux versions du bail et les paiements n'ayant pas eu lieu mensuellement mais par quelques versements importants, il convient de retenir que le loyer mensuel était de 1.100 euros.

En tout état de cause, comme rappelé par le jugement, les parties s'accordent à dire que Mme [S] a réglé au total la somme de 44.000 euros au titre des loyers, en plusieurs paiements d'un montant, notamment de 14.000 et 15.000 euros, y compris selon les termes même des conclusions de M. [B] au titre des loyers des années 2018 et 2019, alors que les lieux ont été occupés et ouvrent droit à paiement à ce titre du 1er mai 2016, date d'effet du bail selon le contrat, jusqu'au 19 février 2018, date de changement des serrures par M. [B], soit 21 mois et 19 jours.

Ainsi il convient de retenir que les loyers dus s'élèvent à 23.796 euros (soit [1.100 euros x 21] + 696 euros).

M. [B] sera donc condamné à rembourser à Mme [S] la somme de correspondant aux trop perçu de loyers et indemnités d'occupation à partir du 6 février 2018.

M. [B] sera condamné à verser à Mme [S] la somme de 20.204 euros (soit 44.000 euros - 23.796 euros).

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Les termes de la présente décision ne justifient pas que les dispositions du jugement en ce qui concerne les dépens et indemnité au titre de l'article 700 de première instance soit infirmées.

En ce qui concerne l'instance d'appel, il convient de dire que chaque partie gardera la charge de ses propres dépens ; il est équitable de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt rendu par défaut,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture ;

Déclare irrecevable la demande d'annulation de l'assignation et des actes de procédure antérieurs au jugement ;

Rejette les demandes d'annulation du jugement entrepris et d'inopposabilité de celui-ci à l'égard de Mme [N] [T] ;

Infirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris, sauf en ce qu'il :

-prononce la résiliation du bail d'habitation au 6 février 2018, au titre des locaux situés [Adresse 4] à [Localité 8]),
-rejette la demande Mme [S] [K] au titre du trouble de jouissance,
-statue sur les dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens et à l'exécution provisoire ;

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare inopposable à Mme [N] [T] le bail conclu avec Mme [S] [K] le 19 avril 2016 ;

Condamne M. [V] [B] à payer à Mme [S] [K] la somme de 20.204 euros au titre d'un trop-perçu de loyers et indemnités d'occupation;

Condamne M. [V] [B] à payer à Mme [S] [K] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne Mme [S] [K] à payer à M. [V] [B] et Mme [N] [T] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Dit que les parties conserveront la charge de leurs dépens d'appel,

Rejette toutes autres demandes.

La Greffière La Présidente assesseur pour le Président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : G3
Numéro d'arrêt : 19/140927
Date de la décision : 16/06/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : Tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine, 18 juin 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2022-06-16;19.140927 ?
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