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05/10/2022 | FRANCE | N°18/20372

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 5, 05 octobre 2022, 18/20372


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 5



ARRET DU 05 OCTOBRE 2022



(n° /2022, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20372

N° Portalis 35L7-V-B7C-B6KXK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 16/17341





APPELANTE



SARL [R] + [Y]

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée et

assistée par Me Bertrand RABOURDIN de la SELARL D'AVOCATS MARTIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0158





INTIMES



Monsieur [K] [T]

[Adresse 1]

[Localité 9]/TUNISIE



N'a pas constitué avoc...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5

ARRET DU 05 OCTOBRE 2022

(n° /2022, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20372

N° Portalis 35L7-V-B7C-B6KXK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 16/17341

APPELANTE

SARL [R] + [Y]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée et assistée par Me Bertrand RABOURDIN de la SELARL D'AVOCATS MARTIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0158

INTIMES

Monsieur [K] [T]

[Adresse 1]

[Localité 9]/TUNISIE

N'a pas constitué avocat

SA RESIDENCE AMILCAR, société anonyme de droit tunisien (également appelante RG 18/22822)

[Adresse 6]

[Localité 2]/ Tunisie

Représentée et assistée par Me Philippe COURTOIS de la SCP COURTOIS LEBEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0044

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre

Mme Valérie MORLET, conseillère

Mme Alexandra GRILL, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie MORLET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRET :

- par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre et par Suzanne HAKOUN, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS et PROCEDURE

Affirmant avoir courant 2011 réalisé des études préliminaires et esquisses dans le cadre d'un projet de réhabilitation et extension de l'hôtel Amilcar à [Localité 5], [Localité 8] (Tunisie), en exécution d'un contrat de maîtrise d''uvre architecturale conclu avec SA de droit tunisien RÉSIDENCE AMILCAR, la SARL KILO ARCHITECTURES a adressé ses notes d'honoraires à celle-ci.

N'obtenant pas paiement, la société [R]+[Y], nouvelle dénomination de la société KILO, a par acte du 27 octobre 2016 assigné la société RÉSIDENCE AMILCAR et Monsieur [K] [T] en paiement devant le tribunal de grande instance de Paris.

Ni la RÉSIDENCE AMILCAR ni Monsieur [T] n'ont constitué avocat en première instance.

*

Le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 9 mars 2018, a :

- condamné la société RÉSIDENCE AMILCAR à verser à la société [R]+[Y] la somme de 40.000 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 26 août 2016,

- condamné la société RÉSIDENCE AMILCAR à verser à la société [R]+[Y] la somme de 2.500 euros au titre de ses frais irrépétibles,

- condamné la société RÉSIDENCE AMILCAR aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- rejeté les demandes présentées par la société [R]+[Y] à l'encontre de Monsieur [T],

- rejeté les autres demandes de la société [R]+[Y].

La société [R]+[Y] a par acte du 22 août 2018 interjeté appel de ce jugement, intimant Monsieur [T] et la société RÉSIDENCE AMILCAR devant la Cour. Le dossier a été enrôlé sous le n°18/20372.

La société RÉSIDENCE AMILCAR a par acte du 23 octobre 2018 également interjeté appel de ce jugement, intimant la société [R]+[Y] devant la Cour. Le dossier a été enregistré sous le n°18/22822

Les deux dossiers ont été joints par ordonnance du 16 avril 2019 et alors appelés sous le seul n°18/20372.

*

La société [R]+[Y], dans ses dernières conclusions signifiées le 6 mai 2022, demande à la Cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel dirigé à l'encontre de la société RESIDENCE AMILCAR et de Monsieur [T],

- juger l'appel de la société RESIDENCE AMILCAR à son encontre mal fondé et la débouter de l'ensemble de ses demandes à son encontre,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société RESIDENCE AMILCAR à lui verser la somme de 40.000 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 26 août 2016,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société RESIDENCE AMILCAR à lui verser la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts de 10.000 euros pour résistance abusive à l'encontre de la société RESIDENCE AMILCAR et Monsieur [T],

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes à l'encontre de Monsieur [T],

Et, statuant à nouveau,

- juger qu'elle justifie avoir exécuté ses prestations d'architecte au titre de la phase esquisse et avant-projet sommaire, ce qui justifie le règlement de ses honoraires à hauteur de 100.000 euros TTC,

- juger qu'elle pouvait légitimement croire que Monsieur [T] était le représentant légal de la société RESIDENCE AMILCAR,

- juger que la société RESIDENCE AMILCAR a reconnu lui devoir une dette de 100.000 euros TTC au titre des prestations de maîtrise d''uvre correspondant aux phases esquisse et avant-projet sommaire effectivement accomplies,

- juger que Monsieur [T] a engagé sa responsabilité civile personnelle en effectuant à son profit des règlements qu'il savait non provisionnés,

En conséquence,

- condamner in solidum la société RESIDENCE AMILCAR et Monsieur [T] à lui payer la somme de 100.000 euros TTC en principal majorée des intérêts au taux légal à compter du 26 août 2016 jusqu'au complet paiement des sommes dues,

- condamner in solidum la société RESIDENCE AMILCAR et Monsieur [T] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour la résistance abusive dont ils ont fait preuve dans le paiement des honoraires dus,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

En tout état de cause,

- condamner in solidum la société RESIDENCE AMILCAR et Monsieur [T] à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

La société RÉSIDENCE AMILCAR, dans ses dernières conclusions signifiées le 3 mai 2022, demande à la Cour de :

- dire son appel recevable et bien-fondé,

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau,

- dire mal-fondé l'appel de la société [R]+[Y] et la débouter de ses demandes dirigées son encontre en toutes fins qu'elles comportent,

- condamner la société [R]+[Y] à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Monsieur [T], régulièrement assigné devant la Cour, n'a pas constitué avocat.

*

La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 18 mai 2022, l'affaire plaidée le 24 mai 2022 et mise en délibéré au 5 octobre 2022.

MOTIFS

Les pièces versées aux débats concernent la société KILO ARCHITECTURES. Par décision de ses associés en date du 25 septembre 2015, celle-ci a changé de dénomination pour devenir la SARL [R]+[Y], auteur de l'assignation portée devant les premiers juges et de l'appel interjeté devant la Cour de céans.

La compétence territoriale des juridictions françaises, et plus particulièrement du tribunal et de la Cour d'appel de Paris, n'est contestée d'aucune part.

Sur la recevabilité de la demande en paiement

Les premiers juges ont estimé que les pièces versées aux débats (analyse des existants et esquisses) établissaient l'exécution par la société [R]+[Y] d'une partie des prestations prévues à son contrat (conclu avec la société RÉSIDENCE AMILCAR) mais qu'elles étaient insuffisamment détaillées et ne pouvaient valoir avant-projet sommaire, méritant un paiement non de 100.000 euros TTC tel que réclamé, mais de 40.000 euros TTC. Les premiers juges n'ont pas statué sur la prescription de l'action en paiement de la société [R]+[Y], alors que la société RÉSIDENCE AMILCAR et Monsieur [T] n'avaient pas constitué avocat devant eux pour soulever ce moyen.

La société RÉSIDENCE AMILCAR soulève à titre principal la prescription de l'action en paiement de la société [R]+[Y], qui se prévaut d'un contrat (non signé) du 20 mai 2011 et de deux factures du 27 juillet 2011, alors que l'assignation lui a été délivrée le 27 octobre 2016, sans qu'aucun acte interruptif de prescription ne soit entre-temps intervenu.

La société [R]+[Y] conteste toute prescription, exposant que seule la date à laquelle le paiement s'est révélé infructueux, le 3 janvier 2012, peut marquer le point de départ de celle-ci. Elle ajoute que Monsieur [T], prétendant agir pour le compte de la société RÉSIDENCE AMILCAR et reconnaissant la dette, a interrompu le délai de prescription.

Sur ce,

L'irrecevabilité est une fin de non-recevoir qui sanctionne, sans examen au fond, un défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée (article 122 du code de procédure civile).

L'article 2224 du code de procédure civile dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La société [R]+[Y] se prévaut d'un contrat de maîtrise d''uvre architecturale conclu entre la société KILO, son ancienne dénomination, et la société RÉSIDENCE AMILCAR en qualité de maître d'ouvrage. Ce contrat, rédigé à [Localité 7], est daté du 20 mai 2011 et n'a été signé d'aucune partie.

L'architecte affirme avoir réalisé, en exécution de ce contrat, des études préliminaires et esquisses et en réclame le paiement.

Trois dossiers graphiques sont effectivement produits aux débats. Mais il n'est pas démontré que la société RÉSIDENCE AMILCAR, ni Monsieur [T], en aient été destinataires.

La société [R]+[Y] se prévaut de deux factures émises le 27 juillet 2011 (à l'époque par la société KILO) et adressées à la société RÉSIDENCE AMILCAR pour les sommes de 95.000 euros TTC au titre d'une esquisse (facture n°144/01/038) et de 5.000 euros TTC au titre de deux perspectives extérieures (facture n°144/02/039). Il n'est pas démontré que la société RÉSIDENCE AMILCAR, ni même Monsieur [T], aient effectivement reçu ces factures.

Sur le point de départ du cours de la prescription

Le point de départ du cours de la prescription de l'action en paiement de la société [R]+[Y] n'est ni la date de ses factures émises le 27 juillet 2011 (sauf à laisser ce point de départ à la discrétion du créancier, étant au surplus ajouté que la réception desdites factures par leur destinataire n'est pas établie'), ni la date de l'exigibilité de ces factures quinze jours après leur émission selon les termes de l'article 3.3.3 du contrat de maîtrise d''uvre précité (idem), ni encore la date à laquelle le paiement de la société RÉSIDENCE AMILCAR "s'est révélé infructueux" (soit le 3 janvier 2012, date à laquelle l'architecte a informé la société RÉSIDENCE AMILCAR du rejet de deux lettres de change pour cause d'impayé).

Le point de départ du cours de la prescription se situe en effet à la date à laquelle les prestations ont été exécutées, l'architecte connaissant en effet dès l'achèvement de celles-ci les faits lui permettant d'agir.

Certains documents graphiques versés aux débats ne portent aucune date, d'autres les dates des 8 juin et 2 septembre 2011, mais ces mentions n'ont aucune force probante. La facture n°144/01/038 du 27 juillet 2011 indique que les esquisses étaient à cette date réalisées à hauteur de 100%.

La date de réalisation effective des prestations n'est donc en l'espèce pas établie avec certitude et doit être retenue comme étant située entre les mois de juin et juillet 2011, au plus tard au mois de septembre 2011.

Sur l'interruption de la prescription

Il ressort des dispositions de l'article 2245 du code de procédure civile que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

Aucune reconnaissance de dette n'émane directement de la société RÉSIDENCE AMILCAR.

Doit donc être examinée la réalité d'une interruption de prescription par Monsieur [T], alléguée par la société [R]+[Y].

Sur l'examen des pièces communiquées et l'intervention de Monsieur [T]

Madame [F] [Y], associée du cabinet d'architecture alors dénommé KILO, est l'auteur d'une lettre adressée le 18 avril 2011 à Monsieur [V] [U] / STARWOOD CAPITAL lui proposant des "architectural services for the new Baccarat Hotel Amilcar in [Localité 9]" (offre pour des services architecturaux pour le nouvel hôtel Baccarat à [Localité 9]). L'offre prévoyait des honoraires pour un montant total de 530.000 euros HT. Ce courrier n'est adressé ni à la société RÉSIDENCE AMILCAR ni à Monsieur [T]. Monsieur [U] ni la société STARWOOD CAPITAL ne sont identifiés. Il est affirmé que ladite société intervenait en qualité d'opérateur hôtelier pour le compte de la société RÉSIDENCE AMILCAR mais ce point n'est prouvé par aucun élément tangible du dossier (et le contrat, non signé, précité, évoque "l'opérateur hôtelier Baccarat" - caractères gras dans le texte). Il n'est en outre et en tout état de cause pas justifié de l'envoi de ce courrier ni, a fortiori, de sa réception par son destinataire.

Le contrat de maîtrise d''uvre architecturale daté du 20 mai 2011 mentionne la société KILO en qualité de maître d''uvre, représentée par Monsieur [I] [R], et la société RÉSIDENCE AMILCAR en qualité de maître d'ouvrage, représentée par Monsieur [T], ce dernier étant présenté comme étant le président de son conseil d'administration (qualité qui n'est pas établie). Ce contrat n'a été signé ni par l'architecte, ni par le maître d'ouvrage.

La société [R]+[Y] affirme avoir été missionnée en qualité d'architecte par l'un des "représentants légaux" de la société RÉSIDENCE AMILCAR, sans aucunement le démontrer.

Il n'est justifié de l'envoi des éléments graphiques du projet d'hôtel, établis par la société KILO/[R]+[Y], à destination de la société RÉSIDENCE AMILCAR ou de Monsieur [T]. Il n'est a fortiori pas démontré que ceux-ci les aient effectivement reçus.

La société [R]+[Y] affirme que ses prestations n'ont bénéficié qu'à la société RÉSIDENCE AMILCAR, s'agissant de la rénovation et de l'extension de l'hôtel accueillant son propre siège social. Ses documents graphiques évoquent cependant un "projet de rénovation et extension d'un complexe hôtelier à [Localité 5] - [Localité 8]", et plus particulièrement d'un hôtel Baccarat.

La société KILO/[R]+[Y] a dressé ses factures du 27 juillet 2011 au nom de la société RÉSIDENCE AMILCAR et de Monsieur [T]. Il n'est pas justifié de l'envoi - ni a fortiori de la réception - de ces factures par l'un ou l'autre de leurs destinataires.

La société [R]+[Y] verse aux débats les copies de quatre lettres de change, peu lisibles, datées du 27 octobre 2011 et mentionnant le "VILLAGE Méditerranée" en qualité de cédant et de tiré (sur un compte ouvert auprès de l'agence centrale de la BNP), au bénéfice de la société KILO ARCHITECTURES, chacune des lettres étant émise pour un montant de 25.000 euros (soit une somme totale de 100.000 euros). Aucune de ces lettres ne mentionne le projet d'hôtel Amilcar, ou Baccarat, ni la société RÉSIDENCE AMILCAR.

Par un courriel du 22 novembre 2011, Monsieur [T] indique qu'il va "faire en sorte de transformer la 1ère traite en virement immédiat et d'inclure celle du 30 novembre". Aucune référence n'est faite à la société RÉSIDENCE AMILCAR ou au projet d'hôtel en Tunisie.

La BNP PARIBAS a les 22 et 29 décembre 2011 adressé des "avis de sort" à la société KILO, indiquant que "l'encaissement" de deux des lettres de changes précitées était "non payé à ce jour", ajoutant que "LE TIRÉ AVISÉ À MAINTES REPRISES NE S'EST PAS MANIFESTÉ ET N'A DONNÉ AUCUNE SUITE [aux diverses convocations de la banque]" (caractères majuscules du texte). Monsieur [R] a le 3 janvier 2012 adressé un courriel à Monsieur [T], lui demandant de s'occuper "du virement des honoraires, comme convenu", joignant à celui-ci le courrier de rejet des traites par la banque. Alors que les lettres de change n'évoquaient pas le projet d'hôtel de la société RÉSIDENCE AMILCAR, le courrier de la banque ni le courriel de l'architecte ne le mentionnent non plus.

Monsieur [T] a ensuite signé un "ORDRE DE TRANSFERT" de 50.000 euros au profit de la société KILO, faisant référence à une facture jointe, laquelle n'est pas identifiée et n'est pas communiquée à la Cour. La mauvaise copie de ce document ne laisse pas apparaître de date, laquelle figure vraisemblablement sur le cachet, illisible, qui y est apposé. La société [R]+[Y] affirme que le document a été émis le 18 février 2018. Là encore, aucun élément de ce document ne permet de le rattacher au projet d'hôtel en cause ni à la société RÉSIDENCE AMILCAR.

La BNP PARIBAS a les 13, 15 et 27 février et 14 mars 2012 adressé à la société KILO/[R]+[Y] de nouveaux "avis de sort" faisant état du non encaissement des quatre lettres de change précitées.

Un chèque de 50.000 euros a été émis le 22 avril 2012 à l'ordre de la société KILO, tiré sur le compte de Madame [H] [S] ouvert à la Banque Postale. Celle-ci a le 14 mai 2012 adressé à la BNP PARIBAS un avis de rejet "pour le motif chèque irrégulier - signature non conforme (31)". Aucun élément du dossier ne permet d'identifier Madame [S] ni aucun lien de celle-ci avec Monsieur [T] ou la société RÉSIDENCE AMILCAR.

Dans un courriel du 30 juillet 2013, Monsieur [T] évoque sa sortie de clinique, une absence de paiement à son profit par "[W] [X]" et termine en ces termes "Nous réglerons le problème très vite". Aucun élément de ce message ne permet d'identifier le "problème" en cause et de le rapprocher du projet d'hôtel ni de la société RÉSIDENCE AMILCAR.

La société [R]+[Y], professionnelle, ne s'est à aucun moment interrogée sur le pouvoir de Monsieur [T] pour représenter la société RÉSIDENCE AMILCAR, alors même que le contrat dont elle se prévaut présentait pour elle un enjeu important de 530.000 euros. Elle verse pourtant elle-même les statuts de la société RÉSIDENCE AMILCAR, dont l'article 21 prévoit que "tous les actes et opérations décidés ou autorisés par le Conseil ainsi que tous les actes engageant la Société doivent porter la signature soit du Directeur Général ou de l'Administrateur en remplissant provisoirement les fonctions, soit du Directeur Général Adjoint, soit encore de deux Administrateurs, soit enfin d'un mandataire général ou spécial désigné par le Conseil".

L'examen de l'ensemble de ces éléments laisse apparaître que Monsieur [T] ne s'est adressé à la société KILO/[R]+[Y] qu'en son nom propre (ou à partir de son adresse e-mail personnelle) sans jamais mentionner la société RÉSIDENCE AMILCAR ni sa position au sein de cette société, et sans pouvoir en conséquence engager celle-ci. Ces éléments sont en outre insuffisants pour établir la réalité d'un lien entre les échanges de l'architecte et de Monsieur [T], d'une part, avec le projet d'hôtel en Tunisie ou la société RÉSIDENCE AMILCAR, d'autre part, et encore moins d'un mandat apparent de Monsieur [T] pour représenter le maître d'ouvrage pour une telle opération. Les pièces versées aux débats ne démontrent pas que l'intéressé se serait présenté comme tel.

Aucun des actes émanant de Monsieur [T] n'établit une reconnaissance de dette en lien avec le projet de construction de l'hôtel Amilcar, ou Baccarat, en Tunisie. Aucun de ces actes n'a pu interrompre la prescription de l'action en paiement de la société [R]+[Y] après les mois de juin, juillet ou septembre 2011.

Sur la prescription

Faute d'interruption, la prescription quinquennale de l'action en paiement de la société [R]+[Y], courant depuis les mois de juin ou juillet 2011, et au plus tard le mois de septembre 2011, était acquise lorsque l'architecte a par actes du 27 octobre 2016, remis au Parquet du tribunal de grande instance de Paris pour signification ou notification à l'étranger, assigné la RÉSIDENCE AMILCAR et Monsieur [T] en paiement.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a reçu la société [R]+[Y] en ses demandes, les a examinées au fond et a condamné la société RÉSIDENCE AMILCAR à paiement à son profit, rejetant les demandes formulées contre Monsieur [T].

Statuant à nouveau, la Cour dira irrecevables, pour cause de prescription, les actions en paiement de la société [R]+[Y] tant à l'encontre de la société RÉSIDENCE AMILCAR qu'à l'encontre de Monsieur [T].

Il n'y a donc pas lieu d'examiner ces demandes en paiement au fond.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société [R]+[Y]

Les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts de la société [R]+[Y], celle-ci ne justifiant pas d'un préjudice distinct de celui né du retard de paiement.

La société [R]+[Y] fait valoir une résistance abusive à paiement de la société RÉSIDENCE AMILCAR et de "son Président d'alors, Monsieur [T]", et réclame leur condamnation au paiement de 10.000 euros au titre de son préjudice.

La société RÉSIDENCE AMILCAR ne conclut pas de ce chef.

Sur ce,

Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 du code civil).

La société [R]+[Y] étant prescrite en son action en paiement engagée à l'encontre de la société RÉSIDENCE AMILCAR et de Monsieur [T], elle n'établit aucune résistance abusive à paiement de leur part, ni, d'ailleurs, d'aucun préjudice lié à une telle résistance.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société [R]+[Y] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à l'infirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de la société RÉSIDENCE AMILCAR.

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement, la Cour condamnera la société [R]+[Y], qui succombe en ses prétentions, prescrites (et absolument pas fondées si on était allé au fond), aux dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Tenue aux dépens, la société [R]+[Y] sera condamnée à payer la somme équitable de 5.000 euros à la société RÉSIDENCE AMILCAR en indemnisation des frais exposés en première instance et en cause d'appel et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La COUR,

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 mars 2018 (RG n°16/17341),

Vu l'article 122 du code de procédure civile,

Vu les articles 2224 et 2245 du code civil,

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions SAUF en ce qu'il a débouté la SARL [R]+[Y] de sa demande de dommages et intérêts présentée contre la SA de droit tunisien RÉSIDENCE AMILCAR et Monsieur [K] [T],

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement,

DIT la SARL [R]+[Y] irrecevable en ses demandes en paiement présentées contre la SA de droit tunisien RÉSIDENCE AMILCAR et Monsieur [K] [T], prescrites,

DIT n'y avoir en conséquence lieu à examen au fond de ces demandes en paiements,

CONDAMNE la SARL [R]+[Y] aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la SARL [R]+[Y] à payer la somme de 5.000 euros à la SA de droit tunisien RÉSIDENCE AMILCAR en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 18/20372
Date de la décision : 05/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-05;18.20372 ?
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