REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRET DU 19 JUIN 2024
(n°083/2024, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/17160 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGQDX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Février 2022 -Tribunal Judiciaire de PARIS 3ème chambre - 3ème section - RG n° 21/01862
APPELANTE
S.A.S. ADEVA
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 479 514 093
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Marie-Laure BOUZE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0613
Assistée de Me Sébastien DRILLON, avocat au barreau de STRASBOURG,
INTIMEE
S.A.S. E.ZICOM
Société au capital de 230 000 euros
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CRETEIL sous le numéro 523 491 066
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Delphine CHLEWICKI HAZOUT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0361
Assistée de Me Eva ABECASSIS du cabinet ABCR AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque E402 substituant Me Delphine CHLEWICKI HAZOUT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0361
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, Conseillère
Mme Déborah BOHEE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Déborah BOHEE, conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par jugement du 16 octobre 2020, signifié le 13 novembre, la société Adeva, qui commercialise des aspirateurs sous la marque H. Koenig, s'est vu interdire, à la demande de la société E.zicom, d'utiliser « le signe 'easyclean' dans la vie des affaires, pour commercialiser et promouvoir des aspirateurs », et ce « sous astreinte de 350 euros par jour passé un délai de 8 jours à compter de la signification » du jugement.
Estimant que cette société continuait d'utiliser ledit signe contrefaisant les marques françaises « E.ziclean » et « ezi clean make it easy » dont elle était titulaire, la société E.zicom l'a fait assigner le 27 janvier 2021 en liquidation de l'astreinte.
Par jugement rendu le 08 février 2022, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a:
- rejeté la demande en nullité du constat du 4 juin 2021 ;
- liquidé l'astreinte à une somme de 3 150 euros et condamné la société Adeva à la payer à la société E.zicom ;
- rejeté la demande de liquidation pour le surplus et la demande de nouvelle astreinte ;
- rejeté la demande de la société Adeva pour procédure abusive ;
- condamné la société E.zicom aux dépens et rejeté les demandes des parties formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société ADEVA a interjeté appel de ce jugement le 05 octobre 2022.
Auparavant, la société Adeva avait interjeté appel du jugement principal le 30 novembre 2020 et, suivant arrêt rendu le 25 mars 2022, la cour d'appel de Paris (chambre 5-2) a infirmé le jugement et a débouté la société E.zicom de ses demandes formées à titre principal sur le fondement de la contrefaçon des marques françaises « E.ziclean» n° 3 711 262 et « easyclean make investissement easy » n° 4 481 404 et internationale « E.ziclean» n° 1 333 269.
Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 11 mai 2023, la société Adeva, appelante, demande à la cour de :
Vu les articles 1353 du Code civil, Vu les articles 4, 32-1 et 700 du Code de procédure civile, Vu l'article R. 121-1 et du Code des procédures civiles d'exécution, Vu la jurisprudence citée
- dire et juger l'appel de la société ADEVA recevable et bien fondé,
- débouter la société E.ZICOM de sa demande de liquidation d'astreinte comme non fondée.
En tout état de cause,
- dire et juger que la société ADEVA s'est conformée aux dispositions du jugement du Tribunal judiciaire du 16 octobre 2020.
En conséquence :
- infirmer le jugement du 8 février 2022 en ce qu'il a :
liquidé l'astreinte à une somme de 3.150 euros ;
condamné la société ADEVA à la payer à la société E.ZICOM ;
rejeté la demande de la société ADEVA pour procédure abusive ;
rejeté la demande de la société ADEVA au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Et statuant à nouveau :
- dire et juger que la société E.ZICOM a agi de manière abusive.
- dire et juger que la société ADEVA a subi un préjudice qu'il y a lieu de réparer.
En conséquence,
- condamner la société E.ZICOM à payer à la société ADEVA la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.
- condamner la société E.ZICOM à payer à la société ADEVA la somme de 16.610,44euros au titre des dommages et intérêts subis.
- condamner la société E.ZICOM à payer à la société ADEVA la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la société E.ZICOM aux entiers dépens.
Dans ses uniques conclusions, transmises le 14 mars 2023, la société E.zicom, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :
- juger que le jugement en liquidation de l'astreinte du 8 février 2022 est devenu sans objet et privé de fondement juridique du fait de l'arrêt postérieur de la Cour d'appel de Paris du 25 mars 2022 ;
Sur l'absence de procédure abusive :
- juger que la société Adeva n'a pas exécuté le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 16 octobre 2020 la condamnant au titre de la contrefaçon de marques ;
- juger que la procédure en liquidation de l'astreinte initiée par la société E.Zicom était fondée lors de son introduction en justice le 27 janvier 2021 ;
- juger que la procédure en liquidation de l'astreinte n'était pas abusive ;
En conséquence :
- confirmer le jugement du 8 février 2022 en ce qu'il a rejeté la demande de la société Adeva pour procédure abusive ;
- débouter la société Adeva de sa demande de paiement de 10.000 euros au titre de la prétendue procédure abusive ;
Sur les demandes de dommages et intérêts :
- juger que la société Adeva ne démontre pas l'existence d'un préjudice financier et d'un préjudice d'image ;
En conséquence :
- débouter la société Adeva de ses demandes de dommages et intérêts :
de 16.916,98 euros au titre du préjudice financier ;
de 5.000 euros au titre du préjudice d'image.
En toute hypothèse :
- débouter la société Adeva de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Adeva au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamner la société Adeva aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef du jugement non critiqué
Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du constat du 4 juin 2021 et est donc définitif de ce chef.
Sur les demandes au titre de la liquidation de l'astreinte
La société Adeva soutient que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 mars 2022 prive de fondement le jugement en liquidation d'astreinte du 8 février 2022 en ce que, déboutant la société E.zicom de ses demandes au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, la cour d'appel de Paris a annulé ce qui constitue le fondement du jugement en liquidation d'astreinte du 8 février 2022 ; qu'en tout état de cause, elle s'est conformée au jugement du 16 octobre 2020 lui faisant interdiction de faire usage du signe « Easyclean » dans la vie des affaires pour commercialiser et promouvoir des aspirateurs; que la société E.zicom n'a produit aucun élément démontrant qu'elle aurait poursuivi l'usage du signe « Easyclean » au-delà de la date fixée par le tribunal.
La société E.zicom reconnaît que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 mars 2022, en la déboutant de ses demandes au titre de la contrefaçon, a annulé ce qui constitue le fondement du jugement en liquidation de l'astreinte du 8 février 2022 et ajoute ne pas avoir sollicité l'exécution du jugement du 8 février 2022.
Sur ce, dans la mesure où l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 25 mars 2022 a infirmé partiellement le jugement rendu le 16 octobre 2020 et a débouté la société E.zicom de ses demandes formées à titre principal sur le fondement de la contrefaçon des marques françaises « E.ziclean » n°3 71 262, « easy clean make investissement easy » n° 4 481 404 et internationale « E.ziclean » n° 1 333 269 et, à titre subsidiaire, au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, il convient d'infirmer le jugement rendu sur la base de cette décision du 16 octobre 2020 en ce qu'il a liquidé l'astreinte à la somme de 3.150 euros et condamné la société Adeva à payer cette somme à la société E.zicom et de le confirmer en ce qu'il a rejeté la demande de nouvelle astreinte.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formulée par la société Adeva
La société Adeva soutient que la procédure en liquidation d'astreinte intentée par son adversaire était abusive, cette dernière n'ayant pas jugé opportun d'attendre le résultat de la procédure d'appel et l'ayant assignée le 27 janvier 2021 en liquidation d'astreinte dans le seul but de faire pression sur elle de façon totalement injustifiée et alors qu'elle ne démontrait pas qu'elle n'avait pas exécuté le jugement; qu'en conséquence la société E.zicom doit à présent supporter seule les conséquences d'une procédure en liquidation d'astreinte abusive et être condamnée au paiement de 10 000 euros.
La société E.zicom rappelle qu'elle était parfaitement en droit de solliciter l'exécution d'une décision de justice revêtue de l'exécution provisoire que son adversaire n'avait pas respectée, qu'en tout état de cause le caractère abusif de la procédure n'a jamais été démontré et que le fait d'agir « à ses risques et périls » ne permet pas de qualifier une procédure d'abusive, et ce alors qu'elle a toujours essayé de privilégier un règlement amiable avant d'engager une procédure judiciaire ; que la société Adeva ne s'est pas conformée aux termes du jugement du 16 octobre 2020, ainsi qu'il résulte de plusieurs constats d'huissier et captures d'écran prouvant qu'elle a continué à utiliser le signe litigieux postérieurement au 21 novembre 2020 sur son site internet et sur celui de ses distributeurs, la contraignant à agir.
Elle ajoute que la société Adeva avait la possibilité de saisir le premier président de la cour d'appel conformément aux dispositions de l'article 524 du code de procédure civile pour obtenir la suspension de l'exécution provisoire, ce qu'elle n'a pas fait.
Sur ce, indépendamment du débat relatif à l'exécution forcée d'une décision de justice aux risques du créancier qui sera examiné ultérieurement, la cour rappelle 1que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que le fait d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus. Or, la société Adeva ne démontre pas la faute commise par la société E.zicom qui aurait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, l'intéressée, qui disposait d'un titre exécutoire lorsqu'elle a fait délivrer, le 27 janvier 2021, l'assignation en liquidation de l'astreinte, ayant pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, la cour relevant en outre que la société E.zicom n'a jamais sollicité l'exécution du jugement dont appel de condamnation au paiement de l'astreinte.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Adeva de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Adeva fondée sur l'exécution forcée du jugement infirmé
La société Adeva rappelle que celui qui entreprend l'exécution d'une décision réformée se doit d'indemniser le préjudice causé en conséquence, et soutient avoir subi un préjudice financier lié au fait qu'elle a dû engager des frais pour supprimer la mention « Easy Clean » et modifier sa communication sur les aspirateurs qu'elle vend en la remplaçant par les termes « Power clean», préjudice évalué à hauteur de 11.610,44 euros. Elle se prévaut également d'un préjudice d'image auprès de ses clients dont elle sollicite la réparation par l'allocation d'une somme de 5 000 euros.
La société E.zicom répond que la société Adeva ne prouve nullement l'existence de son préjudice financier et que les seules pièces produites correspondent à trois factures peu probantes, ces factures ne mentionnant nullement des prestations correspondant au retrait du sigle « Easyclean ». Elle ajoute, s'agissant du préjudice d'image, que la pièce produite au soutien de cette allégation, à savoir des échanges d'emails de la société Adeva auprès de ses clients, ne la démontre pas en ce qu'elle ne précise pas que cette modification résulte d'une condamnation.
Selon l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution, « sous réserve des dispositions de l'article L.311-4, l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire à titre provisoire. L'exécution est poursuivie aux risques du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié ».
Ainsi, l'exécution d'une décision exécutoire à titre provisoire n'a lieu qu'aux risques de celui qui la poursuit, à charge par lui, si le titre est ultérieurement modifié, d'en réparer les conséquences dommageables.
Sur ce, ensuite du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 16 octobre 2020 assorti de l'exécution provisoire dont l'exécution a été poursuivie par la société E.zicom, la société Adeva a été contrainte de cesser d'utiliser le signe « easyclean » dans la vie des affaires et notamment dans ses catalogues et site internet, outre qu'elle a dû faire des démarches auprès de ses fournisseurs, les informant de la décision du tribunal, pour qu'il soit également mis fin à cet usage par eux.
Elle a ainsi subi à ce titre un préjudice financier, qui ne peut cependant être réparé à hauteur du montant totale des factures produites, faute de précisions quant aux détails des prestations en cause, et qui sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 4.000€, ainsi qu'un préjudice d'image, justement réparé par l'octroi d'une somme de 3.000€.
Il convient en conséquence de condamner la société E.zicom à verser à la société Adeva une somme de 7.000€, suite à l'exécution forcée des dispositions du jugement du 16 octobre 2020 qui ont été infirmées.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société E.zicom, succombant, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les frais irrépétibles de première instance étant infirmées.
Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner la société E.zicom à verser à la société Adeva une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :
- liquidé l'astreinte à une somme de 3 150 euros et condamné la société Adeva à la payer à la société E.zicom ;
- rejeté la demande de la société Adeva au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme de ces chefs,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la demande de liquidation d'astreinte présentée par la société E.zicom,
Condamne la société E.zicom à verser à la société Adeva une somme de 7.000€ au titre des préjudices subis suite à l'exécution forcée des dispositions du jugement du 16 octobre 2020,
Condamne la société E.zicom aux dépens d'appel,
Condamne la société E.zicom à verser à la société Adeva une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE