REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 7
ARRET DU 19 AVRIL 2023
(n° 11/2023, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05494 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFO73
Décision déférée à la cour : Jugement du 2 Mars 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J.EXPRO, JCP de Paris RG n° 20/08414
APPELANT
Monsieur [T] [M]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représenté et assisté par Maître Luc BROSSOLLET de la SCP D'ANTIN BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P336, avocat postulant et plaidant
INTIMES
Monsieur [B] [E]
[Adresse 1]
[Localité 6]
né le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 8]
Représenté et assisté par Maître Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
Madame [R] [C]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Maître Vincent TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS, toque : A859, avocat postulant et plaidant
S.A.S. SOCIÉTÉ DU FIGARO
[Adresse 1]
[Localité 6]
N° SIRET : 542 077 755
Représentée et assistée par Maître Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Anne CHAPLY, assesseur
un rapport a été présenté à l'audience par Mme CHAPLY dans les conditions prévues par les articles 804 et 805 du code de procédure civile.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Jean-Michel AUBAC, président
Mme Anne RIVIERE, assesseur
Mme Anne CHAPLY, assesseur
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Jean-Michel AUBAC, président, et par Margaux MORA, greffier, présente lors de la mise à disposition.
Vu l'assignation délivrée, à la demande de [T] [M], le 4'août 2020, à [B] [E], en sa qualité de directeur de publication du quotidien «'Le Figaro'» et à la SOCIÉTÉ DU FIGARO, éditrice du journal, et le 19'août 2020, à [R] [C], qui sollicite, au visa des articles'23, 29 alinéa 1°, 32 alinéa 1 de la loi du 29'juillet 1881':
Aux termes de cette assignation, il est demandé à la cour,
- de déclarer [B] [E], en qualité d'auteur et [R] [C], en qualité de complice, coupables du délit de diffamation publique à l'encontre de [T] [M] à raison de la publication des propos suivants figurant dans l'article paru dans l'édition du 19'février 2020 intitulé «'[T] [M], itinéraire d'un enfant gâté devenu activiste sans scrupule'»':
«' «'Il a travaillé quelques mois avec moi, indique la socialiste [R] [C] au Figaro. Il était jeune et recommandé par [O] [J], l'ancien directeur de sciences-po. Ensuite, il a exigé d'être mon directeur de cabinet lorsque je suis devenue ministre. Là, j'ai cru qu'il blaguait., Mais quand j'ai refusé, il a vrillé totalement, affirmant avoir enregistré nos conversations - alors même qu'il était mon salarié ' et surtout, plaidant l'idée que j'avais sacrifié mes idéaux, et lui-même, pour devenir ministre...'» «'Il est dangereux, ajoute-t-elle, intelligent et habile'». Après l'affaire [D], elle se dit «'effarée mais pas étonnée'»'»,
- de dire et juger la SOCIÉTÉ DU FIGARO, en sa qualité d'éditrice du quotidien «'Le Figaro'», civilement responsable du directeur de la publication,
- en réparation du préjudice moral subi par [T] [M], de condamner in solidum [B] [E], la SOCIÉTÉ DU FIGARO et [R] [C] à payer à [T] [M] un euro à titre'de dommages et intérêts,
- de déclarer [B] [E], en qualité d'auteur, coupable du délit de diffamation publique à l'encontre de [T] [M] à raison de la publication des propos suivants figurant dans l'article paru dans l'édition du. 19'février 2020 intitulé «'[T] [M], itinéraire d'un enfant gâté devenu activiste sans scrupule'»':
«'Un diplomate qui l'a croisé au Quai d'Orsay après l'expérience [C], s'amuse de sa «'mythomanie'», de sa propension. à «'gonfler'» toutes les fonctions qu'il a pu occuper': «'On l'entendait se vanter d'avoir été l'assistant du procureur de la cour pénale, internationale alors qu'il y avait fait un stage au service de la communication...'» «En même temps, raconte-t-il, son intelligence était indéniable'»'»,
- de dire et juger la SOCIÉTÉ DU FIGARO, en sa qualité d'éditrice du quotidien «'Le Figaro'», civilement responsable du directeur de la publication,
- en réparation du préjudice moral subi par [T] [M], de condamner in solidum [B] [E] et la SOCIÉTÉ DU FIGARO à payer à [T] [M] un euro à titre de dommages et intérêts,
- d'ordonner, la publication d'un communiqué judiciaire dans le quotidien «'Le Figaro », sous astreinte,
- de condamner in solidum [B] [E], la SOCIÉTÉ DU FIGARO et [R] [C] une somme de 7'000'euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
Vu le jugement contradictoire rendu le 2'mars 2022 par le tribunal judiciaire de Paris qui a':
- débouté [T] [M] de ses demandes,
- condamné [T] [M] à verser à [B] [E] et à la SOCIÉTÉ DU FIGARO la somme globale de mille cinq cents euros (1'500'euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné [T] [M] à verser à [R] [C] la somme de mille cinq cents euros (1'500'euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné [T] [M] aux dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- rappelé que le présent jugement est exécutoire de plein droit nonobstant appel,
Vu l'appel interjeté le 15'mars 2022 par [T] [M],
Vu les conclusions au fond des parties, soit en dernier lieu et en l'état les conclusions transmises le 14'février 2023 par l'appelant et le 15'septembre 2022 pour la société du FIGARO et [B] [E] intimés,
En l'absence de conclusions d'[R] [C],
L'appelant [T] [M] demande à la cour de':
- déclarer recevable l'appel interjeté,
- déclarer [B] [E], en sa qualité de directeur de la Publication du quotidien LE FIGARO, et [R] [C], coupables, respectivement en qualité d'auteur et de complice, du délit de diffamation publique à l'encontre de [T] [M] à raison de la publication des propos suivants, figurant dans l'article paru dans l'édition du 19'février 2020 intitulé «'[T] [M], itinéraire d'un enfant gâté devenu activiste sans scrupule'»':
«'«'Il a travaillé quelques mois avec moi, indique la socialiste [R] [C] au Figaro. Il était jeune et recommandé par [O] [J], l'ancien directeur de sciences-po. Ensuite, il a exigé d'être mon directeur de cabinet lorsque je suis devenue ministre. Là, j'ai cru qu'il blaguait. Mais quand j'ai refusé, il a vrillé totalement, affirmant avoir enregistré nos conversations - alors même qu'il était mon salarié - et surtout, plaidant l'idée que j'avais sacrifié mes idéaux, et lui-même, pour devenir ministre''» «'Il est dangereux, ajoute-t-elle, intelligent et habile'». Après l'affaire [D], elle se dit «'effarée mais pas étonnée'»'».
- dire et juger la SOCIÉTÉ DU FIGARO, en sa qualité d'éditrice du quotidien LE FIGARO, civilement responsable du directeur de la publication,
En réparation du préjudice moral subi par [T] [M] du fait de ce premier passage, condamner in solidum [B] [E], [R] [C] et la SOCIÉTÉ DU FIGARO à payer à [T] [M] un euro à titre de dommages et intérêts,
- déclarer [B] [E], en sa qualité de directeur de la publication du quotidien LE FIGARO, coupable en qualité d'auteur du délit de diffamation publique à l'encontre de [T] [M] à raison de la publication des propos suivants figurant dans l'article paru dans l'édition du 19'février 2020 du quotidien LE FIGARO, intitulé «'[T] [M], itinéraire d'un enfant gâté devenu activiste sans scrupule'»':
«'Un diplomate qui l'a croisé au Quai d'Orsay après l'expérience [C], s'amuse de sa «'mythomanie'», de sa propension à «'gonfler'» toutes les fonctions qu'il a pu occuper. «'On l'entendait se vanter d'avoir été l'assistant du procureur de la cour pénale internationale alors qu'il y avait fait un stage au service de la communication''» «'En même temps, raconte-t-il, son intelligence était indéniable.'» »
- dire et juger la SOCIÉTÉ DU FIGARO, en sa qualité d'éditrice du quotidien LE FIGARO, civilement responsable du directeur de la publication,
- En réparation du préjudice moral subi par [T] [M] du fait de ce second passage, condamner in solidum [B] [E] et la SOCIÉTÉ DU FIGARO à payer à [T] [M] un euro à titre de dommages-intérêts,
- ordonner, sous astreinte de 3'000'euros par jour de retard, dans le quotidien LE FIGARO, la diffusion du communiqué judiciaire suivant':
«'Par arrêt en date du , la Cour d'Appel de Paris a condamné [B] [E], Directeur de la Publication du quotidien LE FIGARO, et [R] [C], pour avoir diffamé [T] [M] dans un article diffusé le 19'février 2020.'»,
- dire et juger que ce communiqué judiciaire devra paraître sans mention ajoutée autre que celle d'un éventuel appel dans les huit jours suivant la signification du jugement à intervenir, dans un encadré occupant sur toute sa largeur la partie supérieure de la page'6 en caractères gras et noirs sur fond blanc de 0,5'cm de hauteur et 0,5'cm de largeur, sous le titre, lui-même en caractères majuscules, rouges et gras, d'un centimètre de hauteur': «'COMMUNIQUÉ JUDICIAIRE À LA DEMANDE DE [T] [M]'»,
- condamner in solidum [B] [E], la SOCIÉTÉ DU FIGARO et [R] [C] à payer à [T] [M] une somme de 7'000'euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner en tous les dépens,
Les intimés [B] [E] et la SOCIÉTÉ DU FIGARO demandent à la cour de':
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter en conséquence [T] [M] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner [T] [M] à payer à [B] [E] et à la SOCIÉTÉ DU FIGARO une somme globale de 5'000'euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- condamner [T] [M] en tous les frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Christophe BIGOT dans les conditions fixées à l'article 699 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance de clôture du 22'février 2023,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Rappel des faits
[T] [M] est avocat.
[R] [C] se présente comme écrivaine et enseignante. Élue députée de la Moselle en 2007, elle est membre de l'équipe de campagne de [G] [X] en vue de l'élection présidentielle de 2012, chargée de la culture, de l'audiovisuel et des médias. Après l'élection, elle devient ministre de la Culture et de la communication.
[B] [E] est le directeur de publication du Figaro, quotidien édité par la SOCIÉTÉ DU FIGARO.
Le 19'février 2020, a paru dans le Figaro, un article intitulé «'[T] [M], itinéraire d'un enfant gâté devenu activiste sans scrupule »'débutant ainsi': «'il est haï méprisé ou détesté pour son soutien à l''action scandaleuse de l'activiste russe, mais il triomphe.
'.. « Il a travaillé quelques mois avec moi, indique la socialiste [R] [C] au Figaro. Il était jeune et recommandé par [O] [J], l'ancien directeur de Sciences Po. Ensuite, il a exigé d'être mon directeur de cabinet lorsque je suis devenue ministre. Là, j'ai cru qu'il blaguait. Mais quand j'ai refusé, il a vrillé totalement, affirmant avoir enregistré nos conversations - alors même qu'il était mon salarié - et surtout, plaidant l'idée que j'avais sacrifié mes idéaux, et lui-même, pour devenir ministre...'» « Il est dangereux, ajoute-t-elle, intelligent et habile'». Après l'affaire [D], elle se dit «'effarée mais pas étonnée'» (premier passage poursuivi).
...'» Un diplomate qui l'a croisé au Quai d'Orsay après l'expérience [C], s'amuse de sa «'mythomanie », de sa propension à «'gonfler'» toutes les fonctions qu'il a pu occuper. «'On l'entendait se vanter d'avoir été l'assistant du procureur de la cour pénale internationale alors qu'il y avait fait un stage au service de la communication...'» « En même temps, raconte-t-il, son intelligence était indéniable.'» » (deuxième passage poursuivi).
Sur le caractère diffamatoire des propos
Il sera rappelé à cet égard que':
- l'article 29, alinéa'1, de la loi du 29'juillet 1881 définit la diffamation comme 'toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé'';
- il doit s'agir d'un fait précis, susceptible de faire l'objet d'un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d'une part, de l'injure caractérisée, selon le deuxième alinéa de l'article 29, par 'toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait',
- et, d'autre part, de l'expression subjective d'une opinion ou d'un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d'un débat d'idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée,
- l'honneur et la considération de la personne ne doivent pas s'apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l'allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises,
- la diffamation, qui peut se présenter sous forme d'allusion ou d'insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s'inscrivent.
Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l'interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l'acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l'imputation formulée par les parties civiles ou celle d'un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d'examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.
En l'espèce, les premiers juges ont justement retenu que le premier passage litigieux ne contenait l'imputation d'aucun fait précis, et qu'il n'était pas diffamatoire.
Ils ont pris soin de relever que le fait de la part de [T] [M] d'affirmer avoir enregistré des conversations à l'insu de son interlocutrice pourrait porter atteinte à l'intimité de la vie privée de cette dernière, mais qu'en l'espèce ces propos litigieux s'analysent plutôt en une simple affirmation suite à la colère de [T] [M] qui se voyait refuser le poste de directeur de cabinet d'[R] [C].
Dans ces conditions, il n'y a pas d'imputation diffamatoire et le jugement entrepris doit être confirmé de ce chef.
S'agissant du second passage, les premiers juges ont justement apprécié que les propos litigieux relèvent de l'expression d'une opinion ou d'un jugement de valeur sur la personnalité même de la partie civile, illustrée par un exemple, en l'espèce son passage à la Cour pénale internationale.
Le jugement entrepris a, de façon pertinente, motivé que «'la morale commune ne réprouve pas le fait de présenter son parcours professionnel de façon artificiellement avantageuse.'»
Ainsi, la décision querellée sera confirmée de ce chef.
Sur les autres demandes
La partie perdante, en l'espèce [T] [M], partie civile, doit être condamnée aux dépens et il y a donc lieu de le condamner à payer la somme de 1'000'euros à [B] [E] et la SOCIÉTÉ DU FIGARO en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Les demandes de [T] [M], appelant qui succombe, seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne [T] [M] au paiement à [B] [E] et la SOCIÉTÉ DU FIGARO de la somme de mille euros (1'000'euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés par Maître Christophe BIGOT, avocat.
Rejette toute autre demande.
LE PRÉSIDENT LE GREFFIER