REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 5
ARRET DU 17 MAI 2023
(n° 94/2023, 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/05571 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYISR
Décision déférée à la Cour : jugement du 25 janvier 2016 - tribunal de commerce de PARIS 04 RG n° 2014016945
APPELANTE
S.A. PARIS-OUEST CONSTRUCTION agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Bernard CHEYSSON, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
S.A. MANUTENTION LEVAGE GRUES A [Localité 6], agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Julien DUPUY, avocat au barreau d'ESSONNE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre
Madame Elise THEVENIN-SCOTT, conseillère
Mme Alexandra PELIER-TETREAU, vice-présidente placée faisant fonction de conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Alexandra Pélier-Tétreau dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Céline RICHARD
ARRET :
- contradictoire.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, délibéré initialement fixé au 26 avril 2023 puis prorogé au 10 mai 2023 et au 17 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Ange Sentucq, présidente de chambre et par Céline Richard, greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Suivant contrat de location n° 2043 du 30 juin 2012, la société Paris Ouest Construction a loué auprès de la société Manutention Levage Grues à [Localité 6] (la société MLGT) une grue BPR GT 441 pour un chantier sis [Adresse 5].
Le prix de location et de services s'établit comme suit :
Location mensuelle de la grue : 3 000 euros HT,
Forfait transport manutention montage : 7 600 euros HT,
Assistance à la réception technique : 290 euros HT,
Transport/Retour portique blocs d'essai : 700 euros HT,
Forfait démontage manutention transport : 7 600 euros HT,
Installation du système de survol : 1 000 euros HT,
Réception technique : 320 euros HT,
Location mensuelle du système : 400 euros HT,
Démontage du système : 250 euros HT.
La location de la grue a débuté le 5 juillet 2012.
La société Paris Ouest Construction n'a pas réglé certaines factures émises par la société MLGT.
Aux termes d'une lettre du 15 octobre 2013, la société Paris Ouest Construction a contesté devoir ces sommes au motif que la grue n'aurait pu être utilisée pendant 3 jours à la demande de la CRAMIF et de l'inspection du travail, la grue aurait été arrêtée pendant 7 jours à la suite d'une intervention du technicien de la société MLGT en février 2013 et des pannes seraient survenues entre le 23 avril et le 3 juillet 2013.
Par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception en date du 20 novembre 2013, le conseil de la société MLGT a mis en demeure la société Paris Ouest Construction de régler les sommes dues.
La société débitrice n'ayant pas déféré à cette demande, la société MLGT a fait assigner la société Paris Ouest Construction par acte du 11 mars 2014 devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement en date du 25 janvier 2016, le tribunal de commerce de Paris a :
- Condamné la SA Paris Ouest Construction à payer à la SA MLGT « Manutention Levage Grues à [Localité 6] » la somme en principal de 34 616,23 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2013, pour la somme de 19 546,63 euros et à compter du 11 mars 2014, pour la somme de 15 069,60 euros ;
- Condamné la SA MLGT « Manutention Levage Grues à [Localité 6] » à payer à la SA Paris Ouest Construction la somme de 4 480 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
- Dit n'y avoir lieu à l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonné l'exécution provisoire ;
- Condamné la SA MLGT « Manutention Levage Grues à [Localité 6] » et la SA Paris Ouest Construction aux dépens chacune pour moitié.
Par déclaration du 2 mars 2016, la société Paris Ouest Construction a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt rendu en date du 19 septembre 2018, la cour d'appel de Paris a :
- Confirmé le jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société Paris Ouest Construction à payer à la société MLGT la somme en principal de 34 616,23 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2013, pour la somme de 19 546,63 euros et à compter du 11 mars 2014, pour la somme de 15 069,60 euros ;
Y ajoutant,
- Dit que l'accord des parties s'est formé sur la base du bon de commande n° 12-727 et de l'avenant n° 1 portant le même numéro 12-727 à l'exclusion du document intitulé contrat de location dont se prévaut la société MLGT et qui n'a pas de force contractuelle ;
- Dit que la clause limitative de responsabilité de la société MLGT contenue dans le contre de location est inapplicable ;
- Dit que la société Paris Ouest Construction est dès lors fondée à obtenir de la société MLGT la réparation de l'intégralité du préjudice que les pannes subis par la grue durant la période de location lui ont causé ;
- Avant-dire droit sur l'établissement final des comptes entre les parties, ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [S] [I].
L'expert a déposé son rapport le 27 mai 2019.
***
Par conclusions notifiées par réseau privé virtuel des avocats le 1er juin 2018, la société Paris Ouest Construction demande à la cour, au visa des articles 1134, 1135, 1147, 1709, 1719 et suivants du code civil, de :
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 25 janvier 2016 en ce qu'il a dit que la société MLGT avait commis des fautes dans l'exercice de son obligation contractuelle,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 25 janvier 2016 en ce qu'il a dit que la société MLGT, en sa qualité de loueur de grue, était tenue à une obligation de sécurité pour le matériel loué,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 25 janvier 2016 en ce qu'il a dit que la clause limitative de responsabilité ne lui est pas opposable,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 25 janvier 2016 en ce qu'il a dit que ces manquements ouvraient droit à réparation du préjudice qu'elle a subi,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 25 janvier 2016 en ce qu'il a débouté la société MLGT de sa demande en paiement de sa facture n°13/06-5489 d'un montant de 1 773,67 euros,
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 25 janvier 2016 en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société MLGT la somme en principal de 34 616,23 euros outre les intérêts au taux légal,
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 25 janvier 2016 en ce qu'il a limité le préjudice qu'elle a subi à la somme de 4 480 euros HT,
Et statuant à nouveau :
- Débouter la société MLGT de son appel incident et toutes fins qu'il contient,
- Condamner la société MLGT à lui payer la somme de 32 016,72 euros HT en réparation de son préjudice,
A titre subsidiaire :
- Ordonner la compensation entre les sommes dues par la société MLGT au titre de la réparation du préjudice qu'elle a supportées et celles qu'elle doit éventuellement,
- Condamner la société MLGT à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société MLGT aux entiers dépens dont distraction opérée conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par réseau privé virtuel des avocats le 18 août 2020, la société Manutention Levage Grues à [Localité 6] (MGLT) demande à la cour de :
- Dire et juger que les immobilisations de la grue louée ne trouvent pas leur origine dans des pannes mécaniques ;
En conséquence,
- Dire et juger que ces immobilisations ne sont génératrices d'aucun préjudice indemnisable pour la société Paris Ouest Construction ;
- Débouter la société Paris Ouest Construction de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamner la société Paris Ouest Construction à lui payer la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Paris Ouest Construction aux entiers dépens.
***
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 29 novembre 2022.
MOTIFS
Exposé des moyens des parties
La société Paris Ouest Construction sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu la responsabilité de la société MLGT dans le préjudice qu'elle a subi et en ce qu'il a admis certains postes de ses préjudices. En revanche, poursuivant l'infirmation du jugement sur le reste, elle énonce que le tribunal, qui a exactement rappelé les multiples fautes et défaillances de la société MLGT, aurait dû prononcer la réparation de son préjudice sans le limiter au prix de la location de la grue et l'immobilisation du grutier pendant une durée de durée de 11 jours, soit 4 480 euros HT compte tenu de l'absence d'éléments probants permettant d'évaluer le quantum du préjudice subi par elle, alors que l'immobilisation de la grue a en fait duré 19 jours entraînant une interruption du chantier pendant cet arrêt et donc une perte par l'entreprise tant au regard des ressources humaines que matérielles qu'elle évalue à la somme de 32 016,72 euros. Elle ajoute que les conditions générales afférant au contrat imposant au locataire de souscrire une assurance couvrant la perte d'exploitation consécutive à des arrêts de chantier n'ont pas été signées et que, subsidiairement, cette clause limitative de responsabilité des conditions générales anéantit l'objet même du contrat et permet à autoriser l'inexécution d'une obligation essentielle. Concernant les factures dont la société MLGT demandait le paiement, la société Paris Ouest Construction estime que le tribunal aurait dû les rejeter aux motifs d'une part qu'elle n'a pu jouir paisiblement de la grue louée au sens de l'article 1719 du code civil et, d'autre part, que la société MLGT n'a pas respecté son obligation de sécurité, ce qui est corroboré par le jugement correctionnel non contesté et devenu définitif. Elle soutient enfin que la société MLGT a manqué à ses obligations contractuelles concernant le démontage de la grue, dès lors qu'elle est intervenue avec une grue de démontage de 220 tonnes alors que le contrat lui imposait de recourir à une grue de 300 tonnes, cette option ayant donné lieu à une majoration de facturation.
En réplique, la société Manutention Levage Grues à [Localité 6] (MGLT), qui poursuit l'infirmation du jugement sur les manquements retenus à son encontre, soutient qu'aucun des arrêts invoqués par la société Paris Ouest Construction ne sauraient lui être imputés et ouvrir droit à réparation dès lors qu'ils ne constituent pas des pannes au sens littéral du terme et visées par la cour d'appel dans le cadre de son arrêt du 19 septembre 2018. Elle précise ainsi que les incidents allégués par l'appelante n'ont pas entaché le fonctionnement de la grue qui a systématiquement été arrêtée à l'initiative de la locataire. Enfin, elle énonce qu'en l'absence de l'accident mortel survenu le 28 novembre 2012, les désordres avancés auraient été considérés comme résultant de l'utilisation intensive de la grue et elle aurait été sollicitée dans le cadre de son obligation classique de maintenance sans qu'aucun préjudice puisse être allégué eu égard aux diligences du loueur. Concernant le préjudice invoqué par la société Paris Ouest Construction, elle soutient que les coûts salariaux et les frais de location ou entretien des locaux sont des charges fixes de l'entreprise de sorte qu'ils ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation. Enfin, la société MGLT ne répond pas à l'appelante sur les factures impayées dont elle réclamait le paiement devant le tribunal.
Réponse de la cour
Sur la demande de la société Paris Ouest Construction au titre de son préjudice
Sur les fautes de la société MLGT
En application des articles 1134 et 1147 du code civil (en leur version applicable en l'espèce, antérieure au 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations), les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et se résolvent en dommages et intérêts à raison de l'inexécution par le débiteur de son obligation toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En l'espèce, la cour observe que la société MLGT ne conteste pas utilement les fautes retenues par le tribunal à son encontre, mais se borne à, d'une part, énoncer que les arrêts de fonctionnement de la grue ne lui sont pas imputables et, d'autre part, à discuter l'existence d'un préjudice pour l'appelante.
En contrepoint la société Paris Ouest Construction rapporte la preuve de trois manquements de la société MLGT à ses obligations contractuelles, qui sont examinées ci-après :
Sur l'absence de jouissance paisible de la grue louée
Par application de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, notamment d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
En l'espèce, aux termes de la commande passée par la société Paris Oueste Construction en date du 30 mai 2012, la prestation de la société MLGT portait sur le montage, la location, la maintenance de ladite grue pendant la durée du chantier ainsi que son démontage.
Par conséquent, la société MLGT était redevable d'une prestation de louage de chose, définie à l'article 1709 du code civil, laquelle impliquait le respect d'une jouissance paisible de la grue.
Or, force est de constater les défaillances de la grue et les diverses interventions de la société MLGT engendrant à chaque fois un arrêt de la grue et donc une atteinte à sa jouissance paisible.
Ainsi, le 28 novembre 2012, les boulons mal serrés lors du montage de la grue ont nécessité l'intervention d'un technicien. Ce dernier n'ayant pas respecté les règles de sécurité, a laissé échapper une clé d'une hauteur de 5 mètres qui a blessé mortellement un salarié de la société Paris Ouest Construction 'uvrant sur le chantier. La responsabilité de la société MLGT dans cet accident a été reconnue par jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 4 janvier 2016. Il résulte en effet du rapport de vérification du 5 juillet 2012 qu'une défaillance de la grue a entraîné l'intervention d'un technicien de la société MLGT et ce, quatre mois après le montage de la grue. Cet accident illustre le manquement à l'obligation de sécurité qui incombe au loueur de grue, les règles applicables au louage de biens immeubles l'étant également au louage de biens meubles.
De même, entre le 12 et le 17 décembre 2012, en suite de l'accident, la CRAMIF et l'inspection du travail ont exigé la mise en conformité aux normes de sécurité. En outre, l'inspection du travail a également constaté que la circulation nécessaire pour accéder au poste de travail en cabine était dangereuse. Cette défaillance de la société MLGT a interrompu pendant cinq jours l'utilisation de la grue par la société Paris Ouest Construction.
Le 11 février 2013, la société MLGT est intervenue aux fins de réparer le linguet de sécurité du crochet, de retendre les câbles d'arrimage des blocs des lests de base et de réparer l'indicateur de charge en cabine.
Le 23 avril 2013, la société MLGT est intervenue aux fins de remplacer des boulons de tête et de remettre en état le bouton d'urgence.
Le 23 mai 2013, la société MLGT est intervenue aux fins de remplacer des deux moteurs de levage de la grue.
En outre, du 5 au 7 juin 2013, la charge de la grue a chuté en suite d'une défaillance du système de câblage. Cette défaillance a entraîné une intervention de la société MLGT pour la réalisation des réparations immobilisant la grue pendant deux jours. L'intervention du technicien n'a eu lieu que le 7 juin alors que la commande de la société Paris Ouest Construction prévoyait expressément un délai d'intervention pour réparation de la société MLGT inférieur à 4h. Il a résulté de cet arrêt de chantier des coûts supplémentaires liés à l'immobilisation du matériel et du grutier.
Le 3 juillet 2013, une pièce du moteur ayant brûlé, une nouvelle intervention de la société MLGT a été nécessaire afin de procéder à la réparation de ladite pièce.
L'obligation essentielle de montage et démontage confiée par la société PARIS OUEST CONSTRUCTION (qui n'est pas un professionnel) à la société MLGT n'a pas été exécutée conformément aux prévisions contractuelles puisqu'il est bien entendu qu'en demandant le montage et le démontage le client attendait nécessairement que ces opérations soient correctement exécutées.
Ce fonctionnement de la grue, émaillé d'incidents, d'accidents, d'anomalies et de multiples interventions du loueur pour des vérifications et/ou réparations n'a pas permis une utilisation paisible de la chose louée dès lors que la grue en a été immobilisée et donc momentanément inutilisable.
Pour s'exonérer de tout manquement, la société MLGT soutient qu'elle a mis en 'uvre les moyens permettant d'assurer la sécurité de la grue et sa jouissance paisible et produit un rapport de vérification des équipements de travail établi par le Cabinet Kupec & Debergh le 5 juillet 2012, soit avant la mise en service de la grue. Or, ce rapport est un examen complémentaire réalisé avant toute utilisation qui ne saurait décharger son propriétaire de sa responsabilité à l'égard de son locataire.
Par conséquent, dès lors que la société MLGT n'a pas contesté le jugement du tribunal correctionnel établissant qu'elle avait commis une faute en mettant à disposition une grue qui ne respectait pas les prescriptions du code du travail, et plus spécialement les règles de sécurité, de la société MLGT a manqué à son obligation de jouissance paisible du bien loué, obligation essentielle du contrat de location.
Sur le non-respect par la société MLGT de son obligation de sécurité
S'agissant d'une grue, le loueur a une obligation de résultat en matière de sécurité.
La société MLGT considère qu'elle n'a commis aucune faute engageant sa responsabilité au regard de son obligation de sécurité au motif, d'une part, que les conséquences de l'accident mortel font l'objet de procédures distinctes, notamment devant le tribunal correctionnel et, d'autre part, qu'en qualité de professionnelle de la location de grue, il appartient au constructeur de garantir la sécurité de la grue.
Or, tant au moment du montage de la grue que lors de sa maintenance, il est valablement prouvé que la société MLGT a manqué à l'obligation de sécurité qui lui incombait par les éléments ci-dessous rapportés :
- Absence de réalisation d'un contrôle de mise en service de la grue sur le chantier par un bureau de contrôle agréé,
- Accident mortel d'un salarié de la société Paris Ouest Construction du fait de la chute d'une clé non sécurisée lors de l'intervention d'un réparateur de la société MLGT,
- Interruptions du chantier notamment au titre des vérifications et contrôles de la CRAMIF et de l'inspection du travail ayant relevé de multiples non-conformités,
- Défaillance d'un linguet de sécurité, de l'indicateur de charge en cabine,
- Défaut sur les câbles d'arrimage des blocs de lest,
- Remplacement des boulons de tête,
- Remise en état du bouton d'urgence,
- Remplacement des deux moteurs de levage,
- Réparation d'une pièce moteur,
- Utilisation d'une grue de démontage pour la grue principale non conforme à celle contractuellement prévue.
A ce titre, le tribunal correctionnel, définitif à l'égard de l'intimée, relève trois manquements de la société MLGT qui caractérisent la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ainsi que la faute caractérisée en sa qualité d'entreprise extérieure, en particulier en ce qu'elle n'a pas évalué 'les risques présentés par ces travaux de maintenance notamment le risque de chute de grande hauteur'. Le tribunal correctionnel a également caractérisé la faute de la société MLGT en relevant qu'outre les opérations régulières de maintenance qui sont programmées tous les mois, 'des pannes se sont produites à 6 reprises entre le 22 août 2012 et le 12 décembre 2012".
Sur le manquement aux obligations contractuelles liées au démontage de la grue
Concernant le démontage de la grue, les manquements contractuels sont également établis.
Par télécopie en date du 1er août 2013, la société MLGT a soumis à la société Paris Ouest Construction les diverses propositions de démontage de la grue.
Le choix de la société Paris Ouest Construction s'est porté sur l'option n°2 qui prévoyait le démontage à l'aide d'une grue de 300 tonnes, pour un surcoût de 12 400 euros HT par rapport au contrat initial, soit un prix total de 20 000 euros HT.
Or, il est constant que les moyens mis en 'uvre n'ont pas été ceux prévus contractuellement, dès lors que la société MLGT est intervenue pour le démontage sur le chantier avec une grue de 220 tonnes au lieu de celle de 300 tonnes.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le jugement doit être confirmé, par substitution de motifs, en ce que les premiers juges ont retenu des fautes graves de la société MLGT sur le chantier de la rue Didot.
Sur le montant du préjudice
Le principe de réparation intégrale résultant de l'article 1149 du code civil, applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, qui implique que la réparation ne doit entraîner ni appauvrissement, ni enrichissement de la victime, oblige à placer celui qui a subi un dommage dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu, ce qui a pour conséquence de prendre en considération, outre les préjudices matériels, les préjudices consécutifs, à savoir les dommages immatériels.
L'indemnisation doit par conséquent être cantonnée aux seules prestations nécessaires pour parvenir à la réparation de l'entier préjudice. Ainsi, ne peut être indemnisé de manière intégrale que le préjudice direct et certain.
Le trouble de jouissance, non strictement défini par les textes, désigne l'impossibilité d'utiliser un bien, les pertes de loyers ou les pertes d'exploitation pouvant en résulter, ou encore la dépréciation d'un bien consécutive aux réparations d'un dommage.
En l'espèce, le loueur doit assumer la responsabilité du dommage résultant d'une mauvaise exécution du contrat de location lorsqu'il prévoit le montage et le démontage de la grue par le loueur sur le chantier du locataire. Le loueur doit ainsi répondre de l'interruption du chantier pendant plusieurs jours.
Il résulte en outre du rapport d'expertise ordonné avant-dire droit sur l'établissement final des comptes entre les parties, déposé le 27 mai 2019, que les frais consécutifs aux arrêts - évalués à une durée totale de 48 heures et 30 mn - sont des frais de personnels et de chantier comprenant les coûts salariaux de l'encadrement, la location des cantonnements, la location de l'installation électrique provisoire, l'entretien des locaux et les abonnements sanitaires et fontaines d'eau.
La société Paris Ouest Construction établit que les fautes de la société MLGT ont entraîné un arrêt de chantier et une désorganisation pour une période de 19 jours correspondant à l'immobilisation de la grue, alors que seule la phase de gros-'uvre était en cours et que tous les frais fixes suivants avaient continué à être exposés à perte par l'entreprise, tant en termes de ressources humaines que de ressources matérielles.
Les arrêts et le préjudice en résultant s'analysent comme suit :
Du 12 au 17 décembre 2012 (5 jours) : arrêt en suite de la mise en sécurité de la grue en suite des demandes de la CRAMIF et de l'inspection du travail
- Location de la grue : 3 400 euros HT par mois, soit 113 euros par jour = 113 x 5 jours d'immobilisation = 565 euros
- Immobilisation du grutier : 38 heures x 47,37 euros de l'heure = 1 800,06 euros
- Immobilisation du matériel pour 5 jours (dépôt, location escaliers de chantier, passerelle, garde-corps, coffrage et plancher) : 2 965,60 euros
- Pompage du béton : 24m3 x 7,50 par m3 = 180 euros
- Utilisation d'un camion pompe : 1 journée à 400 euros = 400 euros
- Une journée de travail d'un conducteur de travaux : 310,21 euros par jour pour le samedi 15 décembre 2015
Total : 6 220,87 euros.
Du 11.02.2013 au 20.02.2013 (7 jours) : arrêt en suite de l'intervention d'un technicien de la société MLGT le 11.02.2013 sans ordre de remise en service
- Location de la grue : 113 euros par jour x 7 jours d'immobilisation : 791 euros
- Immobilisation du grutier : 53,4 heures x 28,57 euros de l'heure = 1 525,64 euros
- Immobilisation du matériel pour 7 jours (dépôt, location escaliers de chantier, passerelle, garde-corps, coffrage et plancher) : 4 147,91 euros
Total : 6 464,55 euros.
Le 23 avril 2013 (1 jour) : arrêt en suite du remplacement des boulons de tête et remise en état du bouton d'arrêt d'urgence
- Location de la grue : 113 euros par jour x 1 jour d'immobilisation = 113 euros
- Immobilisation du grutier : 7,7 heures x 30,28 euros de l'heure = 233,16 euros
- Immobilisation du matériel pour 1 journée (dépôt, location escaliers de chantier, passerelle, garde-corps, coffrage et plancher) : 592,56 euros
Total : 938,72 euros.
Du 23 mai 2013 au 24 mai 2013 (2 jours): arrêt en suite du remplacement des deux moteurs de levage
- Location de la grue : 113 euros par jour x 2 jours d'immobilisation = 226 euros
- Immobilisation du grutier : 15,4 heures x 34,50 euros de l'heure = 531,30 euros
- Immobilisation du matériel pour 2 jours (dépôt, location escaliers de chantier, passerelle, garde-corps, coffrage et plancher) : 1 185,10 euros
Total : 1 942,40 euros.
Le 30 mai 2013 (1 jour) : arrêt en suite du remplacement d'un boulon sectionné
- Location de la grue : 113 euros par jour x 1 jour d'immobilisation = 113 euros
- Immobilisation du grutier : 7,7 heures x 34,50 euros de l'heure = 265,65 euros
- Immobilisation du matériel pour 1 journée (dépôt, location escaliers de chantier, passerelle, garde-corps, coffrage et plancher) : 592,56 euros
Total : 971,21 euros.
Du 5 juin 2013 au 7juin 2013 (2 jours) : arrêt en suite de la chute du chariot en charge
- Location de la grue : 113 euros par jour x 2 jours d'immobilisation = 226 euros
- Immobilisation du grutier : 15,4 heures x 25,94 euros de l'heure = 399,52 euros
- Immobilisation du matériel pour 2 jours (dépôt, location escaliers de chantier, passerelle, garde-corps, coffrage et plancher) : 1 185,10 euros
Total : 1 810,62 euros.
Le 3 juillet 2013 (1 jour) : arrêt en suite d'une pièce du moteur de la grue brulé
- Location de la grue : 113 euros par jour x 1 jour d'immobilisation = 113 euros
- Immobilisation du grutier : 7,7 heures x 30,76 euros de l'heure = 236,82 euros
- Immobilisation du matériel pour 1 journée (dépôt, location escaliers de chantier, passerelle, garde-corps, coffrage et plancher) : 592,56 euros
Total : 942,37 euros
Décalage du délai global d'une semaine (frais de chantier et encadrement)
La société Paris Ouest Construction soutient que, compte tenu des multiples pannes et défaillances, le chantier a été interrompu à de nombreuses reprises, ces interruptions ayant entraîné un décalage d'une semaine pour lequel les frais de chantier et d'encadrement s'élèvent à la somme totale de 14 536,60 euros.
La cour relève que l'expert a fixé le montant de ce décalage, improprement qualifié de 'pénalités' aux termes de son rapport, à la somme de 8 323 euros, qu'il conviendra de retenir.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préjudice de l'appelante trouvant sa cause dans les fautes commises par la société MLGT s'établit à la somme totale de 27'613,74 euros HT (6 220,87 + 6 464,55 + 938,72 + 1 942,40 + 971,21 + 1 810,62 + 942,37 + 8 323).
Aussi, convient-il d'infirmer le jugement en ce qu'il a limité le montant du préjudice de la société Paris Ouest Construction à la somme de 4 480 euros HT et de condamner la société MLGT à lui payer une indemnité d'un montant de 27'613,74 euros.
Sur l'absence d'exonération de responsabilité
Pour s'exonérer de toute responsabilité, la société MLGT oppose le contrat de location du 30 juin 2012, ainsi que les conditions générales afférentes, et retient que les locataires s'obligeaient à 'souscrire une assurance couvrant la perte d'exploitation consécutive à des arrêts de chantier car en aucun cas la société MLGT ne pourra prendre en compte une indemnisation ou pénalité du fait de l'arrêt de la grue'.
Or, il est rappelé que la cour d'appel, dans son arrêt du 19 septembre 2018, a d'une part dit que l'accord des parties s'était formé sur la base du bon de commande n° 12-727 et de l'avenant n° 1 portant le même numéro 12-727 à l'exclusion du document intitulé contrat de location dont se prévaut la société MLGT et qui n'a pas de force contractuelle et, d'autre part, dit que la clause limitative de responsabilité de la société MLGT contenue dans le contre de location était inapplicable.
Il s'ensuit que ces points sont définitivement tranchés, de sorte que les parties ne sont plus en droit de les discuter et de solliciter une infirmation à ce titre et que la cour, dans sa présente composition, n'en est pas saisie.
Sur le montant des factures réclamées par la société MLGT
Il est observé que la société Paris Ouest Construction ne conteste pas l'absence de paiement desdites factures, se bornant à soutenir qu'elle a été privée d'une jouissance paisible de la grue et que les divers incidents, défaillances et pannes survenus au long de la location justifient que ces factures ne soient pas acquittées.
Or, comme il a été examiné supra, l'appelante a été indemnisée de ses griefs à l'encontre de la société MLGT et doit par conséquent payer le solde des factures demeuré impayé au profit de son créancier.
En tout état de cause, ce point a été définitivement tranché par la cour d'appel dans son arrêt du 19 septembre 2018 en ce qu'elle a condamné la société Paris Ouest Construction à payer à la société MLGT la somme en principal de 34 616,23 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2013, pour la somme de 19 546,63 euros et à compter du 11 mars 2014, pour la somme de 15 069,60 euros.
Il s'ensuit que ce point est définitivement tranché, de sorte que les parties ne sont plus en droit de le discuter et de solliciter une infirmation à ce titre et que la cour, dans sa présente composition, n'en est pas saisie.
Sur les demandes accessoires
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société MLGT, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel.
Enfin, la société MLGT sera condamnée à payer à la société Paris Ouest Construction la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens et prévus à l'article 700 du code de procédure civile, exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société MLGT « Manutention Levage Grues à [Localité 6] » à payer à la société Paris Ouest Construction la somme de 4 480 euros à titre de dommages et intérêts ;
Le confirme pour le surplus de ses dispositions frappées d'appel ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société MLGT « Manutention Levage Grues à [Localité 6] » à payer à la société Paris Ouest Construction la somme de 27'613,74 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne la société MLGT « Manutention Levage Grues à [Localité 6] » aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société MLGT « Manutention Levage Grues à [Localité 6] » à payer à la société Paris Ouest Construction la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens et prévus à l'article 700 du code de procédure civile, exposés en cause d'appel.
La greffière, La présidente,