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24/07/2024 | FRANCE | N°23/11709

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 24 juillet 2024, 23/11709


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 24 JUILLET 2024



(n°51, 15 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 23/11709 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH43E



Décision déférée : Ordonnance rendue le 08 juin 2023 par le Juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de PARIS





Nature de la décision : Contradictoire
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Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article L621-12 du Code M...

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 24 JUILLET 2024

(n°51, 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 23/11709 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH43E

Décision déférée : Ordonnance rendue le 08 juin 2023 par le Juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de PARIS

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article L621-12 du Code Monétaire et Financier ;

Assisté de Mme Véronique COUVET, Greffier présent lors des débats et de la mise à disposition ;

MINISTERE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Monsieur Stephen ALMASEANU, substitut général ;

Après avoir appelé à l'audience publique du 03 avril 2024 :

Monsieur [W] [J]

Né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 9]

Elisant domicile au cabinet TEYTAUD- SALEH AARPI

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me François TEYTAUD, de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assisté de Me Benjamin MATHIEU, de la SELAS OPLUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K 170

APPELANT

et

L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de sa présidente

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Renaud THOMINETTE, de l'AARPI RENAULT THOMINETTE VIGNAUD & REEVE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0248

INTIMÉE

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 03 avril 2024, le conseil de l'appelant et le conseil de l'Autorité des marchés financiers ;

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 03 avril 2024, Monsieur Stephen ALMASEANU, substitut général, en son avis ;

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 11 septembre 2024 puis avancé au 24 juillet 2024, pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Le 8 juin 2023, le Juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de PARIS a rendu, en application des articles L.465-1 à L.465-3-3 et L.621-12 du code monétaire et financier (ci-après CMF), une ordonnance autorisant les enquêteurs de l'Autorité des Marchés Financiers (ci-après AMF) à procéder à une visite domiciliaire et à la saisie de toute pièce ou document utile à la manifestation de la vérité dans le cadre de l'enquête n° 2020.19 ouverte par le secrétaire général de l'AMF le 5 mai 2020, portant sur le marché du titre ATOS (FR0000051732) et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur du titre ATOS (FR0000051732) ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur du titre ATOS (FR0000051732), à compter du 1er janvier 2017, et sur l'information financière et le marché du titre WORLDLINE (FR0011981968) et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur du titre WORLDLINE (FR0011981968) ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur du titre WORLDLINE (FR0011981968), à compter du 1er janvier 2017, étendue au marché des titres INGENICO (FR0000125346), SUEZ, FAURECIA, NATIXIS, TARKETT, CNP ASSURANCES dans les lieux suivants:

- au domicile de Monsieur [W] [J], sis [Adresse 6] à [Localité 13], et, en tant que de besoin, de tous locaux ou véhicules sis dans le ressort du tribunal judiciaire de Paris, occupés ou utilisés pour un usage professionnel ou privé par l'intéressé et dont l'existence serait révélée au cours des opérations et dans lesquels seraient susceptibles d'être présents des pièces ou documents ayant un lien avec la présente enquête.

Il ressortait des éléments du dossier et notamment de la requête de l'AMF présentée au juge des libertés et de la détention et visée dans l'ordonnance ce qui suit :

Le 23 octobre 2018 avant bourse, le groupe ATOS a publié son chiffre d'affaires pour le 3ème trimestre 2018, en croissance de 0,1% par rapport au 3e trimestre 2017, alors que le consensus de marché attendait une progression de 1,9%. Le groupe a en outre annoncé la révision de ses objectifs annuels pour l'exercice 2018, visant désormais une croissance organique du chiffre d'affaires de l'ordre de 1%, contre +2 à +3% précédemment communiqué, ainsi qu'une marge opérationnelle atteignant le bas de la fourchette précédemment communiquée au public, à savoir entre 10,5 % et 11% du chiffre d'affaires.

D'après les informations recueillies par les enquêteurs, l'information relative à la croissance du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 du groupe Atos qui s'est avérée inférieure aux attentes et à la révision à la baisse des objectifs de chiffre d'affaires et de marge opérationnelle du groupe pour l'exercice 2018 était susceptible d'être qualifiée d'information privilégiée au sens de l'article L.465-1 du code monétaire et financier et de l'article 7 du règlement UE n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché, au plus tard le 13 octobre 2018, en ce qu'elle était précise, non publique avant le communiqué du 23 octobre 2018 et susceptible d'avoir une influence sensible, en l'occurrence négative, sur le cours du titre ATOS.

L'enquête de l'AMF a permis de constater les transactions suspectes de M. [W] [J], co-fondateur et conseiller en investissements au sein de la société suisse Ariane Capital (ou " Ariane Group "), consistant à vendre à découvert 300 CFD ATOS le 22 octobre 2018, puis à racheter la même quantité de titres le lendemain, le 23 octobre 2018, après que la publication du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 et l'annonce de la révision des objectifs 2018 ont entrainé une forte baisse de la valeur du titre Atos, lui permettant de réaliser une plus-value de 5 070 euros. Les investigations ont également révélé le caractère atypique de ces opérations puisqu'elles constituent les seules interventions de M. [W] [J] sur les titres ou instruments dérivés Atos au cours de l'année 2018.

L'enquête de l'AMF a également permis d'identifier les transactions suspectes de M. [O] [P] consistant à vendre à découvert 500 CFD ATOS le 22 octobre 2018, puis à racheter la même quantité de titres le lendemain, le 23 octobre 2018, après que la publication du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 et l'annonce de la révision des objectifs 2018 a entrainé une forte baisse de la valeur du titre Atos, lui permettant de réaliser une plus-value de 9 185 euros. Si les transactions du mois d'octobre 2018 de M. [O] [P] sur les CFD Atos ne sont pas les premières, elles paraissent néanmoins atypiques et opportunes car il s'agit de ses seules prises de position vendeuses sur le titre sur la période (aller-retour ventes/achats) et elles sont intervenues la veille de l'annonce de résultats en baisse qui a impacté négativement la valeur du titre.

Les investigations menées par l'AMF ont montré que M. [O] [P] a donné procuration sur son compte IG Markets Limited à la société Ariane Capital, pour laquelle travaille M. [W] [J], tandis que l'analyse des données de connexion à leurs comptes de trading respectifs a révélé que leur ordre de vente du 22 octobre 2018 a été passé à la même heure, depuis le même lieu et potentiellement par une même personne, à savoir M. [W] [J], co-fondateur et conseiller en investissement chez Ariane Capital.

L'enquête de l'AMF a également permis d'identifier les transactions suspectes de la société Bluestar Capital Ltd consistant à vendre à découvert 5 000 CFD ATOS le 22 octobre 2018, puis à racheter la même quantité de titres le lendemain, le 23 octobre 2018, après que la publication du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 a entrainé une forte baisse de la valeur du titre Atos, lui permettant de réaliser une plus-value de 82 102 euros. Outre le caractère opportun de ces transactions, les investigations ont révélé leur caractère atypique puisqu'elles constituent les seules interventions de la société Bluestar Capital Limited sur les titres ou instruments dérivés Atos au cours de l'année 2018.

Les investigations menées par l'AMF ont révélé que la société Bluestar Capital Ltd a délégué la gestion financière d'une partie de son patrimoine à la société Ariane Capital co-fondée par M. [W] [J], qui pourrait être à l'origine des ordres passés par la société Bluestar Capital Ltd sur les CFD ATOS.

L'enquête a montré que la société Ariane Capital avait adressé de nombreux virements bancaires à la société Bluestar Capital Ltd en amont de ses investissements en CFD ATOS et qu'elle pourrait donc être le ou l'un des bénéficiaires des transactions réalisées par Bluestar Capital Ltd.

Les opérations particulièrement opportunes de M. [W] [J], de M. [O] [P] et de la société Bluestar Capital sur les CFD ATOS pourraient avoir été motivées par la connaissance de l'information privitégiée relative à la croissance du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 du groupe ATOS qui s'est avérée inférieure aux attentes et à la révision à la baisse des objectifs de chiffre d'affaires et de marge opérationnelle du groupe ATOS pour l'exercice 2018.

L'ordonnance précitée énonce qu'il résulte de ces éléments que la société Ariane Capital semble tenir un rôle central dans les opérations suspectes des trois intervenants susmentionnés, et que les enquêteurs de l'AMF tentent d'établir si M. [W] [J], co-fondateur de la société, pourrait avoir pris connaissance, avant qu'elle ne soit rendue publique, de l'information privilégiée susmentionnée, et le cas échéant par qui il aurait pu l'obtenir, puis s'il aurait pu communiquer cette information à M. [L] [Y], dirigeant de la société Bluestar Capital, ainsi qu'à M. [O] [P], et/ou passer les ordres pour le compte de ce dernier.

L'ordonnance précitée énonce encore que l'ensemble de ces faits sont susceptibles de constituer les éléments matériels des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier.

L'ordonnance précitée énonce que le requérant sollicite, sur le fondement de l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier, que soit ordonnée une visite domiciliaire au domicile de M. [W] [J] en vue de rechercher s'il existe des preuves d'une éventuelle commission des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier, à savoir la communication et/ou l'utilisation de l'information privilégiée relative à la croissance du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 du groupe ATOS qui s'est avérée inférieure aux attentes et à la révision à la baisse des objectifs de chiffre d'affaires et de marge opérationnelle du groupe ATOS pour l'exercice 2018, et/ou la recommandation ou l'incitation à réaliser une opération sur un instrument financier sur le fondement de cette information privilégiée et/ou l'utilisation de cette recommandation ou de cette incitation en sachant qu'elle est fondée sur cette information privilégiée.

L'ordonnance précitée considérant que cette requête motivée apparaît fondée, les éléments et pièces invoqués étant de nature à justifier la visite domiciliaire demandée en application de l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier aux fins de saisie de toutes pièces ou tous documents utiles à la manifestation de la vérité et susceptibles de caractériser les infractions susvisées, et ce, quels qu'en soient la nature et le support, y compris, mais sans y être limités, les ordinateurs, les téléphones ou autres appareils permettant la conservation et le traitement de données électroniques, ou toute donnée accessible depuis ces appareils.

La requête du secrétaire général apparaissant fondée, il y a été fait droit et le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de PARIS a autorisé les enquêteurs à effectuer une visite domiciliaire dans les lieux susmentionnés.

LA PROCÉDURE

M. [W] [J] a interjeté appel de cette ordonnance le 17 juillet 2023 et exerçait le même jour un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées à son domicile.

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 6 mars 2024, puis renvoyée à la demande de l'appelant au 3 avril 2024. L'examen du recours a été renvoyé à l'audience du 2 octobre 2024.

SUR L'APPEL

M. [W] [J] par conclusions n° 2 en date du 28 février 2024, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- Ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG n° 23/11709 et RG n° 23/11711 qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien ;

- Annuler en toutes ces dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris du 8 juin 2023 à l'encontre de M. [W] [J] autorisant la visite domiciliaire et les saisies ;

- Subsidiairement,

-Infirmer l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire et les saisies rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris le 8 juin 2023 ;

- Déclarer irrégulières les opérations de visite et saisie de documents réalisées le 3 juillet 2023 par les agents de l'Autorité des marchés financiers au domicile prétendu de M. [W] [J] [Adresse 6] ;

- Prononcer la nullité du procès-verbal de visite domiciliaire et de saisie de documents du 3 juillet 2023, relatif à la visite du domicile prétendu de M. [W] [J] situé [Adresse 6] ;

- Ordonner la restitution à M. [W] [J] de l'intégralité des pièces saisies lors des opérations de visite et saisie susvisées, sans possibilité pour l'AMF d'en conserver la copie et de les utiliser directement ou indirectement, en original ou en copie ;

- Subsidiairement,

- Ordonner la restitution à M. [W] [J] des pièces saisies suivantes, sans possibilité pour l'AMF d'en conserver la copie et de les utiliser directement ou indirectement, en original ou en copie :

- 2020.19 - [J] [W] - 2023-07-03 - APPLE iPhone 14 Pro (A2894) - 417 86 90 02 47 - 9715 08 78 14 18.xry ;

- 2020.19 - [J] [W] - 2023-07-03 - [Courriel 7] - Transfert.pst ;

- Ordonner à l'Autorité des marchés financiers de procéder à la destruction de toute copie sous quelque forme que ce soit, des pièces irrégulièrement saisies, notamment les courriels transférés à l'adresse " [Courriel 8] ", à charge pour l'Autorité des marchés financiers de justifier de la destruction effective de ces documents dans un délai de 7 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

- Condamner l'Autorité des marchés financiers au paiement d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter d'un délai de 7 jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir jusqu'à la justification effective de la restitution des originaux et de la destruction des copies de ces documents ;

- Déclarer que l'Autorité des marchés financiers sera rétroactivement réputée ne jamais avoir détenu les pièces saisies ;

- Condamner l'Autorité des marchés financiers à verser à M. [W] [J] la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'Autorité des marchés financiers, dans ses observations sur l'appel reçues au greffe le 29 janvier 2024, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- Prononcer la jonction des instances n°23/11709 et 23/11711 ;

- Dire et juger que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris du 8 juin 2023 est bien fondée et la confirmer ;

- Dire et juger que les opérations de visite domiciliaire du 3 juillet 2023 se sont valablement déroulées ;

- Dire et juger que les demandes et allégations de Monsieur [W] [J] sont infondées et les rejeter et, en conséquence,

- Débouter Monsieur [W] [J] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner Monsieur [W] [J] à régler à l'AMF la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 CPC et aux dépens.

MOTIVATION

SUR L'APPEL :

Sur l'objet de l'enquête

- Dans ses conclusions n° 2 en date du 28 février 2024, M. [W] [J] soutient que l'objet de l'enquête est indéterminé dès lors qu'elle a été étendue à d'autres titres et porte sur une période indéterminée. Il est donc soutenu que dès lors que seul le marché du titre ATOS est évoqué dans la requête et dans l'ordonnance, ce champ rendant ainsi impossible toute appréciation éventuelle de la prise en compte simultanée des marchés des autres titres auxquels l'enquête a été étendue et qu'une telle imprécision a empêché le juge des libertés et de la détention d'apprécier le fondement de la demande (conclusions n°64 à 69).

- L'Autorité des marchés financiers rappelle qu'en l'espèce, elle a versé 15 pièces à l'appui de sa requête, a exposé dans sa requête qu'une enquête avait été ouverte, portant sur les marchés de plusieurs titres, dont celui du titre Atos à compter du 1er janvier 2017 et a ensuite exposé avoir eu connaissance d'interventions opportunes de Monsieur [W] [J] et de personnes qui lui sont liées sur le titre Atos en octobre 2018 (Requête, pages 2, 3 et suivantes) et elle a détaillé les différentes transactions identifiées en lien avec Monsieur [W] [J].

L'Autorité des marchés financier soutient donc que le juge des libertés et de la détention a pu vérifier que les opérations sur lesquelles l'AMF a indiqué avoir des soupçons portaient bien sur le titre Atos, objet de l'enquête n°2020.19, que ce juge a donc disposé de l'ensemble des éléments pour vérifier et décider que sa demande était fondée et entrait bien dans le champ de l'enquête. L'Autorité des marchés financier ne comprend pas en quoi le fait que l'enquête porte sur le marché d'autres titres serait de nature à remettre en cause cette analyse (conclusions p. 3 et 4).

- Le ministère public, dans son avis du 1er avril 2024, considère qu'en l'espèce, le raisonnement suivi par l'appelant est difficile à comprendre : comment le fait que l'enquête porte sur plusieurs titres, alors que les interventions de Monsieur [J] ne portent que sur l'un de ses titres, pourrait-il rendre indéterminé le cadre juridique de la requête et de l'ordonnance ' Il souligne que l'enquête porte sur huit marchés de titres, et une requête motivée a été présentée pour effectuer une opération de visite domiciliaire et de saisies chez une personne étant intervenue sur l'un de ces marchés de titres. Le ministère public est d'avis que le juge des libertés et de la détention a donc pu remplir son office en étudiant cette requête et les 15 pièces qui lui ont été fournies à ce titre pour déterminer si cette mesure était justifiée et proportionnée, conformément aux textes et à la jurisprudence. L'enquête a en effet un objet déterminé - les opérations concernant huit marchés de titres-, de même que les opérations de visites domiciliaires et de saisies chez Monsieur [J] - les opérations menées sur le marché de titres ATOS. Le ministère public est d'avis que ce moyen d'annulation pourra donc être rejeté.

Sur ce, le magistrat délégué :

Selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date de l'ordonnance d'autorisation, « Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en application de l'article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter peut, sur demande motivée du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l'autorité à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu'à procéder à la saisie de documents et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place. ».

Il convient de rappeler que le juge des libertés et de la détention doit, aux termes de l'article L. 621-12 du CMF, « vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'Autorité de nature à justifier la visite ».

Au cas présent, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention vise précisément la requête, mais également les pièces qui l'appuient (en page 2). L'ordonnance mentionne que l'Autorité des Marchés Financiers a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de l'autoriser à procéder à une visite domiciliaire et à la saisie de toute pièce ou document utile à la manifestation de la vérité dans le cadre de l'enquête n° 2020.19 ouverte par le secrétaire général de l'AMF le 5 mai 2020 portant sur le marché du titre ATOS. L'ordonnance mentionne de manière détaillée, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, les éléments recueillis concernant les opérations suspectes portant sur le titre ATOS. Par suite, la circonstance que cette enquête ait fait l'objet d'extensions à d'autres titres figurant en pièces jointes et visées à l'ordonnance attaquée, n'est nullement de nature à induire en erreur le juge sur la portée de l'autorisation délivrée, ni par suite à invalider cette ordonnance comme ayant un objet général et indéterminé.

Ce moyen sera rejeté.

Sur le détournement de procédure allégué

- Dans ses conclusions n° 2 en date du 28 février 2024, M. [W] [J] soutient que sur le fondement de quatre livraisons de repas au [Adresse 6] à [Localité 11] - sans même qu'il ne soit établi qu'il en avait effectivement été le destinataire -, les enquêteurs ont estimé fallacieusement, que M. [J] y résidait, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors qu'une tierce personne réside à cette adresse. Il est prétendu que les enquêteurs de l'AMF ne pouvant procéder à des visites domiciliaires hors du territoire national, ont surveillé les déplacements de M. [J] vers la France pour procéder à la saisie de son matériel informatique lors d'un passage ponctuel en France. Il est soutenu qu'une telle pratique constitue un détournement de procédure. Il est allégué que les enquêteurs de l'AMF doivent fournir tous les éléments d'information en leur possession de nature à justifier la visite au juge, mais que tel n'avait pas été le cas en l'espèce et il est prétendu que le juge des libertés n'aurait pas autorisé une visite au [Adresse 6] dès lors qu'il ne s'agissait pas du domicile de M. [J] (conclusions n° 72 à 77).

- L'Autorité des marchés financiers rappelle que les opérations de visite peuvent se dérouler "en tous lieux"et que ce texte ne limite pas ces opérations aux seuls locaux dont une personne soupçonnée de violation des articles L 465-1 et suivants CMF serait propriétaire, ni à son seul domicile principal (Cass., Assemblée plénière, 16 décembre 2022, n° 21-23.685 et 21-23.719) et que l'occupant des lieux est défini, en jurisprudence, comme la personne se trouvant à l'intérieur de local visité, au moment de la visite. L'AMF rappelle que l'occupant peut aussi bien être le propriétaire que le locataire ou sous-locataire ou bien être hébergé gracieusement par celui qui a le droit de disposer des lieux.

L'AMF ajoute qu'en l'espèce, Monsieur [W] [J] était bien l'occupant des lieux, ainsi qu'en attesteraient plusieurs éléments :

- il est propriétaire d'un appartement au [Adresse 6], au deuxième étage, appartement qu'il a acquis le 26 février 2016, ainsi qu'en atteste l'acte de vente qui était joint à la requête de l'AMF (pièce n°7) ; cet appartement a été relié à un autre, au premier étage, pour constituer un duplex et comme indiqué à la requête, ce premier étage a été acquis au nom de Madame [T] [S], qui a indiqué dans l'acte d'acquisition une adresse à Genève, au siège social de la société Ariane Capital, pour laquelle travaille Monsieur [J]. (requête, page 9 et pièce n°14) ; et, lors des opérations de visite, les enquêteurs de l'AMF ont constaté que le logement visité était bien en duplex, sur deux niveaux (pièce n°17, page 5) ;

- Monsieur [W] [J] a déclaré à plusieurs reprises l'adresse du [Adresse 6] comme étant la sienne ; notamment en réponse à une réquisition qui lui avait été adressée pour obtenir des informations sur Monsieur [J], la société de livraison Deliveroo a communiqué à l'AMF des informations relatives au compte client de Monsieur [W] [J]. Les adresses emails rattachées à ce compte sont deux adresses utilisées par Monsieur [J], à savoir [Courriel 10] et [Courriel 7] et le numéro de téléphone portable rattaché au compte étant celui de l'IPhone 14 remis par Monsieur [J] aux enquêteurs lors des opérations de visite. (pièce n°17, pages 4-5). Or, l'adresse mail [Courriel 7] a été utilisée par Monsieur [J] pour se faire livrer des repas à l'adresse du [Adresse 6] à quatre reprises en 2021 et 2022. (pièce n°15).

Se référant au procès-verbal de visite domiciliaire du 3 juillet 2023, l'AMF en déduit en outre que l'appelant, présent sur les lieux, était donc bien l'occupant des lieux.

- Le ministère public, dans son avis du 1er avril 2024, considère qu'en l'espèce la jurisprudence citée par l'AMF est très claire sur le fait que l'occupant des lieux de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier n'a pas à avoir de pouvoir juridique sur les locaux faisant l'objet d'une opération de visite domiciliaire et de saisie. Le ministère public considère, qu'à supposer donc qu'on se satisfasse des affirmations de Monsieur [W] [J] selon lesquelles il n'est pas domicilié au [Adresse 6] - alors que de nombreux indices indiquent qu'il s'agit de sa résidence ou de l'une de ses résidences à [Localité 11], quand il n'est pas à Genève -, la réalisation des opérations du 3 juillet 2023 ne constitue donc nullement un détournement de procédure. Le ministère public conclut donc que ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

Sur ce, le magistrat délégué :

Selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date de l'ordonnance d'autorisation, « Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en application de l'article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter peut, sur demande motivée du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l'autorité à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu'à procéder à la saisie de documents et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place. ».

Il a été jugé que :

' 5. Selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1107 du 22 juin 2017, le juge des libertés et de la détention peut autoriser les enquêteurs de l'AMF à effectuer des visites en tous lieux et à procéder à la saisie de documents pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du même code et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'AMF en application de l'article L. 621-15 de ce code.

6. Il en résulte que sont saisissables les documents et supports d'information qui sont en lien avec l'objet de l'enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu'il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l'occupant des lieux.

7. Ce texte, ainsi interprété, qui poursuit un but légitime, à savoir la protection des investisseurs, la régulation et la transparence des marchés financiers, est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre cet objectif. Il ne porte pas une atteinte excessive au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance dès lors, d'une part, que les opérations de visite et de saisies ont préalablement été autorisées par un juge qui s'est assuré du bien-fondé de la demande, qu'elles s'effectuent sous son autorité et son contrôle, en présence d'un officier de police judiciaire, chargé de le tenir informé de leur déroulement, et de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui prennent connaissance des pièces avant leur saisie, qu'elles ne peuvent se dérouler que dans les seuls locaux désignés par ce juge, que l'occupant des lieux et les personnes visées par l'ordonnance sont informés, par la notification qui leur en est faite, de leur droit de faire appel à un avocat de leur choix et que ces opérations peuvent être contestées devant le premier président de la cour d'appel par toutes les personnes entre les mains desquelles il a été procédé à de telles saisies, d'autre part, que seuls les éléments nécessaires à la recherche des infractions précitées peuvent être saisis, ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués.' ( Cour de cassation - Assemblée plénière, n° 21-23.719 ).

Par suite, nonobstant les éléments apportés dans les pièces de la requête de l'AMF selon lesquelles il est propriétaire de l'appartement du [Adresse 6] à [Adresse 12] et s'y rendrait souvent se trouve être l'occupant ' réel ' des lieux, l'argument selon lequel la simple présence passagère de Monsieur [J] sur les lieux où a été autorisée et où s'est déroulée la visite domiciliaire, ainsi qu'il est allégué, ne lui conférerait pas la qualité d'occupant des lieux, quelle que soit la fréquence de sa présence dans les lieux, ne saurait constituer un détournement de procédure si cette adresse a été mentionnée dans l'ordonnance comme étant son domicile.

Le moyen sera écarté.

Sur l'atteinte alléguée à la protection de la vie privée :

- Dans ses conclusions n° 2 en date du 28 février 2024, M. [W] [J] soutient que le juge des libertés et de la détention n'a restreint, ni le champ des pièces ou documents susceptibles d'être saisis, ni la période suspecte. Il allègue que l'utilisation des termes " en lien avec la présente enquête " ou "susceptible de caractériser l'infraction " ne permet pas de déterminer le cadre des opérations de visite et saisie. Il rappelle, comme soutenu dans son premier moyen, qu'elle a été étendue aux marchés de plus de huit titres différents et qu'elle porterait sur des périodes indéterminées, dont seuls ont été communiqués les points de départ. Il prétend donc qu'il est impossible de déterminer si l'autorisation est restreinte au seul marché du titre ATOS ou si elle concerne également les titres WORLDLINE, INGENICO, SUEZ, DEVOTEAM, FAURECIA, NATIXIS, TARKETT et CNP ASSURANCES qui ne sont pourtant pas évoqués ni dans la requête, ni dans l'ordonnance. Il relève que les transactions reprochées à M. [J] semblent être limitées à celles réalisées en octobre 2018 sur le titre ATOS, sans toutefois que l'on puisse déterminer si les autres périodes visées commençant le 1er janvier 2019, le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2021 doivent également être incluses.

En résumé, il soutient que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 8 juin 2023 doit être annulée en ce que, par son caractère général et indéterminé, elle porte atteinte injustement au respect de la vie privée de M. [J]. (conclusions n° 80 à 86).

- L'Autorité des marchés financiers fait valoir qu'il est vain d'invoquer de manière abstraite l'atteinte au respect de la vie privée, dès lors que la jurisprudence a depuis longtemps affirmé la compatibilité des visites domiciliaires avec le droit au respect de la vie privée. Elle soutient qu'en l'espèce, le fait que les mesures mises en 'uvre par l'AMF puissent, potentiellement, porter atteinte à la vie privée de Monsieur [W] [J] est inopérant, dès lors que les documents saisis sont susceptibles d'être utiles à la manifestation de la vérité, qu'il peut contester les opérations devant le Premier Président - ce qu'il fait - et que "seuls les éléments nécessaires à la recherche des infractions précitées peuvent être saisis, ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués" (conclusions pages 7 à 9).

- Le ministère public, dans son avis du 1er avril 2024, considère qu'en l'espèce, il n'est plus contesté que si l'article L. 621-12 du code monétaire et financier constitue sans aucun doute une ingérence dans le respect dû à la vie privée des citoyens, cette ingérence respecte les limites indispensables à la sauvegarde de cette dernière, comme l'a rappelé la Cour de cassation, dans deux arrêts d'Assemblée plénière du 16 décembre 2022 (Cass. Ass. Plén., 16 décembre 2022, n° 21-23.685 et n° 21-23.719). Le ministère public est d'avis que ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il est désormais de jurisprudence établie que l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, qui permet au juge des libertés et de la détention d'autoriser les enquêteurs de l'AMF à effectuer des visites en tous lieux et à procéder à la saisie de documents pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du même code et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'AMF en application de l'article L. 621-15 de ce code, ' poursuit un but légitime, à savoir la protection des investisseurs, la régulation et la transparence des marchés financiers, est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre cet objectif. Il ne porte pas une atteinte excessive au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance dès lors, d'une part, que les opérations de visite et de saisies ont préalablement été autorisées par un juge qui s'est assuré du bien-fondé de la demande, qu'elles s'effectuent sous son autorité et son contrôle, en présence d'un officier de police judiciaire, chargé de le tenir informé de leur déroulement, et de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui prennent connaissance des pièces avant leur saisie, qu'elles ne peuvent se dérouler que dans les seuls locaux désignés par ce juge, que l'occupant des lieux et les personnes visées par l'ordonnance sont informés, par la notification qui leur en est faite, de leur droit de faire appel à un avocat de leur choix et que ces opérations peuvent être contestées devant le premier président de la cour d'appel par toutes les personnes entre les mains desquelles il a été procédé à de telles saisies, d'autre part, que seuls les éléments nécessaires à la recherche des infractions précitées peuvent être saisis, ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués.' ( Cour de cassation - Assemblée plénière, n° 21-23.719 ).

En l'espèce, en dehors de l'affirmation selon laquelle l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 8 juin 2023 doit être annulée en ce qu'elle porte atteinte injustement au respect de la vie privée de M. [J], ce qui est inopérant, il est soutenu que cela résulterait de son caractère général et indéterminé, en raison de son champ, selon un moyen similaire au premier moyen soulevé par l'appelant, auquel il a déjà été répondu précédemment en ces termes :

En l'espèce, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention vise précisément la requête, mais également les pièces qui l'appuient (en page 2) et mentionne que l'Autorité des Marchés Financiers a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de l'autoriser à procéder à une visite domiciliaire et à la saisie de toute pièce ou document utile à la manifestation de la vérité dans le cadre de l'enquête n° 2020.19 ouverte par le secrétaire général de l'AMF le 5 mai 2020 portant sur sur le marché du titre ATOS. L'ordonnance mentionne de manière détaillée, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, les éléments recueillis concernant les opérations suspectes portant sur le titre ATOS. Par suite, la circonstance que cette enquête ait fait l'objet d'extensions à d'autres titres figurant en pièces jointes et visées à l'ordonnance attaquée, n'est nullement de nature à induire en erreur le juge sur la portée de l'autorisation délivrée, ni à invalider cette ordonnance comme ayant un objet général et indéterminé, et, par suite, n'est pas de nature à constituer une atteinte au respect de la vie privée de M. [J].

Le moyen sera écarté.

Sur la motivation de l'ordonnance et de la requête

- Dans ses conclusions n° 2 en date du 28 février 2024, M. [W] [J], sur le grief de l'utilisation par M. [J] d'une information privilégiée qui lui est reproché, soutient que les transactions qu'il a effectuées le 22 octobre 2018, pour son compte et celui de M.[P], qui anticipait une baisse de la valeur du titre ATOS, étaient donc cohérentes avec l'analyse qui pouvait être faite du contexte économique et financier dans le cadre duquel l'annonce des résultats du groupe ATOS intervenait. Il fait valoir que cette analyse de marché constituait le c'ur de son activité et de la société ARIANE GROUP SA qui est spécialisée dans la gestion de patrimoine et l'investissement dans des produits financiers dérivés. Il prétend que le caractère risqué d'une telle analyse l'a conduit, en professionnel avisé du marché des produits dérivé, à réaliser des transactions de faible montant au regard de sa surface financière et de celle de M. [P] afin de limiter ses pertes éventuelles, rappelant qu'il n'a procédé qu'à la cession respectivement de 300 et 500 CFD du titre ATOS ayant généré, après débouclage, des plus-values de 5 070 € et 9 158 €, soit selon son appréciation, des investissements presque négligeables au regard de sa surface financière et celle de M. [P] qui dispose d'une fortune estimée à plusieurs centaines de millions de dollars. Il prétend encore qu'une telle prudence n'apparaitrait pas logique avec la prétendue détention d'une information privilégiée, qui aurait conduit M. [J] à procéder à une opération importante dès lors qu'il aurait été certain de son gain. Il fait donc valoir que l'AMF présente à tort ces transactions comme suspectes.

S'agissant des transactions de la société BLUESTAR CAPITAL LIMITED, l'appelant soutient qu'elle sont sans lien avec lui ou la société ARIANE GROUP SA (conclusions n° 88 à 108).

- L'Autorité des marchés financiers fait essentiellement valoir que l'appelant développe des arguments de fond qui échappent au pouvoir du Premier Président rappelant que selon la jurisprudence rendue au visa de l'article L. 621-12 CMF, le juge des libertés et de la détention n'est pas le juge du fond ; ce dernier devant uniquement vérifier que la demande d'autorisation est fondée au regard de son objectif, à savoir la recherche de preuves. En l'espèce, sur la base des éléments qu'elle a fournis au juge des libertés et de la détention, détaillés dans sa requête et des 15 pièces qui y étaient jointes, l'AMF considère que la demande d'autorisation de visites domiciliaires était fondée.

L'AMF ajoute que l'allégation de l'appelant selon laquelle l'information objet du "profit warning" d'Atos du 23 octobre 2018 n'aurait pas été une information privilégiée au moment des opérations réalisées par Monsieur [W] [J] et des personnes qui lui sont liées est sans portée. Elle soutient que l'appelant tente de démontrer que les manquements suspectés à son encontre ne seraient pas constitués alors que le juge des libertés et de la détention n'est pas le juge du fond et qu'il n'a pas à rechercher si les infractions sont caractérisées, mais seulement s'il existe des soupçons justifiant des opérations de visite domiciliaire (conclusions de l'AMF pages 9 à 15)

- Le ministère public, dans son avis du 1er avril 2024, rappelle, en se référant à la juirisprudence constante de cette cour, que le juge des libertés et de la détention n'est pas le juge du fond. Le ministère public est d'avis en l'espèce, qu'il n'est pas contestable que la requête établie par l'Autorité des marchés financiers et présentée au juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris articulait des soupçons ou indices suffisants pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des infractions suspectées d'avoir été commises. Il considère que ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

Le ministère public conclut donc qu'aucun des moyens soulevés par l'appelant n'est donc de nature à affecter la légalité de l'ordonnance du 8 juin 2023 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris et que l'appel sera donc rejeté.

Sur ce, le magistrat délégué :

L'ensemble des arguments développés par l'appelant dans ses écritures (n° 88 à 108) tendent à démontrer en analysant des éléments factuels et afférents aux comportements d'investisseurs et aux intentions prêtées à M. [J] et de M. [P], que les éléments matériels et l'élément intentionnel de l'infraction de communication et/ ou d'utilisation d'une information privilégiée relative au titre ATOS, soupçonnée, n'étaient pas réunis.

Or, il convient en premier lieu de rappeler, au vu des arguments développés par l'appelant au soutien de son moyen, que le juge des libertés et de la détention doit, aux termes de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, 'vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'Autorité de nature à justifier la visite'.

Ainsi le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond, n'a pas à vérifier si tous les éléments constitutifs des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, sont caractérisés dans la requête qui lui est soumise, mais il doit s'assurer que les éléments recueillis dans le cadre de l'enquête diligentée par l'Autorité des marchés financiers constituent des soupçons ou indices suffisants pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des infractions susvisées.

L'appelant soutient ainsi que l'ordonnance du 8 juin 2023 reposerait sur une demande objectivement infondée, car aucun soupçon ou indice suffisant n'existerait pour justifier une visite domiciliaire.

Au cas présent, s'agissant des éléments caractérisant l'existence de présomptions d'agissement frauduleux retenus par le juge des libertés et de la détention, la décision d'autorisation querellée mentionne par une appréciation pertinente des éléments du dossier qui lui a été présenté, soit de la requête et des 15 pièces qui l'accompagnent, et que cette juridiction fait sienne que :

L'enquête de l'AMF a permis de constater les transactions suspectes suivantes :

- de M. [W] [J], co-fondateur et conseiller en investissements au sein de la société suisse Ariane Capital (ou " Ariane Group "), consistant à vendre à découvert 300 CFD ATOS le 22 octobre 2018, puis à racheter la même quantité de titres le lendemain, le 23 octobre 2018 ;

- de M. [O] [P] consistant à vendre à découvert 500 CFD ATOS le 22 octobre 2018, puis à racheter la même quantité de titres le lendemain, le 23 octobre 2018 ;

- et les transactions suspectes de la société Bluestar Capital Ltd consistant à vendre à découvert 5 000 CFD ATOS le 22 octobre 2018, puis à racheter la même quantité de titres le lendemain, le 23 octobre 2018 ; l'ensemble après que la publication du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 et l'annonce de la révision des objectifs 2018 ont entrainé une forte baisse de la valeur du titre Atos, leur permettant de réaliser des plus-values respectivement de 5 070 euros, de 9 185 euros et de 82 102 euros ; les investigations ayant également révélé le caractère atypique de ces opérations puisqu'elles constituent les seules interventions de M. [W] [J] sur les titres ou instruments dérivés Atos au cours de l'année 2018 ou, s'agissant de M. [O] [P], si ces transactions d'octobre 2018 sur les CFD Atos ne sont pas les premières, il s'agit de ses seules prises de position vendeuses sur le titre sur la période (aller-retour ventes/achats) et elles sont intervenues la veille de l'annonce de résultats en baisse qui a impacté négativement la valeur du titre et, s'agissant de la société Bluestar Capital Limited, les seules interventions de cette société sur les titres ou instruments dérivés Atos au cours de l'année 2018.

L'enquête de l'AMF a en outre révélé que la société Bluestar Capital Ltd a délégué la gestion financière d'une partie de son patrimoine à la société Ariane Capital co-fondée par M. [W] [J], qui pourrait être à l'origine des ordres passés par la société Bluestar Capital Ltd sur les CFD ATOS. Cette enquête a également montré que la société Ariane Capital avait adressé de nombreux virements bancaires à la société Bluestar Capital Ltd en amont de ses investissements en CFD ATOS et qu'elle pourrait donc être le ou l'un des bénéficiaires des transactions réalisées par Bluestar Capital Ltd.

Le juge des libertés et de la détention a ainsi pu à bon droit soutenir que ces opérations particulièrement opportunes de M. [W] [J], de M. [O] [P] et de la société Bluestar Capital sur les CFD ATOS pourraient avoir été motivées par la connaissance de l'information privitégiée relative à la croissance du chiffre d'affaires du troisième trimestre 2018 du groupe ATOS qui s'est avérée inférieure aux attentes et à la révision à la baisse des objectifs de chiffre d'affaires et de marge opérationnelle du groupe ATOS pour l'exercice 2018.

Le juge des libertés et de la détention a ainsi pu également à juste titre soutenir qu'il résulte de ces éléments que la société Ariane Capital semble tenir un rôle central dans les opérations suspectes des trois intervenants susmentionnés. Ce jugea ainsi pu valablement retenir que les enquêteurs de l'AMF sont fondés à tenter d'établir si M. [W] [J], co-fondateur de la société, pourrait avoir pris connaissance, avant qu'elle ne soit rendue publique, de l'information privilégiée susmentionnée, et le cas échéant par qui il aurait pu l'obtenir, puis s'il aurait pu communiquer cette information à M. [L] [Y], dirigeant de la société Bluestar Capital, ainsi qu'à M. [O] [P], et/ou passer les ordres pour le compte de ce dernier.

Il en résulte que les indices sont suffisants pour établir une présomption et que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 8 juin 2023 est fondée.

Le juge des libertés et de la détention ordonnance précitée constate encore à bon droit que l'ensemble de ces faits sont susceptibles de constituer les éléments matériels des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier ; ce qui justifie son autorisation.

Ce moyen sera rejeté.

Par suite, il résulte de ce qui précède que l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris en date du 8 juin 2023 sera confirmée.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :

Les circonstances de l'espèce et l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Monsieur [J] [W], qui succombe sur l'ensemble de ses prétentions.

Par contre, l'équité commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'Autorité des marchés financiers. Monsieur [J] [W] sera ainsi condamné au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS :

Monsieur [J] [W], succombant en ses prétentions au soutien de l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de PARIS rendue le 8 juin 2023, sera tenu aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 8 juin 2023 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de PARIS,

Condamnons Monsieur [J] [W] à payer à l'Autorité des marchés financiers la somme de CINQ MILLE EUROS (5000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejetons toute autre demande,

Condamnons Monsieur [J] [W] aux dépens de l'instance.

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

Olivier TELL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 23/11709
Date de la décision : 24/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-24;23.11709 ?
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